PORTRAIT DE BÉATRICE
URIA-MONZON
ÉMISSION
ÉMISSION
Enregistrement
10/6/2013, passage, semaines du 17 et 24 /6/2013
RADIO
DIALOGUE (Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de
Berre : 101.9)
« LE
BLOG-NOTE DE BENITO » N° 87
Lundi :
12h45 et 18h45 ; samedi : 12h30
Dans le cadre de sa
saison méditerranéenne MP13, l’Opéra de Marseille présente
donc, en première création sur notre scène, une nouvelle
production de Cléopâtre, le dernier opéra de Jules
Massenet. Et cette reine d’Égypte historique, mythique et
légendaire, est incarnée, et de quelle intense et charnelle façon,
par la mezzo-soprano Béatrice Uria-Monzon.
Il suffirait à ceux qui
ne la connaîtraient pas, pour ébaucher un portrait de Béatrice
Uria-Monzon, d’une peinture, d’un tableau, d’une photo :
il n’y aurait qu’à la voir, la regarder et tout serait dit en ne
disant mot. Elle est d’une remarquable beauté. Mais en rester à
la beauté physique de la personne serait faire injure à sa
personnalité en l’enfermant dans le cliché, ou le cadre pictural,
d’un personnage : femme et belle. Et tais-toi, bien sûr.
Mais cette belle
femme-là, il n’y a pas qu’à la regarder, il faut l’écouter :
elle parle, et bien, elle joue et chante, très, très bien :
le talent, l’art —et il n’y a pas d’art sans travail—
viennent couronner le don de la nature. Béatrice Uria-Monzon est
donc un ensemble unique sur scène d’une présence qui donne sens,
sensualité, corps et voix, aux personnages qu’elle incarne. On
fera donc grâce, on s’épargnera les clichés qui la poursuivent
pour la décrire, grande et belle brune hispanique « à la peau
mate », on évitera cet « œil noir », ce regard
« de braise », dont on la gratifie à longueur d’article
depuis qu’elle a redonné vie, de saisissante façon, à Carmen, en
l’arrachant à tous les oripeaux d’une tradition caricaturale,
qu’on a parfois tendance à lui faire endosser personnellement,
comme si le personnage s’était emparé de sa personne.
Elle a certes apporté à
ce rôle non seulement son physique séduisant, mais sa subtilité
séductrice, le physique sublimé par l’intelligence, le corps, par
l’esprit : beauté plastique, mais noblesse de l’allure,
mise à distance par la figure, l’espièglerie de ce nez mutin, le
sourire, l’ironie, de cette Carmen « toujours railleuse »
qui, si elle se prend au tragique, ne se prend pas forcément au
sérieux.Voici ce que j’en écrivais dans une critique :
« Dire de Béatrice
Uria-Monzón qu’elle est Carmen semble un pléonasme : couleur de
la voix, finesse et intelligence de la gitane aristocratique par
nature, beauté hiératique et souriante, démarche naturelle de
reine, elle en incarne la dignité au-dessus de toute contingence du
monde vulgaire. »
En effet, avec elle, nul grossissement du trait sur scène, rien qui
pèse ou pose, nul effet de hanches, de seins ni de sons poitrinés
de façon vulgaire.On aura reconnu la fameuse habanera dont peu de
gens connaissent que Bizet l’emprunte à son ami espagnol, le
compositeur Sebastián Iradier, maître du genre, professeur de
musique de l’Impératrice Eugénie. D’autres passages de l’opéra
sont inspirés, bien sûr par la rythmique du folklore espagnol et le
prélude du dernier acte de Manuel García, le célèbre compositeur,
chanteur et professeur de chant tout aussi espagnol, père de la
Malibran, image mythique de la diva romantique, et de Pauline Viardot
García, tout aussi grande chanteuse et muse de nombre de
compositeurs français. Bref, Carmen, l’Opéra le plus joué
au monde est français par ses auteurs, Mérimée et Bizet, mais
espagnol par son sujet et son inspiration.Alors, est-ce un hasard
si Béatrice Uria-Monzon, ce magnifique produit d’une hybridation
franco-espagnole, en est une incarnation qui s’est imposée comme
naturellement dans le monde entier sur les plus grande scènes ?
On compte, parmi les meilleurs Carmen de notre temps, Victoria de los
Ángeles et Teresa Berganza qui en renouvela le personnage à
Edimburgh. Mais ce sont deux espagnoles chantant un opéra français
nourri de musique d’Espagne, poissons dans l’eau dans la part
hispanique de leur culture, mais mal à l’aise parfois dans la
francité, surtout lorsqu’on use la partition originale avec les
passages parlés de l’opéra-comique qu’est cette œuvre.
