Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
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L'auteur

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Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

lundi, mars 25, 2024

QUATRE JOURS À PARIS

 

Quatre jours à Paris

Opérette en deux actes et six tableaux

Livret de Raymond Vincy et Albert Wullemetz

Musique de Francis Lopez

Théâtre Odéon,

Dimanche 7 mars

« Quatre jours ? », m’exclamai-je lors d’une ancienne production, « On en prendrait bien quarante, et même autant de fiévreuses nuits, et ce ne serait pas une quarantaine pour fièvre quarte ou autre virale infection, mais pour une vraie affection envers cette troupe qui s’est dépensée sans compter pour nous contenter ». Je n’imaginais dont pas prendre un tel plaisir dans cette nouvelle production signée, pour la mise en scène et l’exacte et minutieuse chorégraphie, de Caroline Clin qui, dans la première, incarnait avec bonheur Simone, la jalouse manucure amoureuse. C’est dire si elle connaît l’œuvre de l’intérieur, sur le bout des doigts et, ici, sur la pointe des pieds de ses interprètes qu’elle fait si bien danser, Von Kopf bis Fuss, dirait Marlène, ‘de la tête aux pieds’ ou, plutôt des pieds jusqu’à la tête de leur jeu et propos.


En effet, j’avais toujours souligné sa prestesse à manier les troupes, les groupes, à les évacuer presto de la scène, sans un temps mort, sans la lourdeur d’un désordre, mais, ici, c’est en pleine chorégraphe qu’elle les manie, toujours dans un rythme soutenu de la musique menée tambour battant par Bruno Conti, sans creux, sans trou et, toujours aussi le geste, même les gesticulations accordées à la mise en valeur d’un texte, des répliques, jamais téléphonées, jamais appesanties d’un effet forcé, tout, situations, paroles et danse semblant couler de source : ainsi, même le personnage épisodique du Professeur (Jean Goltier), sans presque rien à dire ni une croche à chanter, sans anicroche se coule et trouve sa place naturelle dans le chœur et ballet final, la samba effrénée, joyeusement répétée plusieurs fois, sans faux-pas.

C’est dire la précision méticuleuse, le respect avec lequel elle traite, et j’ose dire magnifie joyeusement, cette légère opérette bien classée dans le genre du vaudeville canonique par le sujet et un texte, qu’elle fait souvent percuter sans coup de canon, rendant tout naturels et la convention du théâtre et l’artifice : de l’art. Du grand art. 

Esthétique années 60

J’imagine aisément aussi, au souvenir d’autres de ses mises en scène qu’elle a veillé aux costumes bien soignés, élégants, harmonieux, puisés dans les réserves de l’Opéra de Marseille et aux décors réussis de Loran Martinel. Si la pièce est de 1948, au sortir de la guerre, le décor, surtout ce rose du canapé et ses répliques (chemises, ceintures, foulards) dans des costumes, semble directement teinté, imprégné de la Panthère rose de 1963, dont le thème musical mystérieusement facétieux sur la pointe des pieds, sonne en un moment. Et c’est bien aux années 60 que semblent référer les beaux vitraux latéraux du salon de coiffure, d’une esthétique Op art version Vasarely, des formes géométriques surlignées de noir,  rose, noir, blanc, le poncho zébré jaune-marron-orange d’Hyacinte, et ce poulailler peint à la façon Pop art des sérigraphies de Warhol. Les jupettes courtes à la Mary Quant des dames, les robes style Courrège, leurs coiffures au brushing ou chignon raidi à grand renfort de laque, parfois bandeau, des amorces de damier noir venant faire vibrer le blanc intense des costumes ou pantalons et souliers des hommes contrastant avec le t-shirt de Nicolas ou manches longues de Ferdinand. Seule la serine héroïne se distingue en robe canari, tripliquée chez deux consœurs, éclatante de soleil au milieu de la déclinaison poulaillère orange, roux, marron. C’est d’un grand raffinement aussi agréable à l’œil et à l’esprit que la musique légère, guère encombrante à l’oreille.


L’œuvre

Musicalement, ce n’est pas du meilleur Francis Lopez dont tant de mélodies se coulent si facilement dans l’oreille et la mémoire. « La samba brésilienne » (au Brésil, c’est du masculin, tout comme le, el tequila au Mexique !) jolie redondance comme si la samba pouvait être d’ailleurs (même s’il y en a en Argentine), est peut-être le refrain le mieux connu de l’ensemble, très contagieux, d’une entraînante folie, exalté par le chef et l'Orchestre de l'Odéon très en joie, pour la nôtre.

Mais, en revanche, les chansons gagnent en qualité de texte ce qu’elles perdent peut-être en charme musical. Ainsi, les couplets relativement érudits comme du Offenbach entonnés par Hyacinthe sur son rêve d’un « monde sans femmes » (paradoxe du patron du salon de beauté qui ne vit que par elles), qui enfile la litanie plaisante des couples célèbres perdus par la Femme depuis Adam et Ève, Samson et Dalila, en passant par Abélard, châtré (on le passe) à cause d’Héloïse, tirade qui relève d’une vraie culture populaire dispensée alors à tous par l’École de la République.

Par ailleurs, contrairement à nombre d’opérettes, ou mêmes quelques opéras, qui sont une enfilade de scènes, de tableaux juxtaposés, mais sans guère d’action dramatique tenant en haleine, il y a ici une vraie construction théâtrale, certes dans les conventions du genre, les surlignant même théâtralement par des clins d’œil, avec ses deux parties contrastantes entre le salon de beauté parisien et l’auberge provinciale où, comme en tout  bon vaudeville, tout le monde se retrouve dans la plus invraisemblable mais hilarante conjonction de conjoints et amantes en folie, avec les quiproquos des fausses identités et des méprises à la clé, clé de voûte de la comédie.

Par ailleurs, cette construction en chiasme, en triptyque, Paris/La Palissse/Paris, avec l’axe provincial, donne lieu à des micro-figures géométriques internes d’un grand comique implacable de répétition, impeccable de précision chorégraphique et même acrobatique, telle la scène, « Ah, quelle nuit ! » que Carole Clin fait passer trois fois au prisme, je dirais gymnique, de trois couples à l’épreuve de ces bonds, rebonds, sauts de table de sur table : c’est le même mais varié comiquement par ce trois fois deux des acteurs chanteurs danseurs. À Paris, ce sera l’inénarrable refrain « J’arrive de La Palisse », « C’est mon jour de repos », encore varié avec une verve irrésistible d’invention et bonne humeur.

L’intrigue se passe à Paris mais, avec Francis Lopez, Basque espagnol né par hasard en France, la latinité musicale ne perd jamais ses droits, même élargie comme ici au Brésil, un Brésil, plutôt hispanisé en accents et noms, Amparita pour elle, Bolivar pour lui (comme le héros de la décolonisation sud-américaine), acclimaté à un Paname qui a acclimaté bien des Brésiliens, qui a toujours accueilli en son sein le monde entier, ses rythmes les plus endiablés. Ah, le fameux, le joyeux drille Brésilien de La Vie parisienne d’Offenbach qui vient se faire voler à Paris par de jolies femmes tout l’or que là-bas il a volé ! Ici, on inverse le genre : c’est la pétulante, pétaradante, puissante et possédante Brésilienne venue aussi faire la fête aux dépens de la bourse et de l’honneur de son riche mari. Comme si le rôle avait été exactement taillé pour elle, c’est Marie Glorieux (nom qu’elle mérite au féminin) qui se glisse dans ses habits divers, avec la même beauté plastique et l’élégance exotique et canaille en bataille, jouant, chantant et dansant bien, dans un rythme fou puisque, de cette folle histoire, elle est le moteur emballé, subordonnant sa commandite salvatrice au Salon de Beauté d’Hyacinte si celui-ci lui emballe et livre en son lit d’hôtel son employé Ferdinand.

