Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
Ci-dessous : liens vers les sites internet de certains de ces supports.

L'auteur

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Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

vendredi, juillet 23, 2021

LE BRILLANT RETROUVÉ DE BRILLON DE JOUY


BRILLON DE JOUY, The piano sonatas rediscovered, Nicolas Horvath, piano; label Grand piano ; 2 CD. Premier enregistrement mondial.

         Christine de Pas, première biographe d’Anne-Louise Brillon de Jouy (1744-1824), rappelle dans « Madame Brillon en son temps », une des notices du livret, ce mot désolé d’Élisabeth Vigée Lebrun, ( faut- il dire le ou la peintre tant, significativement, la langue hésite sur le genre), qui peignit tant de portraits de belles dames, dont Marie-Antoinette :

« Les femmes régnaient alors, la Révolution les a détrônées. »

Nostalgie certes d’une fidèle de l’Ancien Régime monarchique dont nous devons rappeler le nombre de salons où régnaient des femmes, souvent savantes, philosophes, politiques, qui furent des foyers intellectuels où se forgea une Révolution  ingrate aux femmes : en effet, malgré le droit de divorce qu’elle leur accorda, avec des figures féminines héroïques et grandioses qui payèrent sur l’échafaud leur tribut révolutionnaire, la Révolution n’aura pas émancipé les femmes, les écartant même, grammaticalement, dénoncent —abusivement— les féministes, de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, en réalité terme neutre et générique qui signifie ‘être humain’, incluant donc tous les sexes, renommée aujourd’hui « Droits humains ». Plus sérieusement, plus grave que cette discutable querelle de langue inclusive, la Révolution dénie aux femmes le droit de vote.

Sans en être la reine, sans doute, Anne-Louise Brillon de Jouy (1744-1824) en fut l’une, régnant et rayonnant par son salon,  l’un des rares où la musique était souveraine. De sa touche rapide et nerveuse, qui tient d’un Rubens baroque allégé par le rococo de Tiepolo, Fragonard en brosse un portrait : sur fond sombre, un frais visage aux joues et souriantes lèvres de rose, si prisées en son temps, de trois quarts, un ravissant minois aux yeux rieurs émerge, en biais, d’une écumeuse collerette à la mode fin XVIe siècle revue par le XVIIIe galant, Watteau en ayant éternisé les fraises autour du cou. Ce portrait respire le bonheur, dont ces yeux complices nous font témoin. C’est presque une gracieuse illustration de la culture du plaisir de vivre de ce temps que regrettait Talleyrand qui, comme elle, entre deux siècles, traversa plusieurs régimes : Monarchie, Révolution, Directoire, Empire, Restauration. Deux époques en somme, dont sa musique, du moins celle de ce disque, treize sonates pour piano solo, pourtant composée entre 1760 et 1770, témoigne : musique bien de son époque, mais avec des frémissements du futur, compositrice sensible à l’air du temps, mais attentive, et intuitive de l’avenir, d’une fraîche légèreté qui ne peut que nous évoquer Mozart, avec à l’horizon déjà romantique, une ombre de Beethoven, puisqu’on ne compare jamais, rétrospectivement, qu’avec des références accessibles, avec une écoute en surplomb historique contemporain de cette musique du passé.

À preuve, le Cantabile, premier mouvement de la Sonate N°6 en ré mineur, (D minor dans cette regrettable mode de la nomenclature musicale anglo-saxonne pour cette musique française au langage et bagage venus d’Italie). C’est la première du deuxième Cd, qui s’amorce, comme d’autres, par des ornements, trilles, appoggiatures (notes d’appui) du motif, de brefs festons festifs, de légers rubans joyeux, des aigus aériens à la main droite, démentis soudain par la main gauche qui  se met à scander dans le grave une sorte de glas funèbre, qui se résoudra en notes obstinées obsessionnelles, teintées de mélancolie (CD II, plage 1).

L’on rend grâce à Nicolas Horvath, qui joue sur un piano moderne, de ne pas forcer le trait rétrospectif beethovénien en gardant une touche d’une légèreté digne du pianoforte originel que la compositrice, férue de modernité, délaissant le clavecin dépassé, avait fait venir d’Angleterre. Il fait ressortir tout le côté capricant parfois de cette musique malicieuse, fantaisiste, virtuose, pleine d’effets, de surprises rythmiques et harmoniques. On ne doit pas oublier qu’elle était destinée à un salon, assurément connaisseur auquel la maîtresse de maison faisait la grâce de son esprit, exprimé en musique, se mettant et s’exposant en scène devant un public choisi pas forcément tendre, où se pressaient pas moins que Luigi Boccherini et son empressé très proche ami Benjamin Franklin. Mais il faut se défaire de l’anachronique idée, trop répétée et regrettée, d’un confinement musical dans le champ clos d’un salon :  le salon était alors le cadre général de la musique, forcément de chambre, synonyme de salon. Le piano ne gagnera les grandes salles de concert qu’au siècle suivant bien entré, avec l’avènement es pianistes vedettes, les grandes salles étant alors destinées à la musique orchestrale et les opéras. Imaginons quel frisson de fièvre pour les invités à l’écoute de cette déjà fantastique chevauchée, cette course à l’abîme sous les doigts d’une élégante hôtesse, mouvement mouvementé que propose la plage 9 ! 

