FAUST
Musique de Charles Gounod,
Livret de Carré et Barbier.
Chorégies d’Orange, 5 août 2008
Musique de Charles Gounod,
Livret de Carré et Barbier.
Chorégies d’Orange, 5 août 2008
Faust visite Orange pour la huitième fois mais revient dans la version de 1869. Déjà en 1990, les deux mêmes magiciens ensorcelants, Plasson à la direction musicale et Joël à la scène, en avaient livré une version très admirée et récompensée par la critique.
Réalisation : un diable anachronique
Hommage à Gounod, organiste tenté par l’Église (et qui signa un pacte non diabolique mais divin avec la Musique aux instances de Pauline Viardot, il faut le rappeler), la scénographie de Nicolas Joël : un orgue colossal (réplique démultipliée de celui de Narbonne) épouse le mur du théâtre antique, ses faisceaux métalliques de tuyaux, jaillissant comme des colonnes de métal, surmontés de statues baroques, celle du centre jouant, en bois, avec celle de pierre d’Auguste. C’est le Ciel sur les têtes, dont s’empare un temps le Démon. Il couronne un soubassement d’ouvertures en arcades, tantôt cabinet sombre du Docteur Faust, taverne, demeure de Marguerite, surplombé de la galerie à rambarde en bois sculpté, où se trouve la console, d’où Méphistophelès, organiste infernal, contemple le monde misérable des humains. Des lumières bleues glaciales ou ardentes (Vinicio Cheli), colorent de sens, un peu simple, cet impressionnant dispositif bien pensé pour le lieu et les spectateurs du haut extrême du théâtre. Tout au pied défileront les soldats bien rangés, au départ ou au retour de la guerre.
Orgues écrasantes et ordre militaire : Église et Armée, deux piliers répressifs et serrés comme les tuyaux d’orgue de la conscience et des corps d’un XIX e siècle pesant dans lequel est resitué l’opéra selon l’académisme répétitif qui sévit sur les scènes depuis plus d’un demi-siècle (voir ma rubrique Humeur, « Du costume au théâtre aujourd'hui ») Les costumes (Gérard Audier) sont beaux mais à rapprocher chronologiquement le mythe de nous, cela éloigne irrémédiablement le sujet : les diableries du lointain Moyen-Âge sont moins crédibles à un siècle de distance, en une époque scientiste justement où la Science devient la nouvelle religion, faiblesse aussi dramatique des post-romantiques Contes d’Hoffmann avec leur diable un en trois qui n’émeut jamais en profondeur. En ce XIX e siècle plus que de piété, de bondieuseries saint-sulpicienne et de retour orchestré du culte marial avec les Bernadette et autres, même l’Église marginalise le Diable sous l’influence positiviste. Le pauvre Méphisto semble donc venu d’une autre planète sur une terre indifférente en pleine opulence bourgeoise. D’autre part, Marguerite, dans ses beaux atours Second Empire à la Traviata donc, déjà reine ou impératrice Sissi par le costume, n’évoque en rien la naïve Gretchen de l’imagerie romantique éblouie de bijoux, assise à son rouet, évacué ici par un réalisme qui joue contre l’œuvre qui l’est si peu, et la musique qui l’exprime beaucoup en tournant.
Sur le milieu de la scène, gothique, immense, enluminé magnifiquement, un livre sur lequel Faust vieillard semble vouloir s’affaler, s’effacer comme une fleur fanée entre les pages, devient ivre de vie de sa métamorphose après le pacte diabolique pour recouvrer sa jeunesse. Elle est si frappante que le public, ravi, applaudit la transformation du vieillard en jeune homme fou, fougeux, cabriolant. Le livre se referme, expédiant les minces lignes métaphysiques de cette version de Faust embourgeoisée où le grand savant chante avec appétit une ambition bien prosaïque digne du Brésilien de La Vie parisienne d’Offenbach :
À moi, les plaisirs,
Les jeunes maîtresses,
À moi leurs caresses…[…]
Et la folle orgie
Du cœur et des sens.
La scène de l’église où Marguerite tente de prier, empêchée par le Méphisto en chanoine terrifiant, organiste de l’enfer à la tribune, grandiose, est sans doute une des plus belles réalisations jamais vues pour ce moment fort de cet opéra. On regrette d’autant plus la Nuit du Walpurgis, orgie faustienne très kitsch à grand renfort de voiles qui ne voilent rien des beautés des dames, et le finale des lis sinon lits blancs de la foule à genoux, comme des flammes pures du bûcher, envers du trône de Méphisto, qui attend sans doute Marguerite, sanctifiée ici par un peuple avide d’idoles ou de saintes à Lourdes ou ailleurs.
