Retour sur scène
UN ENCHANTEMENT DE FLÛTE
DIE ZAUBERFLÖTE
Livret d’Emanuel Schikaneder,
musique de Mozart
Le Dôme, 19 avril
Par la Fabrique Opéra
LE PROJET
Créée à Grenoble en
2007 par le chef d’orchestre Patrick Souillot, implantée à Annecy, Orléans, Caen, La
Fabrique Opéra, a
eu son heureuse et concrète ramification marseillaise, dans le prolongement
de Marseille-Provence Capitale européenne de la culture
2013. Désir de pérenniser ce bouillonnement créatif, volonté de « montrer le vrai visage de
Marseille » contre tant de clichés qui la défigurent, Philippe
Ashford,
président de cette association, veut
« Libérer la capacité créatrice des
jeunes de Marseille » en leur confiant « un projet d’ampleur inédite ». S’adressant à
tous les Marseillais, il s’agissait de « proposer à coûts
raisonnables un événement spectaculaire entièrement réalisé
par des jeunes avec de grands
professionnels. Susciter des vocations en remettant l’opéra, si
populaire à Marseille, au centre de la vie culturelle. » Avec
l’ambition de permettre à un public éloigné de renouer avec l’art lyrique.
Cet
événement a surpris et même effrayé par son ampleur : pas moins de quatre
cents jeunes impliqués dans la fabrication de ce spectacle. En effet, La
Fabrique Opéra Marseille-Provence a fédéré harmonieusement des
établissements d’enseignement technique et des centres d’apprentissage de la
région marseillaise pour la conception et la réalisation de ce spectacle
lyrique : costumes, coiffures, maquillages, décors,
communication et organisation du spectacle leur
furent confiés. Le pari semble gagné.
LA RÉALISATION
1791 : Mozart
végète, sans travail. Puis reçoit deux commandes : l’une, funèbre, un Requiem, l’autre féerique, Die
Zauberflöte.
Malade. Il ne peut achever sa messe des morts, mais parachève sa Flûte
enchantée et
meurt le 5 décembre : au moment de mourir, c’est l’enfant Mozart qui
renaît avec cet opéra merveilleux, enfantin, populaire et savant, naïf et
philosophique.
Dès l’ouverture, avec
la projection de ce corbillard noir, seulement suivi par un chien,
l’enterrement de Mozart selon la légende, Richard Martin, fondateur et directeur du Théâtre
Toursky, dans sa mise en scène, en trace comme l’humaine trajectoire et les
images merveilleuses qu’il va tirer de ce singspiel merveilleux par nature, vont être,
pour le connaisseur intime de l’œuvre, comme un «flash back » naturel, une
rétrospection, une introspection d’une âme, d’une vie, d’une œuvre, de
l’enfance perdue à l’enfance retrouvée à l’heure de la mort. Avec une troupe
considérable de jeunes, d’enfants qui ont collaboré à cette production sous la
direction de maîtres et sous sa férule, Martin réussit, pour cette réalisation
scénique du dernier opéra d’un génie qui préserva l’enfant dans l’homme, à
préserver à cette œuvre son merveilleux esprit d’enfance sans infantilisme
aucun.
Et cela tenait de la
gageure, la gageure, de la magie et le résultat fut, sans emphase, un vrai
enchantement de l’esprit, des yeux, et même des oreilles malgré, d’abord, la
surprise d’une sonorisation qui déroge aux conditions d’écoute d’un habitué de
l’Opéra et des salles de concert, obligatoire dans l’immensité de ce lieu, de
cette grossse sphère aspirant à la stratosphère. Cela faisait peur et rendait
sceptique même l’amateur le plus bienveillant. Mais, quand on écoute un disque
à domicile, c’est forcément plus bas que le son naturel, qu’on peut aussi
gonfler à l’excès, et l’enregistrement n’est qu’une mise en conserve longuement
retravaillée d’une musique qui, en réalité, ne se goûte, avec les risques du
spectacle vivant, qu’en direct. Puis finalement, l’ouïe se fait aux proportions
sonores, la magie de la musique de Mozart, grossie ou chuchotée, opère, saisit
les sens et le bon sens qui adhère à cette généreuse Fabrique Opéra pour le
plus grand nombre, élaborée par des jeunes. Et, on l’avoue un peu confus
: devant cette foule immense, on redoute l’inexpérience musicale, l’impolitesse
des portables, face à ces troupes d’enfants, le chahut, l’incivilité,
l’agacement d’un spectacle en allemand. Vaine crainte : les adultes, en
famille, sont venus avec leurs enfants voir leurs autres enfants, ces jeunes
qui ont participé pendant des mois à l’élaboration de ce spectacle, conscients
de l’importance de cette expérience, respectueux et attentifs :
l’attention est palpable, émouvante de gens qui, pour la plupart, ne sont
jamais allés à l’Opéra, qui ne connaissent pas Mozart ou qui l’ont découvert,
on l’imagine, on l’espère, on le sent, en suivant justement ce long travail
d’équipe de leurs enfants, la meilleure approche, qui inclut chacun et n’exclut
personne : une sorte d’initiation, sinon maçonnique, mozartienne et
lyrique, dont on ne peut imaginer qu’elle a semé dans le vide.
