Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
Ci-dessous : liens vers les sites internet de certains de ces supports.

L'auteur

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Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

lundi, avril 30, 2018

ORATORIO PROFANE

 
BAROKKO

Opéra-Théâtre,

Livret et texte de Marion Coutris

Musique de Marco Quesada

Théâtre Nono, 
Marseille

13 avril 2018

         Baroque

De l’aube glacée du maniérisme au crépuscule rose du rococo[1], du dernier tiers du XVIe siècle à la moitié du XVIIIe se déploie en Europe, de l’Italie à la Russie, de Saint-Pétersbourg à Istanbul, conséquence des Grandes Découvertes et sous l’impulsion de la Contre-Réforme, un art que l’on appellera tardivement, à la fin du XIXe, baroque. Je parlerai plutôt d’une éthique et d’une esthétique qui embrasse tous les domaines de l’activité culturelle et intellectuelle, de la religion à la philosophie. Avec des modalités des plus diverses en une si longue période.


 L’expansion coloniale espagnole et portugaise l’exporte mondialement, et on en trouve des témoignages ou des traces même en Inde et au Japon, ce qui en fait le facteur commun artistique le plus universel tel que nous avons pu le définir à l’UNESCO en 1992, pour le cinq-centième anniversaire de la Rencontre de deux Mondes, la découverte de l’Amérique : rives, dérives, rivages et visages divers d’un art qui englobe l’Autre dans l’Un, un art migrant mais d’accueil, comme j’ai pu le définir, qui, loin de séparer, ségréguer, englobe, amalgame métisse généreusement, dans un moule général, un mode commun, des modalités particulières diverses dans un excès qui n’est pas un trop. D’où une plasticité, une liberté qui, avec la chutes des dogmes et des idéologies totalitaires, n’a pu que séduire, en notre temps, des artistes et penseurs fatigués et désabusés des guerres de chapelles.  

Cinquante ans déjà que cet art, reconnu partout ailleurs, dans une France longtemps rétive, est revenu en force, qu’il y ait retour du ou retour au Baroque. La Postmodernité a paru comme un synonyme de ce qu’on a aussi appelé, pour le distinguer du Baroque historique, Néobaroque. Un engouement qui a déchaîné aussi les rages et ravages d’une mode baroqueuse bruyante et brouillonne, souvent superficielle, dont le moins que l’on puisse dire c’est qu’on n’en pourra pas taxer ce Barokko, fruit d’un projet conçu et mûri durant une décennie.


Barokko

Immense espace bi-frontal sur la longueur du théâtre, scène dépouillée, cadre vide d’un miroir baroque grand comme un portail à un bout, une poutre en verre à l’autre avec un homme nu en attente de spectateurs, plus tard, une boule sans doute globe du monde, attribut dérisoire du pouvoir, ou ce bonnet pointu passant sur quelques têtes, puis le trait d’union d’une longue table d’un banquet funèbre final. À part cela, nul décor autre que le décorum d’une célébration, d’un cérémonial, d’une envoûtante liturgie profane, sans doute danse macabre, une lente traversée de la surface de la scène du théâtre du monde, dans le continuum du flot musical, du flux fluctuant de la parole et de la danse.


Porté par les sensations, on ne tentera pas d’assigner un sens unique abusif aux signes proliférants de ce spectacle polymorphe, aux diverses formes (théâtre, opéra, danse), conjuguées en un, dans un rêve vraiment baroque de spectacle total, où même le parfum, l’encens, se mêlait aux images oniriques comme le rêvait et réalisa quelquefois Calderón, et spectacle polysémique car chaque image, chaque personnage sinon personne, allégories plutôt, ne pouvait se clore en une seule signification : ainsi, avant même le début du spectacle, cet homme nu assis sur une poutre de verre, friable et solide, tel un étique Job silencieux sur un tas lumineux de fumier, image de la misère et de la grandeur de l’homme, est aussi un pape que l’on va vêtir, revêtir d’habits sacerdotaux, puis l’en dévêtir symétriquement (expolio) et réduire à l’épure, à la bure, blême emblème de la trajectoire humaine du berceau au tombeau, dénuement et dénouement suprêmes égalisateur ; ainsi ce jeune lutin roux, mince bouffon affublé d’une fraise immense autour du cou, sans doute, ange déchu de l’amour de Dieu déçu, lucide Lucifer acide par sa langue acérée, et pourquoi, pas coiffé d’un bonnet pointu rouge, hérétique voué aux flammes de l’Inquisition, ou peut-être encore aussi bouffon du pape ou fou du roi d’un dérisoire monde réduit à une boule, où les deux vieux jumeaux, dans un bouillonnement de dentelles, barbouillés de barbe et gribouillés de cheveux blancs, seraient, à l’égale horizontale, les rois tête bêche d’un jeu de cartes fabuleux. Il y a ce roi de Carnaval cynique en tunique volante, voix tonitruante, coiffé, couronné d’une dérisoire salade, dérision peut-être du pampre vineux d’un Bacchus avec sa cohorte dansante de bacchantes avinées. Et cette étrange et inquiétante triade de tribades : trio, trinité, d’inquiétantes drag Queens chauves, barbues de rouge, bottées, en robes à paniers, Parques noires quand elles arborent en offrande fatale les cordes de la vie entre leurs mains tendues. Le symbolique nœud, peut-être gordien, des sens non déliés, ce moine sacrificiel ou Prophète portant en ses mains un amas de cordes en tribut, pour faire amende honorable ? pour être pendu ensuite peut-être ? Nœud inextricable de la question qu’on ne résoudra pas, d’ailleurs averti par le texte qui pousse à se résigner

À voir naître

Et s’éloigner

L’espoir

D’une réponse.


