LA VIE PARISIENNE (1866)
Opéra-bouffe,
Livret d’Henri Meilhac et
Ludovic Halévy,
Musique de Jacques Offenbach
NOUVELLE
PRODUCTION
Odéon
Marseille
24
février
On avait aimé, en
2011, la production avignonnaise de La
Vie parisienne de Nadine Duffaut,
qui tournant, comme « tourne, tourne, tourne » la tourbillonnante
ritournelle finale de l’œuvre, semblait toujours neuve dans sa reprise
marseillaise, sans une ride mais non sans rires, au contraire, affinée et
raffinée, dans ses tons de gris clair très Art Nouveau 1900, élégante jusqu’au
bout des ongles de Métella. Pour l’Odéon, une scène qu’elle connaît bien
puisqu’elle y a monté en 2015, pour enfants, avec des enfants, en un temps
record, un remarquable Douce et Barbe-Bleue (conte musical en forme d’opéra, livret de Christian Eymery, musique d’Isabelle Aboulker,
d’après Charles Perrault), avec des
contraintes encore de temps et de lieu (voir ce blog 26 décembre
2015), et sûrement de moyens, elle
nous délivre une
autre Vie parisienne pétillante de
vie, mais sans se répéter autrement
que par l’exploit de la réussite trépidante, sans ce temps mort qui est le tort
de faire un sort aux passages parlés, si faibles, de tant d’opérettes qui en
finissent la trame trouée de lourdes parenthèses verbeuses. La rapidité du
traitement de ces textes, sans nuire à leur nécessité dramatique qui explique
et fait avancer l’action comme des récitatifs, laisse vite alors la juste place
méritée par les airs, les ensembles, dans une continuité musicale plus alerte.
Et il est vrai qu’une solide mais légère et agile troupe de chanteurs
comédiens, bien dirigés, les expédient rapidement pour s’adonner, se donner
plus pleinement au chant. Dont on appréciera l’apparente facilité en soulignant
la difficulté de passer de l’émission parlée à la chantée.
L’œuvre
Sinon le siècle, le
Second Empire, honni par Hugo, avait deux ans, « Napoléon [le Petit
ne] perçait [pas] sous Bonaparte » mais Métella avait déjà percé dans une pièce, suivie du Brésilien, l’année suivante sous la
plume légère des deux futurs librettistes de cette Vie parisienne qui recyclait avec bonheur des pièces des deux
compères librettistes : les personnages, connus du public d’alors,
vivaient ainsi de nouvelles aventures joyeuses et nous sont devenus familiers
depuis, folklorisés dans le patrimoine populaire, sorte d’amis qu’on aime venir
retrouver, même venus d’une époque lointaine où le monde et demi-monde était ce
qu’on appela ensuite la Café society, un peu la Jet set d’aujourd’hui aux
voyages et argent faciles : des fortunés.
À notre actualité de #meetoo et autres justes revendications
ou révoltes féminines, pas forcément féministes, de criminilisation
hypocritement puritaine de la prostitution, supposée libre dans l’offre mais
pénalisée dans la demande, il est plaisant de comparer le libertinage tarifaire
officiel de cette époque-là, il est vrai déguisé de courtoisie et de bonnes
manières, on le voit avec Métella, baisemain pour la baise. Ce XIXe
siècle misogyne aimait et réprouvait les prostituées de haut ou bas étage, hétaïres,
courtisanes, cocottes ou cocodettes, vouées au cocuage matrimonial d’époux en
manque, nécessaire pendant pour pendards luxurieux au luxe moral de la chasteté
forcée ou forcenée des épouses et des petites filles modèles, interdites de
plaisir par la morale et religion. Bien que les demi-mondaines tarifées fussent
souvent en concurrence avec les femmes du monde du Faubourg gratuites —
relativement— comme le souligneront cyniques, ou désabusés, les deux galants
héros, et pas moins dangereuses les unes que les autres, pour la santé… Mal du
siècle : autant que la phtisie, la syphilis, transmise par les femmes, anonymes, mais dont on ne parle que pour les hommes, et
encore les célèbres, Schubert, Baudelaire, Flaubert, Feydeau, Gauguin,
Maupassant, Nietzsche, Toulouse-Lautrec…
Second
Empire mais Argent premier, règne des hommes infidèles, subissant en apparence
la loi de l’infidèle— ou justicière— Métella, dont les richards émoustillés
d’un même monde, international, se passent l’adresse comme d’un bon coup, triomphante
femme tirée à quatre épingles qui tire la sienne du jeu en faisant la
reconquête de l’un de ses amants, Raoul de Gardefeu sinon du sidéré sérail
masculin complet.