C’est à Nicolas Horvath, connu pour ses interprétations de musique contemporaines, de Satie à Phil Glass, que l’on doit la restauration des partitions et la résurrection de cette compositrice à laquelle il se voue et dévoue, m’avouant, une proche suite à ce double CD. Cette musique, qu’il édite aujourd’hui, était restée inédite jusqu’à lui. Mais je ne suis pas sûr que la cause en soit, comme on l’avance dans le livret, à l’inconvenance qu’il y aurait eu, pour une femme du monde à se faire publier. Je pense plutôt à l’inutilité économique, pour une femme riche, d’une telle démarche strictement commerciale, vitale pour les musiciens professionnels sans mécène, comme le pauvre Mozart venu à Paris avec sa mère, dans l’espoir de faire imprimer, à bon marché, des sonates sur le moule de celles d’un compositeur rival qui avaient du succès à Mannheim, rêvant de les vendre pour survivre. Sans compter la mondaine Élisabeth Vigée Lebrun qui faisait payer des fortunes ses tableaux dans toute l’Europe, et des écrivaines prolifiques (Madame Riccoboni, Madame de Genlis, Manon Roland qui paya de sa vie son engagement, etc, et à Venise autant de femmes que d’hommes écrivains) une musicienne contemporaine, l’italo-écossaise Sophia Corri Dussek (1775-1845), célèbre comme chanteuse (accompagnée par Haydn), devenue veuve,  sans emploi, doit composer pour harpe ou piano, même jusqu’en en France en 1812 pour subsister avec sa famille.

Anne-Louise Brillon a la fortune de son mari, son public, son salon où se produire, ses deux filles chanteuses Cunégonde, sûrement clin d’œil à Voltaire, et Aldégonde sans doute à la mode gothique du faux Ossian. Elle peut laisser dormir ses quelques quatre-vingt-dix œuvres dont elle n’a pas besoin pour vivre. Imputons son oubli plutôt à la culture machiste dominante, qui a sacrifié les Fanny Mendelssohn, Clara Schumann, Alma Mahler à leurs illustres frère ou époux, complices. Nous redécouvrons à peine Nadia et Lilli Boulanger, Cécile Chaminade, Henriette Renié, etc Saluons donc cette redécouverte que nous offre Nicolas Horvath. On admirera, pour finir, la fouge, jamais confuse, de l’Andante un poco allegro de la Sonate XI en ré mineur, tout fleuri de grappes d’appoggiatures, de trilles comme des battements d’ailes d’oiseaux, et semé de rafales de triolets (plage 11).

BRILLON DE JOUY, The piano sonatas rediscovered, Nicolas Horvath, piano; label Grand piano ; 2 CD. Premier enregistrement mondial

RCF : émission N°540 de Benito Pelegrín. Semaine 29

 

 

jeudi, juillet 22, 2021

ADMIRABLE ET IMPITOYABLE PIETÀ


Couverture Bernardina

BERNARDINA, UNE VIE SECRÈTE À LA PIETÀ

  Livre CD, Label : Seulétoile

Nouvelle originale d’Arièle Butaux, postface historique sur la musique à l’Ospedale della Pietà, par Olivier Fourés. Œuvres pour violon, orgue, clavecin et violoncelle de A. Vivaldi, T. Albinoni, A. Caldara, B. Marcello, G. N. Laurenti, F. Gasparini, D. Scarlatti, B. Galuppi, par Alice Julien-Laferrière, violon | Pauline Buet, violoncelle | Jean-Christophe Leclère, clavecin et orgue.

         Joli nom de label et bel emblème pour un beau projet : Seule Étoile. De cette courtoise et amoureuse devise, qui constelle les Hospices de Beaune, par laquelle Nicolas Rolin déclare et affiche un amour exclusif à son épouse au XVe siècle, la talentueuse violoniste Alice Julien-Laferrière, a fait le nom de ce label musical et littéraire original. On ne l’offusquera pas, j’espère, si je tempère cette admirable fidélité affichée, si ostentatoire, à sa troisième épouse, Guigone de Salins, en lui rappelant ou signalant que le richissime chancelier, en plus des trois enfants qu’elle lui donne, aura au moins six bâtards de maîtresses différentes du vivant même de sa légitime troisième épouse. Je dirai que cette proclamation de fidélité absolue est plutôt un avatar décoratif de la Cour amoureuse créée en 1401 à Paris par trois grands seigneurs, dont Philippe de Bourgogne, pendant le loisir festif d’un confinement causé par une épidémie de peste. L’objectif était de défendre et d’honorer les dames en perpétuant une tradition courtoise en déshérence, qui s’évanouira vite passée l’alerte épidémique, mais sera perpétuée en Bourgogne, passant de là en Espagne avec l’avènement de Charles Quint qui en imposera l’idéale étiquette courtoise à sa cour.

