L’Opéra/au Village
Pourrières
opéra-bouffe
23 juillet
Deux Vieilles gardes de Léo Delibes,
La Bonne d’enfant, d’Offenbach
Opération transfert
On ne le répétera
jamais assez, ce festival, né de la volonté d’un groupe d’actives personnes ou
personnalités du village de Pourrières, aux confins des Bouches-du-Rhône et du
Var, a su entraîner dans son dynamisme nombre de villageois qui le vivent
désormais comme une expérience non seulement estivale, mais aussi annuelle,
puisque l’année y est désormais jalonnée de concerts qui ponctuent patiemment
en pointillés la ligne d’une activité musicale continue de qualité, qui enfin
s’élargit en trois longues soirées festives d’été. Ce festival allie
joyeusement la gastronomie, l’art de la bouche, et l’art de chanter : il
mérite le nom d’opéra bouffe, à tous les sens plaisants des termes, lyrique et
culinaire, qu’on arrose des généreux vins du cru généreusement offerts par des
vignerons locaux. D’autant que la solide équipe qui le préside lui a donné
l’identité de brèves saynètes comiques, bouffe donc, qui mêlent comédie et
chant grâce à une troupe de jeunes artistes des plus talentueux.
Ancien lieu
Jusqu’à l’an dernier, il se nichait, se lovait dans le
minuscule cloître du Couvent des Minimes, à l’abri d’un marronnier qui en
couvrait amoureusement presque tout l’espace, sous la douce vigilance du joli
clocher de l’église au porche d’entrée humblement gothique : humilité
amicale des pierres pain d’épice patiemment entassées par quelques moines sans
prétentions maximales, au modeste nom bien mérité de Minimes, au XIIIe
siècle, pour en faire un petit lieu de méditation, barque de pierre arrimée à
un cyprès entre le creux de la vague d’un vallon et la douce ondulation d’une
crête, à ses pieds les vaguelettes tranquilles des sillons des labours de
cultures en terrasses et les sages lignes parallèles des vignes. On n’oubliera
pas, le long du mur aux vieilles pierres rousses de crépuscule, sous une allée
de marronniers, les repas à thème lyrique, préparés par les gens du village,
pris joyeusement en commun, qui précédaient les festivités musicales.
Aujourd’hui, le cloître, le couvent des Minimes est classé monument
national : pas besoin d’être un grandiose monument pour mériter ce titre,
la modestie est aussi récompensée.
Nouveau lieu :
Place du Château
Ce n’est pas sans pincement de cœur
qu’on s’apprêtait à découvrir l’un des nouveaux lieux et, comme un exorcisme et
un salut nostalgique, on allait d’abord caresser encore du regard l’ancien cœur
battant du festival, le petit couvent au creux d’un chemin vert, avant de
grimper vers la hauteur du village, sous le fier clocher provençal couronné de
son feston de fer, la Place du Château —qu’on chercherait en vain. De cette
hauteur, le spectacle, le paysage couperait le souffle s’il n’y avait, dans sa
beauté, une sérénité aimable et humaine de vieille terre de culture, j’entends
aussi cultivée, civilisée. Du haut de cette vaste terrasse, on domine un large
panorama, plus ouvert que limité par des montagnes : au sud-est, la ligne
de crête de la chaîne de l’Étoile bleuie de lointain ; à l’est, la sainte
Baume où, dit-on, se retira Marie Madeleine, fait un fond au Mont Aurélien de
l’antique Voie aurélienne et, face à elle, en parallèle verticale, au
nord-ouest, dans un apaisement de son relief, le versant sud de la grandiose
Sainte Victoire chère à Cézanne finit en faisant le dos rond pour laisser un
vaste espace à une plaine, un plateau adouci entre ces murs montagneux. Et
Pourrières vit naître et mourir Germain Nouveau (1851-1920), poète maudit prisé des
surréalistes, et non sans influence sur les Illuminations de son ami Rimbaud.