Perchée sur les échasses de hauts talons, longue de noir vêtue, pâle, la Mort, telle une ombre traversant lentement l’espace, passant de l’autre côté du miroir, est univoquement identifiable, revenant coiffée d’un chapeau melon arborant un livre ouvert, peut-être le livre de la vie.

Ce sont-là les figures singulières, au double sens du mot, les figurations étranges, douées de la parole (dont la sonorisation à l’excès brouille le son), d’un énigmatique jeu qui se déploie sur la scène éclairée, allongée de la longueur du théâtre, plutôt arène bi-frontale de gradins où les spectateurs affrontés se voient sans se regarder mais dans un effet subjectif de multiplication visible des regards collectifs qui démultiplie la visibilité de ces images proches à toucher qui prennent plus de présence objective à s’offrir à tous les yeux témoins dans ce champ clos, ce théâtre du monde, déterminisme du voir réversible,  irréversible fatalité :

Qui a vu, verra.

Sera vu.

Débusqué.

Offert. Poursuivi.

Exposé. Abandonné.

À l’opposé du Maniérisme, art pour l’art élitiste et minoritaire, le Baroque, didactique, porteur d’un message universel, même né dans l’élite, est un art aristocratique et populaire s’adressant objectivement à tous dans son propos, mais avec la conséquence pour chacun d’entrées subjectives intellectuelles et cultuelles dans ses propositions, d’où sa plurivocité d’appréhension, au minimum son ambiguïté. Au service du pouvoir, de l’Église, des monarchies absolues qui font spectacle ostentatoire, théâtre ostensible de leur puissance pour resserrer le groupe social autour de leurs valeurs par des manifestations festives et fastueuses de masse, il les sape néanmoins, les mine, mine de rien, par l’étalage de cette excessive débauche qui débouche ironiquement sur la mise en scène de leur vanité : son idéologie s’énonce et  se dénonce au regard implacable, sinon de tous pour l’heure, déjà de quelques un, détournement théâtral du sens unique dicté d’en haut diffracté en pluralité de significations. Pris à leurs propres signes extérieurs de richesse excessifs, l’excès du signe en signe le vide. Ainsi, ce Pape cérémonieusement habillé selon une rigoureuse étiquette, rituellement imposé puis déposé, dépossédé de ses attributs, posé en équilibre instable sur la fragilité nue de départ, entre deux infinis pascaliens, le vide du ciel sur sa tête et l’abîme du néant à ses pieds, refermant le cercle impassible de l’impossible permanence de la vie, de la chair vouée à la décrépitude, à la finitude. Mais paradoxal éternel retour du même, cycle du vivant, célébré d’un extrême à l’autre d’une table, festin de vie et de mort et passage du relais : il faut que le Père meure pour que le Fils advienne.

Ce spectacle, somptueuse vanité baroque, s’anime donc de ce double mouvement d’affirmation et d’infirmation du pouvoir, de la chair, voués à la cendre. C’est traduit en troublantes trouvailles, plastiques, visuelles d’une grande beauté insolite qui, sans faire sens immédiat font sensation immédiate et déjà théâtre en soi comme l’indétermination sexuelle de certains, pour se fondre, sans se confondre, dans le flot et rythme continu musical, vocal et verbal dans un mouvement incessant, d’un bout à l’autre de l’espace, de files, défilés d’images oniriques perçues avec « les yeux du dedans », cortèges toujours semblables mais différents : femmes silencieuses émergeant de l’ombre comme des spectres, en robes blanches écumeuses de dentelles, avec des tournoiements de convulsionnaires, de possédés ; théorie de sortes d’écolières en uniforme, col Claudine et gants rouges, coiffées de brindilles, entonnant un chœur d’une grande beauté mélodique ; requiem saisissant avec femmes en mantilles noires ; procession parodique avec étendard, litière portant une châsse, des reliquaires, branches mortes en guise de palmes feuillues ; parade, charivari carnavalesque, il y a une incessante succession d’images dans la scansion d’une musique et d’un texte qui, même mal perçu,  ont un effet incantatoire. Même s’il y a des ruptures de tempo à l’intérieur du mouvement, des accélérations tourbillonnantes, des rondes folles hallucinatoires, jets de talc et aspersion d’eau, on a le sentiment global d’un rythme général d’une lenteur hypnotique, envoûtante : celui même des rêves.



         Arraché à la fascination du spectacle, on reste ébahi de la maîtrise de Serge Noyelle à mettre en règle, toute cette cohorte d’acteurs, chanteurs et danseurs englobés dans ce mouvement perpétuel réglé comme un ballet, même les mains, les doigts, avec une fluidité remarquable des entrées, de sorties des cortèges : c’est mise en scène et chorégraphie. C’est paradoxalement parfois hiératique, mais sans raideur, d’une lenteur solennelle mais sans lourdeur. Le travail d’acteur est aussi notable : l’Homme nu, silencieux, immobile presque tout le temps de la représentation (Noël Vergès), arrive à exister cruellement ; l’Ange déchu clownesque et attendrissant de jeunesse (Lucas Bonetti), grinçant, fait expression de cette voix discordante, le Prophète (Guilhem Saly) est douloureux d’intensité ; les deux jumeaux cérémonieux (Caspar Hummel, Gérard Martin). Il y a aussi de pittoresques figures comme tirées de tableaux flamands de Breughel. Et sur tous, plane la mort (Marion Coutris) qui passe, traverse l’espace humaine par l’expression, inhumaine par la raideur inquiétante, et un verbe hautain qui nous atteint tous.

