Lucia de Lammermoor
de Gaetano Donizetti, livret de S. Cammarano
d’après Walter Scott
Opéra de Marseille
31 janvier 2013
À l’occasion de cette reprise de la
production d’avril 2007 de l’Opéra de Marseille, je reprends ici, en complément
culturel, contextuel, à la suite de la critique sur le spectacle, mes notes sur
« La folie dans l’opéra» dans
l’émission ancienne de France-Culture, Les Chemins de la musique de Gérard Gromer, en partie
utilisées pour mon émission de
Radio Dialogue, « Le blog-note de Benito », les lundis 12h45 et 18h45,
le samedi, 19 heures (Marseille : 89.9 FM ; Aix-Étang de Berre : 101.9).
Hommes et femmes en folie
Je rappelle simplement que, dans l’opéra, la
folie semble d’abord masculine : l’Orlando furioso de l’Arioste, mis en musique par
Lully, Hændel, Vivaldi, Haydn, et des dizaines d’autres compositeurs, est aussi
le modèle de l’héroïsme déchu. Xerxès, Serse, de Cavalli ou Hændel, et de tant
d’autres sur le livret de Métastase, est un général et roi des Perses fou qui
chante son amour à un platane dans le célèbre « Largo ». Mais il faut attendre
la fin du XVIIIe siècle et Mesmer, le célèbre magnétiseur, puis
Ségur au début du XIXe, pour attirer l’attention sur le
somnambulisme féminin, référé à la folie et provoqué par la musique,
l’harmonica en l’occurrence. (Voir plus bas).
La folie féminine est donc un thème à la mode
lorsque Walter Scott publie en 1819 son roman, The bride of Lammermoor , qui fait le tour de l’Europe, inspiré
d’un fait réel, histoire écossaise de deux familles ennemies et de deux
amoureux, autres Roméo et Juliette du nord, séparés par un injuste mariage qui
finit mal puisque Lucy, lors de sa nuit de noces, poignarde le mari qu’on lui a
imposé et sombre dans la folie. Les grandes cantatrices, qui remplacent
désormais les castrats dans la plus folle virtuosité, requièrent des
compositeurs des scènes de folie qui justifient les acrobaties vocales les plus
déraisonnables, libérées des airs à coupe traditionnelle mesurée. Bref, sur
scène, la femme perd la raison qu’on lui dénie souvent encore à la ville : à la
fin du XIX e siècle, des savants, des phrénologues, concluent encore
sérieusement que le moindre poids du cerveau de la femme explique son
infériorité naturelle à l’homme.
Peut-être n’est-il pas indifférent de rappeler
que, juste avant sa mort, Donizetti fut enfermé dans un asile d’aliénés à Ivry…
La
réalisation
Après ses superbes Verlaine Paul et Don Giovanni ici même, avec presque la même équipe (Jacques
Gabel pour les décors,
Katia Duflot pour
les costumes mais aujourd’hui Robert Venturi pour les lumières) Frédéric
Bélier-Garcia reprend,
affinée, raffinée encore sa mise en scène exemplaire d’intelligence, de
profondeur, de subtilité et de sensibilité : ensemble et détail y font sens,
sans chercher le sensationnel, avec un naturel sans naturalisme comme je disais
alors.
Une scénographie unique justifiée par
l’histoire et la symbolique des noms : évoquée sinon visible, mais
sensible, la tour en ruine de Wolferag (‘loup loqueteux’) d’Edgardo, ruiné, est le présent et
sans doute le futur de ceux qui l’ont ruiné et se sont emparés du château de Ravenswood
(‘ bois des corbeaux’) des charognards,
à leur tour menacés de ruine : deux faces d’un même lieu ou milieu social,
façade encore debout pour le second, incarné par Enrico, nécessité de maintenir
le rang, de redorer le blason, quitte à sacrifier la sœur, Lucia, Juliette amoureuse
de l’ennemi ancestral, le trait d’union humain et lumineux entre les lieux et
les hommes, victime du complot des mâles. Toujours semblable mais
variant selon les lieux divers du drame, la scénographie symétrique des
ennemis dit la symétrie des destins, la vanité des luttes civiles, des duels,
car tout retourne au même : à la ruine, à la mort.