 Ce dernier, joli coq, coquelet, coqueluche épidémique, au sens épidermique et érotique du mot, que les clientes assidues poursuivent de leurs assiduités, sans doute blasé de la bringue avec tant de grandes bringues, groupies dévergondées, godelureau en goguette, court le guilledou, tout doux, romantique—qui l’eût cru— platonique (!) avec Gabrielle, jeune provinciale inconnue. Il n’a cure de sa maîtresse manucure, Simone qui alertée par son absence, ameute la meute de femmes lancées à sa poursuite, impitoyable désormais.

Ce n’est pas faire injure à l’excellent Fabrice Todaro, exactement adéquat Pimpinelli dans Paganini, de dire que, s’il en a la voix large et virile, sonore, il n’a pas exactement le physique de Ferdinand, le chéri de ces dames traînant tous les cœurs après soi et entraînant à un train d’enfer tout le monde de Paris à La Palisse et retour. De même, le rôle déjà fade de demoiselle bien tranquille face à tant de parisiennes excitées en mal de beauté et de mâle, hirsutes, emperruquées, ébouriffées, ébouriffantes, prêtes à se crêper le chignon pour lui, n’est pas bien compensé par la voix à l’aigu un peu ingrat de la sage Gabrielle à la queue de cheval (je crois) de Camille Mesnard, dont on ne doute pas qu’elle le corrigera. Même dans un rôle secondaire, la Clémentine de Sabrina Kilouli tire joliment son épingle du jeu tandis que Perrine Cabassus, sexy et sûre de ses charmes, a des armes de battante pour reconquérir l’amant volage, le disputant férocement aux autres candidates.

Quant à la Zénaïde de Julie Morgane, en mal fagotée servante peu maîtresse pour se faire aimer du maître aimé, à elle seule, si le spectacle n’avait tant d’autre atouts, vaudrait pour le tout : grande et souple sauterelle dégingandée, chanteuse, diseuse variant de tons et timbres de voix, mime, danseuse, acrobate, déjà dans sa scène en solo, sa danse du balai et du seau, elle est théâtre à elle seule, digne héritière au féminin d’un Charlot, et sachant même, comme lui faire douce et touchante émotion de ses échecs, quand elle bûche ou trébuche simplement. On l’a connue en parfaite osmose de danseuse saltimbanque avec Grégory Juppin, ici, on lui découvre un autre digne partenaire, dansant, chantant, sautant espérant la sauter, Nicolas Soulié, dans ses petits souliers de la réprimande de ses gaffes innocentes et inconscientes trahisons, moteur second de la décoiffante histoire puisque tout le salon de coiffure se retrouve en beauté emboîté dans l’auberge du père de Gabrielle dont il a maladroitement éventé l’adresse, un bougon et tonnant Montaron, Didier Clusel, amateur d’échecs, dont les pièces s’impriment sur les murs, en compétition avec le modèle réduit mais grandiose jaloux Bolivar d’Alvaro Ruault à la romantique chevelure, roquet râleur, qui, plus que parler, semble aboyer et mordre.

Hyacinthe, du nom de l’amant d’Apollon, tué par le disque solaire du dieu dévié par le jaloux Zéphyre, du sang duquel naîtra, par la grâce de la métamorphose, la fleur de ce nom, est le patron du salon de beauté parisien. Maniéré, efféminé au-delà de la frontière du genre à voile et à vapeurs d’angoisse de tout perdre sans le prêt de la Brésilienne, on ne dira pas qu’un rien l’habille puisque, sinon à poil en pyjama satin et plumes ou en kilt écossais ou poncho andin. Il est incarné avec un naturel, qui en cache tout l’art subtil, par Claude Deschamps, figure de clown mélancolique qui affecte de sourire et nous fait rire, sans doute pour ne pas pleurer les vraies larmes refoulées de tous ceux qui eurent et ont encore à souffrir de ce que la pudibonderie, l’hypocrisie actuelle, appelle leur « orientation sexuelle », leur « différence », bref, du nom précis et en rien infamant : l’homosexualité, comme si « aimer le même », son propre sexe était un crime. L’état vient justement de reconnaître son propre crime d’avoir si longtemps discriminé, criminalisé pénalement les homosexuels jusqu’à la loi Forni de 1982, qui abrogeait définitivement le « délit d'homosexualité ».

En 1948, création de l’opérette, au sortir de la guerre, la Libération n’étant pas forcément celle des mœurs, on ne sait comment le public pouvait appréhender le personnage scénique de l’homosexuel Hyacinthe. Deschamps joue de tous les clichés, de toute la rhétorique gestique et vocale du stéréotype scénique de l’homosexuel qui, finalement, était une figure pratiquement folklorique et bon enfant, héritée dans le spectacle et la tradition théâtrale. Aujourd’hui, comme si être « noir » était infâme et « homo » injurieux, on dit hypocritement « black » et « gay », drapant en Tartufe dans une autre langue un politiquement correct qui cache encore hypocritement ce qu’on ne saurait voir. C’est la pudibonderie linguistique qui fait, révèle et souligne l’injure dans l’esprit de celui qui s’y range pour ne pas soi-disant déranger. Mais, si bien servi, le personnage d’Hyacinthe, comme je l’avais déjà dit, avec juste une gauloise gaudriole inversée, ni grivois, ni graveleux, ni grossier, dans une opérette bon enfant, heureux signe des temps moins oppressants pour l’homo, nous fait rire sans arrière-pensée, sans aucune méchanceté : simplement parce qu’il est drôle et non bizarre.



Quatre jours à Paris

Opérette en deux actes et six tableaux

Livret de Raymond Vincy et Albert Wullemetz

Musique de Francis Lopez

Théâtre Odéon,

 

NOUVELLE PRODUCTION

Direction musicale : Bruno CONTI
Mise en scène et chorégraphie : Carole CLIN

Gabrielle : Camille MESNARD
Amparita : Marie GLORIEUX
Zénaïde : Julie MORGANE
Simone : Perrine CABASSUD
Clémentine : Sabrina KILOULI

Ferdinand : Fabrice TODARO
Nicolas : Nicolas SOULIÉ
Hyacinthe : Claude DESCHAMPS
Bolivar : Alvaro RUAULT
Montaron : Didier CLUSEL 
Le Professeur :  Jean GOLTIER

Orchestre de l‘Odéon

 

Photos Christian Dresse 

1. Nicolas, Amparito, Ferdinand, Hyacinthe ;

2. Nicolas et Ferdinand ;

3. Salon de beauté op art ;

4. Hyacinthe et Amparita ;

5. Le poulailler de La Palisse ;

6. Ferdinand et Gabrielle ;  

7. Bolivar et Simone; 

8. Zénaïde ; 

9. Ferdinand, Simone, Hyacinthe.



samedi, mars 02, 2024

 

PAGANINI

FRANZ LEHÁR

Odéon, 24 février

         Du même Franz Lehár, mais ultérieur, Paganini semble le triste veuf de la Veuve Joyeuse : tout le monde connaît la Veuve joyeuse et presque tout le monde ignore Paganini. C’est une opérette en trois actes sur un livret allemand de Paul Knepler et de Béla Jenbach, qui fut créée à Vienne en 1925, la Veuve, en 1905. Mais peut-être l’effervescence légère d’une œuvre viennoise et grivoise d’avant la Grande Guerre n’était-elle plus possible dans une Autriche vaincue, déchue de son titre d’Empire, ratatinée en un mince état, déjà en proie aux premières fièvres malignes du fascisme revanchard, alors que l’Europe des vainqueurs, comme pour exorciser les horreurs à peine passées, les effacer, entrait dans les frénésies des Années folles.