Les costumes (Catherine Oliveira), les coiffures sont d’une inventivité toute baroque. La chorégraphie d’Estelle Chabretou est belle et parfaitement intégrée dramatiquement. Les lumières de Bernard Faradji savent creuser les ombres en peinture broque, parfois caravagesque.

Sagement, ni la musique ni le texte ne parodient le Baroque. Le texte de Marion Coutris, qui signe également le livret, est malheureusement, redisons-le, parasité par l’amplification qui, perturbant les habitudes d’écoute qui contraint à aller chercher le son naturellement, en en mettant plein les oreilles artificiellement en dispense l’audition et la recherche du sens : on entend sans écouter. Il est vrai aussi que la musique, le piétinement inévitable, même léger de tant d’intervenants sur scène et, surtout, la vue captée par tant d’images superbes divergentes et en incessant mouvement d’un bout à l’autre de cette grande arène, l’attention de l’auditeur est distraite au profit des yeux du spectateur. C’est dommage, car l’ayant lu grâce à son amabilité, il est beau, non vraiment baroque par l’écriture mais par des thèmes qui semblent mûrement et subtilement assimilés, pensés puis dispensés textuellement sans nulle démonstration, longue litanie parfois, justement lyrique à d’autre : théâtre et opéra, donc, et elle se coule avec hauteur ou douceur dans son propre texte. Il est vrai que sa lecture éclaire forcément l’identité des personnages, la Mort, Ange noir, Prophète, etc. Sans doute une indication précise des rôles dans la distribution (donnés par ordre alphabétique dans le programme) permettrait-elle d’orienter le spectateur. Mais peut-être cette indétermination joue-t-elle aussi dans le sens de l’énigme, de l’indétermination baroque.

Venu du jazz, Marco Quesada, ne prétend pas à une écriture baroque qui risquerait le pastiche. Il use avec une efficace économie d’un petit ensemble musical, guitare (lui-même), piano, un accordéon, quelques vents (flûte, saxo), batterie pour offrir une composition musicale dramatique, en gros homophonique et homorythmique, avec quelques décalages polyphoniques d’entrée pour le saisissant et terrifiant trio des Parques par deux contreténors et une basse (Alain Aubin, Rémy Brès et Oleg Ivanov). Il y a parfois une prégnance rythmique à la Kurt Weill, une scansion palpitante et une jolie citation d’un air fameux de Purcell vite varié. Le chant russe de la chorale collégienne est d’une grande beauté. Il est à noter que, à l’exception de la Mort, tous les acteurs chantent à un certain moment et Quesada a bien servi les solistes, qui le lui rendent bien (Camille Hamel et Grégory Miège). Les musiciens, dans la pénombre d’arrière le miroir, semblent être dans un autre monde au-delà de la scène contemplant et commentant de la parole de leurs instruments, le spectacle terrible et dérisoire du Grand Théâtre de ce monde.

« Jour de fureur. Jour de guerre », dit le texte de Coutris, funèbre requiem : c’est à travers ce cadre du miroir au regard vide que se dévidera le grand flot du monde sombrant dans l’obscurité.  Nous offrant les images d’une fin de vie plus longue que la vie elle-même, avec ses symboles, ses allégories, ce spectacle, funèbre célébration, cérémonie, rituel, liturgie avec les signes de la religion mais sans Dieu, relève, plus que de l’opéra, de l’oratorio et, avec ses allures parfois de kermesse flamande, de l’auto sacramental, fastueuse allégorie théâtrale et musicale de l’Espagne baroque.

Théâtre Nono
 BaroKKo ,
coproduit par le théâtre Nono, le Teatr-Teatr de Perm, le Théâtre Russe de Vilnius (Lituanie) et le Théâtre Dramatique de Plovdiv (Bulgarie)
5, 6, 8, 7, 10, 12, 13, 14 avril
Mise en scène : Serge Noyelle
Texte et livret : Marion Coutris
Composition Musicale : Marco Quesada
Costumes : Catherine Oliveira
Lumières : Bernard Faradji
Accessoires : Marie-Claude Garcia et Bertyl Rance
Traduction :  Marina Verchenina.
Distribution
Mort : Marion Coutris ; Homme nu : Noël Vergès ; Ange déchu : Lucas Bonetti ; Prophète : Guilhem Saly ; Bacchus, Bonhomme : Grégori Miège ; Jumeaux : Caspar Hummel, Gérard Martin) ; Triade : Alain Aubin, Rémy Brès, Oleg Ivanov ; soliste procession : Camille Hamel,
avec les artistes de la troupe de l’Opéra-Théâtre :
Lisa Barthélémy, Kristina Bazhenova, Patrick Cascino, Estelle Chabretou, Aurélien Charrier, Idir Chatar, Ulyana Danilova, Flavio Franciulli, Alexei Karakulov, Baptiste Martinez, Jeanne Noyelle, Anna Ogereltseva, Hwa Park-Dupré, Kristina Perina, William Petit, Magali Rubio, Luca Scalambrino, Ekaterina Belyayeva.

