RETOUR À TOMASI
(1901-1971)
On le joue en Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Colombie,
Espagne, Finlande, Grande-Bretagne, Grèce, Italie, Monaco, Portugal, Roumanie,
Slovénie, Suisse, Tchékie, Venezuela. Et même en France… Même si cette ingrate
terre natale rattrape un peu son retard cette année. Cent-vingt dates recensées
de divers concerts et événements en 2011 autour de ce grand compositeur
français qui honore son pays. On en trouvera une liste abrégée ci-dessous.
DISQUES
Il y a peu, le trio d’anches
Hamburg signait un beau disque du Divertimento corsica (1952), du Concerto pour hautbois et orchestre de
chambre (1959), du Concerto pour basson
et orchestre de chambre (1961) et du
Concerto pour clarinette et
orchestre à cordes (1957), un disque
allemand Faro classics, qui permet de suivre près de dix ans de traitement des
cordes par Tomasi.
Deux disques récents
du label IndéSENS! reprennent des œuvres antérieures ou contemporaines.
Le premier, Henri
Tomasi, Mélodies Corses, Cyrnos grave pour la première fois la version pour deux
pianos de Cyrnos (1929),
expression de l’âme corse à travers des rythmes traditionnels locaux. Les
remarquables interprètes en sont Laurent Wagschal et Sodie Braide, le premier accompagnant Johanne Cassar, soprano, dans la partie chantée. Ce disque précieux
comporte aussi des mélodies écrites entre 1929 et 1933, Chants corses (1932), un extrait des Cantu di Cirnu (1933), le Cantu di malincunia (1933), mais aussi des poèmes de Paul Fort et de
Francis Jammes, mis en musique en 1932. Un beau témoignage de la biographie
musicale d’un Tomasi dans sa trentième année, penché sur la patrimoine culturel
de son île de Beauté mais attentif à la poésie continentale de son temps.
Ce disque renferme le trésor des Six mélodies populaires corses qu’il harmonisa délicatement en 1930, faisant
connaître en France ce folklore presque inconnu jusque-là. Il est vrai que son
père Xavier Tomasi lui avait
ouvert la voix, collectant et harmonisant certaines mélodies qui se seraient
perdues sans lui et qu’il publia en 1912 sous le titre de Corsica. On y trouve une fameuse berceuse, la délicieuse Ciuciarella, chantée dans ce même disque par Johanne Cassar à la voix douce et tendre : tandis que le père travaille dans les
champs, la mère se penche sur le berceau de sa fillette adorée pour l’endormir,
évoque les chevrettes, les mouflons et bichettes des collines, les lapins,
bref, de vraies peluches. On ne sera pas étonné, à l’écoute de cette Ciuciarella, à entendre cette vocalité tendre et charnelle,
qu’Henri Tomasi, amant de la musique et amoureux de la voix, se soit donné,
adonné, sa vie durant, corps et âme, âme et corps, à cette incarnation, à cette
mise en chair, de la musique, si méditerranéenne, qu’est l’art lyrique,
l’opéra. Il a écrit pas moins de onze opéras, ce qui en fait le plus grand
compositeur lyrique français du XX e siècle. Parmi ces opéras, trois
indiscutables chefs-d’œuvre, Don Juan de Mañara, d’après Milosz, L’Atlantide, d’après Pierre Benoît, Sampiero Corso, qu’on a eu la chance de revoir repris à l’Opéra de
Marseille, en corse, il y a quelque années.
Un second disque, sous le même label IndéSENS ! offre un
éblouissant parcours de son œuvre intégrale pour trompette, par Eric Aubier, œuvres de 1944 à 1963. On y trouve, entre autre, le
puissant Concerto pour trompette et orchestre (1948), les célèbres Fanfares liturgiques, les deux versions de la Semaine sainte à Cuzco pour orgue
et pour orchestre (1962),
l’étrange douceur de ces Variations grégoriennes sur un Salve Regina (1963), cet hymne à la Vierge qui est un peu l’hymne national corse.