Béatrice, par contre, habite l’opéra dans ses deux dimensions,
par le style français si particulier qu’elle maîtrise
admirablement, et par sa dimension hispanique. Elle est la plus
françaises des cantatrices et la plus espagnole des chanteuses
françaises.Car elle a l’Espagne
au cœur, et comme une blessure aussi. Sa voix vibre un peu en
évoquant ce père chéri et admiré, le peintre Antonio Uria-Monzón
(1929-1996) dont elle porte fièrement le nom. Enfant, il a vécu de
plein fouet la guerre civile, voyant son père assassiné sous ses
yeux, et, adolescent, il subit le franquisme. En 1952, il quitte
l’Espagne avec un ami, riches simplement d’un âne et de leur
peinture, grâce à laquelle ils vont vivoter d’abord, puis vivre
enfin. Puis c’est le mariage dans le sud-ouest avec une française
de cette région proche de l’Espagne. Enfance heureuse de Béatrice
dans une grande famille de cinq filles et un garçon, bercée,
enflammée par les rythmes espagnols. Une Carmen très
personnelle, dont Béatrice, ayant approfondi le personnage nous
révèle aussi que cette femme qui clame son droit à la liberté,
qui meurt en proclamant sa liberté, est tout de même enfermée dans
«des idées étroites et arrêtées, presque caricaturales. »
Et, en effet, n’est-ce pas Carmen qui, malgré un excès de
féminisme même libertaire, est enclose dans la réalité du
machisme qu’elle ne remet pas en cause, dans la soumission fatale à
un destin auquel elle ne tente pas d’échapper ? Subtile
lecture de cette fine interprète, passée par l’Histoire de l’Art,
qui approfondit ses personnages par la lecture dans la vie monacale,
le sacerdoce qu’est le chant, la grande solitude du chanteur
passant de l’hôtel au théâtre, avec la nostalgie et le souci de
sa famille, dans l’exigeante discipline de la forme requise par la
performance sur la scène.Loin des clichés
mondains des divas en Rolls dans des palaces de rêve et des
somptueuses réceptions. Elle, qui a incarné des reines, des
princesses, mezzo o soprano, Didon, Cléopâtre, Amnéris, Santuzza,
Chimène Eboli, Tosca, etc, de retour à ses racines de sa terre
d’Agen, tête dans les étoiles et pieds sur terre, va faire ses
courses seule à Auchan. Car à notre époque, dans notre société
faite par les hommes pour les hommes, une femme, fût-elle une diva
même la plus féminine du monde, est souvent obligée, surtout quand
qu’elle se retrouve seule, de jouer l’homme et la femme au foyer
conjointement, sinon conjugalement.
Ainsi, Béatrice de retour chez elle, n’hésite, pas, à user de la tronçonneuse, à conduire le tracteur, à veiller et surveiller sa propriété, ou, superbe Walkyrie, à chevaucher quelquefois sa moto pour courir à une répétition à l’opéra. Bien que la prudence l’ait contrainte à renoncer à ce moyen de locomotion, si utile dans les villes, mais émotion ou commotion inutile pour ceux qui l'attendent : dans la jungle de l'asphalte, le danger rôde pour une héroïne d'opéra plus que sur une scène tragique.
Ainsi, Béatrice de retour chez elle, n’hésite, pas, à user de la tronçonneuse, à conduire le tracteur, à veiller et surveiller sa propriété, ou, superbe Walkyrie, à chevaucher quelquefois sa moto pour courir à une répétition à l’opéra. Bien que la prudence l’ait contrainte à renoncer à ce moyen de locomotion, si utile dans les villes, mais émotion ou commotion inutile pour ceux qui l'attendent : dans la jungle de l'asphalte, le danger rôde pour une héroïne d'opéra plus que sur une scène tragique.
EXTRAITS DE
CRITIQUES DE BENITO PELEGRÍN
SUR BÉATRICE URIA-MONZON DANS CE BLOG
Aïda
de Verdi, Marseille, 09 décembre 2008
http://benitopelegrin-chroniques.blogspot.fr/2008/12/aida.html
…la si
belle aussi Béatrice Uria-Monzon […] prend ce rôle, un brin trop
grave pour elle, avec cependant une présence et même aisance de
reine, un sens dramatique d’immense tragédienne, crédible dans sa
jalousie, tendre et cauteleuse avec Aïda, grandiose de révolte
désespérée lors du jugement, filant des nuances déchirantes
d’humaine pitié.