Sur la terrasse, des
villageois d’affairent à dresser les tables du repas qui prélude au spectacle
et servent avec diligence, simplement et sympathiquement, les convives et
futurs spectateurs. Tous les responsables du festival et les bénévoles, et même
la démocratique Présidente, cravatés de lumières comme autant de clins d’œil,
mettent la main à la pâte avec une bonhomie efficace, qui ne dissimule pas, au
regard averti, tout le travail d’intendance que suppose pareille organisation,
installation des gradins de la scène et ce restaurant improvisé à l’air
vraiment libre. On goûte le paysage et savoure les plats en conviviale
compagnie, le soleil sculpte encore les reliefs sud de Sainte Victoire avant
d’en faire une ombre chinoise bleue sur horizon rose et gris en passant
derrière, incomparable fond de scène, à jardin du petit théâtre de tréteaux
dressé sur la place. On retrouve, avec une souriante émotion, dans cette
simplicité de bon aloi, quelque chose des modestes mais fortes fêtes de
village, de quartiers, aujourd’hui disparues, qui, ne serait-ce qu’à la faveur
d’un spectacle, par la grâce d’un bal, d’un concert partagés resserraient la
cohésion d’une communauté, soudaient les groupes, les liens sociaux
malheureusement si distendus de nos jours.
On se disait, sans
préjuger du spectacle, que le pari était déjà gagné.
LES SPECTACLES
La suite le confirmait amplement.
C’est un bonheur sensible, pour un critique, quand l’affect et l’intellect se
rejoignent, sans que le jugement soit la dupe du cœur, que de saluer la
réussite si évidente de ce spectacle constitué de deux opérettes. D’abord,
l’équipe de Pourrières, son directeur artistique et metteur en scène, Bernard
Grimonet, Luc
Coadou, le
directeur musical et chef, nous a habitués à des pièces rares, oubliées ou
méconnues, exhumées et rendues à la vie et à leur verve pour nous. Ce travail
premier de recherche tient d’une heureuse résurrection. Ce soir, des deux œuvres
présentées, il n’existe que la partition piano chant, et il faut noter,
justement, question notes, que tout ce travail de broderie instrumentale est
une création dans cette recréation, un travail minutieux dû au chef Coadou et à Isabelle Terjan, pianiste, qui, des cordes percutée
de son instrument, assure une sorte de continuo secondé des cordes frottées du
violoncelle de Virginie Bertazzan, dans le chatoiement irisé de l’accordéon d’Angélique
Garcia et les
ironiques éclats de la clarinette d’Aurélia Céroni. Si l’on ajoute que tous ces
excellents musiciens sont professeurs dans des écoles ou conservatoires de
région, à l’exception de Luc Coadou, à la carrière internationale, on souligne l’originalité
locale de qualité de ce festival qui permet à des artistes du cru de se
produire chez eux en participant à cette belle aventure collective, où même
costumes et décors sont conçus et créés sur place par ces habitants d’un petit
village qui voit grand.
Deux vieilles
gardes
C’est la première
partie. Farce en un acte, musique de Léo Delibes,
livret de Ferdinand de
Villeneuve et Alphonse Lemonnier. L’opérette fut représentée pour la première
fois à Paris,
en 1856, au Théâtre des Bouffes Parisiens d’Offenbach, commande
d’Offenbach lui-même qui avait senti toute la capacité de ce jeune homme de
vingt ans, dont le maître, Adolphe Adam, mourut l’année même où il donnait,
pour ce même théâtre, Les Pantins de Violette donnés ici l’an dernier.
Pochade légère et
lourde par le sujet, situation inverse du népotisme bourgeois comme dans Don
Pasquale de
Donizetti, le jeune Fortuné est infortuné, son oncle l'a déshérité au profit
d'un intrigant, le privant de l'espoir d'épouser sa bien-aimée : pas de
mariage sans héritage, loi bourgeoise.
Pour fléchir son intraitable parent,
il feint une grave maladie. Son oncle lui envoie deux garde-malades ou gardes, guère anges gardiens,
Mesdames Vertuchou et Potichon, rôles chantés ici par des hommes. Si l’on
imagine que Fortuné est un rôle confié à une soprano on voit déjà le ressort
bouffe de ces travestis, exacerbé par le malicieux traitement du metteur en
scène Bernard Grimonet. Le seul personnage assumant son vrai sexe sera Mikhaël Piccone qui campe un apothicaire passager.