FRAGMENTS BIOGRAPHIQUES
On se permettra d’en rappeler quelques éléments. Henri Tomasi
d’origine corse, est né à Marseille, à la Belle-de-Mai, d’un père facteur. On
connaît sa biographie par un livre écrit par son fils, par un film, une
évocation théâtrale à La Criée, reprise cette année écoulée en Corse. Son père,
le facteur, est autoritaire, violent. Ce Corse a hérité l’autorité paternelle
antique, la tradition méditerranéenne du « pater familias », le Père
de famille incontesté, qui est à la famille, ce que le souverain indiscuté est
à l’état ; l’état est une sorte de famille et la famille, un état, avec,
au centre, ce chef absolu et tyrannique, père de la nation ou de la maisonnée :
un tyran domestique. Il use mais abuse surtout de son autorité.
Ce facteur, a par ailleurs, beaucoup de mérite : il est
musicien amateur mais son bras est prolongé non de la baguette du chef mais du
nerf de bœuf du tyran. Il bat sa femme, la mère sous les yeux de son fils
Henri. Pour l’enfant, marqué à vie, c’est la première expérience,
impardonnable, de l’injustice, de l’impuissance, de la révolte. Il n’oubliera
jamais ce premier traumatisme. Son père lui a donné une première éducation
musicale. Apparemment très soignée. Et voilà le petit Henri, petit Mozart,
endimanché, petit singe savant, promené par le père orgueilleux, le facteur
fier de son fils, dans les villas des « riches » marseillais pour
agrémenter leurs loisirs par son talent de jeune pianiste prodige. C’est aussi
l’humiliation de classe pour ce jeune garçon dont la dignité est ainsi
blessée.
Le miracle, c’est que l’enfant, qui aurait peu avoir une haine
justifiée du père, n’ait pas haï la musique, ni la Corse, ni son humble
extraction sociale, même lorsqu’il sera commensal illustre de rois, invité à
leur table. Il aurait pu haïr la Corse de son père, il aurait pu détester la
musique qu’il lui a imposée. En tous cas, l’amour de la mère souffre-douleur du
père violent, et « la
mort » œdipienne, symbolique du père se traduisent plus au niveau
politique : le père est corse, bonapartiste ; fils aura une généreuse
vocation anarchiste, il sera toujours politiquement à gauche sinon gauchiste.
C’est le révolté contre toutes les tyrannies jusqu’à l’heure de sa mort et
nombre d’œuvres traduiront cet engagement moral, politique, en faveur des
damnés de la terre, des opprimés. J’en rappelle quelques unes :
l’austère oratorio, si
lyrique, le Silence de la mer sur
le texte de Vercors, cette sombre et sublime histoire de l’occupation allemande
et du silence parlant d’un grand-père et d’une jeune fille pianiste face à un
officier allemand musicien et amoureux de la France. Il y a Le Triomphe de
Jeanne, son Requiem pour la paix, sa généreuse Symphonie du Tiers-Monde d’après la pièce Aimé Césaire, Une saison au
Congo, 1968, Chant pour le Viet-nam,
encore 1968, presque à la veille
de sa mort.
Le miracle, c’est qu’il n’ait pas confondu violence paternelle et
musique, qu’il n’ait pas renié avec l’homme, ses origines corses. Au contraire,
puisque la musique a été son expression naturelle pour dire justement
l’humanité la plus belle et la plus belle des îles, la Kallisté, la Cyrnos des Grecs,
la Corse. En effet, dès la fin de ses études musicales de chef d’orchestre et
de composition à Paris, récompensé par le prestigieux Prix de Rome, au cours de
son voyage de noces dans l’île de Beauté, il compose en 1929 Cyrnos, poème symphonique en deux versions, pour piano et
orchestre ou deux pianos.
Mais Tomasi aura touché prolifiquement à tous les genres :
musiques instrumentales, orchestrales ou solistes, pour les instruments les
plus variés ; pour la voix, des opéras, ces chansons du folklore corses
mais également de vastes compositions pour chœur et orchestre ou piano. Les
œuvres scéniques abondent, de la musique de film, aux pièces radiophoniques et
ballets (13 opus).
À côté de son prenant travail de chef d’Orchestre, en quelque 40 ans
de production, Henri Tomasi aura composé quelque 300 œuvres, et beaucoup de
chefs-d’œuvre là-dedans, interprétés par les plus grands artistes : David Erly,
le violoniste, dédicataire d’un concerto extrêmement complexe, Jean-Pierre
Rampal, le grand flûtiste, Marielle Nordmann, la harpiste, Alexandre Lagoya, Régine
Crespin, Gabriel Bacquier, parmi les grands noms du lyrique, etc.
