CHRISTINA ROSMINI
AU TOURSKY,
24 mai 2011
Faut-il présenter à Marseille cette Marseillaise Christina Rosmini même si, sur les ailes du succès, elle a couru le monde jusqu’au Brésil? On l’a vue sur les écrans du cinéma, à la télé, on l’a entendue dans les radios. Paris nous la rend enfin un peu et elle fait une halte à Marseille, son port d’attache avec lequel elle ne rompt jamais les amarres. Elle y vient fidèlement présenter, après Sous l’oranger qui, parti d’ici alla longtemps refleurir ailleurs, son nouveau spectacle, D’Autres Rivages. Depuis notre rive phocéenne, en ensemble cohérent de dix-sept chansons dont douze nouvelles pour cinq succès figurant dans son précédent album. Son équipe change et s’enrichit : Bruno Caviglia et Manuel Delgado aux guitares, Xavier Sánchez aux percussions et Sébastien Debard à l’accordéon.
Personnellement, je revois sur les bancs de l’université cette étudiante studieuse, sérieuse et rieuse, brûlant déjà les planches du théâtre de la Faculté des lettres d’Aix, chantant et dansant le flamenco. Puis le cinéma, le théâtre l’ont saisie au vol. Elle fut, sur le texte de Mérimée Carmen la nouvelle de Louise Doutreligne, en version bilingue, français-espagnol, promenée deux-cents fois en France et en Espagne, avec une escale à guichet fermé au théâtre Gyptis. Ensuite, elle écrit et crée une pièce de théâtre musical sur l’Espagne médiévale des trois cultures, illustrant son rêve, son utopie, de coexistence harmonieuse des trois religions du Livre, Al-Andalus, le Jardin des Lumières lors de festival d’Avignon 2002 faisant une étape aixoise pour Horizontes del sur. Mais cette militante humaniste, féministe, très engagée socialement, ne s’arrête pas là et écrit et monte un autre spectacle sur le Front Populaire et les premiers congés payés au beau titre Au Devant de la Vie.
Cependant, c’est la musique et la danse qui sont l’étincelle et le feu de cette flamme vive à la voix ardente et fruitée. Avec ses origines espagnoles, corses et italiennes, cette vraie Marseillaise se définit fort justement comme une « chanteuse méditerranéenne ». Sa chanson De Méditerranée, qu’elle interprète encore avec une fougue irrésistible, mêlant rythme de la sévillane andalouse et de java parigote, est un vrai manifeste personnel, familial et, finalement, universel dans le local.
Il faut le souligner : à tous ses talents de comédienne, de danseuse, de chanteuse, il faut ajouter, essentiellement, celui d’auteure, compositrice et interprète. Car, même si elle ne dédaigne pas des chansons de grands auteurs (dont Roda-Gil), les siennes sont un plaisir d’intelligence, d’humour, de rythme, de poésie. Dans son album, Sous l’oranger, on trouvait déjà, dans un mélange hispano-arabo-français de la meilleure bonne humeur, de petits joyaux autobiographiques, des confidences malicieuses (En anana, en annana, en analyse, le rêve féministe coquin de harems masculins) ou plus émouvantes de pudiques déchirements intimes.
On retrouve ici cette même veine. Son militantisme politique au sens noble du mot s’exprime avec vigueur par le fameux Quinto regimiento, sur la fondation de ce régiment de volontaires à l’initiative des partis communiste et socialiste pour combattre Franco dès le lendemain de son soulèvement contre la République espagnole. Cela se chantait sur l’air d’une chanson du folklore andalou, Anda jaleo !, en réalité héritage musical d’une air célèbre du début du XIX e siècle, El contrabandista, de Manuel García, le grand chanteur et compositeur espagnol, père de la Malibran et de Pauline Viardot. Son engagement pour une culture métissée se manifeste encore par l’interprétation d’un tango algérien, d’une poétique chanson sur les origines arabes de Ramatuelle qui signifie ‘digne d’Allah’, par une autre sur la Vierge des gitans, Sara Kali, des Saintes-Maries-de-la- mer et une autre d’inspiration indienne.
À chaque fois, avec une grande justesse et une belle stylisation chorégraphique (Pazit Grossmann), avec de magnifiques gestes avec l’éventail, le voile et le mantón de Manila, avec ses postures du corps, l’intégration des musiciens (mise en scène Agnès Boury) elle est danseuse de flamenco, de tango, gitane ou indoue, dans une magnifique robe rouge à géométrie variable (Claire Swartz et Dany Michels). Ses immédiates racines familiales, elle les déballe avec une sorte de touchante et pudique impudeur avec un hommage à son père, même à son frère, et toujours bouleversante en évoquant tendrement, poétiquement, sa mère disparue. Sa voix, sans rien perdre de la couleur fruitée et feutrée de son médium a gagné d’assurance dans des aigus éclatants.
Oui, Christina est originale, singulière, son charisme, sensible. Que faudrait-il pour que cette magnifique interprète, qui soulève les spectateurs nombreux de ce grand théâtre marseillais, touche les plus vastes auditoires qu’elle mérite? Peut-être devrait-elle, tout en restant elle-même, sortir justement un peu d’elle-même en élargissant son répertoire vers le général pour gagner une généralité de public.
Ce spectacle, avec un beau décor de paravent à moucharabieh s(Charlotte Villermet), de belles lumières (Fred Millot) qu’on espère vite sortir en album, mérite aussi un DVD et doit voguer de rivages en rivages.
Photos :
1. Alexis Boichard ; graphisme : Romain Gillet.
2. Sous l’oranger, CD Le chant du Monde.