Photos : Cordula Treml :
1. Vêtir, revêtir, dépouiller : le pape et les jumeaux ;
2. Cortège de la Mort ;
3. L'Ange déchu ;
4. Toujours l'ombre de a Mort ;
5. La triade ou les Parques ;
6. Le Prophète de dos ;
7. La cadre vide de la vie qui s'en va et miroir des jumeaux.



[1] On me pardonnera —mais cela légitime ma parole pour parler de ce fascinant spectacle— de renvoyer immodestement à mes ouvrages sur le sujet, Éthique et esthétique du Baroque, Actes Sud, 1985, Figurations de l’infini, éditions du Seuil, 1999, Grand Prix de la Prose et de l’essai, D’Un temps d’incertitude, éditions Sulliver, 2008, etc.

LOHENGRIN (2)


Enregistrement 29/3/2018, passage, semaine 30/4//5/5/18

RADIO DIALOGUE RCF (Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)

« LE BLOG-NOTE DE BENITO » N° 314

lundi : 18h45 ; mercredi : 20 h ; samedi : 17h30

Semaine 18

LOHENGRIN (2)



L’Opéra de Marseille présente les 2 et 5 mai, à 19 heures et le mardi 8 mai à 14h30, l’Opéra de Wagner Lohengrin. Le héros éponyme, qui donne son nom au titre, est Lohengrin, également appelé le Chevalier au cygne.
Je le rappelle, nous sommes aux bords de l’Escaut en l’an 900 et quelque. Le roi de Germanie, venu dans le Brabant pour y lever des troupes contre les Hongrois, les Huns, se trouve dans l’obligation d’arbitrer un conflit dynastique chez ses vassaux brabançonnais. Le comte Telramund accuse Elsa, l’héritière du duché, d’avoir assassiné son frère et d’avoir un amant secret. Il réclame en conséquence le duché pour lui et femme Ortrud, fille du prince de Frise.
Le litige doit être tranché par le Jugement de Dieu, un combat singulier entre le comte accusateur et celui qu'Elsa aura désigné comme son défenseur. Or, il ne se trouve aucun chevalier pour relever le gant en sa défense. Sommée de nommer un défenseur, Elsa a raconté son rêve d’un beau chevalier lumineux venant défendre sa cause : elle lui donnera son cœur, ses terres et la couronne ducale. Au moment où elle-même n’y croit plus, où le sort semble la condamner, voilà que, sur les flots, sur une nacelle tirée par un cygne, debout sur la proue paraît ce chevalier à l'armure étincelante. Il prend congé du cygne, le priant de ne revenir que pour son bonheur. Il est venu défendre une innocente. Contre sa protection, Elsa lui promet, s’il est vainqueur et elle innocentée, de l'épouser. Le beau chevalier inconnu exige d’elle une promesse : elle ne devra jamais lui demander ni qui il est, ni d'où il vient, ni son nom, ni sa race (« Nie sollst du mich befragen… » ’Tu ne devras jamais me questionner' ...). Elsa s’y engage.
Le combat s’engage aussi. Telramund est vite terrassé par le chevalier inconnu, qui l’épargne généreusement :
« Ta vie m'appartient, je te la donne, consacre-la au repentir. »
Elsa et son sauveur sont portés en triomphe par les nobles et la foule, tandis que Telramund se lamente amèrement de sa défaite, pleure son honneur perdu, accusant sa femme Ortrud d’en être la cause. Et nous découvrons que c’est elle qui avait dit à son ambitieux époux qu’elle avait vu Elsa noyer son jeune frère dans l’étang, d’où l’accusation officielle qu’il a dressée contre elle. Les époux se déchirent : Ortrud reproche à son mari d’avoir perdu le combat, et Telramund rétorque, que ce n’est pas lui qui l’a perdu, c’est la puissance de Dieu qui a gagné. Puissance à laquelle Ortrud révèle qu’elle ne croit pas et l’on découvre qu'elle pratique la sorcellerie et vénère les anciens dieux païens.  Selon elle, le chevalier au cygne a gagné par magie, c’est par magie qu’il faut le vaincre. Elle ourdit un plan : si ce chevalier est contraint de dire son nom, sa race, il perdra son pouvoir. Il faut donc éveiller la méfiance d’Elsa et la pousser à se parjurer, à poser les fatales questions au Chevalier du cygne, à lui arracher son secret.
 Dans le même enregistrement de Sir Georg Solti, à la tête du Wiener Philharmoniker, nous écoutons la sombre voix d’Eva Randová, appelant Elsa dans la nuit :

1) DISQUE I, CD 2 ,PLAGE 5

Elsa est tombée dans le piège, elle se laisse attendrir par Ortrud qui fait amende honorable mais qui insinue le poison du doute dans son cœur. La cérémonie du mariage s’apprête. Elsa a eu la faiblesse d’admettre Ortrud à la cérémonie qui, soudain, sème le scandale, en exigeant la préséance, Elsa, selon elle doit lui céder le pas car elle s’apprête à épouser un inconnu dont elle ignore tout, le nom, la race, le rang. Telramund prétend qu’il n’a été vaincu que par sorcellerie. Le roi le repousse et Elsa réagit en réaffirmant sa confiance dans le Chevalier du Cygne qui a refusé le titre de duc de Brabant.  Ils entrent dans l’église. La musique devient festive mais menaçante malgré tout dans le prélude du dernier acte. Écoutons :