Il n’en reste pas
moins que, derrière le rythme pétaradant et la mousse pétillante de la musique
d’Offenbach et du livret de Meilhac et Halévy, c’est la satire joyeuse mais
féroce de toute une société matérialiste, à satiété avide de nourritures
terrestres (dîners toujours prêts, fêtes toujours apprêtées), une société repue
qui en veut cyniquement pour son argent comme le Brésilien (« J’en aurai
pour mon argent, je vous le jure ! ») ou le Baron suédois qui veut
effrontément et grassement « s’en fourrer jusque-là ! »,
les femmes étant au menu, apéritif, plat de résistance ou dessert. Même si
l’échec des berneurs bernés fait partie de la tradition bouffe sinon de la
bouffe, la partie de dupes faisant partie du jeu aux dés pipés pour le Baron ou
bourgeois gentilhomme : le snobisme est un strabisme qui fait prendre
le demi-monde louche pour le grand monde à lorgnon, et tel est pris qui
croyait avoir une bonne prise ; la chair est forcément chère et
c’est sur l’autel du plumard qu’est fatalement plumé le pigeon. Mais,
pleins aux as, ils s’en remettront. Ici, c’est le couple exotique, suédois, du Baron et Baronne
de Gondremarck, venus passer du bon temps à Paris, chacun espérant tromper
l’autre, qui sera abusé à son tour par un faux et facétieux cicérone, attrapé
finalement lui-même comme un renard qu’une poule aurait pris.
Réalisation et interprétation
Les costumes de la Maison Grout, comme toujours, son
fastueux. Il faut rappeler que, pour doper économiquement la France, le Second
Empire, sous l’impulsion de l’Impératrice Eugénie, fomenta une luxueuse
industrie de la mode, imposant aux privilégiées invitées aux somptueuses fêtes
de Compiègne ou Saint-Cloud, de changer de toilette plusieurs fois par jour. Les
dames, mêmes cocottes cancannantes, n’ont plus de froufroutantes et
affriolantes, suffocantes crinolines à grand renfort de baleines, de
carcasses : libérées du carcan du corset, elles portent les robes souples
à volants légers, sensuellement moulante pour l’une, un un ensemble élégant de
Poiret comme Métella avant sa flamboyante robe finale. Les deux joyeux lurons,
Bobinet et Gardefeu, arborent des gilets lit de vin assortis l’un à son
chapeau, l’autre chapeau jouant avec les carreaux verts de sa veste.
À juger par ces
costumes, Nadine Duffaut, dans cette nouvelle mise en scène, déplace
encore l’époque de l‘œuvre de1866, apogée festif du Second Empire,
à 1900, bref, après le désastre de 1870, après l’hécatombe de la Commune de 71
et avant le cataclysme de 1914. C’est donc une parenthèse historique heureuse,
en pleine « Belle époque », en plein cœur du « Gai Paris »,
l’acmé sans doute du rayonnement universel de la capitale qu’on vient visiter « en
masse » du monde entier : en témoignent le couple suédois, le
Brésilien et d’autres voyageurs dans cette gare vaporeuse de fumée d’une belle
locomotive, d’abord occupée par la foule des ouvriers et employés du rail.
Moteur de l’action mais réalité historique : le Second Empire avait vu le
tissage de toute la France par le réseau ferré ; les Grands Boulevards de
Paris tracés par Haussmann, larges pour éviter les barricades comme en 1848,
étaient aussi de grands axes reliant rapidement les grandes gares. Comme
celle-ci, de l’ouest, vers Deauville, Trouville, autres lieux significatifs du
jeu, du plaisir pour les riches, comme le deviendra Biarritz.
La
locomotive est une ingénieuse pièce de décor (Loran Martinel et Roland Coutareau), s’ouvrant par le milieu à vue, transformée en pièces ou salons
des appartements respectifs de Gardefeu (avec chambre à cornes, hure de cerf
pour le Baron) et Bobinet, grâce à de simples panneaux, ou en bar restaurant
avec bouteilles.
Mais, sorte de signature chez de Nadine Duffaut, si
elle joue le jeu du burlesque chez ces richissimes bourgeois ou aristos, elle
n’en oublie pas l’envers du décor de cette société replète et prospère :
elle donne à voir, comme en contrepoint, derrière eux avant de passer un moment
devant eux, les domestiques. Dans cette sorte de saturnales, fête romaine ou,
pour un jour, les esclaves prenaient la place des maîtres, ils occuperont enfin
le devant de la scène. En sorte que le travestissement bouffe des domestiques,
le temps d’une soirée de dupes, est une sorte de compensation, de vengeance
sociale mais qui en fait autant de Cendrillons vite renvoyées à leur condition
première après avoir goûté, comme par effraction, les plaisirs et mets des
patrons qu’ils auront singés.