Un message clair
L’esprit trouve donc
son compte à ce projet inédit et inouï, social et politique au vrai sens du
terme, que Malraux aurait aimé : donner le beau à tous. Et l’esprit
rejoint le cœur : car le beau est aussi le bon. Car il ne faudrait pas
sous-estimer, par les temps qui courent, sous les dehors fantastiques et naïfs,
le message beau et bon du texte apparemment si enfantin : Martin, sans
faire un sort aux symboles maçonniques, sans alourdir ni ralentir le tempo, ne
les escamote pas comme futilité puérile. Sous le manichéisme du Bien et du Mal,
il y a la leçon pour aujourd’hui de l’égale dignité des êtres (Monostatos,
traditionnellement noir ne l’est pas ici), des hommes et des femmes qui se
dévoilent pour affronter le monde et leur dignité et liberté inaliénables.
Il est secondé par le
charisme gouailleur, l’abattage imbattable de Marianne Sergent qui, avec une vivacité de vif
argent, courant de cour à jardin, pour permettre les changements de tableaux,
explique en français non seulement l’action, mais ses enjeux moraux,
politiques. Certes, elle traduit le texte à sa façon, qui peut agacer au début
par ses dérapages langagiers populo, mais à la suivre attentivement, l’air de
rien, de ne pas y toucher, avec une langue qui passe des cités aux références
culturelles sans doute des jeunes (Stars war, le côté noir de la Force, etc), on
lui rend volontiers non seulement l’hommage de sa compréhension profonde de
l’œuvre et l’on salue son art, sans insister, dans la dérision même, de faire
passer les messages essentiels maçonniques, dont elle rappelle, sans en
alourdir l’urgence aujourd’hui, que nous leur devons, entre autre, la belle
devise républicaine : Liberté, Égalité, Fraternité. Elle se taille un juste succès à
chacune de ses apparitions.
Papageno (Alexandre Artenenko) et les trois enfants |
Les costumes élaborés
par les élèves des lycées Brochier et de la Calade (Hélène Siriglio, coordinatrice) sont d’une fantaisie joyeuse et heureuse
(quelle belle idée ce serpent écharpe et corde à se pendre !) et les
coiffures et maquillages par ceux du lycée Leau mettent joliment en valeur ces
personnages fantasques ou solennels, l’ensemble dans une harmonie qui fait
penser aux bandes dessinées comme facteur commun. Ils s’intègrent sans hiatus
aux éléments de décor conçus par ceux des lycées Diderot, Marie Curie et Poinso-Chapuis (scénographe Joël Jagot) qui sont beaux, pertinents
efficients, ainsi, l’apparition de la Reine Nuit tel un vol, sinon de
« gerfauts hors du charnier natal », de chauve-souris style onirique
et cauchemardesque glacial à la Tim Burton, la reine en majesté au sommet d’une
pyramide transformée en robe ombreuse (on pense au ballet Moving target de Frédéric Flamand) par la magie
des éclairages de Gilbert Scotto qui zèbrent d’éclairs sa chevelure hérissée de contre-fa…
Tout cela montre les références culturelles qui nourrissent ces jeunes engagés
dans la synergie de cette aventure artistique. Il faut citer encore, les belles
créations graphiques et la partie audiovisuelle prise en charge par les
élèves des lycées Blaise Pascal et l’École Axe Sud. Et puisqu’on en est à saluer et admirer ces jeunes,
à la qualité desquels on devine celle de leurs maîtres, il fait souligner la
parfaite organisation menée à bien par les élèves des lycées Marie Curie, Leau et l’ISM La Cadenelle, même troublée par le déluge du
dimanche 19, dont il faut dire l’élégance sobre des tenues en vendeurs de
programmes et « ouvreurs » sympathiques, calmes et souriants au
milieu d’une foule immense.
Dans ce bain de
jouvence, on sent Richard Martin, assisté par Serge Alexandre, comme un poisson dans l’eau, même
si l’on imagine aisément qu’il a pu parfois se sentir noyé, au bord du
naufrage, dans la quadrature du cercle artistique de réussir beaucoup avec peu.
Mais la réussite est là : respect absolu, amoureux, de l’œuvre, son
actualité politique soulignée sans effets grandiloquents, fluidité entre les
scènes, justesse des rapports entre les chanteurs bien dirigés, tous jeunes aussi,
donc d’une ductilité remarquable, qui se sont pliés avec grâce à cette
aventure. Et toujours, une grande beauté plastique.