L’espace global, apparemment ouvert, pèse sur
toute l’œuvre comme un paysage mental de l’enfermement, intérieur d’une
indécise conscience, d’un esprit fragile sinon déjà malade, assiégé par l’ombre
et les fantasmagories. Une nocturne et vague forêt de branchages enchevêtrés,
brouillés, gribouillés sur un sombre horizon qui ferme plus qu’il n’ouvre, qui
opprime et oppresse et se teint de rouge d’un sang qui va couler. Vague horloge
détraquée ou lune patraque. On songe aux encres fantomatiques de Victor Hugo, à
quelque cauchemar de Füssli, cohérence esthétique avec l’univers romantique
fantastique de W. Scott, époque référée par les costumes de Duflot, mais aussi,
par ces lumières signifiantes, à Caravage, à Rembrandt, peintres de la lumière
et de l’ombre. Règne du « clair-obscur », au vrai sens du mot, mélange de clair
et d’obscur, de l’ombre, de la pénombre, de l’angoisse de l’indéfinition ; un
vague rayon diagonal, presque vertical, arrache du noir des groupes plastiques
d’hommes sur des lignes diagonales et horizontales, flots confluents de
corbeaux morbides, prêts au combat à mort. Des ombres deviendront immenses,
menaçantes. Seule lumière pour Lucia, astre lumineux de cette nuit, une écharpe
rouge, le sang de la fontaine, prémonition du meurtre final de l’époux imposé :
une passerelle, balcon sur le vide amoureux ou le gouffre où plonge la folie.
Un étrange nuage flotte parfois vaporeusement sur un fond incertain. Des signes
remarquables marquent la décadence : meubles sous des housses, déjà des
fantômes pour l’encan des enchères, un lustre immense, au sol, déchu,
enveloppé, se lèvera comme une lune de rêve pour les noces de cauchemar.
Les costumes, sombres comme l’histoire,
sanglent les hommes de certitudes meurtrières, adoucissent les femmes de voiles
et de teintes plus tendres ; le manteau clair de Lucia est un sillage de pureté
qui prolonge son innocence.
L’interprétation
À la tête de l’Orchestre de l’Opéra en pleine
forme, Alain Guingal
l’est moins ; de la musique, on ne sent pas la fièvre, mais lui en
souffre : sa battue est celle d’un homme abattu, qui s’est battu
vaillamment contre la grippe pour sauver la représentation mais qui s’abat à
bout de force lors de la seconde, hospitalisé en urgence. Pierre Iodice, chef et homme de c(h)œur relève le
défi et la baguette et conduira les deux suivantes, il saura, nous dira-t-on,
dans l’urgence et l’improvisation, élaguer les langueurs romantiques et ciseler
le drame. Le chœur, qu’il a, comme toujours, excellemment préparé, chante,
bouge, joue, armée de l’ombre inexpiable ou attendrie, jamais monolithique
bloc, et offre de beaux effets plastiques de masses, de groupes divers, existe
individuellement.
Marc Larcher, lumineux ténor, est un beau Normanno,
à la fois servile et presque révolté de l’autoritarisme et de la violence
d’Enrico, beau contraste, sombre
et brutal baryton de bronze noir, incarné par Marc Barrard avec une force de chef de clan
despotique qui règne sur ses hommes plus par la terreur que par le cœur :
couple d’opposés, composé par la complicité mais fragile. Le pasteur, qui
participe aussi à la conjuration des hommes contre Lucia, c’est encore Wojtek
Smilek, timbre
d’ombre, d’outre-tombe, grandiose et inquiétant homme prétendu de Dieu. Le rôle
bref et ingrat d’Arturo, l’époux assassiné est tenu avec un charme avantageux
par Stanislas de Barbeyrac. Dans le rôle du romantique et suicidaire Edgardo, Giuseppe Gipali a quelque accents héroïques bien
qu’affligé d’une trachéite, mais ne perd pas son habitude de ne jamais regarder
ses partenaires et d’aller d’un côté à l’autre de la scène pour chercher le
soutien d’un pilier porteur.
Avec élégance et allure, Lucie Roche incarne une Alisa tendre et amicale de
sa belle voix de mezzo sombre. Prévue pour la seconde distribution, remplaçant
la Cubano-américaine Eglise Gutiérrez souffrante aussi, la jeune Tchèque Zuzana Marková sera une révélation : belle,
grande, d’une minceur diaphane de mannequin peut-être anorexique comme dira
Bélier-García qui saura lui en faire un atout pour ce rôle, elle a donc déjà,
malgré un magnifique sourire, une allure éthérée, être d’un autre monde, entre
deux mondes, presque spectrale à la fin, rendant plausible sa fragilité
physique et psychique. La voix, bien assise sur un médium solide, grimpe et
voltige sur les aigus épanouis avec une aisance admirable, vocalises perlées,
gammes descendantes, glissandi comme dans une défaillance de l’âme et du corps :
un être de chair meurtri plus que meurtrière. La technique, irréprochable, se
cache pour laisser place à un personnage dont les plus folles acrobaties
vocales servent le son et le sens. Elle entre d’un coup dans le grand et rare
catalogue des Lucia d’exception.
