APER’OPÉRA
L’heure espagnole du CNIPAL
Opéra d’Avignon
14 février 2009
L’heure espagnole du CNIPAL
Opéra d’Avignon
14 février 2009
Il ne manquait que les tapas hispaniques pour cet hispanisant et espagnol apéritif lyrique grisant donné par trois des solistes du CNIPAL dans le foyer de l’Opéra d’Avignon pour cette mémorable et agréable Saint-Valentin. Une mezzo chinoise, un ténor coréen et un baryon bulgare : chatoyant arc-en-ciel vocal tout à l’honneur de l’éclectisme de cette institution nationale heureusement sise à Marseille qui retrouve de la sorte un peu de sa vocation de Porte de l’Orient, fermée depuis longtemps dans d’autres domaines.
En première partie, bonne idée, des extraits du Barbier de Séville du plus espagnol des musiciens italiens, Rossini : il avait épousé la diva espagnole Isabel Colbrán, et nombre de ses opéras furent crées ou portés au succès par la fameuse dynastie du célèbre ténor et professeur de chant Manuel García, créateur de l’Almaviva de ce Barbiere auquel sa patte hispanique n’est pas étrangère. Cet opéra, en effet, vibre de rythmes de danse espagnoles du début au boléro final, amorces de séguedilles, de fandangos, zapateado, aux traits brillants et virtuoses qui se coulent tout naturellement dans la pyrotechnie rossinienne. La bonne idée fut d’offrir deux airs, deux duos et le trio final de l’œuvre dans une heureuse continuité.
Ouvrant la danse et le concert, le ténor Ji Hyun Kim donnait la sérénade du Comte Almaviva d’une voix brillante, soyeuse, souple, aux vocalises bien maîtrisées. On comprenait que Rosine, dans son air, en fut touchée : chantée par la mezzo chinoise Aï Wu, l’héroïne en prenait une couleur ardente, voix moëlleuse, grave sagement prudent mais médium velouté, agilité dans les traits rapides, précision des notes piquées, aisance et élégance du style, maîtrise de la technique. En Figaro, le Bulgare Alec Avedissian, très apprécié déjà dans d’autres styles de chant, démontrait ici sa pleine possession du raffinement du chant rossinien, allégeant sa belle voix, faisant montre d’une remarquable volubilité sans rien perdre de sa couleur et chaleur. Le trio fut pétillant et sémillant.
Nina Huari, chef de chant et pianiste accompagnatrice, fille du nord finnois, dans une séguedille d’Albéniz fit montre aussi d’une belle ardeur sudiste, surmontant les redoutables grappes de notes virtuoses du compositeur espagnol, jolie transition pour la partie entièrement espagnole du récital.
La zarzuela
Cette appellation recoupe une large variété de spectacles lyriques espagnols, remontant au XVII e siècle. Le nom (diminutif de ronce) lui vient du palais de cette époque et de ce nom (résidence actuelle du roi d’Espagne) dans lequel Philippe IV assistait à des « fêtes musicales », vites appelées Fiestas de la Zarzuela, puis zarzuelas, un fastueux théâtre à machines musical dans le goût de l’opéra florentin, inspiré de la mythologie, d’abord comme La selva sin amor de Lope de Vega (1629) entièrement chantée. Mais ensuite, à la différence de l’opéra baroque italien (qui calque à Naples sa structure sur la comedia espagnole), en Espagne, les récitatifs de la zarzuela son remplacés par des passages parlés comme plus tard en France dans les opéras comiques, c’est-à-dire parlés, déclamés à la façon des comédiens. Au XVIII e siècle, les intrigues mythologiques font place à des sujets plus populairement pittoresques et l’influence de la tonadilla escénica, petits intermèdes joyeux mêlant chant, danse et théâtre entre les actes d’une comedia, donne un tour typiquement espagnol à la zarzuela. Ainsi, XIX e au XX e siècle, la zarzuela embrasse un ample rayon qui va de l’opéra (Albéniz, Manuel de Falla en composent) à l’opérette, toujours soucieux de belle vocalité que ne dédaignent nullement aucun des grands interprètes lyriques espagnols, de Victoria de los Ángeles à Caballé et Berganza, Carreras et Plácido Domingo qui s’est forgé dans cette esthétique dans la troupe de zarzuela de ses parents, s’y taillant encore un triomphe récemment.
Il faut donc saluer encore l’œuvre pédagogique du CNIPAL qui a déjà programmé deux fois des extraits et, cette fois-ci, toute une bonne partie du programme que les trois jeunes interprètes défendent avec bonheur.
Aï Wu, la Chinoise, à part quelques petits problèmes textuels (mais connaissons-nous beaucoup d’Européens capables de rendre la politesse à tous ces Asiatiques qui assimilent nos langues et notre culture ?), se tire très bien de sa partie, met la couleur de sa voix au service de la vocalité espagnole jamais facile, implacable rythmiquement, manquant peut-être un peu de piquant canaille dans le picaresque « Tango de la Menegilda », récit cynique d’une bonne à tout faire sur un rythme désinvolte d’habanera andalouse, ancêtre du tango argentin. Le Coréen Ji Hyun Kim s’investit avec une grande conviction dans des airs romantiques, avec beaucoup de poésie. Et, à écouter le Bulgare Alec Avedissian, on croit entendre vraiment la chaleur colorée d’une voix et d’une passion espagnoles sincères, authentiques. À la prononciation des phonèmes sourds du z et des ce et ci près, prononcés comme ss (peut-être dus à un maître Andalou ou Latino-américain), on ne peut qu’admirer la belle diction des interprètes qui se lancent joyeusement dans un final soliste arrangé ici pour trois, repris en bis aux instances d’un public enthousiaste.
Nina Uhari conduit et accompagne encore tout cela avec une vivacité et une fougue de vraie méditerranéenne de Finlande. Un moment de bonheur d'un art sans frontières ni races.
Ce récital sera repris le 20 février à 19 heures à l’Opéra de Toulon, puis les 26 et 27 février, à 17 heures à l’Opéra de Marseille.
Photos :
2. Aï Wu ;
3. Alec Avedissian ;
4. Nina Uhari.