Il est vrai aussi que la Veuve héritait d’un livret inspiré d’une malicieuse pièce d’Henry Meilhac, cher à Offenbach, dans la tradition bien française du vaudeville en vrille et son lot risible et irrésistible de maris toujours potentiellement cocus, alors qu’ici, corseté par l’Histoire vraie, l’adultère parallèle du couple princier, chacun son favori ou favorite, relève plus de la symétrie conjugale établie que de la fringale érotique qui semble tenailler le seul Pimpinelli, Gentilhomme de la chambre, qui ne garnit guère la sienne de poules ou poulettes, ombre lointaine déplumée du coq Danilo de la Veuve, volant  à la ronde de la brune à la blonde. Alors, on ne sait, problème peut-être aussi de la traduction française d’une tradition et d’un humour allemand étrangers à notre sensibilité nationale, il n’y a pas trop matière à rire ou sourire, selon nos habitudes du genre, sauf au dernier acte, dans l’auberge, le duo, trop court de deux patibulaires contrebandiers.

         La musique, dès le beau solo de violon (Alexandra Jouannié) est pourtant de belle facture de bout en bout, raffinée, très lyrique, avec des danses à la mode du temps, moins de valses, mais des rythmes légers de fox-trot ou vague charleston, des exotismes hispaniques et cubains, et les inévitables couleurs bohémiennes. Mais il manque ce rien qui fait tout, peut-être une simplicité, une naïveté qui fait qu’un air vous habite, vous hante et ne quitte plus jamais la mémoire.

LIEUX ET PERSONNAGES

Une princesse musicienne

D’une principauté imaginaire de la Veuve, on passe à de vrais princes, du moins surgis de l’imagination concrète du magicien réaliste Napoléon Bonaparte qui fait valser les trônes d’Europe et les donne principalement à sa famille, à ses proches, à ses amis et alliés. Comme, à l’occasion de l’installation de sa famille à Marseille en 1795, il s’était fiancé à Désirée Clary (qui deviendra tout de même reine de Suède en épousant le général Bernadotte, dont les descendants règnent toujours sur ce pays), sa sœur, née Maria-Anna, mais connue comme Élisa par le surnom de son frère préféré Lucien, qu’elle adopte comme prénom officiel, malgré les réticences de Napoléon, épousera à Marseille le médiocre capitaine Félix Baciocchi.

Avec l’avènement de l’Empire, l’Empereur les nomme princes d’un petit territoire de Toscane pouvant verrouiller l’île d’Elbe et la Corse. Mais, à part les affaires militaires qui incombent à Félix, la réalité du gouvernement est assumée par Élisa, la seule sœur de Napoléon à avoir possédé de réels pouvoirs politiques avec une compétence qui lui sera reconnue. Elle est donc princesse de Piombino et de Lucques et, par la grâce de son frère, elle deviendra Grande-Duchesse de Toscane en 1809.

Née à Ajaccio en 1777, grâce à une bourse de la d’abord démocratique Révolution, elle fait de solides études dans l’aristocratique Saint-Cyr de Madame de Maintenon maintenue encore un temps par la République avant son abolition, et manifeste un goût prononcé pour les arts, notamment la musique et le théâtre. Dans la principauté de Lucques, elle règne en souveraine éclairée, réformatrice avisée, créant des écoles pour les filles, leur offrant une éducation émancipée de la chape religieuse. C’est là qu’elle rencontre Paganini et s’en éprend : il a vingt-trois ans, elle, vingt-huit. L’opérette met en scène cette rencontre.

Le prince (des ténèbres) des musiciens

Le mythique violoniste Niccolò Paganini, naît à Gênes en 1782 et mourra en 1840 à Nice où, après une carrière glorieuse dans toute l’Europe, malade, isolé, il enseignait le violon. Il était aussi compositeur, altiste, guitariste, la guitare était sa passion. Il a écrit plus de cent pièces pour violon et guitare ainsi que pour guitare seule et, dans certains concerts, joue des deux instruments. Mais il passe pour l’incarnation même du violon, on le considère comme l’un des meilleurs violonistes de tous les temps, à coup sûr il est le plus célèbre virtuose du violon du XIXe siècle. Franz Liszt, qui fera ses variations sur ses œuvres, en dit ceci :

« La grandeur de son génie est inégalable, insurpassable, et exclut même l’idée d’un successeur. Personne ne sera jamais capable de suivre ses traces ; aucun nom n’égalera sa gloire. » 

Dans ses Vingt-quatre Caprices pour violon solo, il met en pratique la technique moderne du violon, révolutionnaire en son temps, une étape importante dans l’histoire de la musique et celle de l’instrument. 

         Balzac signalait sa « puissance magnétiquement communicatrice ». Il fascinait. Il eut une gloire qu’on dirait aujourd’hui de rock star, payé son poids en or  en un an. Il jouait sans partition, préférant tout mémoriser, capable de jouer jusqu’à douze notes par seconde, disait-on. Sa virtuosité était telle que naquit la légende de son pacte avec le Diable. Long et maigre à faire peur, dégingandé, Paganini est aussi surnommé « l’Homme Élastique ». De nombreuses rumeurs effrayantes circulaient à son sujet. On aurait vu son double avec des cornes et des sabots ; il aurait tué des femmes et emprisonné leurs âmes dans son instrument… On pense maintenant que cette déformation, longiligne, dont celle de ses doigts qui lui permettaient des doigtés impossibles aux autres violonistes, était probablement due à une maladie génétique, identifiée aujourd’hui comme le Syndrome de Marfan ou le Syndrome d'Ehlers-Danlos. Mais il est vrai que, pour cette virtuosité exceptionnelle, on l’appelait le « Violoniste du Diable. »

Cela joua un mauvais tour à sa mort à Nice. Ayant commandé cent messes pour son âme, sentant sa fin venir, il fit appeler un curé, pas très fin avec le célèbre mourant puisqu’il salua l’illustre agonisant, selon le témoignage de sa bonne, d’un rigolard :

« Alors, monsieur Paganini, maintenant, c'est plus le moment de jouer du crin-crin !»