Opéra de
Marseille, Coproduction
Opéra de Lausanne / Opéra de Marseille
du 31 janvier
au 6 février 2014
Gaetano
Donizetti
Lucia de
Lammermoor
Direction
musicale : Alain Guingal.
Mise en
scène : Frédéric Bélier-García ; décors : Jacques Gabel ;
costumes : Katia Duflot
; lumières : Roberto Venturi.
Distribution :
Lucia : Zuzana
Marková (31 janvier, 2, 4, 6 février), Burçu Uyar (1, 5 février) ;
Alisa
: Lucie Roche ; Enrico : Marc Barrard (31 janvier, 2, 4, 6 février)
, Gezim Myshketa (1, 5 février)
;
Edgardo : Giuseppe Gipali (31 janvier, 2, 4, 6 février)
, Arnold Rutkovski (1,
5 février)
; Raimondo : Wojtek Smileck (31 janvier, 2, 4, 6 février)
,
Nicolas Testé (1, 5 février)
Arturo : Stanislas de Barbeyrac ;
Normanno :
Marc Larcher.
Photos :
Christian Dresse
1. Marková, Roche ;
2. Marková, Roche ;
3. Un frère pressant ( Barrard) ;
4. Un prêtre oppressant (Smileck) ;
5. Une femme brisée ;
6. Un mari (Barbeyrac), un amant (Giuseppe Gipali), un témoin (Larcher) ;
7. Après le meurtre, la femme meurtrie.
NOTES SUR LA FOLIE DANS LA CULTURE,
L’OPÉRA
La
folie, des civilisations l'ont célébrée, d'autres marginalisée ; d'autres ont
aussi tenté de la soigner, souvent par la musique comme David calmant Saül de
sa cithare. Dans l’Antiquité, le fou était assimilé parfois au voyant. Il passait
parfois pour l’éducateur des hommes par une sagesse inversée. Quant à la folle,
c’était souvent une devineresse, une pythie, une prophétesse grâce à ses
transes ; au Moyen Âge, le fol passait pour l’envoyé de Dieu ou du Diable : on
était suspendu à sa bouche mais il débouchait souvent sur le bûcher quand
c’était une femme, une sorcière évidemment.
RENAISSANCE
La Renaissance, avec le retour du rationalisme antique, va
s’intéresser à la folie. Un texte qui va lancer une mode en littérature, en
peinture : Das Narrenschiff
(1494) de Sebastian Brant, un Strasbourgeois, poète humaniste et poète
satirique (1457-1521) qui embarque dans sa fameuse nef des fous, roman en vers,
toutes sortes de personnages représentants les vices humains : à chacun sa
folie. Albrecht Dürer illustre cet ouvrage qui va courir l’Europe, et faire des
émules. Ainsi, La Nef des folles,
de Josse Bade qui lui, embarque les Vierges folles et les vierges sages de la
parabole biblique. Avec gravures, desseins, peintures conséquentes de grands
peintres tels Holbein, Bosch (Le jardin des délices avec le fou coiffé d’un entonnoir qui aura de
l’avenir).
On croyait que la folie était une maladie due à une pierre que l’on
pouvait extraire, ce qui explique le tableau l’Extraction de la pierre de
folie de Bruegel le Vieux. Thomas
More, auteur de la célèbre Utopie
(1516) inspire à son ami Érasme de Rotterdam, grand humaniste, son Éloge de
la Folie (1511) qui aura une grande
influence dans la Réforme.
En 1516, la même année que l’Utopie, l’Arioste, Ludovico Ariosto, publie son poème
épique Orlando Furioso, ‘Roland
furieux’, fou furieux : Eh oui, le preux chevalier, le paladin Roland,
comme une faible femme, perd le « sens froid » comme l’on écrivit longtemps,
le « sang froid », devient l’insensé, fou par amour pour Angélique,
qui ne l’est guère, qui aime Médor. Il sera une source inépuisable de livrets
de l’époque baroque.