         De ce label Seulétoile, on avait aimé Le Violon et l’oiseau, adorable conte musical pour enfants et grands, et l’on a salué ici, si on les compte, d’autres remarquable CD, parmi lesquels Couperin en tête-à-tête avec Alice Julien-Laferrière elle-même au violon et Mathilde Vialle, viole de gambe et, tout dernièrement, Parla, canta, respira de Lise Viricel. Cette dernière production, toute vouée à Venise, à son fameux Ospedale della Pietà aujourd’hui disparu, est encore une réussite de la première à la dernière ligne de texte, et de la première à l’ultime note de musique.

Mais laissons-nous d’abord doucement bercer par l’adagio de la première plage, bien nommée marine plage, lido en vénitien, de la Sonate pour violon en ré mineur de Vivaldi : charme et calme de la lagune où, comme en mesurant l’étendue, le lumineux violon semble un rayon de soleil levant sur des eaux étales, embrumées d’ombre d’un orgue encore somnolent de la nuit, à la surface desquelles les cordes font à peine un petit friselis argenté d’écume de vaguelette réveillée par la brise grise de l’aube (Plage 1)

         La postface historique d’Olivier Fourés, danseur, violoniste, musicologue, collaborateur de l’Istituto Antonio Vivaldi de Venise, spécialiste reconnu du compositeur, très documentée en textes malgré sa brièveté, nous présente clairement les ombres et lumières de ce mythique Ospedale della Pietà, l’un des quatre hospices charitables de la cité des Doges, qui restera célèbre dans l’histoire musicale par la qualité des concerts qui s’y donnaient. L’Ospedale y recueillait, abritait jusqu’à cinq cents enfants, filles et garçons, orphelins ou, surtout, nouveaux nés, abandonnés discrètement la nuit dans une niche à cet effet, fruits de la honte de grossesses clandestines, produits illégitimes du concubinage, de l’adultère et du libertinage effréné dans une ville alors économiquement décadente, vouée au commerce du plaisir, du jeu et de la luxure, avec son carnaval qui durait six mois, drainant toute l’Europe galante et aventurière, fortunée ou cherchant fortune.

Les enfants, comme du bétail, étaient alors marqués au fer rouge, d’un impitoyable P, de propriété de la Pietà mal nommée, enregistrés soigneusement avec quelques signes distinctifs, quand on en laissait, pour permettre aux indignes parents abandonneurs, soit de les récupérer un jour, mus par le remords, soit pour les repérer, lors des visites dans le parloir en venant clandestinement voir anonymement leur progéniture. Par définition conscients d’avoir été abandonnés, on peut imaginer quel roman familial de parents nobles, princiers, royaux, pouvaient nourrir les malheureux enfants, quels rêves de miraculeuse et mirifique  reconnaissance, d’adoption ou, pour le filles, plus tard, de mariage.  Et je rappelle l’usage généralisé à Venise, de la bauta, du masque et de la cape, qui devait rajouter au mystère, aux fantasmes, alimentés par l’anonymat.

         Mais on sait, en spécialiste de l'époque, la licence qui n’épargnait pas les couvents et, quand on se rappelle la folle orgie de Casanova avec deux religieuses libertines exfiltrées du cloître à la faveur du Carnaval, l’on imagine aussi en ce parloir de la Pietà ouvert jusqu’à très tard dans la nuit, à peine éclairé d'un lumignon, avec l’afflux de visiteurs attirés, émoustillés par le flot de filles et de musique, dans la pénombre propice, sous l’œil volontairement myope de surveillantes soudoyées, les frôlements ombreux, les caresses feutrées, les désirs frustrés ou les marchés passés, les passes conclues, mais aussi les jalousies, les désespoirs ravalés de ceux que personne ne réclame, ne visite, ne sollicite, ne tente, pour le meilleur ou le pire.   

 C’est dans ce cadre, que se situe la passionnante nouvelle, presque vraisemblable, d’Arielle Butaux, qui met en scène deux réelles figlie di coro, deux filles du célèbre chœur de la Pietà, musiciennes accomplies dans ce Conservatoire prestigieux où l’éducation musicale des plus poussées était confiées à rien moins qu’aux plus grands musiciens de leur temps, admirés dans toute l’Europe,  qui figurent dans ce disque, dont Vivaldi, qui y fut rattaché quarante ans, attaché comme professeur des filles du chœur et compositeur attitré tenu  par un cahier des charges, à produire, comme Bach à Saint-Thomas, de la musique presque à jet continu : plusieurs concerts par jour à la Pietà où l'on venait de toute l'Europe,   des voyageurs célèbres en ont chanté les merveilles, musicales au moins, Rousseau déchantant quant au physique des filles!