Piqué au vif, dans un sursaut de vie, le moribond mit à la porte le peu délicat chanoine et l’on raconta que le « Violoniste du Diable » avait refusé les sacrements. L’enterrement religieux lui est interdit, ainsi que l’inhumation en terre consacrée. Mais des amis embaument le corps, l’exposent non sans problèmes avec cette réputation diabolique, sont obligés de la cacher à Villefranche, puis chez lui à Gênes, puis à Parme en 1853. Puis, trente-six ans après sa mort, en 1876, le pape Pie IX l’ayant réhabilité, le corps est transporté solennellement au cimetière de Parme mais, celui-ci déclassé, on le déménage encore. Après un tel périple post mortem, certains doutent de l’authenticité du corps, si bien qu’en 1893, il est exhumé en présence de son fils, puis encore en 1896 et encore en 1940 pour le centenaire de sa mort. Voilà ce que coûte une légende.

Paganini a inspiré nombre d’œuvres, des romans et, depuis le cinéma muet, une dizaine de films, jusqu’en 2013, dont un réalisé par le fameux acteur Klaus Kinski qui joue lui-même le violoniste.

RÉALISATION ET INTERPRÉTATION

Mais notre opérette, à part quelques cris d’un énergumène au début dénonçant le Diable à l’audition d’une acrobatique mélodie de violon issue d’un pavillon face à l’auberge, puis une autre allusion à la fin, ne tire rien de cette légende, s’en tenant à l’épisode amoureux de sa vie avec l’exceptionnelle Anna Élisa, dont l’air d’entrée, de présentation, est une sorte d’hymne glorieux à son frère l’Empereur Napoléon. En costume rouge d’amazone, haut de forme en tête et cravache à la main, Perrine Madoeuf, voix ronde, souple, charnue, timbre doucement sensuel, a d’emblée une autorité scénique et vocale, une majesté joyeuse, joueuse dans la partie de dupe face au musicien que, subjuguée par sa musique, elle se fait présenter, lequel, succombant à ses charmes, lui déclare sa flamme sans savoir encore son identité, mince quiproquo, de l’intrigue.

En élégante casaque rouge, le prince Felice (Joris Conquet), beau timbre pour peu de chant, est de très bonne tenue sinon conduite, toujours escorté de sa favorite au nez du peuple et sa femme, cédant aux craintes superstitieuses des villageois, interdit le concert du virtuose du lendemain. Faisant fi des racontars, l’habile princesse retourne son époux comme un gant de chasse et, après quelques malentendus et caprices de l’artiste vexé qui veut et ne veut plus, on sait que le concert à Lucques aura lieu et l’Histoire nous confirme que, émerveillée de son talent musical, la Princesse énamourée le nomme chef de son orchestre. Loin de croire à la musique infernale, elle chantera plutôt « l’amour, paradis sur terre » (Liebe, du Himmel auf Erden ) assurément l’un des plus beaux passages lyriques de la pièce.

S’il n’a pas la hauteur et maigreur effrayante de l’original, brun de belle allure et figure, Sammy Camps, visage encadré de favoris à la mode du temps, est une parfaite incarnation de héros romantique et même, en ombre chinoise du virtuose en ses gestes qu’on imagine d’Alexandra Jouannié, violoniste de l’orchestre à la fête arrachée pour un solo de la fosse à la coulisse, mais invisible toujours…La voix claire de ténor du chanteur a muri, s’est élargie, enrichie dans le médium et le grave de belles couleurs, gardant puissance et projection et, surtout, cette juste passion d’excellent acteur. Il forme un beau couple de jeunes premiers avec Madœuf.

Nécessaire copie des comédies, ombre comique du premier, très réussi également, le couple second est incarné, en rondeur, par Pimpinelli, Fabrice Todaro, chaleureux baryton et, toute en élasticité, le régal de Julie Morgane, morgue railleuse, Bella diva, divette, glissant comme dansante savonnette, équilibriste acrobate, des bras du Prince à ceux du Gentilhomme qui en pince et de Paganini enfin, glissant de tous les doigts féminins pour réserver les siens, divins ou diaboliques, aux cordes seules de son instrument qui assureront sa gloire et sa fortune après sa fuite de Lucques. L’éternel amoureux Pimpinelli, de la Chambre Gentilhomme, harceleur de la gent féminine, sera à son tour harcelé sur place sinon chambre par la gente Dame Comtesse de Laplace, une gourmande sinon gourgandine à grave voix et gorge déployée, Cécile Gallois, qu’on a toujours plaisir à entendre comme toute cette troupe rôdée, je dirais cette famille de l’Odéon, sachant toujours, même avec peu ou pas du tout à chanter, exister, jouer, bref rendre possible le théâtre, l’opérette : Jean-Claude Calon, Bartucci ; Philippe Béranger, Beppo / Marco ; Dominique Desmons, Foletto / Emmanuel ; Antoine Bonelli, l’Aubergiste / le1 er Gendarme, Damien Barra, le second.

         Les costumes (Opéra de Marseille) sont d’une belle et juste élégance historique, très harmonieux en couleurs, et le décor (Loran Martinel), traditionnel carton-pâte du premier acte est d’un sobre raffinement au second, un simple fond de bleu sombre fondu, avec un canapé Joséphine ou Récamier et, au dernier acte, une inventive picaresque auberge avec cet immense tonneau issue de secours des contrebandiers, où les costumes folkloriques, jupes et chemises rouges, sont magnifiés par la chorégraphie  joliment populaire d’Anne-Céline Pic-Savary.

         Comme toujours, on apprécie la claire mise en scène de Carole Clin, attentive au jeu, à son art de conjuguer harmonieusement les masses, presque de conjurer à l’aise, sur cette scène étroite, ses troupes qu’elle mène d’une baguette aussi ferme que celle du chef Federico Tibone à la tête de l’Orchestre de l’Odéon, aussi bien tenu pour cette musique de qualité qu’il nous révèle, autant que le Chœur Phocéen mené par Rémi Litolff. Oui, nous aimons aimer notre Odéon.

         La passion scandaleuse, adultère, entre Élise et Paganini, inquiète moins le mari, lui-même exhibant sa maîtresse, que Napoléon au loin, qui tente de se réconcilier avec le Saint-Siège moralisateur, et dépêche un empanaché Général d’Hédouville (Jean-Luc Épitalon) pour arrêter Paganini. Qui s’enfuira, seul dans l’opérette, mais en réalité avec la cantatrice maîtresse du prince avec laquelle il passera un moment de sa vie. 

 

PAGANINI

FRANZ LEHÁR

OPÉRETTE EN 3 ACTES

NOUVELLE PRODUCTION

Direction d’orchestre Federico Tibone

 

Mise en scène : Carole Clin

Assistante de réalisation :  Luigia Frattaroli

Chorégraphie : Anne-Céline Pic-Savary

Costumes : Opéra de Marseille

Décors : Loran MARTINEL

Chœur Phocéen

Orchestre de l’Odéon

violon solo : Alexandra Jouannié

Distribution :

Anna Elisa : Perrine Madoeuf

Bella : Julie Morgane

La comtesse de Laplace / Caroline : Cécile Gallois

Anita : Sabrina Kilouli

Paganini : Samy Camps

Bartucci : Jean-Claude Calon

Pimpinelli : Fabrice Todaro

Beppo/Marco : Philippe Béranger

Le général : Jean-Luc Epitalon

Le prince Felice : Joris Conquet

Foletto/Emmanuel : Dominique Desmons

L’aubergiste : Antoine Bonelli

2e gendarme : Damien Barra

Orchestre de l‘Odéon :