2) DISQUE II, CD 4 ,  PLAGE 1 

Le cortège conduit le couple dans la chambre nuptiale au son d’une marche que vous allez sûrement reconnaître, que vous connaissiez Lohengrin et Wagner ou pas ou pas :

3) DISQUE II, CD 4 : PLAGE  2

Les heureux époux se disent des mots d’amour, le Chevalier appelle sa femme par son nom, « Elsa ! » et celle-ci regrette de ne pouvoir lui rendre cette tendre politesse puisqu’elle ignore le sien, respectant son interdit… Le doute s’empare d’elle : comme Eurydice ramenée par Orphée des enfers le force à briser l’interdit de ne pas la regarder, Elsa, transgressant son serment, demande et le nom et la race à son mari. Ne pouvant refuser de répondre, désespéré, il va révéler son identité devant tout le monde : il est Lohengrin, fils de Parsifal et vient de Montsalvat où le Graal, le calice qui contint le sang du Christ, fut apporté par des anges. Mais il doit repartir. Le cygne traînant la nacelle arrive. Telramund a été tué par Le Chevalier du Cygne.  Ortrud révèle alors qu’elle avait métamorphosé en cygne le frère d’Elsa, Gottfried, pour venger les dieux païens contre le Dieu chrétien. Löhengrin fait renaître miraculeusement le jeune homme : « Voici le duc de Brabant», dit-il en le présentant. Et il part à jamais au désespoir d’Elsa. Nous écoutons ses adieux par Plácido Domingo :

4) CD2 , PLAGE 10

Opéra de Marseille les 2 et 5 mai, à 19 heures et le mardi 8 mai à 14h30, Lohengrin de Wagner.




lundi, avril 23, 2018

LE CHEVALIER AU CYGNE


Enregistrement 5/4/2018, passage, semaine 23/4//28/4/18
RADIO DIALOGUE RCF (Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)
« LE BLOG-NOTE DE BENITO » N° 313
lundi : 18h45 ; mercredi : 20 h ; samedi : 17h30
Semaine 17


LÖHENGRIN (1)

            L’Opéra de Marseille présente les 2 et 5 mai, à 19 heures et le mardi 8 mai à 14h30, dans une nouvelle production, l’Opéra présente  Löhengrin de Wagner créé à Weimar en 1850. Cette œuvre n’avait pas été représentée à Marseille depuis 1983, soit trente-cinq ans. C’est un opéra légendaire, féerique même, dont le héros éponyme, qui donne son nom au titre, est Löhengrin, également appelé le Chevalier au cygne.
Ce Chevalier au cygne est un personnage de légendes médiévales connu dès le XIIe siècle par des chansons de gestes. C’est un mystérieux et merveilleux inconnu qui aborde un jour sur un rivage dans une nacelle, une petite barque, tirée par un cygne. Par sa vaillance, il se gagnera un fief et une épouse. Mais, un jour, le cygne qui l’avait guidé réapparaît, l’appelle, le rappelle : le bel inconnu, venu d’on ne sait où repart pour on ne sait quelle autre lointaine et impénétrable mission, s’envole à jamais dans sa barque tirée par un cygne, gardant à jamais son mystère. Le minnäsanger, c’est-à-dire trouvère allemand, les trouvères étant les héritiers de nos troubadours occitans, Wolfram von Eschenbach (1170 1220), dans son poème épique Parzival, Parsifal, Perceval pour nous, rattache Löhengrin au cycle du Graal des chevaliers de la Table ronde. C’est de lui que s’inspire Wagner pour son opéra et aussi pour son œuvre ultime, son grandiose et mystique Parsifal de 1888, dont la scène du "Vendredi Saint" est fameuse. Rappelons que Wagner, féru de mythes, légendes et histoires médiévales, avait déjà consacré en 1845 un opéra à Tannhäuser, minnesänger du XIIIe siècle et, dans ses Die Meistersinger von Nürnberg, ‘Les Maîtres chanteurs de Nuremberg’, de 1868, c’est la version populaire de ces poètes qui chantent la dame, l’amour, lors de concours publics de poésie, qu’il met en musique.
Mais quelques mots sur le tout début de cette œuvre, le Prélude célèbre. Proust, adorait Wagner, il avait pu voir Löhengrin lors de sa création française en 1887 mais, surtout, il fréquentait les Concert Lamoureux qui, passé l’hostilité rageuse  et ravageuse contre le wagnérisme, conséquence de la défaite de la France contre la Prusse en 1870, programmait des pages symphoniques, les ouvertures de ses opéras. Il consacre nombre de commentaires à Löhengrin dans Du Côté de Guermantes , À l’Ombre es jeunes filles en fleur, La Prisonnière.  Il décrit ce Prélude comme un tout léger souffle de vent sur le feuillage de peupliers, faisant comme miroiter la face argentine des feuilles. Suggestive et poétique image, il est vrai. J’y vois aussi un léger rideau de scène qui s’ouvre lentement, lentement, à notre brumeux réveil, sur une scène embuée de rêve, un onirique et impalpable paysage d’ailleurs. Je vous laisse juger par ce trop bref extrait de ce long Prélude :

