Dido and Eneas
de Purcell
par l’Académie européenne de musique,
Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, 23 janvier 2008
de Purcell
par l’Académie européenne de musique,
Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, 23 janvier 2008
L’œuvre
Ouverture à la française, récitatif encore montéverdien, basse obstinée de la chaconne espagnole (« ground ») pour la plus personnelle des musiques anglaises où passe la fraîcheur des vertes prairies, des vallons, des fontaines des paysages rêveurs de la brumeuse Angleterre, avec ses cauchemars grinçants et sulfureux de sorcières dignes de Macbeth : la mythologie antique du sud acclimatée aux mythes du nord. Dans ce cadre d’une poésie faite musique, le chant de l’âme : lumineux et vif pour Belinda, la sœur confidente de la reine amoureuse, noble et humain, languissant de sensualité et nimbé d’angoisse pour Didon, héroïque et déchiré pour Énée, prince rescapé de Troie détruite, contraint par les dieux de la refonder en Italie, abandonnant à son funeste sort, le suicide, la malheureuse reine de Carthage abandonnée. La noirceur de l’ « horrid music » des sorcières, non exempte d’humour, est tempérée par la délicatesse des chœurs stylisés. Un continuo, cordes pincées du clavecin (tenu par Kenneth Weiss qui dirige l’ensemble), soutenu ici d’un théorbe (Diego Salamanca), et cordes frottées de la viole de gambe (Julien Léonard), elle-même soutenue d’un violoncelle (Mathurin Matharel) pour la canonique basse continue baroque, auréolée de quelques violons aériens et de deux altos. Rien de plus pour cette doublement pure épure, de la tragédie et de la musique.
l'Académie européenne de musique, créée en 1999, qui associe une centaine de jeunes artistes internationaux aux manifestations du prestigieux Festival d'Aix reprenait dans le vaste GTP sa production de 2005 de Dido and Eneas (1689) de Purcell, dans une nouvelle distribution à une exception près.
La sobre et belle scénographie de Christophe Ouvrard, qui signe aussi les costumes, s’adapte bien à ce grand plateau : escalier latéral en légère diagonale côté jardin, souligné du négatif d’une vaste fresque baroque nébuleuse, blanc, gris, noir ou s’étageront les musiciens violonistes, les choristes derrière, chœur antique assistant de haut au drame des humains d’en bas ; une porte frontale ouvrant encore sur la fresque, en fond de scène, pour les rougeoyantes forces du mal et une autre porte, latérale, côté cour, pour les héros. Les subtiles lumières (Catherine Verheyde), caravagesques par leur contraste tranchant, ou de vague sanguine pour les sorcières, donnent à la fresque de mystérieux effets transparents d’arrière-monde grouillant et inquiétant : ingénieux dispositif qui permet à quelques solistes de chanter presque anonymement derrière, dramatique passage du bien au mal, de la cour au chœur des esprits infernaux. Dans l’angle droit de la scène, le continuo, et l’œil attentif de Kenneth Weiss qui embrasse et dirige du clavecin le monde d’en haut et d’en bas. Habillant mal la sobre nudité du plateau, deux malheureux tabourets.
Interprétation
On retrouve avec bonheur la délicate palette musicale de Weiss, la souplesse de l’articulation des lignes, l’élégant phrasé baroque. Unique représentante de la première distribution, Tomomi Mochisuki, en Magicienne, a toujours un timbre riche et diapré, mais, malgré ses pouvoirs, manque de puissance dans le vaste vaisseau de la salle, d’autant qu’on la fait chanter du fin fond de l’immense plateau. Voix ronde, pleine, Shigeko Hata, timbre mûr, n’a pas la fraîcheur aérienne, en Belinda. Chaleureux baryton, Adam Green manque cependant de flamme en Énée. Quant à Didon, malgré une voix noble, charnue, Diana Axentii, n’a pas l’engagement passionnel de la reine amoureuse trahie. Seuls les rôles épisodiques du marin (Oliver Hernandez), Ivo Posti (l’Esprit) et les deux lumineuses et ironiques sorcières (Diana Higbee et Amaya Dominguez) tirent dramatiquement leur épingle du jeu. On ne l’imputera pas à de jeunes chanteurs dotés tous d’appréciables moyens mais à l’incroyable absence de direction d’acteurs et de mise en scène de Jacques Osinski dont on espérait qu’en trois ans, il aurait donné quelque intérêt scénique et dramatique à cette tragédie dramatiquement affadie.
Réalisation
Les costumes ont des couleurs symboliques, blanc pour Belinda, noir pour la sombre reine et rouge de la passion pour la jaquette vaguement d’époque du héros guerrier, affublé de pantalons et de souliers de ville d’aujourd’hui selon l’académisme théâtral de l’intemporalité qui traîne depuis près d’une demi-siècle. Quand il revient ainsi de la chasse, pour faire l’offrande à sa dame d’une hure de sanglier tenue à la main par quatre ficelles, et restant ainsi empêtré seul sur scène, on ne peut s’empêcher de sourire. En contraste, les forces du mal, en beaux costume d’époque, semblent décalées par rapport au héros, étranges donc et étrangères alors à l’action, sorte d’accident décoratif sans incidence dramatique sur le drame qu’elles causent.
Au centre du grand plateau nu, deux tabourets pour meubler mal la scène sinon la mise en scène. Mal fagotée d’une informe robe noire, assise avec une raideur de statue archaïque, mains sur les genoux, on n’ose dire que « trône » Didon, empesée et quelque peu empâtée dans cette posture dès l’ouverture. Comme je le disais, cela évoque, irrésistiblement la fameuse Dame assise des dessins humoristiques de Copi, imperturbable sur sa petite chaise. Pour son premier air, elle se lève et va le finir assise sur le second tabouret. Son suicide final finira sur un autre tabouret près du clavecin : trois stations assise sur trois tabourets est bien mince pour l’assise tragique du destin de la reine de Carthage. Lorsque Énée, se vient asseoir près d’elle, les deux héros, tout raides sur leur petit banc et toujours mains sur leurs propres genoux, étrangers l’un à l’autre, absents, ont l’air d’amoureux de Peynet pétrifiés par le gel. Pour le reste, les duos, c’est face à face, immobiles et mains raides le long du corps.
Dans ces conditions, on ne peut guère attendre d’émotion de jeunes artistes figés, on s’ennuie avec eux et l’on mesure toute la différence avec une précédente Alcina de Hændel, en version concert, où les chanteurs, se succédant simplement devant la scène avec de simples jeux de regards et d’expression, ont enflammé la salle. Bref, on peut imaginer que même lors de la création de l’œuvre dans un collège de jeunes filles de Chelsea, la mise en scène dut être moins scolaire.
Photos Elisabeth Carecchio