Violon solo Alexandra JOUANNIÉ
Benoît SALMON, Alina FAIRUSHINA, Marie HAFIZ NICOLINI, Hélène CLÉMENT, Isabelle RIEU, Samia ZIDI, Aurélie ENTRINGER, Pierre NENTWIG, Jean Florent GABRIEL, Sylvain ZACKARIN, Virginie ROBINOT, Linda AMRANI, Benoît PHILIPPE, Stephan BRUNO, Marc BOYER, Luc VALCKENAERE, Olivier GILLET, Alexandre RÉGIS

Chœur Phocéen. Chef de chœur : Rémi LITOLFF

Fiorella ALESSANDRA, Snezhana CHOPIAN, Sabrina KILOULI, Davina KINT, Rosanne LAUT, Esma MEHDAOUI, Damien BARRA, Laurent BŒUF, Angelo CITRINITI, Corentin CUVELIER, Jacques FRESCHEL, Clément PONS

Ballet :  Cloé ALEXANDRE, Anne-Céline PIC-SAVARY, Marie GIBAUD, Guillaume REVAUD, Rudy SBRIZZI, Vincent TAPIA

PHOTOS : Christian DRESSE

1. La Princesse et sa suite ;

2. Élisa et Paganini; 

3. Pimpinelli et Bella ;

4. Pimpinelli et la comtesse ; 

5. Menuet à la cour ;

6. Danse à l'auberge ;

7. Pittoresque et picaresque auberge.

 

lundi, février 12, 2024

LA TRAVIATA

 


            LA TRAVIATA

(1853)

de Giuseppe Verdi,

livret de Francesco Maria Piave

La Dame aux camélias (1852),

drame d’Alexandre Dumas fils

tiré de son roman éponyme (1848)

Opéra de Marseille

Dimanche 11 février

(Je reprends ici, en le rafraîchissant un peu, mon texte de présentation de l‘œuvre puisqu'il s'agit de la même mise en scène)

« Ô Dieu, mourir si jeune… », s’écrie la malheureuse phtisique dans l’un de ses derniers spasmes. La chance des morts, c’est qu’ils ne vieillissent pas. Palme de martyre et privilège des Mozart, Schubert, fixés dans la jeunesse d’une œuvre éternelle, tels James Dean, Marylin Monroe qu’une fin prématurée fixe dans l’éternité de leur jeune beauté, ou même une Greta Garbo, admirable Marguerite Gautier, qui sut rompre à temps le miroir par sa mort publique pour se conserver éternellement belle dans la mémoire par la perfection de son image de cinéma.

Une héroïne sans futur pour une œuvre qui ne vieillit pas dans une réalisation déjà ancienne de Renée Auphan, réalisée par Yves Coudray, mais qui n’a pas pris une ride. L’Opéra de Marseille finissait et commençait une année par le pathos de la pathologie romantique.

L’œuvre : sources

Faut-il encore raconter l’aventure de cette « Dévoyée », sortie de la bonne voie, de cette Violetta Valéry verdienne tirée du roman autobiographique La Dame aux camélias (1848) d’Alexandre Dumas fils ? Il en fera un mélodrame en 1851, qui touchera Verdi. Alexandre Dumas fils était l’amant de cœur de la courtisane Marie Duplessis qui inspire le personnage de Marguerite Gautier, maîtresse un temps de Liszt, morte à vingt-cinq ans de tuberculose. Le jeune et alors pauvre Alexandre, offrira plus tard à Sarah Bernhardt, pour la remercier d’avoir assuré le triomphe mondial de sa pièce qui fait sa richesse, sa lettre de rupture avec celle qu’on appelait la Dame aux camélias, dont il résume l’un des aspects cachés du drame vécu :

« Ma chère Marie, je ne suis pas assez riche pour vous aimer comme je voudrais, ni assez pauvre pour être aimé comme vous voudriez… »

 

Noble mais fausse rupture comme il y a de fausses sorties au théâtre, puisque Armand Duval, dans le roman, s’accommodera assez aisément du vieux duc, qui loue même la maison de campagne qui abriteront ses amours non tarifées avec la courtisane amoureuse qui l’embrasse triomphalement :

« Ah, mon cher, vous n’êtes pas malheureux, c’est un millionnaire qui fait votre lit. »

Car le roman est d’une cruelle crudité financière sans fard. C’est l’entremetteuse et profiteuse Prudence, cocotte sur le retour, de ces amies « dont l’amitié va jusqu’à la servitude mais jamais jusqu’au désintéressement », qui énonce longuement au jeune amoureux idéaliste les exigences du train de vie fastueux d’une courtisane : trois ou quatre amants sont au moins nécessaires pour en entretenir une seule. Marguerite, fort cotée, en a deux officiels, le Comte G… et le vieux Duc richissime pour subvenir à ses immenses besoins : l’amant de cœur en est d’abord réduit à guetter qu’ils sortent de chez elle pour y entrer la retrouver. Ce seront d’ailleurs les seuls à son enterrement.  

Histoire d’argent

La vénalité amoureuse, juste présente dans l’opéra par la scène de jeu du second tableau de l’acte III, est thème essentiel du roman. L’argent est le cœur de l’histoire d’amour. Le père de son amant exige le sacrifice de la courtisane car il redoute que les amours scandaleuses de son fils avec une poule de luxe ne compromettent le mariage de sa fille dans une famille où on ne sait si la morale ou l’argent fait loi. On y craint surtout que le fils prodigue ne dilapide l’héritage familial en cette époque où le ministre Guizot venait de dicter aux bourgeois leur grande morale : « Enrichissez-vous ! » Bourgeoisie triomphante, pudibonde côté cour mais dépravée côté jardin, jardin même pas très intérieur, encore moins secret, cultivé au grand jour des nuits de débauche officielles avec des lionnes, des « horizontales », des hétaïres, des courtisanes affectées (et infectées) au plaisir masculin que les messieurs bien dénient à leur femme légitime. Sans compter le menu fretin inférieur des grisettes, des lorettes, racoleuses de Notre-Dame-des-Lorettes.

En tous les cas, ni l’amie Prudence, ni même Marguerite, ne cachent au jeune amant de cœur la nécessité des amis de portefeuille : Marguerite dépense 100 000 fr (de l’époque) par an, en a 30 000 de dettes ; le duc lui en octroie annuellement 70 000 (somme qu’elle refuse honnêtement d’augmenter), et l’on peut supposer que le comte G. pourvoie au reste, mais le compte n’y est pas dans la fuite en avant des dépenses. Alors, le malheureux Armand avec ses 7 000 ou 8 000 fr de rente par an, ce qu'elle avoue dépenser par mois, peut se rhabiller, pauvre et nu…Fière de son plan campagnard, sa cure d’amour et d’air frais avec le jeune amant, Marguerite,  loin de tout saborder  et quitter de son monde et de son gagne-pain comme la Violetta de l'opéra, fait cyniquement financer la location de la maison de campagne par le duc, refusant tout de même, par élégance morale, de lui faire assumer les frais du séjour à l’auberge voisine d’Armand, qu’elle paie elle-même, pour préserver les apparences et la dignité du vieil amant payeur. Elle n’invite à demeure le jeune, un certain temps, que parmi d’autres de ses amis, causant la rupture avec le duc qui s’en scandalise en arrivant de manière inopinée au milieu d’un repas où il fait figure de barbon grincheux trouble-fête.  