Presque exactes contemporaines, l’héroïne titulaire, Bernardina (1696-1783) et Anna Maria (1696-1782) : juste un prénom mais définies, identifiées par leur instrument, le violon. On pense au petit roman du Cubain Alejo Carpentier, Concierto barroco, Concert baroque, où, à la faveur du carnaval, il fait se rencontrer les grands musiciens d’alors, Vivaldi, Hændel et Domenico Scarlatti, pour un concert délirant auquel participent Stravinsky et Louis Armstrong, ainsi que les filles du Coro de la Pietà nommées par leur instrument. Mais rien de drôle ici. On goûtera le largo de la Sonate en fa majeur pour violon de Tommaso Albinoni dans laquelle, mirage et miracle de la musique, il me semble voir, à l’oreille, les miroitements, les irisations des légers remous indolents et langoureux du violon (plage 6) .

          C’est un récit, un long récitatif dirait-on en terminologie lyrique commencé par Bernardina, devenant duo poursuivi par Anna Maria puis trio avec l’intervention, en trio, de Vivaldi lui-même, qui est au cœur, à tous les sens du mot de l’affaire, maître ou amant rêvé de deux petites filles isolées, rêveuses, touchantes enfants abandonnées jamais réclamées au parloir par personne, main dans la main, grandissant dans la musique et la vénération du maître. Avec les inévitables jalousies, rivalités des deux adolescentes, mais solidarité inébranlable, soudées en haine contre la rivale, l’extérieure à la Pietà, l’Étrangère, la Française Anna Giraud, la favorite, autre jouvencelle, mais dont Vivaldi fera une diva célèbre, mourant entre ses bras, aimants ou amants, à Vienne en 1741.  Peut-être empoisonné.

Coup de théâtre d’une seule phrase finale dont, pour en garder la surprise, on se gardera d’en dévoiler le mystère ­—et même le léger voile d’incohérence qui rajoute au charme : pour laquelle des deux violonistes, virtuoses à des degrés divers, Vivaldi a-t-il composé ses plus beaux concertos, frappé du tabou d’un amour interdit, sans doute incestueux ?

 L’allegro tourmenté de la Sonate pour violoncelle de Vivaldi  semble dire les affres rageuses de la passion (Plage 25).

BERNARDINA, UNE VIE SECRÈTE À LA PIETÀ Livre CD –durée totale : 64′/ Label : Seulétoile

 


RCF : émission N°540 de Benito Pelegrín. Semaine 29

 

 


lundi, juillet 19, 2021

LIBRE PLACE À PIAZZOLA

 

Louise Jallu, Piazzolla 2021, label Klarthe

Ce disque a été tellement loué, fêté, par la critique, récompensé, qu’on aurait honte de voler à la victoire, s’il n’y avait plus grande honte de n’en pas informer nos auditeurs de RCF et aux lecteurs de La revue marseillaise du théâtre qui n’en auraient pas entendu parler. C’est assurément l’un des plus beaux hommages rendu au compositeur Ástor Piazzolla en cette année où l’on fête le centenaire de sa naissance à Mar del Plata en 1921, mort en 1992 à Buenos Aires. On peut le déplorer ou s’en réjouir : les commémorations, les anniversaires sont parfois une manière de se racheter rétrospectivement, par une mémoire vaguement honteuse retrouvée, d’un oubli ingrat d’un artiste longtemps ignoré ou sous-estimé au présent.  Ainsi, le vingtième anniversaire de la mort du compositeur argentin donna lieu à des célébrations élogieuses qu’il n’avait pas forcément connues de son vivant, du moins pour une grande partie de son œuvre, et surtout dans son propre pays. En Argentine, on lui reprocha longtemps son approche iconoclaste du tango, qu’en fait, l’arrachant à ses traditionnels instruments, bandonéon et guitare, le tirant de l’emprise rythmique de la danse, l’ouvrant aux influences de la musique contemporaine et du jazz, lui offrant des jeux de tonalités élargies ou limites, élevant ce tango traditionnel sur les ailes de formations instrumentales plus larges, il renouvelait et libérait : Libertango depuis devenu un classique. Et même une tarte à la crème à entendre tant de disques, tant de programmes qui s’en réclament, avec une sincère gourmandise musicale à s’en lécher les doigts, ou une avidité vorace opportuniste à se partager ce gâteau à la mode.