ÉPOQUE BAROQUE
C’est le
XVIIe siècle déjà bourgeois, « raisonnable », à vocation
rationaliste qui, faisant de la folie le contraire de la raison, la décrétant
déraison, en généralise l’enferment dans des hospices, des asiles que l’on
visite, faute de pouvoir les rentabiliser. La folie devient spectacle, qui se
danse, se peint, se chante, s’écrit : Folies d’Espagne (au nom espagnol mal compris, qui n’a rien à voir
avec « folie » !), Nef
des Fous. Don Quichotte, dont une époque aveugle à sa générosité humaniste
ne voit pas la grandeur, est le fou qui fait rire plus que rêver l’Europe.
Car les XVIIe et XVIIIe siècles mettent en
scène la folie, mais généralement des hommes. La scène, exceptée Ophélie, offre
des galeries d’hommes fous, le Roi Lear de Shakespeare, Oreste chez Racine, Don
Quichotte et tous ces nombreux Roland, Orlando tirés de l’Orlando furioso, mis en musique et en voix.
À cette époque, moitié et fin du Siècle des Lumières mais qui a plus
d’ombres que de lumière, on s’intéresse à l’occultisme, aux psychologies
étranges. En 1784, Puységur publie un ouvrage sur le somnambulisme, assimilé à
la folie, traité par le magnétisme de Messmer. En France, deux ans après,
Nicolas Dalayrac donne le ton avec sa Nina, ou la folle par amour, en 1786, comédie mêlée de quelques airs, en un
acte, qui devient, sous la plume italienne de Giovanni Paisiello un véritable
opéra, Nina, ossia la pazza per amore, en 1789, l’année de la Révolution qui va faire, sinon tourner, valser les têtes.
On le voit, le pré-romantisme vers la fin du XVIIIe
siècle, semble faire de la folie l’apanage des femmes. Dont la folie triomphera
sur scène au XIXe.
XIXe SIÈCLE
Folie des femmes
À l’opéra, en effet, les folles font courir les foules, une vraie
folie, littéralement. Mais à voir les dates, 1835 (Journal d’un fou de Gogol) et 1827, la première folle à l’opéra (Il
pirata de Bellini), le premier tiers
du XIXe siècle, de l’Italie à la Russie, se penche sur la folie,
dans la littérature, le théâtre et l’opéra. Mais, dans l’opéra, on assiste à une véritable épidémie,
une contagion de la folie chez les héroïnes lyriques.
Héroïnes venues du froid
Nos héroïnes folles, plutôt que folles héroïnes, semblent
pratiquement toutes venir du froid, du nord : Ophélie d’Hamlet de Shakespeare est danoise par le lieu de la scène
mais anglaise par la langue ; Ana Bolena de Donizetti, Anne Boleyn, anglaise ; Elvira des Puritains de Bellini, est aussi anglaise, Élisabeth
d’Angleterre, cela va de soi, et Maria Stuarda est reine d’Écosse, ainsi que lady Macbeth. Lucie de
Lammermoor est également écossaise ; Amina, de la Sonnambula de Bellini est suisse et Marguerite, tirée du Faust de Goethe, est Allemande et il y aura une version
française de Berlioz, une autre de Gounod et deux autres encore, italienne dans
Mefistofele de Boïto, et
italo-allemande avec Busoni. Voilà donc des héroïnes romantiques des brumes du
nord mais dans des opéras du sud
qui montrent non comment l’esprit vient aux filles comme dirait Colette, mais
comment elles le perdent, pratiquement toutes par amour.
La première à ouvrir la ban est donc l’Imogène d'Il pirata de Bellini (1827), œuvre inspirée d’une pièce
française du XVIIIe siècle, mais traduite d’une pièce d’un auteur
irlandais de 1816 (nous ne quittons pas le nord qu’elles perdent). La scène de
folie, grande et longue scène entremêlée de chœurs avec d’abord partie lente et
douce dans les grands arabesques belliniens, puis la cabalette avec toute une
folle pyrotechnie vocale, grands écarts, notes piquées, trillées, gammes
montantes, descendantes, etc, fit
grand effet et la cantatrice se paya un triomphe. Naturellement, toutes les
autres cantatrices réclament aux compositeurs un air de folie pour pouvoir y
briller. Giuditta Pasta, grande vedette et vocaliste se voit vite offrir par
Donizetti, confrère et rival de Bellini, le rôle d’Anna Bolena, Anne Boleyn, la
malheureuse épouse d’Henri VIII d’Angleterre qui, désireux de changer encore de
femme après avoir divorcé de Catherine d’Aragon, entraînant le schisme
d’Angleterre, la rupture avec le pape et le catholicisme, la condamne pour un
adultère non prouvé. Anna perd la tête avant d’être décapitée.