Demi-monde fastueux

Alexandre Dumas, digne fils de son géniteur, qui disait tout fier de son rejeton marchant sur ses pas qu’il « usait les vieilles chaussures et les vieilles maîtresses de son père », tous deux ayant la même « pointure », s’était fait une spécialité de scandale de la description du monde de la galanterie parisienne. C’est sans doute à sa pièce Le Demi-Monde (1855) que l’on doit le terme de demi-mondaine pour définir ces prostituées de haut vol, pratiquement toutes issues du peuple mais que leur luxe et souvent leur raffinement final feront arbitres des élégances, imposant même leur mode aux femmes du monde les plus huppées, aux aristocrates, courtisanes anoblies souvent par des mariages prestigieux.

Qu’on songe, pour ne s’en tenir qu’aux strictement contemporaines, à Lola Montès, l’Irlandaise fausse danseuse espagnole, sans doute amante, entre autres, des Dumas père et fils, parcourant toute l’Europe, multipliant scandales et mariages, bigame, séduisant Wagner, Liszt (contraint de fuir ses fureurs), des princes, devenue comtesse de Lansfeld, entraînant à Munich émeutes, révolution en 1848 et la chute de Louis 1er de Bavière, son amant protecteur, contraint d’abdiquer, avant de finir, après avoir écumé les États-Unis et même l’Australie d’une pièce à sa gloire, ruinée et confite en dévotion.

Sans allonger la liste des horizontales finissant bien debout plus titrées que maltraitées comme la pauvre Marguerite/Violetta, on croit rêver à lire la vie de la Païva, de sa lointaine et misérable Russie, épousant et divorçant d’aristocrates allemand, anglais, et gardant son nom du titre de marquise portugaise qu’elle conserve après la ruine de cet autre malheureux époux. De ses immenses et innombrables propriétés, on peut juger par le somptueux hôtel particulier du 25 Champs-Élysées, aux grilles noires et dorées, dont Dumas père disait sarcastiquement, lors de sa construction :

« C’est presque fini, il manque le trottoir ».

Demeure vite appelée par les rieurs non payeurs, jouant sur son nom :

« Qui paye y va ».

Même Napoléon III.

La chair est chère, dirait-on. Mais sûrement rentable, chacun y trouvant son compte, en banque pour la courtisane entretenue, en prestige social, précieuse monnaie d’échange pour l’homme dont le train de vie se mesure à celui qu’il offre à sa maîtresse officielle, affichant par-là, pour les affaires autres que d’amour, qu’il est solvable et fiable. D’où la surenchère avec les concurrents, et le triomphe des amours-propres et non de l’amour. Marguerite Gautier, avec une amertume lucide, l’explique à son jeune amant, fauché à cette échelle de valeurs monétaires vertigineuses :

« Nous avons des amants égoïstes qui dépensent leur fortune non pas pour nous comme ils disent, mais pour leur vanité. […] Nous ne nous appartenons plus. Nous ne sommes plus des êtres mais des choses. Nous sommes les premières dans leur amour propre, les dernières dans leur estime. »

Un amant de cœur, une fleur à la main, une larme à l’œil comme dit Marguerite, faisant secrètement antichambre tandis que le « payeur » (comme disait déjà Ninon de Lenclos) est encore dans la chambre, c’est donc comme une revanche de l’amour sur l’amour-propre épidermique.

Il faut dire aussi que la jeune Marie Duplessis, prise en mains par son premier amant aristocrate, en reçut éducation et manières (elle joue au piano l’Invitation à la valse de Weber, même si elle avoue buter sur un passage en dièse), alors que, six ans auparavant, elle ne savait pas écrire son nom comme elle le confesse sans fard à Armand. Elle est spirituelle, lit Manon Lescaut, et ne rate pas une première à l’Opéra ou au théâtre, terrain de chasse certes, où elle ne passe jamais inaperçue malgré son élégante discrétion : un noble amant se doit aussi d’être fier de la femme qu’il affiche à son bras. Elle tiendra un salon littéraire et politique. D’ailleurs, le fidèle Comte de Perregaux l’épouse à Londres, la faisant comtesse même si lassée, elle rentre à Paris, reprend son ancienne vie et meurt l’année suivante, après un an d’amour avec Alexandre Dumas fils qui l’immortalise en Marguerite Gautier.

Elle habitait Boulevard de la Madeleine, mais Dumas fils lui donne un « magnifique appartement » Rue d’Antin.

Le rideau se lève sur un vaste salon digne d’elle.

Réalisation et interprétation

« Pour être moderne, soyons classique ! » s’exclamait Jean Cocteau au début des années 20 pour protester contre certaines dérives artistiques. Depuis un demi-siècle déjà, on redoute, au lever de rideau d’une œuvre classique, le traitement, souvent affligeant que va lui infliger un metteur en scène en mal d’originalité, qui se sentirait déshonoré de respecter l’œuvre pour ce qu’elle est. Austères en ligne, n’était-ce la sombre beauté du ronce de noyer aux délicates veinures fondues de marron, ces murs lisses tissent une élégante et sobre harmonie sur laquelle affleure l’efflorescence de robes floues des femmes, des dames, en délicates teintes pastels, parme, vaguement rose, bleu pâle, paille, délivrées du carcan des crinolines ou raides cerceaux mortificateurs qui auraient signé, avec des coiffures datées, une époque précise. Les habits des hommes sont aussi des smokings libérés d’un temps figé, celui des courtisanes célèbres ayant eu pour butoir la Grande Guerre.

La scène n’est pas encombrée de meubles : tentures dorées sur le miel ambiant, candélabres, ce canapé  bleu nuit ou noir déjà funèbre qui, à la couleur près, pourrait être Récamier, sauf que les dames, avec la nonchalance des Femmes au jardin de Monet ou autres peintres, préfèrent s’assoir souplement par terre ou des poufs, je ne sais ni vois, à l'espagnole, fleurs écloses épanouies sur les pétales étales de leur robe, qui ont toute l’élégance raffinée de costumes de Katia Duflot.

Ce beau monde semble plus le monde que le demi-monde, sans doute assez juste historiquement pour Marie Duplessis qui tenait salon mondain, littéraire et politique, les amants protecteurs pouvant aussi, recevant chez leur maîtresse, y recevoir des gens d’un autre monde qui n’auraient jamais été reçus dans le leur, pour brasser officieusement des affaires impossibles à étaler au grand jour officiel. Mais cette élégance, c’est sans doute aussi une façon pour la metteure en scène à l’origine, puis son réalisateur, Yves Coudray, sa décoratrice et sa costumière, beau trio de dames de la production initiale, de dignifier ces femmes souvent décriées et réprouvées par la morale ambiante de surface de leur société corsetée dans les préjugés. On rappellera que, par la volonté d’Audrey Hepburn de faire porter à son héroïne, une humble call girl, une robe noire de Givenchy et de magnifiques chapeaux, la modeste Holly de Diamants sur canapé, atteint à une sorte de mythe de l’élégance féminine. C’est justement au nom de ces belles manières dont devaient faire montre en public les courtisanes, pour racheter par la forme le jour l’informalité de leurs nuits, que je m’étonnais à l’époque, de la familiarité de ces bises prodiguées dans la première scène. Les baise-mains plus mondains ont remplacé, me semble-t-il, aujourd’hui, la familiarité à mon goût excessive de la production initiale.