L’interprétation
Les chœurs, spatialisés en coulisse comme l’appel lointain du printemps de la jeunesse, ou tel le grondement sulfureux de l’enfer sous l’orgue, tantôt défilant martialement ou valsant dans la kermesse, sont magnifiques dans leur redoutable multiplicité qui nourrit le grandiose plateau. On regrette, dans cette version de Faust, la chanson tronquée du Wagner de Nicolas Testé à la belle voix ainsi que de ne pas entendre plus souvent Marie-Nicole Lemieux, Dame Marthe irrésistible, accorte suivante et presque maquerelle. Au Siebel mezzo travesti original, Joël préfère, non sans raison, le ténor Xavier Mas, beau timbre mozartien, qui se tire remarquablement, tendre et touchant, de ce rôle qui en fait un mutilé exempté qui désigne par ce biais les horreurs de la guerre exalté patriotiquement par les soldats. Jean-François Lapointe, admirable chanteur et acteur, d’un engagement total, est un Valentin héroïque mais élégant qui fait de sa mort, malgré le conformisme moral glaçant du personnage sans pitié pour sa sœur, une terrible tragédie.
René Pape est un Méphisto impressionnant par la stature et le gabarit de la voix, d’une égale couleur ardente, qui se tire avec une aisance diabolique de la tessiture tendue du « Veau d’or » et sait creuser les profondeurs de ce rôle infernal pour une basse et pire pour un grand baryton d’opéra, qui sacrifient en général l’aigu ou le grave.
Belle à se damner, d’une grâce fragile qui passe dans sa voix mais sans fragilité vocale, Inva Mula ne semble pas chanter mais être Marguerite, piquant ses « Ah ! » de « je ris de me voir si belle… » avec un émerveillement de frisson délicat de petite fille, lyrique dans l’expression de l’amour, dramatique et fervente dans ses invocations aux dieux et aux anges, transportant aux cieux le public jusqu’au haut de l’immense théâtre où ses plus infimes nuances sont perçues.
Voix juvénile en sénile Faust, rajeuni par le pacte avec le diable, Alagna récupère d’une cabriole, d’une roue de paon, toute sa fougue de bondissant, d’agile chanteur et acteur, vrai diablotin avide de plaisirs, à côté du géant Méphisto, diable débonnaire et paternel. Toute son arrogance vocale s’étale largement avec une diction française, une ligne qui laisse toujours pantois d’admiration. Sa cavatine élégiaque, il la prend très lentement, d’un rythme rêveur qui séduit et on espère qu’elle va s’animer, mais la reprise est aussi lente, Roberto s’installe dans le souffle, le chant et prépare le contre ut redouté des ténors… qu’il donne non en force mais en demi-teinte, en voix mixte inhabituelle, mais d’un grand effet poétique dans cet air étrangement amoureux d’un personnage qui vantait juste avant le désir et l’érotisme. Dans d’autres endroits aussi, il « marianise » ou « maniérise » sa partition, non sans charme. Bref, quoiqu’en disent ses détracteurs, Alagna a encore de beaux jours devant lui pour de belles nuits pour ses admirateurs qui peuvent dormir –après- tranquilles.
Michel Plasson, encore une fois, ose des tempi longs ou alanguis, parfois perçus comme lenteur dans cette version longuette, mais dans le coffret à bijoux de l’œuvre, cela met en valeur les gemmes d’une instrumentation précieuse, délicate, bel hommage à ses musiciens qui s’épanchent librement, jouant avec les voix, exaltant les belles couleurs de cet orchestre.
Chorégies d’Orange
FAUST,
Musique de Charles Gounod,
Livret de Carré et Barbier d’après Goethe,
Chorégies d’Orange, 2 et 5 août 2008.
Direction musicale : Michel Plasson ;
Orchestre Philharmonique de Radio France ;
Mise en scène et scénographie : Nicolas Joël
Assistants : Stéphane Roche et Emmanuelle Favre ;
Costumes : Gérard Audier ;
Lumières : Vinicio Cheli ;
Chœurs Capitole de Toulouse (Patrick-Marie Aubert, coordinateur choral) ; Opéra d’Avignon (Aurore Marchand) ; Opéra de Toulon (Catherine Alligon) ; Opéra de Nice (Giulio Magnanini) ; Théâtre du Ensemble vocal des Chorégies d’Orange ;
Marguerite : Inva Mula ;
Marie-Nicole Lemieux : Dame Marthe ;
Faust : Roberto Alagna ;
Méphistophélès : René Pape ;
Jean-François Lapointe : Valentin ;
Siebel : Xavier Mas ;
Wagner : Nicolas Testé
Photos © Philippe Gromelle, légendes, B. P. :
1. Église et Armée ;
2. « J’ai vécu triste et solitaire… » (Faust, Méphisto) ;
3. « A moi, les plaisirs ; »
4. Faust, Marguerite.