1) PLAGE 1

C’était interprété par Sir Georg Solti, à la tête du Wiener Philharmoniker.
 Ouverture de rêve mais pour un monde où la pureté et la poésie vont s’opposer cruellement) la dureté et méchanceté des hommes, de certains.      L’action se situe près d’Anvers, aux bords de l’Escaut dans les premières années du Xe siècle, en l’an 900 et quelque. Le roi Heinrich der Vogler, ‘Henri l’Oiseleur’, roi de Germanie, est venue dans le Brabant, cette région de Wallonie pour y lever des troupes car il est dans l’urgence : les Hongrois, les descendants des Huns établis en Hongrie, après une longue période de calme, menacent son royaume.  Mais il trouve cette terre déchirée par un conflit dynastique. Il somme le comte Friedrich de Telramund de lui en exposer les raisons devant l’assemblée des Brabançonnais.
Telramund dit au roi et à l'assemblée qu'avant de mourir, le duc de Brabant l'avait nommé protecteur de ses deux enfants, Gottfried et Elsa, lui promettant la main de cette dernière. Mais il prétend que, lors d’une promenade en forêt, Elsa a fait périr son frère, disparu depuis. C’est pourquoi, renonçant à épouser une meurtrière, il a pris pour femme Ortrud, fille du prince de Frise. En sa qualité de plus proche parent du duc défunt, et sa femme étant de la lignée princière, il réclame l'héritage du Brabant. D’autant qu’il accuse Elsa d'avoir un amant secret.
Devant le roi, face à ces accusations et l’assemblée de la noblesse qui lui est hostile, Elsa ne sait que répondre et dit qu’elle en appelle à Dieu. Le roi décide que la question soit tranchée justement par le Jugement de Dieu, à savoir par un combat singulier à mort entre le comte accusateur et celui qu'Elsa aura désigné comme son défenseur. Or, il ne s’en trouve aucun parmi ces chevaliers pour vouloir la défendre : Telramund est un redoutable combattant, et il a rallié les nobles à sa cause. Sommée de nommer un défenseur, Elsa raconte son rêve d’un beau chevalier lumineux qui sera son sauveur auquel elle donnera son cœur, ses terres et la couronne ducale. Nous l’écoutons par Jessye Norman :

2) PLAGE 5

Face à la jeune femme rêveuse et fragile, à la pureté de sa voix, écoutons maintenant la rage accusatrice de Telramund, chanté par Siegsmund Nimsgern et de ses hommes en fond grondant :

3) PLAGE 6

Hélas, rien ne se passe, personne n'arrive pour relever le gant, le Comte s’exaspère, Elsa désespère. Mais, ô miracle, les hommes proches du rivage du fleuve découvrent une étrange merveille, un miracle : oui, là, sur le fleuve, mais oui, comment en croire ses yeux ? une mince embarcation, une nacelle et, tirée, oui, tirée par un cygne et, sur la proue, debout un chevalier à l'armure étincelante, tel que le décrivait le rêve d'Elsa. Il est venu défendre une innocente, dit-il.
 Le mystérieux chevalier prend pied et dit adieu tendrement à son cher oiseau, lui demandant de ne revenir que pour constater son bonheur. Nous les retrouverons la semaine prochaine. Pour l'heure, nous quittons aussi sur ces adieux au cygne du chevalier par la voix de Plácido Domingo :

4) PLAGE 8

Opéra de Marseille les 2 et 5 mai, à 19 heures et le mardi 8 mai à 14h30, Löhengrin de Wagner.








mardi, avril 17, 2018

TRÈS HAUT




LÀ-HAUT

MAURICE YVAIN

Opérette-bouffe en trois actes   et quatre tableaux

Livret d’Yves MIRANDE et Gustave QUINSON,  lyrics d’Albert WILLEMETZ

SAMEDI 14 AVRIL

Marseille Théâtre de l’Odéon

            Très haut en effet, ce Là-Haut, et non parce qu’il traite du Ciel, mais par le niveau artistique général et particulier. Par la grâce de cet heureux Paradis nous sommes, littéralement, aux anges. En effet, direction d’orchestre, décors, costumes, mise en scène et interprétation, tout concourt à en faire un joyau joyeux de l’Odéon, à notre connaissance le seul théâtre voué à l'opérette, un genre ailleurs largement abandonné.


L’œuvre

L’immédiate après-guerre veut oublier les horreurs de 14/18, on panse les plaies et pense au plaisir. Le compositeur Maurice Yvain participe de cette euphorie. Déjà auteur de chansons à succès comme Mon homme (1920), et d’une opérette remarquée, Pas sur la Bouche (1922), il participe de cette euphorie, de ce goût de vivre : est-on mort dans son Paradis de Là-haut, sinon de rire ? Histoire céleste d’Évariste, viveur sans vie : après un bref passage au Purgatoire où il purge une vie dissolue, il gagne une éternité paradisiaque, et sème le trouble parmi les troublantes élues ou anges. Il perturbe Saint Pierre, qui n’est pas de roc (et ne sera pas de marbre face à la tentation) au point que ce saint homme candide et poli (« Je vous en prie, entrez », dit-il aimablement aux arrivants) lui accorde une permission de minuit de revenir sur terre pour surveiller de près sa veuve presque éplorée qui, sans être joyeuse, à en croire son ange gardien Frisotin, ne vit pas trop mal son veuvage.