On apprécie le même décor varié, contraste vif avec le salon moins poli, plus polisson que policé, presque canaille de Flora, olé-olé précisément avec ces toréros de mauvais goût, (ils ne le seront jamais au mien) ces bohémiennes surgies d’un faux arrière-théâtre ou de coulisses sombres de la vie. Le regard complice mais égrillard de Flora à son amie au premier acte en était déjà une aguicheuse annonce. Souveraine courtisane digne d’une cour royale mais ici encanaillée, la sculpturale Laurence Janot, roturière ou prolétaire du sexe même paré à la mode du jour, exhibant fièrement la marchandise, jambes sous robe fendue dans sa bacchanale affriolante, affolant ses invités et le public, est l'envers et revers de Violetta : ludique et non pudique maîtresse, dominatrice même avec son juvénile et rieur marquis, Frédéric Cornille, qui affecte d’entrer avec complaisance dans le jeu public de l’amant soumis pour on ne sait quels jeux secrets. Ce joyeux drille est aussi un contraste bien vu avec le sombre baron bourru, bourré sans doute, le protecteur de Violetta, à la morgue déplaisante du premier acte, la tenant par les épaules comme sa propriété mais avouant sèchement n’être pas venu la voir durant ses mois de maladie car il ne la connaît que depuis un an, alors qu’Alfredo, sans la connaître encore, est venu tous les jours prendre de ses nouvelles. Son attitude en retrait apparent préfigure sa meurtrière jalousie frustrée, même s’il ne me semble pas avoir vu le défi inévitable pour le duel qui l’opposera à Alfredo, dont apprend qu'il l'a blessé, contraint à l'exil. Carl Ghazarossian est le Gaston qui complète au mieux et ferme la trilogie des fêtards particularisés, s’opposant à la violence insultante d’Alfredo contre Violetta effondrée. 

Dans ces rôles secondaires, forcément nécessaires, Svetlana Lifar prête à une fidèle Annina, la chaleur et la rondeur de sa belle voix maternelle, peut-être aussi de mère-maquerelle, chambrière réglant les contrats pour les rencontres en chambre, garde-malade fidèle de la courtisane. À l’acte II, c’est une juste attitude de reproche qu’elle manifeste envers l’inconscience d’Alfredo sur son nuage, qui n’a pas l’air de voir que quelque chose cloche dans le pied sur lequel il vit. 

Cette subtile attention à tous les personnages est comme une signature de Renée Auphan qui a toujours rendu l’opéra au théâtre, à un théâtre qui n’ignore ni le cinéma ni la télévision, par un travail d’acteurs qui bannit toute outrance du jeu qui y deviendrait insupportable dans les gros plans. Heureuse idée, justement, de faire vivre une de ces silhouettes, c’est le cas du Docteur Grenvil, incarné en de trop brèves phrases par la sombre  et large voix de Yuri Kissin, mais qui existe ici, même muet, dans l’acte II puisque, belle trouvaille, visiteur dans l’heureuse campagne de Violetta et Alfredo, il en signifie certes que la cure d'air et d'amour lui réussit, qu’elle va mieux, mais que rien n'est gagné, la maladie est toujours là, devenant, sans dire mot, le confident privilégié du jeune amant enthousiaste, donnant une vérité à un air monologue en général adressé au vent.  

Dans cet acte, l’intelligente et belle structure unique du décor de Christine Marest, permet, avec les éclairages sobrement et sombrement expressifs mais différenciés de Roberto Venturi, sans hiatus, le changement, le passage du I à l’acte II campagnard : des plantes d’agrément, un canapé et un fauteuil beige clair, plus marqués néo Louis XV Second Empire ou 1900, et des vêtements intemporels d’Alfredo, sur les mêmes parois marrons allégées de lumière, des camaïeux de bis, bistre, crème, miel glacé, et sur la brise un grand voilage comme invitant au voyage.

Un univers à la paix retrouvée, animée des apparitions nécessaires du commissionnaire de la lettre fatale Norbert Dol, du Giuseppe de Jean-Vital Petit et du serviteur Thomasz Hajok, que vient troubler, avec le crépuscule puis la nuit tombante des rêves de Violetta, l’intrusion douce mais violente de Germont, père d’Alfredo.

Comme issu d’une austère Provence huguenote, costume strict, noir, la raideur d’un col ecclésial et une croix au revers de sa veste lui donnent l’air sévère d’un pasteur qui n’est pas un bon berger, oiseau moralisateur de mauvais augure pour la jeune femme rédimée par l’amour, par la clémence de Dieu, mais condamnée par les hommes. Dans cette mise en scène sensible sans sensiblerie,  Jérôme Boutillier, dont c’est une magistrale prise de rôle, se coule, dans un personnage qui pourrait être mais n’est pas odieux maqis d'une complexe et contradictoire humanité. La voix est belle, égale, chaude, bien conduite, toute en nuances expressives, émotives. Certes, il oppose la culpabilisante image de la fille angélique à la fille perdue, mais en rien diabolique, dont il admire d'emblée les bonnes manières qui le font changer aussitôt de registre avec elle, abandonnant sa rudesse première pour un ton courtois, presque déférent quand il apprend que, loin de ruiner son fils, elle se ruine pour lui. Il exprime le regret du passé qui condamne Violetta mais ne joue pas les Pères la Vertu mais le père éperdu par le souci de ses enfants. L’inévitable chantage aux larmes émotionnel sur la fille devient compassion et partage avec la « dévoyée » (« Piangi, piangi, o misera… ») pour les Marie Madeleine repenties, d’un homme de Dieu qui parle aussi au nom de celui-ci ; il ébauche des gestes de tendresse, hésite à embrasser Violetta qui le lui demande, mais cela semble plus pudeur que froideur. À son fils, son air fameux « Di Provenza il mare, il sol… », devient une tendre berceuse murmurée au long legato caressant, au phrasé persuasif ; les légères appoggiatures à l’amorce de certains mots, sont comme les trébuchements d’une émotion ou de petits sanglots contenus qu’il nous fait partager. La voix est éclatante mais sans ostentation de triomphe viriliste dans les solaires sols aigus comme ce ciel de Provence ou plutôt un céleste acte de foi en retrouvant son fils. Il rend sensibles ses remords : belle scène, le fils terrassé de douleur, le père, impuissant face à sa douleur qu’il a causée, presque à genoux derrière lui. C’est sans doute un sommet de la mise en scène, après la cruauté de la demande du sacrifice et son attitude envers Violetta. L’évocation de la pureté de son autre enfant, sa fille, qui semblait un mièvre et miteux chantage, prend alors tout un sens : par-dessus le pater familias soucieux de respectabilité bourgeoise, il y a le père protecteur affectueux, dont la tendresse, déchirée par son rôle, est aussi sensible envers la courtisane. Avec la gifle au fils, dont je ne me souvenais pas dans la première version, il retrouve la fonction éducative et punitive du père pour un fils qui déroge à la morale mondaine du respect de la femme (hypocrite civilité d’un monde, d’un milieu vénal qui la respecte si peu !), gifle d’autant plus rageuse qu’il est le seul à savoir que la malheureuse héroïne ne mérite pas cet affront public. C’est lui-même qu’il gifle en sentant sa lourde culpabilité dans la situation, détonant donneur de leçon morale dans un lieu où il y en a si peu.