Adalgisa |
Carmen
de Bizet, Chorégies d’Orange, 05 août 2008
http://benitopelegrin-chroniques.blogspot.fr/2008/08/choregies-d-carmen.html
Dire de
Béatrice Uria-Monzón qu’elle est Carmen semble un pléonasme :
couleur de la voix, finesse et intelligence de la gitane
aristocratique par nature, beauté hiératique et souriante, démarche
naturelle de reine, elle en incarne la dignité au-dessus de toute
contingence du monde vulgaire. Il faut la voir se soustraire avec
grâce, glisser avec un mouvement de tête méprisant et élégant
d'entre les bras visqueux des hommes. Et, enfin, enfin, face à Don
José, c’est une vraie Espagnole qui danse et on ne comprend pas
qu’il lui résiste.
Carmen |
Récital
Marseille concert, 27 juin 2010
http://benitopelegrin-chroniques.blogspot.fr/2010/06/recital-beatrice-uria-monzon.html
plastique
superbe et de sa sombre voix au timbre charnu, chaudement mais
discrètement, élégamment sensuel.
Port
aristocratique, beauté altière sans ce nez mutin, ce sourire
radieux et ces yeux sombres mais rieurs sous le chignon brun : la
personnalité, d’une noblesse naturelle, le personnage, n’occultent
pas la personne et sa directe simplicité. Béatrice Uria-Monzon dit
son plaisir de se retrouver à Marseille où elle vint se
perfectionner au CNIPAL.
On
s’attendait à une diva, une déesse au sens propre, et l’on
découvre une femme. Mais belle à tous les niveaux.
4 février
2011 Cavalleria rusticana,
Marseille
http://benitopelegrin-chroniques.blogspot.fr/2011/02/cavalleria-rusticana-i-pagliacci.html
Que dire de
plus de Béatrice Uria-Monzon, admirée déjà à Orange, grande
chanteuse défiant le grand air colossal par un jeu intense, doublée
d’une superbe actrice nuancée dans l’intimité des gros plans de
la télévision ? Dans la proximité affective d’une salle, ni
effectivement trop loin ni trop près, son chant et son jeu demeurent
toujours aussi justes et frappent toujours aussi fort
émotionnellement et tout dans le respect de la musique, sans effets
extérieurs.
Santuzza |
Le Cid
de Massenet, 5 juillet 2011
http://benitopelegrin-chroniques.blogspot.fr/2011/07/le-cid-de-j-massenet.html
Chimène |
Tosca
de Puccini, Avignon, 5 juin 2012
http://benitopelegrin-chroniques.blogspot.fr/2012/06/tosca.html
l’irrésistible
Floria Tosca de Béatrice Uria-Monzon, présence scénique
éblouissante dans sa jupe constellée d’azur puis souveraine
scénique dans une impériale robe, couronnée d’un diadème de
rubis passionnés, aussi juste dans le geste, toujours élégant et
significatif, que dans l’expression mobile, sans grossissement,
d’un visage, d’un regard, qui appellent le détail intime de la
caméra et du grand écran : une grande actrice. Comme celui de
Mario, tout d’une pièce et guère évolutif, le rôle de Tosca
n’est guère profond psychologiquement, d’une passion un peu
sommaire et mécanique. Cependant, en complicité avec la metteur en
scène, Uria-Monzon fait de ce personnage trop simple une vraie
personne sombrant brusquement de la scène de la comédie à celle de
la tragédie, menée par les événements : coquette, capricieuse,
primesautière, badine, mutine dans le I plus qu’impérieuse,
ravageuse et jalouse diva, méprisante, haletante de douleur dans le
II, haussée à l’archétype héroïque de libertaire tyrannicide
dans le III. Évolution sensible même de la gestique galante du
début au geste grandiose de la fin.
Mais, la grande actrice, la
cause est entendue, était attendue en cantatrice dans cette prise de
rôle hardie qui marquait un passage de sa tessiture de velours
sombre de mezzo vers l’éclat satiné d’un soprano dramatique
aigu. En fait, à bien écouter sa voix depuis qu’on la connaît,
Uria-Monzon est un soprano Falcon, c’est-à-dire un soprano
dramatique au grave et médium corsés avec un aigu héroïque et
vaillant. Et l’on reconnaît ici, malgré les appréhensions, la
réussite convaincante dans ce rôle : aigus aisés d’une belle
couleur, assis sur toute la solidité d’une voix maîtrisée par
une technique sans faille, avec la vibration émotionnelle de prise
de risque et de rôle. Un succès indubitable.
Tosca |
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