         Ce n’est certes pas le cas de ce CD de la jeune Louise Jallu et de son ensemble, plein d’une contagieuse ferveur qui, à l’hommage sentimental au musicien, joint une intelligence en profondeur de sa musique, avec des moyens tout personnels de nous la faire partager : partant d’un ici de ses thèmes, de ses désormais standards connus, elle les amène et nous amène ailleurs, parfois infidèle à la lettre mais fidèle à l’esprit qu’elle retrouve et renouvelle aussi, ainsi. Elle a la complicité de Mathias Lévy, violon y guitare électrique, Marc Benham, piano et Fender Rhodes (piano électrique), Alexandre Perrot, contrebasse, elle-même au bandonéon, assurant la direction artistique. À ce groupe s’ajoutent des musiciens invités, Gustavo Beytelmann, ancien pianiste de Piazzola, Médéric Colignon, bugle (sorte de cor saxo), Louise Jallu et Bernard Cavanna ayant fait les arrangements des compositions. À ce tableau musical se mêlent des bruitages, des sons concrets, un chien, des vagues, une sirène de navire, parfois des exclamations brumeuses de voix masculine surgie de l’ombre. On a le sentiment non d’une juxtaposition de titres célèbres de Piazzola, mais d’une composition, un poème urbain nocturne, tissée à partir d’eux, avec des élans symphoniques et des inserts sonores de musique concrète. Cela devient une sensible et captivante captation d’une atmosphère argentine urbaine, portuaire, porteña : un monde du bout du monde pour nous, une société faite d’immigrés de diverses cultures, avec leurs rêves, leurs regrets, leurs souvenirs d’où ne pouvait que naître la nostalgie chantée par la dolente voix du bandonéon du tango.

Le premier morceau, Soledad, ‘Solitude,’ ponctué de vibrations de cordes, puis scandé de lourds frissons par la contrebasse, sonne d’entrée, comme une ouverture lente, définissant un vaste espace vide, désolé,  de tout l’éventail, de toute l'amplitude, de toute la possibilité d’extension du bandonéon élastique tiré à l’infini, au-dessus duquel le fil ténu du violon, à peine deviné, dessine un horizon de fuite, de détresse calme, comme si les gratte-ciels qui hérissent le Buenos Aires moderne, tournant le dos au noyau portuaire, porteño, de la cité n’effaçaient pas, en pleine ville, le sentiment fatal de ligne illimitée de la pampa, longue plaine et plainte du désenchantement infini, épuisante d’avance sans même imaginer en parcourir la décourageante infinitude (Plage 1).

On retrouve dans le disque les grands titres de Piazzola, dont le fondamental manifeste du nouveau tango, Libertango (il en existe environ six cents versions) que le compositeur avait décliné en huit titres portant la désinence tango, Violentango, Tristango, Meditango, etc comme un ironique salut au répertoire sentimentaliste dégoulinant du tango tanguant de glauques sanglots des chanteurs à la douzaine. Il y a le classique Oblivion, le déchirant Adiós Nonino, adieu à son père mort, qui l’initia à la musique. Il y a le solo de Mi refugio, on croit voir le serpent ondulant du bandonéon, éventail plissé, déplissé, arc-en-ciel déployé d’harmoniques, jouant de ses stridences rouillées, de ses agaçantes et même angoissantes mais délicieuses acidités. Le son est ample, généreux, riche, d’une enveloppante chaleur.

Buenos Aires hora cero, ‘Buenos Aires heure zéro’, débute par un aboiement de chien. Cest un mouvant tableau nocturne, au rythme de bruits de pas sonores qui en donnent le tempo qui sera tango, et les cordes sensibles tels de sourds battements de cœur, accordés à une marche inéluctable on ne sait vers où, dans un halo poignant de nostalgie (Plage 9-.

La dernière pièce, Lo que vendrá, ‘Ce qui viendra’, ‘ce qui arrivera’, ferme, ou bien ouvre, avec un froissement de vagues mourantes sur le sable, un futur incertain de bord de mer, terme, limite ou ouverture du monde d’un pays fait d’exilés divers, de déracinés par la vie, avec le rêve de racines nouvelles. Mais le titre précédent, Los sueños, ‘les rêves’, sur bruit de houle, l’appel d’une sombre sirène de navire est moins invitation au voyage d’agrément que probable arrivée de vagues d’immigrants de l’Europe de la misère, échouant dans ce bout du monde avec leurs espérances de nouvelle vie, réussite ou échec, ou peut-être leur départ forcé plus tard vers d’autres horizons avec leurs illusions fanées, leurs rêves perdus. Cela sonne comme un adieu large comme la mer (Plage 10)

