Madame Butterfly
opéra en trois actes,
musique de Giacomo Puccini,
livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica
par l’Opéra Théâtre pour Tous,
Théâtre Silvain, 11 août 2012
L’œuvre
Les antécédents en sont connus : Madame Chrysanthème (1882), roman autobiographique de Pierre
Loti qui, à Nagasaki, le temps d’une escale de son navire, par contrat légal
renouvelable d’un mois, épousa en juillet une jeune Japonaise qu’il quitte en
août, la femme pouvant se marier ensuite sans problème. Le roman à succès fut mis
en musique par Messager (1893). Le galant et ambigu Loti récidivait : il
avait déjà écrit Le Mariage de Loti (Rarahu) (1882), évoquant un séjour et un mariage
à Tahiti.
Sa Madame Chrysanthème, proche de Butterfly par le thème du mariage entre une Japonaise
et un marin étranger, n’est pas une victime, c’est une femme intéressée,
faisant une bonne affaire, et non amoureuse de l’homme blanc abandonneur comme
la future Madame Butterfly de la nouvelle américaine de John Luther Long, devenue une pièce
anglaise mélodramatique (1900) de David Belasco de même titre. Le thème cruel
de la geisha épousée, engrossée, abandonnée et suicidée, est ainsi présent dans
une actualité sinon une conscience occidentale sûre de son bon droit
colonialiste quand Puccini, en 1904, lui donne la finition et la définition qui
en font un opéra définitif, qui a éclipsé ces œuvres, qui ne sont pas des
chef-d’œuvres.
Aussi est-ce sans doute par intérêt historique
plus que littéraire que l’on attendait avec curiosité ce qu’en ferait l’Opéra
théâtre Pour Tous qui a l’idée originale de mêler à des
opéras célèbres, à la place des plages narratives, récitatifs ou passages qui
font avancer l’action, des extraits des textes originaux dont ils furent tirés,
mêlant de la sorte leur mise en musique, le lyrisme vocal et musical, au
théâtre et à la littérature dont ils furent issus. Effectivement, un grand
nombre d’opéras se prête à ce jeu d’un découpage d’une partie chantée, remplie
par une partie théâtrale qui le resitue ou en éclaire le sens, pas toujours
compréhensible pour un profane aujourd’hui : bref, c’est revenir à l’opéra
comique, c’est-à-dire, au sens précis du terme, parlé et chanté. Ce qui exige,
certes, des chanteurs pouvant avec aisance passer à ces deux types de discours.
Sur les objectifs de l’Opéra théâtre Pour Tous, dont le baryton marseillais Cyril
Rovery est l’âme et
l’infatigable, animateur, on se reportera, à la chronique ci-dessous de
présentation « Marseille sous les étoiles (2) » du 6 août 2012 ou,
encore, à celle commentant sa première tentative, réussie, de l’an dernier,
avec le Don Giovanni
de da Ponte/Mozart, assorti de textes de Tirso de Molina et Molière (15
septembre 2011).
L’an dernier, l’espace réduit du jardin Longchamp dotait le Don
Giovanni inaugural des
conditions les meilleures pour mettre en valeur une mise en scène inventive et
détaillée (Karine Leleu),
les seules réserves à lui opposer étant l’hétérogénéité stylistique des textes
théâtraux convoqués, les vers de Tirso, la prose de Molière et des récitatifs
traduits ou trahis par maladresse.
Malheureusement, dans le vaste espace du
théâtre Silvain, les personnages se diluent quelque peu (la belle Emmanuelle
Zoldan, touchante et
bien chantante Suzuki confinée, souvent à genoux, en arrière plan), quant aux
textes, de Belasco et de Loti, ils sont pratiquement inaudibles, du premier au
dernier rang, moins par un problème de sonorisation que de mauvaise diction du
diseur qui les a enregistrés et, les chanteurs, tous excellents pour le chant,
ne le sont guère pour le texte parlé, par ailleurs souvent malencontreusement
couvert par le piano. Comme l’on n’entend pas les textes, quand viennent les
passages parlés, que les personnages se figent pour faire place à la lecture,
cela crée une rupture du tempo, du rythme de l’œuvre, d’autant plus que
l’attention est attirée et dispersée par les très belles lumières, bleues,
mauves, rouges et les superbes vidéos de Geoffrey Parant côté cour, visages en gros
plans, noces japonaises, flots, journal, lettres de sang de la lettre du Mikado
invitant le père de Cio-Cio-San à sacrifier au saputo, à se faire, hara-kiri.