Le faux malade affecte
tellement la maladie que le croyant à l'agonie, les deux harpies, voraces
rapaces, prises d’une fringale effrénée, pillent le logis tout en échangeant
des confidences, familière harangue de harengères, langage outrancier,
truculent, truffé d’involontaires jeux de mots par la Vertuchou : cloître
pour goitre, cerceau pour sursaut, chapeaux en Espagne, la brise de la
Bastille, la caniche (pour calife) de Bagdad, le nègre plus ultra, un ogre de
barbarie, la reine Marie aux toilettes pour Marie-Antoinette, etc, etc. Cela ne
vole pas très haut toujours mais le systématique excès n’en repose pas moins
sur une observation subtile des mécanismes du langage chez des gens simples
épris de termes compliqués qu’ils entendent sans comprendre et répètent,
décalés, décalqués, phénomène très sensible aujourd’hui avec tant de termes
savants tombés du haut de la télévision, reproduits béatement par des ignorants
innocents, répétés approximativement à l’oreille sans le contrôle d’un écrit
qu’on ne possède plus sans la lecture. Cela ne manque pas d’intérêt historique
en ces années 1856 d’un Second Empire qui sent poindre, malgré tout, ce
bienheureux SMIG culturel rigoureux des futures lois Jules Ferry et son
admirable et démocratique Certificat d’Études primaires. Cela suppose aussi que
le public, sûrement bourgeois, savait capter ces dérapages langagiers.
Tentation d’éclairer
rétrospectivement cette opérette inconnue d’un jeune homme par le compositeur
d’âge mur de Lakmé
et de Coppélia,
avec une ouverture pimpante, la musique, quelques numéros guillerets, des
danses, un air tendre pour la soprano travestie (Anne-Claire Baconnais), au joli timbre si féminin, au
petit vibrato bien perlé, nous semble d’une transparence d’aquarelle et de la
plus délicate facture, qui relève même d’une aura de poésie légère la lourdeur
du sujet, presque scatologique avec la purge infligée en punition aux deux
commères aigres et amères, avides de douceurs. En tous les cas, les deux
joyeuses luronnes larrones, campées de façon inénarrable par les deux comparses
travestis, les ténors Denis Mignien, en ronde et oronde potiche Potichon, yeux ronds ou
furibards, joues rebondies, bouffie en robe bouffante de crinoline et falbalas,
affublé d’une charlotte ébouriffée, forte voix terrienne, et Guilhem Chalbos, affûtant de fausset son timbre
clair de pimbêche maniérée,
pincée, nez pincé de bésicles, l’un(e) en largeur, accusée par les
falbalas et fleurs de sa robe, l’autre en hauteur collet monté étriqué des
lignes verticales de la sienne (Mireille Caillol et son équipe), rondeur et minceur,
font une paire impayable dans le jeu, le chant et ce duo et duel, canne contre
parapluie. C’est réglé, même dans la verbeuse prose du texte, comme du papier à
musique par le metteur en scène Grimonet et le chef Coadou qui tient même la folie de la scène
dans la rigueur musicale de la fosse.
La bonne d'enfant
Transformant à vue le simple décor
de la première opérette, sur une musique de danse de Delibes et la présentation
des deux pièces par Bernard Grimonet, le lit de malade devient berceau, une
belle frise à liserés et liserons courant des cadres de portes au rebord de la
cheminée et gagnant même le tissu d’une chaise, d’une sobre élégance, un
transparent figurant un cartel et des flambeaux (Gérard, Alain, Dominique, Yves, etc), et nous voici dans un autre appartement bourgeois pendant
que les chanteurs se dégriment et habillent pour la seconde opérette de la
soirée, dans des costumes toujours seyants, de la même équipe d’une élégance
Second Empire relevée de fantasques couleurs.
Musique de Jacques
Offenbach,
livret
d'Eugène Bercioux, La Bonne d'enfant fut aussi représentée pour la première fois en
1856 également, dans ce Théâtre des Bouffes Parisiens qui confinait
l’inspiration d’Offenbach à des spectacles n’excédant pas quatre intervenants
scéniques. Ce n’est qu’en 1858 que sera levée l’interdiction de limiter de
nombre de chanteurs qui permettra à son génie de s’épanouir et donnera lieu à
tant de ses chefs-d’œuvre. Pourquoi cette limitation ? Parce d’autres compositeurs
mieux en cour, avaient ce privilège exorbitant de composer et d’écrire à leur
aise pour le nombre d’exécutants laissé à leur indiscrète discrétion et
finances. Mais, même réduit à quelques comparses, notre facétieux Offenbach
écrit une multitude d’œuvres, plus d’une centaine sur ses près de sept cents
compositions, une constellation d’opérettes brèves que l’Opéra au Village,
comme autrefois le Festival Offenbach de Carpentras, nous permet aujourd’hui de
découvrir peu à peu.