Nous sommes en 1830. On vient de découvrir le somnambulisme
provoqué, notamment chez les filles, associé à la folie. Et Bellini réplique en
1831 en donnant aussi à la Pasta La sonnambula, la somnambule, rôle où triomphera aussi la
Malibran, mezzo capable de chanter aussi les soprani. Amina, affligée de
somnambulisme, le matin de ses noces, est retrouvée dans la chambre non de son
fiancé, mais d’un comte. Conte à dormir debout, mais on imagine le résultat :
folie. Ces opéras courent l’Europe.
1834 : Donizetti compose Maria Stuarda, héroïne qui perd aussi la raison avant de donner
son cou à la hache d’Élisabeth d’Angleterre. Janvier 1835, à Paris : Bellini
encore, qui mourra en septembre de la même année à 34 ans, donne cette fois-ci
à Giulia Grisi, qui voulait aussi son opéra et sa folie, I puritani, Les Puritains. La même année 1835, mais en
septembre, trois jours après la mort de Bellini, à Naples, Donizetti donne le
modèle indépassable de l’air de la folie avec Lucia de Lammermoor, tiré d’un roman historique de Walter Scott (1819),
basé sur un fait divers réel de 1668 où, mariée de force, une femme tue son
marie le soir des noces.
On pourrait encore parler de l’Azucena du Trovatore de Verdi, de Dinorah (1859) de Meyerbeer, en français, de la douce
Ophélie de l’Hamlet d’Ambroise
Thomas (1868), de la Kundry de Parsifal de Wagner.
Folie lyrique des hommes
Certes, on trouvera plus tard dans le siècle quelques fous dans
l’opéra. En 1869, Modeste Moussorgski dote son Boris Godounov d’une belle scène d’hallucinations rédemptrice pour
le tsar, mais l’autre fou de l’œuvre, l’Innocent, est en fait une sorte de
prophète qui annonce et déplore les malheurs de la Russie. La même année, en
littérature, son compatriote Dostoïevski publie L’Idiot, histoire du prince Mychkine qui finira à l’asile,
mais c’est une belle figure christique qui tente de sauver la pécheresse
Nastassia Filippovna.
Nous trouvons encore Parsifal, héros de Wagner dans l’opéra du même
nom (1882), le Perceval des légendes de la Table Ronde, du Moyen-Âge. Mais le
héros de ce « festival scénique sacré », est celui qui va retrouver le saint
Graal, la coupe d’or dont la légende dit qu’elle contint le sang du Christ : on
ne peut trouver mieux comme preux et vertueux chevalier, tout de même confronté
à Kundry, sorte ce Madeleine pécheresse et contrite, plus folle que ce « chaste
fol » de Parsifal comme on l’appelle.
Bref, au siècle du positivisme, les hommes fous portés à la scène,
même le Woyzeck de Büchner (1837)
dont Alban Berg tirera son Wozzeck
mais en 1925, victime de manipulations scientifiques, même dans leur folie, ont
une grandeur, une mission presque religieuse et sacrificielle que l’on ne
concède pas à la femme. En effet, celles-ci, si elles sont folles ou le
deviennent, c’est pour une cause bien légère : par amour contrarié, déçu. Donc,
à chacun, homme ou femme une folie à sa mesure, à sa démesure, dans une
hiérarchie de valeurs qui confine la femme à l’échelle la plus basse.
Le XIXe siècle a beau avoir l’exemple d’hommes fous ou
sombrant dans la folie, souvent pour cause de syphilis, Gérard de Nerval le
poète, Schumann le musicien, Maupassant l’écrivain, Nietzsche le philosophe,
Van Gogh le peintre, c’est la folie de la femme, sans doute plus décorative si
elle est moins noble, qui fait les beaux jours de l’opéra. Et l’on oublie la
géniale sculptrice Camille Claudel, scandaleuse pour ses amours tumultueuses
avec Auguste Rodin que son frère, si pieux, Paul Claudel, poète et dramaturge,
n’hésitera pas à faire interner en
1913, grande oubliée de l’histoire artistique.
Mais il est vrai aussi qu’à la même époque, de grands savants
pèsent, mesurent le cerveau de la femme, moins gros et lourd que celui des
hommes, pour en conclure que c’est la cause de l’absence des femmes dans
l’ordre de la science et de la création. Dont la société des hommes les avaient
exclues…