On peut se faire une idée de la générosité de sa production en se
replongeant dans un livre album richement illustré par une belle iconographie,
une superbe galerie de photos, dont j’avais déjà parlé ici et qu’on doit
rappeler :
UN IDÉAL MÉDITERRANÉEN
HENRI TOMASI,
par Michel Solis,
Postface de Daniel Mesguich, accompagné d’un CD de
trois œuvres du compositeur,
Éditions Albiana, 182 pages,
25 euros.
Le livre
comporte un catalogue de 12 pages de titres de ses compositions (toutes éditées
à deux exceptions près). Bien compté,
on y trouve la liste de 50 disques compacts de ses œuvres. Deux films
lui furent consacrés. Belle somme ! En somme, on n’a guère d’excuse à
ignorer la production de cet homme qu’on peut sans exagération nommer géant de
la musique eu égard à la brièveté de sa vie.
Tomasi semble aujourd’hui être devenu le compositeur de sa
génération le plus joué dans le monde. Loin des chapelles et des modes
musicales, sa musique est puissamment originale et, en une époque où la théorie
étouffa si souvent l’humain, chez lui, c’est l’humanité qui déborde et
transcende toute théorie. On peut le répéter, derrière le grand compositeur,
c’est toujours un homme que l’on entend, attentif à la souffrante humaine, à la
grandeur et à la misère de notre humanité.
Henri Tomasi fut tenté par l’absolu mystique. Mais le vrai mysticisme de l’ombrageux et solaire compositeur, qui
perdit la foi avec ou après la guerre, sa vraie quête spirituelle est toute
tournée vers l’humain, vers le monde, vers l’Autre qui souffre : c’est dans sa musique exaltée et extasiée
parfois, qu’il faut le chercher, écho mystique d’un éternel révolté contre la
misère du monde, contre tous les pouvoirs oppresseurs, contre l’injustice
sociale, qui semble pourtant, avec douceur et douleur, interroger le Ciel,
présent ou absent. Sa musique, si ancrée par ses origines et par sa volonté
dans la Méditerranée, donne la sensation de liberté vitale d’un viscéral
méditerranéen, mais citoyen universel d’une mer non pas close sur son nombril
mais ouverte à tous les vents et, sinon à ce puissant et oppresseur Nouveau
Monde d’un Dvorak, du moins à ce
pauvre Tiers Monde de sa
symphonie!
Concerts les plus importants (2011) :
· New York : Concerto pour clarinette ;
· Hambourg: Divertimento Corsica (lancement du CD Farao) ;
· Athènes, Fremantle (Australie): Concerto pour
saxophone ;
· Paris: un "doublé" de prestige!...Concerto
pour trompette ;
· 1/ Salle Gaveau avec David Guerrier -
· 2/ Salle Pleyel, Orchestre Philharmonique,
direction Myung Whun Chung avec Alexandre Baty, diffusion sur
France-Musique ;
· France-Musique : Emission 40e anniversaire
par Marc Dumont : « Henri Tomasi, l'humaniste
protéiforme ». Œuvres programmées: Concerto pour flûte, Ballade
pour harpe, Symphonie du Tiers-Monde, Don Juan de Mañara (opéra), Le Silence de
la mer ;
· Boston, Festival d’Aix-en-Provence : Danses
profanes et sacrées
· Marseille :
· 1/ Musique Chambre à l'Opéra avec l’Ensemble
Pythéas (Trio à cordes, etc...)
· -2/ Concerto pour guitare à Federico García
Lorca avec Emmanuel Rossfelder
(Opéra) ;
· 3/ Conservatoire: Cyrnos pour 2 pianos ;
·
· Chicago, Berlin, Bâle, Monte-Carlo... Concerto
pour trompette ;
· Stuttgart : Variations grégoriennes (version trompette et orgue) ;
· Berlin: Concerto pour trombone ;
· Copenhague: Fanfares liturgiques ;
·
· Corse:
· 1/ Prix Henri Tomasi au Concours international
de Chant lyrique de Canari ;
· 2/ Ajaccio (Cathédrale): Fanfares
liturgiques ;
· 3 Ajaccio (Espace Diamant): Visages d'Henri Tomasi, spectacle théâtral et musical (Quintette à vents
de Marseille, Marie-France Arakélian, pianiste, Frank Gétreau, comédien et
metteur en scène.
Photos :
quelques disques d’Henri Tomasi.
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