Rythme scénique et rythme musical ne
se courent pas l’un après l’autre mais marchent au même pas d’une joyeuse alacrité
faisant se succéder ces rythmes entraînants de danses à 3/4 et 3/8, valses et
tempos hispaniques au goût de l’Impératrice espagnole, battus tambour battant
par Emmanuel Trenque, chef de chœur
de l’Opéra, qui dirige ici l’Orchestre
du théâtre de l’Odéon. Attaché à ce théâtre, le Chœur Phocéen, où l’on reconnaît par ailleurs d’excellents
solistes, bien entraîné par Rémy
Littolff, ne traîne pas dans sa vive présence scénique. Les six danseurs du
Ballet de l’Opéra Grand Avignon, mis
en danse par Éric Bélaud, apportent
leur note, animant le bal du Brésilien d’acrobatiques chorégraphies
cancanesques.
Tous les personnages sont incarnés
joyeusement, même les plus éphémères par des familiers de cette scène ou de
vieux routards du spectacle, tel le Gontran passager Michel Delfaud. On le sait, qu’il soit Alphonse ou
Joseph, Antoine Bonelli n’a qu’à paraître
et même avant ses quelques paroles d’un rôle parlé, les applaudissements de
joie éclatent pour saluer sa ronde faconde présence. Sans être « Prosper,
hop-là boum ! », Jacques
Lemaire, bien chéri de ces dames sur canapé, campe un valet stylé et stylisé, presque hystérisé dans ses aigus.
On trouve avec étonnement et plaisir la basse Antoine Garcin en Alfred et Urbain domestique. Bonne surprise, Éric Huchet, est Frick, solide bottier
au savoureux accent germanique mais, en Brésilien, on a le plaisir, malgré la
vélocité du morceau, de comprendre toutes les paroles de son air fameux qui
est, à son échelle, un allègre « Fin ch ‘an dal vino… » à la fois
follement abusé et désabusé, amusé. Comme la plupart des personnages jouant
ensuite un autre rôle travesti, il est un inénarrable Major de table gardant
son tablier en cuir de bottier sous le grotesque déguisement à brandebourgs. En
Baron de Gondremarck, Olivier Grand, affublé des fourrures d’un manteau et chapeau chapka
à la mode nordique, déploie une large et puissante voix de baryton à la mesure
de ses puissants appétits de plaisir et on le sent capable de dévorer la vie,
surtout parisienne, par les deux bouts.
Également barbés mais au poil, dégaine
d’élégants godelureaux, gamins gredins grandis trop vite, s’entendant comme
larrons en foire malgré une rivalité amoureuse vite surmontée, presque
pareillement vêtus et même prestance, Rémy
Mathieu et Samy Camps, voix plus
claire le premier, un peu plus grave le second, incarnent avec un panache et charme
égal les jeunes débauchés de bonne famille dont parlera Métella dans son air « À
minuit commence la fête… », croquant allègrement la vie et sans doute leur
héritage ou même la dot de leur sœur. Seule la bobine de Bobinet, nez chaussé
de lunettes, semble les distinguer et leur connivence fait merveille.
Pour les dames, on est
aussi gâtés : trois nièces à
croquer, et craquer dans leurs robes d’emprunt trop serrées, Priscilla Beyrand, Lorrie Garcia, et Nelly Bois. Soubrette acidulée, la piquante Pauline
de Carole Clin agace un peu les
dents comme un fruit frais. Tout sourire et charme pour sa sombre voix mûre, Cécile Galois, joue joyeusement une crédible et
juvénile Baronne. Laurence Janot, par son physique racé et sa voix raffinée, son
élégance, est une Métella aristocratique comme la Païva, courtisane, bigame, marquise,
maîtresse aussi de l’Empereur. Il faut voir avec quelle désinvolture
primesautière et hautaine, au bras de son dernier amant, elle feint de ne pas
reconnaître les deux jeunes anciens : « Connais pas, connais pas… »
Avec son port de reine et ses robes somptueuses, elle incarne bien la courtisane
de haut vol de l’époque. Mais, passant de
gantière à veuve et de veuve à séductrice lors du repas, dans la rapidité de
cette version, Amélie Robins, enchaîne
les airs comme un collier de perles de sa lumineuse voix, défendant son métier,
évoquant le fétichisme du gant des beaux messieurs vieux verts à la retraite,
le froufrou des robes et bruit des talons des trottins parisiennes, avec des
cadences sur des aigus superbes. Mais il faut la voir d’abord, courroucée, arrogante
et agressive gantière étrangleuse du malheureux bottier osant la défier, et
avec l’accent alsacien contre l’accent allemand !