L’intrigue est simple, simplette :
Dorothée, bonne d’enfant chez un couple de bourgeois n’a qu’une idée en tête :
devenir sa propre maîtresse en se mariant, le mariage (on parle de Mairie et
non d’Église !) est gage de liberté. Elle hésite entre trois amoureux : le
sérieux, bon parti, mais « guère joli » un ramoneur aisé, le bel homme,
sapeur de la garnison, mais « trop farceur », et Brindamour, le trompette des
dragons, qu’on ne verra pas, dont elle ne sait pas s’il veut de l’hymen.
Le
reste, c’est du vaudeville : entrée et sortie des amants postulants,
cachette dans le placard, travesti, quiproquos, dont on peut imagine ce qu’en
tire la veine et verve bouffe d’Offenbach.
Une ouverture plus
fournie, avec en coda le thème de « Dodo, l’enfant do… » qui
reviendra dans l’ensemble final, des airs plus consistants pour la belle
Dorothée d’Anne-Claire Baconnais, dont une agréable valse à cocottes. Denis Mignien, vieille garde hagarde de la
première partie, n’est ici que le bourgeois propriétaire et père. On retrouve
avec bonheur Guilhem Chalbos, qui sait tout faire sur scène et en chant, en fumiste
enflammé, amoureux transi et brûlant, plus séduisant de sa personne que
séducteur aguerri face à sa belle, toujours convaincant dans son jeu très
divers. Et l’on retrouve enfin, après son apparition fugace en première partie,
le baryton Mikhaël Piccone, par ailleurs directeur de la Troupe lyrique
méditerranéenne,
remarquable metteur en scène, dont une production, Orphée aux Enfers dans laquelle Chalbos était un
Pluton irrésistible, était digne d’un grand théâtre. Il a le rôle des plus
drôles de l’officier des sapeurs, bien sapé dans son uniforme pantalon garance,
flambant, fringant et frimeur, débitant magistralement avec une volupté verbale
vertigineuse, avec une assurance et arrogance académiques, des tirades
amoureuses à la syntaxe, au lexique et périphrases à rendre vertes de jalousie
les précieuses de Molière et Monsieur Jourdain : « le liquide
puéril » pour le lait de l’enfant, bordées et bardées d’épithètes centripètes,
d’un cocotant vocabulaire cocasse et coruscant (intrinsèque, circonspect,
subreptice, hypothèse, etc), où tout pèse et pose plaisamment, pompeux,
pompier, mais jamais pompant.
Dans un tempo
étourdissant sans solution de continuité, des gestes symétriques comiques réglés
comme des danses, ce trio chante et joue à merveille, s’amuse visiblement
malgré la terrible chaleur et les lourds costumes et communique généreusement
au public une saine et heureuse gaîté.
Une réussite devenue
un label de Pourrières, qui mériterait de tourner comme ses vins qui font
tourner les têtes.
L’Opéra/au
Village : Présidente, Suzy Charrue-Delenne
Deux
Vieilles gardes de Léo Delibes,
La
Bonne d’enfant, de Jacques Offenbach
Pourrières,
Place du Château et château de Roquefeuille
23
et 25, 28 juillet, 21h30, repas à 20 h. tarif : 15 € pour le spectacle
seul, 35 € avec le repas incluscontact@loperaauvillage.fr,
06 98 31 42 06
Direction
musicale : Luc Coadou ;
Isabelle
Terjan, piano ; Virginie Bertazzan, violoncelle ; Angélique Garcia,
accordéon ; Aurélia Céroni, clarinette.
Directeur
artistique, metteur en scène, scénographe, Bernard Grimonet .
Costumes :
Mireille Caillol et son équipe.
Décors :
Gérard, Alain, Dominique, Yves, etc.
Régie :
Sylvie Maestro et MDE Sound Live.
Avec :
Anne-Claire Baconnais, soprano ; Denis Mignien, ténor ; Guilhem Chalbos, Mikhaël Piccone, baryton.
Photos fournies par le Festival :
1. Repas sur fond de Sainte-Victoire ;
2. Duo duel des deux vieilles gardes (D. Mignien, G. Chalbos);
3. Frimeur, fringant : le sapeur et la bonne (M. Piccone et A.- C. Baconnais);
4. La belle et ses deux prétendants ( Chalbos, Baconnais, Piccone);
5. Les saluts : Mignien, Coadou, Chalbos, Piccone, Baconnais, Grimonet.