Julien Dran, enfant grandi trop vite que même la barbe ne vieillit pas, semble garder, dans sa longue silhouette, la couleur juvénile d’un timbre et une voix flexible qui donnent à son rôle d’Alfredo une fraîcheur, une pureté même qui, comme son père finalement étranger en ces lieux, déroge par une innocence presque enfantine dans ce milieu que, jeune provincial, il fréquente sans doute pour grandir virilement, mais sans vilement y patauger. Sa presque timidité, surmontée par l’ambiance et l’alcool, le poussent à révéler son amour à une Violetta d’abord amusée, ironique, taquine et enfin touchée tant il semble venir d’un autre monde pour elle qui n’en connaît qu’un. Par sa voix, passionnée et tendre, attentive à la femme malade, son jeu délicat, sa naïveté, sa sincérité, il rend vraisemblable l’émotion de la courtisane blasée, lassée des amours tarifées factices. Ce rôle, qu’il a souvent joué, lui offre l’occasion d’un bel éventail d’émotions qu’il sert d’une voix brillante, souple, toujours au service de la musique et du texte : ciselant avec une impeccable aisance le « Brindisi » galant, sérieux face au badinage léger de la courtisane, passionné en exaltant l’amour « croix et délice du cœur », ivre de son bonheur campagnard de jeune rédempteur pour qui la courtisane a tout quitté, honteux de se découvrir vivant en gigolo entretenu, proférant sa douleur et son remords de l’insulte publique à la femme aimée qu’il berce trop tard d’une cantilène d’amour, toute la gamme d’affects semble vocalement juste.

Silhouette menue, joli minois, Ruth Iniesta n’est pas défigurée par une énorme voix : tout semble en elle équilibre et proportion dans un rôle pourtant déséquilibré vocalement pour l’héroïne, soprano colorature à l’acte I, dramatique au II, pour finir avec le legato sur le souffle de son pratiquement dernier souffle, qui suspendra le nôtre d’émotion dans « Addio del passato ».

Brillante dans le « Brindisi » mondain, toute grâce, sourire, mutine, elle attire les compliments du jeune amoureux mais s’en tire en gracieuses répliques désinvoltes, piquantes et piquées comme d’incrédules haussements d’épaules ; seule, son récitatif méditatif, dans la tradition baroque des affects opposés comme ceux d’une Donna Elvira, caressant machinalement le velours noir du canapé d’une voix ponctuée des pointillés de soupirs interrogatifs d’un rêve inabordable d’amour, est touchant de vérité. Mais, secouant cette « folie », avec « Gioir », et ses folles vocalises du trouble bouillant, brouillon, presque hystérique de son âme, elle se lance, s’élance dans la cabalette virtuose avec une ivresse vertigineuse, suicidaire. Elle la couronnera d’un contre-mi bémol aigu non écrit par Verdi mais permis par la tradition, cri de triomphe ou d’éclatante défaite.

Autre vocalité pour la même voix, dans sa grande scène de l’acte II avec le père, tessiture moins tendue, elle bouleverse de bout en bout : tout est exprimé dans une douloureuse douceur, piano ou pianissimo, comme si elle se parlait à elle-même, puis « Dite alla giovine », prouve qu’elle est prise à l’image de la jeune fille pure qu’elle n’aura pu être et qui l’a convaincue et vaincue de loin. Son partenaire répondant au diapason émotif et vocal, c’est bien un sommet émotionnel rare, pathétique sans pathos, que nous donnent ces deux grands artistes. Contrairement à la majorité des sopranos dont la rayonnante santé et chair, éclatantes en vivante voix, en font d'improbables malades, sa voix murmurée parfois, ses gestes frissonnants sont d'une crédible phtisique dont nous partageons l'injuste souffrance. La fin, en toute douceur soulève la salle d’une clameur comme pour secouer notre émotion.

Cette version intimiste, humaine, dégrossie, de La traviata par la mise en scène de Renée, Auphan bien servie par son habituel complice Yves Coudray, doit beaucoup aussi à l’intelligence qu’en a eu, la cheffe Clelia Cafiero, qui dirigeait l’œuvre pour la première fois, en allant s’abreuver à la source du manuscrit de Verdi aux archives de la Casa Ricordi à Milan. Ancienne pianiste de l'orchestre de La Scala de Milan, elle a débuté à la direction d'orchestre à Marseille, sa « naissance artistique », dit-elle, en 2019, en tant qu'assistante de Lawrence Foster. Elle complète ainsi une distribution de jeunes interprètes.

D’entrée, elle fait naître la nostalgique brume de l’ouverture, comme un rêve évanescent, avec une lenteur qui gommera les « zim-boum-boum » percussifs de l’accompagnement un peu forain, qui contrastera avec l’éclat brillant de la fête dont la joyeuse cohue des chœurs (Florent Mayet) est exempte de débordements autres que festifs, et réglés par la mise en scène. Il m’a semblé, entendre, de l’ombre de la fosse, des lueurs instrumentales souvent inaudibles, il est vrai selon où l’on se trouve. Mais je ne crois avoir jamais perçu, perspective sonore, dans le lointain de la salle de bal, la musique parvenant dans le salon où se retrouvent Alfredo et Violetta.

Triomphal succès encore de la programmation de Maurice Xiberras : la queue pour accéder à l’Opéra s’étirait dans la rue Beauvau sur près de trois-cents mètres. Et avec cela, malgré les contrôles, à peine trois minutes de retard : merci au chef de salle Frédéric Banégas.

La traviata, de Verdi

Mardi 06 février, Jeudi 08, Mardi 13, Jeudi 15.02 à 20h00 et Dimanche 11 à 14h30. 

Production Opéra de Marseille

Direction musicale : Clelia CAFIERO
Assistant à la direction musicale : Federico TIBONE

Mise en scène : Renée AUPHAN
Réalisation de la mise en scène :  Yves COUDRAY

Décors :  Christine MAREST
Costumes : Katia DUFLOT
Lumières : Roberto VENTURI

Régisseur de production : Jean-Louis MEUNIER. Régisseur de scène : Jacques LE ROY

Surtitrage : Richard NEEL. Régie de surtitrage : Qiang LI

Distribution

Violetta : Ruth INIESTA

 Flora : Laurence JANOT

Annina : Svetlana LIFAR

Alfredo : Julien DRAN
Germont : Jérôme BOUTILLIER

Gastone : Carl GHAZAROSSIAN
Le Marquis : Frédéric CORNILLE
Le Baron Douphol : Jean-Marie DELPAS

Le Docteur :  Yuri KISSIN
Le commissionnaire : Norbert DOL

 Giuseppe : Jean-Vital PETIT
Le serviteur : Thomasz HAJOK

Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille,  Chef de chœur Florent MAYET
Pianiste / cheffe de chant Fabienne DI LANDRO

Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille

Photos : Christian Dresse

1) Ruth Iniesta, Violetta ; 

2) Alfredo, Violetta ;

3) Le salon de Violetta ;

4) Le salon de Flora ;

5) Violetta et Germont, le père d'Alfredo ;

6) Alfredo, désespéré, le père, accablé;

7) Annina (Svetlana Lifar) et Violetta ;

8)Violetta mourant dans ls bras d'Alfredo.

 

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