Le plaisant ou drame
de l’affaire, c’est qu’avec la Guerre de 70, la France perdait l’Alsace et la
Lorraine, revendiquées par l’Allemagne comme anciennes terres d’Empire
germaniques. Si, après la Guerre de 14/18 la France récupéra ces provinces dont
les Alliés, les estimant allemandes, lui refusaient la dévolution, ce ne fut
que grâce à l’Impératrice espagnole Eugénie de Montijo, épouse de Napoléon III,
Empereur déchu : régente, elle avait supplié Guillaume II de ne pas les
annexer et celui-ci lui avait répondu par une lettre qu’il ne les revendiquait
pas comme allemandes, mais qu’il les annexait simplement comme « un glacis
protecteur » contre son dangereux voisin. Cette lettre, remise par l’ex-Impératrice
à la France républicaine en 1918, inclina les Alliés réticents à rendre les deux provinces à
la France.
La vie parisienne
de Jacques Offenbach
Marseille, Odéon, 24 et
25 février
Direction musicale : Emmanuel TRENQUE
Mise en scène : Nadine DUFFAUT
Mise en scène : Nadine DUFFAUT
Assistant mise
en scène : Sébastien OLIVEROS
Chorégraphie : Éric BELAUD
Chorégraphie : Éric BELAUD
Décors : Loran MARTINEL et Roland COUTAREAU/.Costumes :
Maison GROUT
Distribution :
Gabrielle : Amélie ROBINS
Métella : Laurence JANOT
La Baronne de Gondremarck :Cécile GALOIS
Pauline : Carole CLIN
Les trois nièces : Priscilla BEYRAND, Lorrie GARCIA et Nelly BOIS
Le Baron de Gondremarck : Olivier GRAND
Bobinet : Rémy MATHIEU
Raoul de Gardefeu : Samy CAMPS
Frick / le Brésilien : Eric HUCHET
Prosper :Jacques LEMAIRE
Alfred / Urbain Antoine GARCIN
Alphonse / Joseph :Antoine BONELLI
Gabrielle : Amélie ROBINS
Métella : Laurence JANOT
La Baronne de Gondremarck :Cécile GALOIS
Pauline : Carole CLIN
Les trois nièces : Priscilla BEYRAND, Lorrie GARCIA et Nelly BOIS
Le Baron de Gondremarck : Olivier GRAND
Bobinet : Rémy MATHIEU
Raoul de Gardefeu : Samy CAMPS
Frick / le Brésilien : Eric HUCHET
Prosper :Jacques LEMAIRE
Alfred / Urbain Antoine GARCIN
Alphonse / Joseph :Antoine BONELLI
Gontran : Michel DELFAUD.
Orchestre de
l’Odéon :
Cécile JEANNENEY, Chantal RODIER, Yanmin KASER, Alexia
RICHE-GUILHAUMON, Isabelle RIEU, Cathy BENOIST, Christine AUDIBERT,
Nicolas PATRIS de BREUIL, Franck BARRÉ, Yannick CALLIER, Pierre NENTWIG,
Sylvain PECOT, Soizic PATRIS de BREUIL, Mireille LOMBARD, Patrick SEGARD, Marc
BOYER, Luc VALCKENAERE, Thierry AMIOT, Gérard OCCELLO, Yvelise GIRARD,
Alexandre RÉGIS
Chœur Phocéen :
Saïda BOUACHRAOUI, Nadine D’ANGELO, Sabrina KILOULI, Davina
KINT, Servane LOMBARD, Alexia MBASSE, Anne-Gaëlle PEYRO, Marion RYBAKA, Adrian
AUTARD, Pierre-Olivier BERNARD, Laurent BŒUF, Angelo CITINITRI, Jacques
FRESCHEL, Emmanuel GÉA, Damien RAUCH, Meng ZHANG
Chef de Chœur : Rémy LITTOLFF
Danseurs :
Maud BOISSIÈRE, Noémie FERNANDES, Camille MERMET-LYAUDOZ,
Anthony BEIGNARD, Sylvain BOUVIER, Alexis TRAISSAC
Photos : ©Christian
Dresse :
1. Train ;
2. Les deux comparses, Gardefeu, Bobinet (Camps; Mathieu)
3. Gontran, Métella entre Bobinet et Gardefeu ( Delfaud, Janot, Mathieu, Camps) ;
4. Baronne, Baron, Gardefeu (Galois, Grand, Camps) ;
5. Brésilien bien entouré (Huchet) ;
6. Altière gantière et bottier (Robins, Huchet) ;
7. Lettre à Métella (Janot, Camps) ;
8. Urbain et Prosper (Garcin, Lemaire) ;
9. Soubrette et valet (Clin, Garcin) ;
10. Trois cousins coquines sur Prosper (Beyrand, Garcia, Bois sur Lemaire) ;
11. Cancan.