Enregistrement
26/06/2014, passage, semaine du 07/07/2014
RADIO DIALOGUE
(Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)
« LE BLOG-NOTE
DE BENITO » N° 136
Lundi : 10h45 et 17h45 ;
samedi : 12h45
Voix de la
Méditerranée : de Cordoue à Venise
Avec son dernier
disque, Voix de la Méditerranée : de Cordoue à Venise, c’est à une bien jolie promenade
en musique que nous convie l’Ensemble Parnassie du marais, qui nous rappelle sa poétique appellation :
« Nom mystérieux, dont la référence est ambivalente : nom d’une fleur rare
de montagne, dont la beauté a fasciné les fondateurs de l’Ensemble, au point de
la prendre comme emblème, il évoque parallèlement quelque Parnasse imaginaire,
comme auraient pu le rêver les compositeurs du XVIIIe siècle. »
Brigitte Tramier, qui en est la fondatrice et l’âme, est une belle
claveciniste qui a gravé plus d’une quarantaine d’enregistrements comme
continuiste, assurant le continuo dans des ensembles baroques, ou comme
soliste. Ainsi, elle a enregistré l’intégrale des Concertos brandebourgeois
de Bach pour le label Claves. Ses deux premiers disques en solo, de musique
française, lui ont valu chacun un Diapason d’Or et elle a créé, avec Jean-Michel
Robert, luthiste, un label discographique
local aux ambitions naturellement plus vastes, les Éditions Parnassie
du Marais qui ont déjà produit quarante
disques. Nous avions déjà goûté son CD consacré à Duphly, apogée et crépuscule du clavecin français dans le
dernier tiers du XVIIIe siècle et j’avais également présenté une reprise
du Salve Regina d’Alessandro Scarlatti et le Stabat Mater de Giovanni Battista Pergolesi, donnés
lors du Festival Les Nuits d’été d’Aix-
Provence. Dans le cadre d’un autres petit festival aixois, Festival Côté Cour,
en 2010, Brigitte Tramier a été la créatrice du concerto pour deux clavecins de
ce même Pergolèse, inédit en France semble-t-il. Éditions Parnassie sises à
Cucuron, disque enregistré au château de Vins sur/Caramy, donc, artistes et
labels locaux, qui honorent notre région, mais de qualité internationale.
Dans cette dernière livraison, accueillie avec
faveur par France-Musique, Voix de la Méditerranée : de Cordoue à
Venise, on retrouve avec plaisir aux côtés
des chanteuses solistes, les soprano Catherine Padaut, à la
sombre et riche couleur, et Lucile Pessey, au timbre lumineux et doré, Jean-Michel
Robert aux divers luths de diverses tonalités, Mathias
Autexier aux percussions et,
naturellement, Brigitte Tramier
au clavecin. Dans ce disque, l’Ensemble Parnassie, généralement voué à la musique
baroque, élargit son chant en amont puisqu’on trouve ici, avec des chants
sépharades, de la musique espagnole du XVe au XVIIIe
siècle et de la musique italienne des XVIe et XVIIe
siècles.
Mais, rien qu’à
écouter la première plage, un extrait justement de ces chants, le tout premier,
on est séduit par la belle voix de fruit mûr et savoureux de Catherine
Padaut. C’est le premier des quatre chants
sépharades du disque, trois berceuses et une chanson, mais en rien des
romances comme annoncé maladroitement par
le trop mince livret, le romance (non la
romance) étant un poème en castillan d’origine épique, octosyllabique,
assonancé de façon uniforme aux vers pairs, narratif, qui raconte une histoire.
Ce sont encore moins des cantigas, qui sont des poèmes lyriques en
langue galaico-portugaise. Le livret trop sommaire de présentation, sans doute
pour des raisons économiques, est donc très décevant et approximatif puisqu’on
trouve, malencontreusement, sous la rubrique « Danses et chansons
espagnoles (XVIe et XVIIe siècles) » le compositeur José
de Nebra né au XVIIIe
(1702-1768) et, mieux —ou pire— l’excellent luthiste Jean-Michel
Robert né… en 1958, dont on admire les brillantes variations et inventions, un vrai régal des cordes et
percussions !