Concoctée par des librettistes ingénieux, facétieux, jouant des progrès faisant rêver toute une époque (lavabo, eau, gaz et électricité à tous les étages, même là-haut…), sachant user de culture encore populaire alors avec des clins d’œil bibliques, lyriques ou poétiques (« En vérité, je vous le dis… », « Anges purs, anges radieux… », « Voici des fruits, des fleurs, des feuilles… » , etc), s’amusant faire bondir et rebondir la langue, les mots, avec une virtuosité digne des librettistes d’Offenbach, (« mort mordu… », «  Elues-u-u-u-ues… »), jonglant avec les allitérations  « Aime-moi, Emma … », « Ose Anna= Hosanna » ), les paronomases « Par(ad)is/ Paris), cette opérette opère un vrai plaisir du texte, redoublé par l’allégresse de sa musique au rythme trépidant des Années folles, fox-trot, charleston, one-step, shimmy, etc…, danses venues d’Outre-Atlantique aussi bien acclimatées en France qu’Un Américain à Paris.


Réalisation et interprétation

L’Opéra de Marseille, qui régit l’Odéon, conjointement dirigés par Maurice Xiberras, n’a pas lésiné sur les moyens. Emmanuelle Favre, qui travaille dans les plus grands théâtres, avec son style dépouillé toujours expressif signait un décor d’une grande pureté : Paradis, le ciel, l’éther, un rectangle d’un bleu délicat forcément éthéré, piqué de quelques vaporeux flocons de nuages d’une ouate lumineuse. Au second acte terrestre, juste un changement de lumière, table, fauteuil, canapé en canne et c’est un léger salon jaune paille, éclairé de panneaux suspendus transparents de fenêtres qui, assemblés, deviendront lumineuses baies vitrées 1900 de demeure bourgeoise raffinée.


L’éternité du Paradis n’ayant pas d’âge, les robes de Katia Duflot, habituelle complice d’Emmanuelle Favre pour les plus grandes productions, ne collant pas exactement aux garçonnes des Années folles, moulent discrètement les formes féminines de soies, satins, des coupes élégantes des années 30 de toute beauté et selon l'éventail des modes requises par les clins d'œil cinématographiques et historiques de la mise en scène, de la Jeanne d'Arc dont la cuirasse du Ciel devient une élégante cotte de maille prisée sur terre à la célèbre robe de Marilyn soulevée par un courant d'air fripon. Même les saluts auront de somptueux costumes différents, soieries, lamés, pour toutes les dames, l’élégance masculine n’était pas en reste, même plus sobre. Décors et costumes d’une rare harmonie.


Tout en vivacité revigorante, actualisant par sa direction la vitalité musicale de cette œuvre ancienne mais sans ride, à la tête de l’Orchestre de l’Odéon, qui s’amuse, heureux Bruno Conti, avec ce duo de dames, non trio, car il faut ajouter Caroline Clin, que l’on applaudit souvent en chanteuse, qui signe ici la mise en scène. Et quand on dit mise en scène, on ne rend pas exactement la qualité, l’alacrité électrique de son travail minutieux, sans rupture de rythme. Il faudrait parler, pour être juste, de chorégraphie, tant les mouvements des personnages, des ensembles chantants sont d’une précision d’horlogerie, mais sans aucune raideur mécanique : tout semble couler de source. Le duo entre Évariste et Frisotin est un véritable pas de deux et trio avec Martel. On pourrait parler d’une vraie partition gestuelle : non seulement Caroline Clin fait bouger les corps, les jambes, naturellement, mais les bras, les mains, et même les doigts participent de ce bal, ce ballet étourdissant de virtuosité. On imagine sans peine la peine, le travail !



Mais il est vrai qu’elle a une équipe rompue à ce travail, et l’on devine, aux bis terminaux prodigués à un public enthousiaste ,sans regarder à la dépense d'énergie, leur enthousiasme personnel dans cette production.

 Les cohortes célestes angéliques ont des hiérarchies, commençons par elles. On dit que les anges n’ont pas de sexe et le mot, injustice machiste des religions, n’a pas de genre féminin : on n’en discutera pas ici mais, à coup sûr à voir ces élues, ces anges, ces « angelles », par forcément des agnelles, la question est tranchée à voir leurs formes si humainement féminines et on se damnerait (que Saint Pierre me pardonne !), oui, même un saint se damnerait pour atteindre le septième Ciel avec elles, dotées d’ailes et, tant pis, tant pire : on braverait même l’Enfer comme le héros.

En effet, un quatuor de charme accueille le fringant Évariste : auréole couronnant la tête et, telles des houpettes, de coquettes paires d’ailes au dos, on découvre une blonde Marilyn (Émilie Sestier) jouant du postérieur, une Dalida par l’accent ou Rita par la rousse chevelure (Sofia Naït), une adorable brune Betty Boop des premiers cartoons blanc et noir contemporains, l’éternelle amoureuse aux accroche-cœurs, un cœur grand comme ça plaqué, placardé d’ailleurs sur le sien (visez au cœur, c’est là qu’est le génie !) avec un nez et air mutin de mutine Liza Minelli (Priscilla Beyrand), une aguicheuse Betty censurée par le Code Hays, choqué par la fresque de ses frasques en bandes dessinées et son coquin petit cri « poo-poo-pee-doo », repris sensuellement par Marilyn.