Interprétation
Une Flûte bien chaussée avant le dévoilement égalitaire des femmes. |
Musicalement, le
volume sonore de l’Orchestre Philharmonique Provence Méditerranée surprend d’emblée par son volume (sonorisé aussi?)
mais, encore une fois, l’oreille s’adapte et l’on admire la subtilité de Jacques
Chalmeau qui règle
adroitement l’équilibre entre fosse et plateau et contient des chœurs amateurs
dont l’enthousiasme menace quelquefois d’être brouillon.
La jeunesse et la
beauté des chanteurs, encore inconnus, apportent leur charme à la scène et la
qualité de leur voix prête une fraîcheur touchante à cette œuvre archi-connue.
Le roumain Antonel Boldan (Tamino) est un véritable ténor mozartien que l’on découvre
avec bonheur, lyrique et passionné. La soprano slovaque Petra Perla Notova est une digne Pamina, très noble,
au joli accent en français. La soprano colorature Marlène Assayag se tire en virtuose des aigus
échevelés de la reine de la nuit, tout en possédant les graves de son premier
air et comme baignée, malgré sa rage, dans une mélancolie d’astre finissant. Le
couple terre à terre ou plume à plume de Papageno/ Papagena, révèle le sonore
baryton coloré d’Alexandre Artenenko et le joli soprano souriant de Jennifer Courcier, lui attendrissant, elle, coquette
et coquine. Sous le masque des trois Dames, on reconnaît le mezzo velouté de Lucie
Roche et découvre Marie
Planinsek et Aurélie
Loillier, ses
comparses soprani. On est heureux que le personnage de Monostatos, le méchant
noir de l’original, ne soit pas attribué à une voix aigrelette et étriquée,
mais confié à un vrai ténor, Olivier Trommenschlager et l’on retrouve avec plaisir
l’ampleur chaleureuse du baryton-basse Jean Vendassi en orateur. La sono dessert d’abord,
par son ampleur excessive, les trois enfants (Blandine Lecuit, Anaïs Chossegros, Claire-Emmanuelle Vernet) mais cela s’arrange ensuite et
l’on aime leur espièglerie. Ce qui ne s’arrange pas, c’est la basse russe Andrey
Zemskov : avec
un timbre superbe et une voix longue et puissante, en Sarastro, il est
incapable de dire correctement son texte, malmenant de façon caricaturale les
voyelle de l’allemand, pourtant toujours égales, d’une langue pourtant très
facile à chanter. On n’ose l’imaginer en français.
C’est le seul bémol
d’une réalisation qui honore ses producteurs et leur équipe multiple de
réalisateurs, dont on sent toute l’énergie employée et si bien employée dans ce
que, n’en déplaise aux esprits chagrins égoïstement cloîtrés dans leurs privilèges
d’amateurs « happy few », on peut appeler une réussite. Chaque air,
populaire ou savant, est, pour le connaisseur non blasé, comme une étape de la
vie de Mozart, et l’on peut y apposer ses affects, son âme : enfant, jeune
homme, amoureux, blessé, homme fait et défait, déjà mort et enfant toujours.
Toujours vivant. Oui, une Flûte qui, j’ose le dire, me touche comme au premier jour.
DIE ZAUBERFLÖTE
Schikaneder, Mozart
Le Dôme de Marseille, 17, 18, 19 avril
Orchestre Philharmonique Provence Méditerranée ; chœurs
Fabrique-Opéra Marseille Provence.
Direction musicale : Jacques Chalmeau.
Mise en scène : Richard Martin
. (Assistant Serge
Alexandre)
Scénographe : Joël Jagot/
Narration Marianne Sergent.
Directeur Technique : Serge Graille. Lumières :
Gilbert Scotto.
Production : Sophie Vallauri / Clara Prieur.
Costumes : Lycée Brochietr / Lycée La Calade.
Coiffures-Maquillage : Lycée Leau
. Décors : Lycée Diderot / Lycée
Marie Curie. Audiovisuel Lycée Blaise Pascal.
Organisation/ Lycée Lycée Marie
Curie /Lycée Leau.
DISTRIBUTION
Tamino
: Antonel Boldan ;
Pamina :
Petra
Perla-Notova. Papageno :
Alexandre Artemenko ;
Papagena :
Jennifer courcier ; Reine de la Nuit :
Marlene Assayag ;
Sarastro : Andrey Zemskov ;
Monostatos :
Olivier
Trommenschaler ; Première Dame
Aurélie Loilier ; Deuxième
Dame :
Marie Planinsek ; Troisième Dame : Lucie Roche ;
Orateur
: JeanVendassi.
Photo : © Pierre Audibert