Ensemble Parnassie du Marais Brigitte Tramier, Jean-Michel Robert, Lucile Pessey, Mathias AUTEXIER |
On regrettera aussi
(économie, économie…) l’absence des textes chantés, et que l’origine des
morceaux ne soit pas toujours indiquée : ainsi, les pièces de Monteverdi
sont extraites des Scherzi musicali mais
le duo « Pur ti miro… », air final de l’Incoronazione de
Poppea, du ‘Couronnement de Poppée’, donné
comme du maître de Mantoue est, en fait, on le sait aujourd’hui, de Ferrari.
L’interprétation de Catherine Padaut et Lucile Pessey en est pleine de
charme.
Autre manque à
déplorer de la trop brève présentation : certes, les chansons sépharades sont anonymes mais elles viennent de
traditions et d’origines diverses, qui vont jusqu’au XIXe et XXe
siècles. Plus gênant, rien n’est dit sur ce que sont les sépharades ou
séfarades. Il faut donc combler cette lacune.
Sépharades
Ce nom vient de Sépharad, qui, pour les Juifs, était le nom de l’Espagne.
Après les révoltes contre l’état romain au début de notre ère, après la
destruction du Temple de Salomon en 70 par Titus, causant ce que l’on appelle
la Diaspora, les juifs s’exilèrent dans tous le bassin méditerranéen, fondant,
en particulier, de puissantes communautés en Espagne. Tout en gardant leurs
coutumes religieuses, ils s’intégrèrent très bien dans une Espagne alors
tolérante, ouverte aux trois religions du Livre, chrétienne, islamique et
judaïque, notamment dans la culture et la science arabo-andalouses, à laquelle
ils apportèrent une non négligeable contribution en la personne de savants et
philosophes comme Maimonide, Ibn Ezra ou Ibn Gabirol, dont les noms résonnent encore chez Descartes et Molière.
Malheureusement, après la prise de Grenade en 1492, la Reine Isabelle la
Catholique de Castille, puis son époux Ferdinand, voulant unifier
religieusement la Péninsule, décréta l’expulsion des juifs. Dans le désespoir,
ils se répandirent dans tout le bassin méditerranée, certains dans l’Europe du
nord, conservant précieusement, comme un trésor, les poèmes, les chants de leur
Sépharad, de leur Espagne perdue, et, miracle unique, cette langue castillane
de la fin du XVe siècle, dont on connaît la grammaire grâce à eux et
la prononciation. Et c’est là aussi que le bât blesse puisque la soliste Catherine
Padaut chante les chansons sépharades sans
en restituer la prononciation pourtant toujours en usage aujourd’hui dans les
nombreuses communautés judéo-espagnoles, notamment en Provence, mais avec un
accent espagnol contemporain tout fautif, avec des r simples roulés
outrancièrement comme des rr doubles. Vice français de langue qui semble
contaminer la gracieuse Lucile Pessey dans les chants espagnols et qui outre aussi les r italiens à
l’encontre d’une bonne et juste prononciation italienne.
Avec Catherine Padaut à gauche |
On regrette ces manques dans ce beau disque
vocalement, musicalement et instrumental plein de charme, qui honore, malgré
tout, les Éditions Parnassie et notre région. Nous nous quitterons en écoutant
la jolie et triste chanson espagnole du XVIe siècle catalan,
anonyme, mais prêtée ici à Juan del Encina, fondée sur des onomatopées,
« Dindirindín, dirindín dirindaira, dirindín ». C’est une
déploration dans la tradition de « La belle mal mariée ». Je vous
raconte ce que ne dit pas le texte absent du livret : une jeune fille se
lève de bon matin pour allez confier au rossignol un triste message à son ami
lointain : on vient de la marier contre son gré. On savoure le timbre
léger mais nourri en saveur de Lucile Pessey.
Voix de la Méditerranée : de Cordoue à Venise, UN CD PARNASSIE DU MARAIS.
Pour écouter et télécharger les albums du label :
http://www.qobuz.com/fr-fr/label/parnassie-du-marais/download-streaming-albums
Pour écouter et télécharger les albums du label :
http://www.qobuz.com/fr-fr/label/parnassie-du-marais/download-streaming-albums