Louise Jallu, Piazzolla 2021, label Klarthe

 RCF : émission N°536 de Benito Pelegrín. Semaine 27

 


samedi, juillet 17, 2021

PIANO ET FORTE, VITTORIO FORTE


Vittorio Forte

Earl WILD : [Re]Visions, piano transcriptions, 

1 CD ODRADEK Records

Couvert de prix, s’étant produit en concerts dans toute l’Europe, le pianiste italien Vittorio Forte a déjà près d’une dizaine de CD à son actif qui couvrent un éventail de compositeurs qui vont des baroques Couperin, Clementi et Alessandro Marcello, frère de Benedetto, Hændel, en passant par les romantiques Chopin, Schubert, le néoromantique Rachmaninov et jusqu’à Gershwin qui donna au jazz ses lettres de noblesse classique. Dans sa discographie, on compte deux CD qui anticipent celui-ci, l’un, Transcriptions, de divers compositeurs qu’il commençait à explorer, label Adagio, et un deuxième, Voyage mélodique, transcriptions de Liszt & Earl Wild, pour le label marseillais Lyrinx, dont nous déplorons la perte récente de son directeur René Gambini.

Je ne vais pas revenir sur l’intérêt des transcriptions dont j’ai beaucoup parlé (voir ici même mes derniers articles sur ce blog), soit qu’un compositeur revisite lui-même son œuvre, ce que nous appelons, notamment au théâtre, une réécriture, et nous avons eu dans notre faculté des Lettres, AMU, des séminaires pour explorer cette pratique, soit que ce soit le travail d’un autre compositeur qui lui apporte un nouveau regard, une étude qui surimpose sa couche, à quoi s’ajoutera, naturellement, la touche, la perception, la sensibilité de l’interprète qui l’enrichira aussi : ce sont des exercices d’adoration du texte musical initial, amoureusement revisité par transcripteur et interprète. C'est le cas ici avec Vittorio Forte, sensiblement amoureux de ces musiques originales et de l'acte d'amour second du transcripteur Earl Wild.

Ce dernier CD est un bel échantillon de son répertoire, bien construit : c’est une boucle du Baroque au Baroque, de Hændel et Alessandro Marcello à Bach père et fils, en passant par le néoromantisme et le jazz, dans des transcriptions diverses d’Earl Wild (1915-2010), célèbre aux États-Unis mais peu connu en France :     il s’était produit devant les présidents Roosevelt, Truman, Eisenhower, Kennedy et Johnson.

Ce disque comble donc un vide et rend hommage à ce grand musicien. Comme une invitation à ce voyage dans le monde complexe de la transcription,Vittorio Forte commence par le germanique Hændel, passe au Vénitien Alessandro Marcello, avec une noble élégance, une belle manière sans maniérisme. Puis ce sont les sept mélodies de Rachmaninov et l’on admire son aisance à en débrouiller clairement les nœuds mélodiques, à nous en révéler les parfois perverses sinuosités.

Dans le deuxième arrangement de ballet de Tchaïkovski, on goûtera la grâce enfantine, qui ravira plus d’une petite fille, dans cet extrait du Lac des cygnes, un froufrou, un frémissement d’ailes de la « Danse des quatre cygnes », avec une transparence cristalline, l’agilité virtuoses qui fait des pointes avec les doigts (Plage 10).

Comme un signe plein d’humour, ce regard sur le regard d’un autre, cette écriture sur une autre écriture, V. Forte nous offre une superbe improvisation et des variations très jazzy de Some one to watch over me, ‘Quelqu’un pour veiller sur moi,’ me surveiller, en somme : bref c’est pratiquement la morale de la transcription. Et, comme une signature finale et fin de boucle, revenant au baroque, c’est l’étourdissant Solfeggietto in the Form of an Improvisation sur la musique de Carl Philip Emanuel Bach où, empruntant au jazz, qu’il met front à front jazzystique,  avec son père, affrontement ou œdipienne confrontation, dans et sa deuxième fugue du Clavier bien tempéré.

Certes, la part belle est faite aux mélodies, Rachmaninov et Gershwin mais, est-ce parce qu’il est Italien, le piano de Forte chante, tout naturellement et, l’on me pardonnera  de filer la métaphore, il semble filer le son comme un chanteur qui sait, du pianissimo l’enfler progressivement au forte puis le diminuer tout aussi insensiblement, suprême raffinement et maîtrise de la technique sonore, de la voix ou des doigts. Nous appelons simplement piano cet instrument que les Italiens nomment, avec plus de précision, pianoforte, de sa spécificité sonore expressive. Ce pianiste a un nom qu'on croirait prédestiné : Victor, Vittore, de 'victoire', et ce Forte, qui sait si bien s'adoucir au "piano" le plus délicat sans, dirait-on,  solution sensible de continuité mais une insensible diminution du volume sonore.