 Pour de saintes amours plus cuirassées, phénix issue de ses cendres, on ne s’étonne pas de trouver  au Paradis une belle Jeanne d’Arc (Lovénah Lhuillier) et, longue, mince, raide, rude et rogue, deux longues tresses brunes sur son costume deux pièces immaculé, jupette et corsage mini, long bas tels des cuissardes et talons hauts, cravache à la main, tronche et trogne vindicative, regard farouche et culpabilisant, une Mercredi de la Famille Adams, pas petite fille modèle, mais modèle de perversion enfantine : avec elle, qui engage son cœur engage sa tête avec cette collectionneuse sinon chasseuse de têtes : c’est Julie Morgane, amoureuse et vierge frustrée, ici moins servie en airs, mais air et allure dont elle sait faire un vrai poème humoristique avec ses savants décrochages de tons. Le Ciel, compatissant, pouvait-il se passer de l’ange pur et radieux de Marguerite (Katia Blas), dont le chant a rédimé Faust ? C’est une plantureuse plante avec le double rôle céleste et terrestre de bonne lyrique hilarante. Car ces anges au féminin en surplomb ont leur pendant au monde en amies de la veuve.



Cette dernière, c’est la piquante brune Caroline Géa, séchant ses larmes et sablant le champagne avec ses compatissantes amies en son salon de partie de bridge entre dames daubant sur le défunt, vantant les avantages du veuvage et rappelant le danger des larmes pour la beauté : « Être veuve, en vérité… ».  On voit aussitôt la résurrection de la coquine coquette sous la voilette et toilette noire, arborant un imperturbable sourire rouge aux lèvres, débitant avec une fière impertinence ses couplets « Parce que » à son amoureux transi.


Celui-ci, s’accompagnant seul au piano jaune comme son rire pour lui plaire, c’est Dominique Desmons, tel qu’en lui-même, une essence du théâtre comique. Lunettes sur son crâne abondamment garni d’une chevelure nuageuse, Saint Pierre, débonnaire vieillard d’imagerie pieuse, clés au côté, regrettant de ne pas connaître Paris, c’est Philippe Fargues en rondeur, vêtu de lin et de blancheur candide, candidat à la terre en découvrant l’affriolante veuve qui va donner un ange au ciel. Un Bibi moins Fricotin que Frisotin farfelu, farfadet fada frisant l’angélisme enfantin, touffe blonde de cheveux, ange gardien assurant le gardiennage, disons la filature terrestre de Madame, costume blanc de la fonction, longue-vue et corne de brume de la conscience embrumée, c’est Grégory Juppin : on le connaît danseur acrobatique avec Julie Morgane, on l’apprécie chanteur et que dire dans ce rôle qui réunit tant de ses facettes ? Sans jamais être forcées, ses mimiques sont justes et font sens : malicieux, naïf, touchant même. Il sait donner à sa voix droite bien conduite des inflexions enfantines : un artiste complet. Et que dire de son partenaire car tout repose sur leurs solides épaules : ils sont servis par la quantité des airs et des « numéros » dansés en solo ou ensemble et une mise en scène intelligente qui sait utiliser leurs grandes qualités. Le ténor Grégory Benchénafi semble représenter en France le meilleur de l’école américaine, on ne dira pas de music-hall puisqu’on ne colle pas des étiquettes aux USA, mais de la comédie musicale qui allie les exigences du lyrique, du théâtre et de la danse. Ce grand et beau garçon athlétique bouge avec une souplesse étonnante, joue de tout son corps, expressif autant dans sa belle voix que son visage : le jeune premier au meilleur sens du terme.

Le public, exalté, exulte et salue sans fin ce spectacle brillant, tonique, qui devrait tourner.
Odéon Marseille,
14 et 15 avril
Là-haut de Maurice Yvain
Direction musicale :  Bruno CONTI

Chef de chant :  Anna PECHKOVA

Mise en scène : Carole CLIN

Assistant mise en scène : Sébastien  OLIVEROS

 Scénographie :  Emmanuelle FAVRE ; Costumes :  Katia DUFLOT

Décors et costumes fabriqués par les ateliers de l’Opéra de Marseille

DISTRIBUTION

Emma :  Caroline GÉA
Maud :  Julie MORGANE
Marguerite :  Kathia BLAS
Quatre élues : Priscilla BEYRAND, Lovénah LHUILLIER, Sofia NAÏT et Emilie SESTIER .

Évariste Chanterelle : Grégory BENCHENAFI
Frisotin : Grégory JUPPIN
3
 Saint-Pierre : Philippe FARGUES
Martel : Dominique DESMONS

Orchestre de l’Odéon

Cécile JEANNENEY, Anne-Céline PALOYAN, Isabelle RIEU, Christine AUDIBERT, Cathy BENOIST, Elisabeth ANDREOULIS, Nicolas PATRIS de BREUIL, Pierre NENTWIG, Sylvain PECOT, Soizic PATRIS DE BREUIL, Mireille LOMBARD, Cédric LECELLIER, Benoît PHILIPPE, Marc BOYER, Luc VALCKENAERE, Gérard OCCELLO, Yvelise GIRARD, Alexandre REGIS, Anne-Sophie DAUPHIN 

Photos Christian Dresse
1. Un Saint Pierre bien entouré  (Fargues);
2. Une élue à la cravache (Morgane, Bénéchafi) ;
3. Évariste et deux élues (Beyrand, Bénéchafi, Estier) ;
4. Ange gardien et Évariste (Juppin, Bénéchafi) ;
5.Amoureux transi et veuve (Desmons, Géa) ;
6. Aviateurs tombés du ciel et Martel (Juppin, Desmons, Bénéchafi)
 
 



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