On est obligé de s’en tenir aux déclaration
d’intention de la metteur en scène Karine Laleu dans le programme, très intéressantes,
mais, comme toujours, un peu frustrantes face à la réalisation concrète. On la
suit volontiers dans son désir exprimé de donner au spectacle le fil continu du
journal de voyage (j’imagine inspiré par Loti, volontiers narcissique, se
mettant complaisamment en scène) que tient l’officier Pinkerton comme il
tiendrait le journal de bord, faisant une escale touristique et érotique à peu
de frais pour lui, comblant le rêve exotique occidental de se payer,
littéralement, une poupée de porcelaine, une geisha à demeure : celle
qu’il loue, maison de papier, comme le chiffon de papier du contrat, jeu pour
lui, vécu par elle, dramatique dissymétrie. Jeu biaisé de miroirs où les époux se regardent
l’un dans l’autre mais, reflet contre reflet : illusion. On est dans la
clôture culturelle, bien symbolisée par l’hésitation de l’époux désinvolte à
boire la boisson rituelle japonaise, préférant son whisky anglo-saxon.
Côté chant, il n’y a pratiquement que des bons
points à décerner. Si Renaud Talaïa semble mal à l’aise dans les imprécations brutales et
abruptes du bonze, sans avoir le temps de s’installer vocalement, à entendre le
peu que chante en Commissaire Impérial et prince Yamadori Jean-Marc
Jonca, cela donne envie de
réentendre cette belle voix de baryton. En Goro, l’entremetteur et marieur vil et servile, sinueux, Olivier Trommenschlager
projette bien son
insidieuse et insinuante voix. En surprenant gilet, barbe grise et canne à la main d’une
vieillesse douloureuse, Cyril Rovery campe un Consul Sharpless plein d’humanité, de tendresse impuissante, dont la grande
voix emplit l’espace sans passer les oreilles de l’aveugle et sourd Pinkerton
de Florian Cafiero,
en méforme physique mais
beau tissu d’une voix en devenir qui assouplira et élargira sans doute ses
aigus de ténor, tout en travaillant son jeu.
Le trio féminin est de grande qualité, on l’a dit pour Zoldan mais
il y a aussi la cousine japonaise et Kate Pinkerton que chante Amélie
Robinault d’une voix
exquise qui convient à sa belle et
élégante silhouette. Quant au rôle titre, Madame Butterfly, Marilyn Clément le remplit avec une plénitude
confondante, voix souple, nuancée, puissante quand il convient :
émouvante. Dans cette version à l’économie, sans orchestre, les pianistes Pierre-Luc
Landais et Ludovic
Selmi, ne s’économisent
pas et nous le feraient presque oublier tant ils mettent en valeur la rutilance
timbrique de Puccini, sensible même dans cette épure musicale.
Une belle production de toute l’équipe de l’OPT (on a du mal avec ce sigle mal
sonnant…) qui offre, pour un prix minime, un spectacle de qualité avec peu de
moyens mais une grande ambition qui mérite d’être saluée. Et bien soutenue.
www.operatheatrepourtous.com
Madama
Butterfly
de
Giacomo Puccini,
Marseille,
théâtre Silvain,
11
et 13 août 2012
Pianistes
et chefs de chants : Ludovic Selmi et Pierre-Luc Landais.
Mise
en Scène : Karine Laleu ; costumes : Misaya Iodice ;
création lumière et vidéo : Geoffrey Parant.
Directeur
Artistique : Cyril Rovery.
Distribution :
Madame
Butterfly (Cio Cio San) : Marilyn Clément ; Suzuki : Emmanuelle
Zoldan ; la cousine et Kate Pinkerton : Amélie Robinault ;
Pinkerton : Florian Cafiero ; Sharpless : Cyril Rovery ; Goro :
Olivier Trommenschlager ; le Bonze : Renaud Talaïa ; le Commissaire
Impérial et le prince Yamadori : Jean-Marc Jonca.
Photos :
Muriel Despiau :
1.
Pinkerton et Butterfly ( Florian Cafiero et Marilyn Clément) ;
2.
Un Sharpless sage impuissant (Cyril Rovery) ;
3.
Rêve et reflet: Butterfly (Marilyn
Clément).