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Ensemble Amarillis, label Évidence, Little Tribeca
Les femmes ont toujours occupé et préoccupé nos pensées et nous nous réjouissons de les voir occuper ou récupérer en musique, en disques, la place qu’on leur a déniée dans l’Histoire. Non que ce disque soit la récupération de compositrices injustement oubliées comme il y en a désormais tant que nous découvrons ou redécouvrons et prenons à cœur de présenter sur nos ondes. Il s’agit d’un trio de musiciennes, l’ensemble au joli nom floral, Amarillis, fondé par la flûtiste et hautboïste Héloïse Gaillard, en duo avec Jeanne Jourquin, claveciniste et, pour ce CD, l’appui d’Eleanor Lewis à la viole de gambe pour compléter le rameau. Chez ces femmes, pas d’a priori féministe revanchard : ce disque n’exhume ni ne brandit l’étendard d’une ou plusieurs compositrices oubliées et sacrifiées par le patriarcat ancestral. Non, ces trois musiciennes, loin d’entrer dans le conflit des genres qui fait fureur actuellement, nous offrent une galerie apaisée de portraits de dames sans doute muses inspiratrices, interprètes ou mécènes de musiciens, des tableaux brossés amoureusement par des hommes avec la touche galante et élégante de compositeurs raffinés des XVIIe et XVIIIe siècles.
Sans vouloir faire le procès d’un passé à jamais révolu et du statut historique de la femme, moins brillant en cette époque brillante que ce qu’en montrent les flatteuses et heureuses représentations qu’elle nous en laisse dans ses tableaux riants et radieux, goûtons ce disque charmant où tout tourne rond. Ici, pas de guérilla des genres : la guerre des sexes n’aura pas lieu.
Pas plus que celle entre la musique italienne, dominante à l’époque, et la française, qui s’impose : François Couperin (1668-1733), le grand claveciniste nomme justement son recueil de 1724 Les Goûts réunis, et il symbolise de la sorte cette union des deux nations musicales par le titre en italien qu’il donne à son neuvième concert, Ritratto dell’amore, ‘Portrait de l’amour’.
Et c’est aussi par Un portrait de l’amour qu’Éloïse Gaillard intitule ce disque dans sa préface au livret. Un amour heureux à en juger par les autres intitulés des pièces choisies, loin des fulgurantes fureurs et sombres affects de l’opéra baroque en cette légère époque de la Régence, du début du XVIIIe siècle, aux courbes sensuelles arrondies du rococo de rose enrubanné, musique fuyant les les pompes versaillaises et les fastes des grandes salles, pour multiplier les petites formes destinées aux salons, aux chambres et antichambres, à l’intimité heureuse et joyeuse dont témoignent les titres des morceaux : Le Charme, la Douceur, l’Enjouement, Les Amusements, Les Tours de passe-passe, les Grâces, qui sont forcément associés avec bonheur aux portraits esquissées de femmes : La Mystérieuse, l’Inconnue, la Voluptueuse, l’Enchanteresse, la Favorite, la Lutine, ou l’inaccessible à La noble Fierté, l’indéfinissable Je-ne-sçay-quoy.
Il y a une idée du bonheur, sans nuages, sans ombre d’au-delà, un bonheur, un bien-être terrestre, sans pesanteur, consommable ici et maintenant, et c’est ainsi qu’on peut percevoir le souriant parrainage de Couperin, sensuel mais assumé intellectuellement, comme un idéal, justement revendiqué dans ces Idées heureuses, déclinées délicatement au clavecin par Jeanne Jourquin, où les trilles ne sont pas des tremblements de crainte mais sûrement des frissons de plaisir des cordes sensibles :
1) PLAGE 8
Ce
sont ces Idées heureuses, —et remarquons en linguiste et amoureux de la
langue française combien la liaison du pluriel s, qu’on élide à tort
aujourd’hui, Les ZIdées ZheureuSes, sonnent en écho d’un plaisir
redoublé, comme Les Heures heureu//ses, qui semblent vouloir se
prolonger, ne jamais finir, qui volent du temps au temps qui vole, heures qu’on
voudrait retenir de Pierre
Gautier de Marseille, antérieures
chronologiquement aux Idées de Couperin. Un extrait :
2) PLAGE 9
Pierre Gautier, dit de Marseille, mais né à La Ciotat en1642, s’était formé au genre nouveau de l’opéra à Paris auprès de Lully l’Italien, qui avait créé l’opéra français. Lully, par privilège extorqué à Louis XIV, en avait la jalouse exclusivité. Pierre Gautier devait sans doute être bien vu du tyrannique maître (qui peut-être avait voulu se débarrasser d’un rival dans la capitale), puisqu’il rentre à Marseille en 1681 et, avec l’autorisation de Lully, y crée le 28 janvier 1685 le premier opéra de province, dans la salle du jeu de Paume de la rue Pavillon. Notons en passant que notre actuel Opéra, qui fête cette année ses cent ans, a eu, avec ce prédécesseur, la primauté lyrique en France hors Paris. Pierre Gautier de Marseille, comme un pionnier, exporte cette forme à Aix, Arles, Toulon, Avignon, Montpellier...Où allait-il, d’où venait-il avec ses partitions, sans doute ses deux opéras, quand il fut noyé dans un naufrage au large de Sète en 1696 ? Nous restent des pièces instrumentales et, pour rendre hommage à ce musicien qui sema dans notre ville la veine lyrique qui y fleurit toujours, écoutons, dans la thématique de bonheur de ce disque et ces choix de l’Ensemble Amarillis, cette pièce, les Plaisirs :
3) PLAGE 7 : Les Plaisirs
Voici déjà trente ans qu’Amarillis s’est classé parmi les meilleurs ensembles indépendants sur instruments historiques, défendant brillamment un répertoire souvent baroque. On trouve dans ce CD un joli florilège de la musique française à cheval entre les XVIIe et XVIIIe siècles, de compositeurs comme Anne Danican Philidor (1681-1728), Robert de Visée (1650-1720), Michel de la Barre (1675-1745), le plus ancien, né et mort au XVIIe, étant Gautier de Marseille né en 1642 et mort en 1696, dont nous avons parlé, le plus avancé dans le Siècle des Lumières est Jacques Duphly (1715-1798), François Couperin (1668-1733) fait l’ossature du programme.
Héloïse Gaillard rend hommage au clavecin réalisé par Jacques Braux en 1986, non copie d’anciens instruments mais inspiré de la facture des clavecins flamands, qui remporte les suffrages des plus grands clavecinistes de notre temps.
Avec l’envie de chanter un air d’époque
« Mais que sont les lis, auprès d’Amarillis », nous quittons ces gracieuses dames en rêvant de L’Inconnue de Michel de la Barre :
4) PLAGE 24 : FIN
Émission N°780 de Benito Pelegrín
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