ESPRIT D’ENFANCE
(II)
PATRIMOINES POPULAIRES
Douce et BarbeBleue
Conte musical en forme d’opéra
Livret de Christian Eymery
Musique d’Isabelle Aboulker
d’après Charles Perrault
Marseille, Théâtre Odéon
5 décembre 2015
Paru dans les Contes
de ma mère l’Oye de
Charles Perrault en 1697, même s’il a des strates plus anciennes, antiques
mêmes, le conte de Barbe-Bleue est un patrimoine français devenu universel comme tout ce
qui touche les couches profondes et inconscientes de notre mémoire la plus
ancienne, en fait, la plus jeune, celle qui remonte et se solidifie à l’enfance
et demeure à jamais, même si l’on pense l’avoir oubliée. Et rendons grâce
encore à l’Odéon de l’avoir réveillée en nous, après celui d’Offenbach l’an
dernier, en nous offrant cette belle version Douce et BarbeBleue, œuvre modestement ambitieuse, vrai
opéra qui se pare humblement de l’étiquette de « conte musical en forme
d’opéra ». Les ouvrages lyriques sur
ce héros blême, bleu barbé, et ogre insatiable de ses femmes, on en connaît des versions, de
Grétry, Sedaine à Offenbach en passant par Paul Dukas et Bartok, aux ambitions
diverses adressées aux adultes. Celui dont Christian Eymery a écrit le texte, prose et vers,
suivant la trame, à la fin près, de Perrault qui punissait son sanglant héros,
ici triomphant d’un amer dernier assassinat de sa Douce de femme, avec la
musique d’Isabelle Aboulker, le rend à l’enfance sans exclure l’adulte.
L’enfant, s’il
ignorait encore le conte, le découvrait et nous, moins innocents, le
redécouvrions et en retrouvions, dans un air obsédant, les moments
littéralement clés : la clé, clé des songes, clé de l’interdit, clé de
l’énigme, un bal fastueux et un vrai drame avec suspense et cette route qui ne
poudroie pas pour Anne, la sœur Anne qui ne voit rien venir dans l’attente des
frères, qui n’arriveront pas pour sauver leur sœur. Il fallait voir, entendre
quelques commentaires des enfants captés par l’action, leur attention, suivant
l’intrigue et les péripéties clairement narrées par une magnifique récitante
maternelle, Catherine Alcover, et commentées en chantant la joie ou la crainte par le
chœur intégré à l’action, surtout féminin, ravissantes voix blanches, comme la
voix de la pureté et de la peur, comme multipliant choralement l’idée
singulière et l’image terrible de la douce jeune fille promise à l’ogre de
mari, la superbe Maîtrise des Bouches-du-Rhône de Samuel Coquard, qui dirigeait, par ailleurs, avec
une grande délicatesse, une palette de six instrument joliment colorés par l’Ensemble
Instrumental Pythéas.
Simple mais non
simpliste, la musique d’Isabelle Aboulker, grande spécialiste, qui a une œuvre importante à
son actif, ne tombe pas dans un infantilisme mélodique et, sans mettre en
danger les jeunes interprètes, n’esquive pas pourtant les difficultés. Mais ils
s’en tirent avec une aisance remarquable, d’autant que le mouvement que Nadine
Duffaut qui, en
deux jours signe une mise en scène admirable, imprime à cet ensemble nourri sur
scène, évite le confort vocal du statisme : cela chante, bouge, s’effare
d’effroi frissonnant comme un vol de colombes dans des envols de robes,
revient, se forme en ensembles picturaux très plastiques, sans un temps mort.
La scénographie d’Emmanuelle
Favre, éclairée des
toujours belles lumières de Philippe Grosperrin, est simple mais efficace : un
grand espace avec des miroirs où se projettent des images parfois nébuleuses de
rêve, et ces clés, qui en deviennent une angoisse chantée concrétisée pour nos
yeux. Les costumes de Danielle Barraud, dans le style Renaissance, sont somptueux, aux
belles couleurs, quelques robes et une cape sanglantes comme un destin fatal
pour Douce. Il suffit de quelques phrases chantée à Marie-Ange Todorovitch pour être une mère noble, de grande
allure. Anne,
qui ne voit rien venir du haut de la tour, c’est Sephora Jlida tendrement trémolante d’angoisse et Majda Boughanmi est une bien suave Douce, dont la
fragilité est de la race des victimes consenties face à la sombre rudesse d’un
Barbe-Bleue campé avec l’autorité vocale de Philippe Ermelier. La compositrice présente dans la salle, on s'étonne qu'elle ne soit pas appelée aux saluts.
Ce spectacle se veut
« pour enfants » mais il n’est en rien infantile ni simplement
enfantin : certes, récit, musique, chant, féerie scénique, les enfants y
trouvent leur compte mais, nous, adultes, émus, y retrouvons notre conte
d’autrefois, gagnés par la grâce d’un spectacle qui séduit les oreilles, ravit
les yeux et réveille cette âme, ancienne désormais, comme il était, comme elle
était une fois, heureusement jamais perdue même enfouie au tréfonds de nous.
L’enfance respectée, une réussite absolue.
Mais, au moment ou
Barbe-Bleue, le coutelas dressé au-dessus de sa femme au sol va l’en frapper et
semble hésiter, nous laissant l’espoir qu’il n’accomplira pas l’acte fatal, une voix enfantine nous
glace : « Mais va-s-y ! Va-s-y !» Il n’y a plus
d’enfant, comme disait le jésuite espagnol Baltasar Gracián repris par
Molière ?
DOUCE ET BARBE-BLEUE
Conte musical en forme d'opéra d’Isabelle ABOULKER
Théâtre Odéon, 5 décembre 2015.
Samuel COQUARD, direction musicale.
Nadine DUFFAUT, mise en scène.
Emmanuelle FAVRE, scénographie .
Danielle BARRAUD, costumes.
Philippe GROSPERRIN, lumières.
Distribution
Majda BOUGHANMI, Douce ; Philippe ERMELIER,
Barbe-Bleue ; Marie-Ange TODOROVITCH, la Mère ; Sephora JLIDA,
Anne ; Catherine ALCOVER, la Récitante.
Maîtrise des Bouches-du-Rhône (Samuel Coquard).
Chœur d'enfants et Jeune Chœur.
Ensemble instrumental Pythéas.