Ainsi, de Gershwin, The man I love : les doigts égrènent les notes et semblent mystérieusement faire éclore les mots de la légendaire chanson : l’attente de « l’Homme que j’aime », qui viendra dimanche, lundi, mardi, demain ou jamais, d’abord comme une brumeuse nébuleuse image du réveil d’un songe qu’on veut retenir qui, entre piano ou à peine forte se dissipe ou se précise, s’estompe, s’efface, revient dans une douce obsession d’une sensuelle rêverie nuageuse qui roule, déroule ses gammes voluptueuses, aux limites de l’évaporation, de l’évanouissement du son et de l’image, qui se ressaisit, s’affirme volontairement, en silhouette de l’homme « puissant et fort » espéré, l’amplifie catégoriquement en notes martelées de l’autosuggestion, le précise, le dessine, lui donne forme, montée qui se résout dans un trille forte qui se vrille  et monte dans une extase presque orgasmique puis se dissout lentement, se défaisant pour se fondre en un infini du silence comme l’ineffable froissement infime des ailes du romantique rossignol de La maja y el ruiseñor de Granados (Plage 14).

    Finesse et géométrie, comme dirait Pascal, me semblent bien définir le jeu de Vittorio Forte, précision et limpidité d’un jeu sans bavures, dont on ne sait, avec tant de rigueur et d’exactitude, comment de cette clarté, peut naître même une ombreuse et chantante poésie, une émotion pudiquement retenue. Qui n'empêche pas la folle fièvre efflorescente du jazz. On écoutera, entre autres pièces I got rythm, ‘J’ai le rythme, j’ai la musique, j’ai mon amie’.  Vertige rythmique à perdre la tête, les pédales, que l’interprète ne perd jamais, nous enivrant sans se perdre dans l’ivresse, l’euphorie qu’il nous cause (Plage 17).


Vittorio ForteEarl WILD : [Re]Visions, piano transcriptions,

 CD ODRADEK Records


    RCF : émission N°537  de Benito Pelegrín. Semaine 28 

| LES CONCERTS |

- JUILLET/AOUT 2021 -

12 Juillet 20h30 - Nohant Chopin Festival

Intégrale des Valses de Chopin

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17 Juillet 11h - Festival Radio France Occitanie / Montpellier

Bach, Clementi, Chopin, Thalberg

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19 Juillet 21h30 - Aigues-Mortes

Rachmaninov/Wild, Tchaïkovski/Pabst, Gershwin/Wild

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26 Juillet 09h45 - Festival de piano de La Roque D'Anthéron

Bach, Clementi, Chopin, Thalberg 

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29 Juillet 20h - Nancyphonies / Nancy

Intégrale des valses de Chopin

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01 Août 18h30 - Festival "Piano en fleurs" / Marseille

Rachmaninov/Wild, Tchaïkovski/Pabst, Gershwin/Wild

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16 Août 21h -  Festival du Périgord Noir / Saint Léon sur Vézère

"Duels" avec Tristan Pfaff et Bertrand Perrier

Marcello/Wild, Chopin, Leschetitzky/Donizetti, Tchaikovsky/Pabst, Thalberg/Verdi

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19 Août 19h - Festival Un piano sous les arbres / Lunel-Viel

Haendel/Wild, Bach, Rachmaninov/Wild, Thalberg

23h - "Causerie : Jacques Brel, Musique en poésie"

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...et dès Septembre, Festival de Collioure, "MGC Concerts" et "Jardin Musical" de Bruxelles, Festival "Un piano dans tous ses éclats", "Piano Passion" à Paris, Konzerthaus de Berli

 


 

vendredi, juillet 09, 2021

D'HIER À AUJOURD'(HUI, SILLAGE DE BRAHMS

Brahms aujourd’hui,

Ensemble Des Équilibres, CD Klarthe

         Si « faire table rase du passé » peut être une aspiration, une respiration idéaliste d’un présent qui se veut libérer de contraintes insupportables d’un injuste héritage historique, ce n’est jamais qu’une image, grandiose et naïve, car nous sommes tous fatalement faits —ou défaits— de ce passé qui ne peut passer entièrement. Il n’y a pas de degré zéro de l’écriture. Pour neuve qu’elle se présente, toute écriture est toujours une réécriture, dont seul l’écart à ce qui précède en fait l’originalité et toute langue est forcément déjà métaphorisée, tout comme nous sommes métaphores, tissus de rêves et d’images, bien repérés par les créateurs baroques et, même dans les utopies futuristes, un « homme augmenté », ou un robot humanisé, ne pourrait partir d’un degré zéro. Surtout dans l’art, toujours tissé d’histoire, on ne pourra jamais éluder un matériau premier, forme, langue, couleur, son : on ne part pas de la page blanche, et si on en fait tableau abstrait, c’est forcément par contraste avec le concret.

C’est pourquoi j’aime les transcriptions, même les transgressions, qui sont une façon de continuer à faire vivre ou revivre les œuvres du passé, qui pourraient mourir de l’usure de la répétition. L’esthète jésuite Baltasar Gracián conseillait déjà, pour éviter la lassitude et la satiété qui frappe même la beauté, de faire des réflexions nouvelles sur les chefs-d’œuvre anciens pour en renouveler le regard et notre plaisir. C’est en quelque sorte la démarche qui a motivé la violoniste Agnès Pyka, directrice artistique de l’ensemble Des Équilibres, et son partenaire et complice pianiste Laurent Wagschal, habitués à jouer les trois sonates de Johannes Brahms pour violon et piano, à en commander leurs commentaires, à travers une création, à trois grands compositeurs d’aujourd’hui, Philippe HersantNicolas Bacri et Graciane Finzi : en somme une créative réflexion, des reflets personnels de grandes personnalités musicales contemporaines, plus que des échos trop identiquement reconnaissables du maître d’autrefois.  Ni pastiche, ni parodie, ces trois œuvres sont de concrètes rêveries d’aujourd’hui sur un Brahms d’hier mais toujours d’actualité et toujours merveilleusement vivant pour ces compositeurs et interprètes. Ce n’est pas revenir passivement à Brahms, confortable conservateur génial, mais partir de lui, en conserver, en diffracter peut-être, un volatil esprit à l’air du temps. Et l’on comprend le bonheur des interprètes et commanditaires dans celui que l’on ressent à les écouter dans un équilibre sonore remarquable.

Philippe Hersant ouvre le cycle du CD.  Il donne lui-même la généalogie de sa pièce. Il puise ou trempe son inspiration dans la première sonate opus 78 de Brahms (justement nommée Regensonate, ‘Sonate de la pluie’, condensé chambriste de son impressionnant Concerto pour violon en ré, op. 77, dont le thème musical reprend un lied antérieur, appelé Regenlied, ‘chanson de la pluie’, titre que, remontant à la source, Hersant reprend pour sa pièce :  il n’y a pas de création ex nihilo. Il l’introduit par une longue cadence véloce et virtuose du violon, hommage souriant au Brahms des danses hongroises et tant d’autres motifs furtifs et fiévreux tziganes des symphonies, virtuose pour le violon solo. Le thème est varié et la variation de la variation pourrait aller à l’infini comme les aigus auxquels semble aspirer le violon volant, à peine retenu à la terre par les ponctuations parfois frissonnantes du piano et les vagues des arpèges. Un extrait (Plage 1).

De longueur pratiquement égale, d’un seul tenant, pour sa sonate in Anlehnung an Brahms (‘dans l’esprit de Brahms’), titre explicite, Nicolas Bacri, s’inspire de la Deuxième sonate, opus 100 de Brahms, mais, y puisant des thèmes, il se donne une contrainte formelle ludique que n’auraient pas désavoué ni Bach ni d’autres musiciens, dont Schumann : grâce au système de notation anglo-saxon en lettres, qui permet de composer de la musique à partir de noms ou phrases. Ainsi, Bacri reprend la devise du grand ami de Brahms Joseph Joachim, Frei aber einsam (‘libre mais seul’) dont les initiales font F, A, E puis, les additionnant avec celles de la devise de  Brahms, F, A,F, Frei aber Froh (‘libre mais heureux’), il en tire autre une autre devise (Frei aber einsam  Froh (‘ solitaire mais libre et heureux’), initiales F, A, E, F dont il fait l’ingénieux motif musical principal de son œuvre, dans notre notation :  Fa, La, Mi, Fa dièse. Ce jeu intellectuel ne nuit en rien à cette musique charnelle, tonique, tonale, souvent passionnée, en somme romantique. (Plage 2)

Graciane Finzi, puise son inspiration de la dernière Sonate opus 108 de Brahms dont elle garde la structure en quatre mouvements pour sa pièce Winternacht, ‘Nuit d’hiver’. Elle en extrait des fragments de thèmes, de petites cellules mélodiques, des copeaux, dont elle joue délicatement, les assemblant, les dissemblant, les renversant, les modelant minutieusement, avec une liberté d’orfèvre que je dirais, fatalité onomastique de son prénom Graciane, pleine de grâce. Ces petits motifs fugaces qui affleurent les uns sous les autresont comme un effet palimpseste qui me fait penser à l'orfèvrerie de Nathalie  Sarraute de ces infra mots sous les mots. Après « la chanson de la pluie » d’Hersant qui semblait favoriser « les sanglots longs du violon de l’automne » verlainien, ce sont ici les flocons fous de neige d’un piano, traversés des éclairs de lumière des cordes, dans ce « Cantabile » (Plage 5).

Brahms aujourd’hui,

Ensemble Des Équilibres, CD Klarthe

 

RCF : émission N°530  de benito Pelegrín. Semaine 22

 

 

 



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