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BACH SOUS LES TILLEULS
Clément Geoffroy et Loris Barrucand, clavecins
Un CD Encelade
En allemand, « sous les tilleuls » se dirait, Unter den Linden, comme la fameuse avenue de Berlin où se trouve l’Opéra national, et l’on songe au poème de Wilhelm Müller (1794-1827) Der Lindenbaum (‘le Tilleul’), immortalisé par la musique de Schubert qui en tire l’un de ses plus beaux lieder de son Winterreise, son ‘Voyage d’hiver’, d’une mélancolique douceur, comme si cet arbre, le tilleul argenté de son nom précis, pourtant venu des rives est de la Méditerranée, trouvait dans ce terres du nord un terrain propice à sa poésie déjà romantique ne serait-ce que par la délicatesse brumeuse de ses teintes, si ce n’est les vertus sédatives des infusions tirées de ses feuilles en tisane.
Quoiqu’il en soit, nous ne sommes ici ni dans Berlin ni à Vienne mais à Leipzig, été 1733, une ville chère au cœur de ceux qui aiment Bach puisqu’il y fut cantor, c’est-à-dire directeur artistique du chœur de l'église Saint-Thomas de 1723 jusqu’à sa mort en 1750. Contraint à écrire une cantate par semaine. Il composera une grande partie de ses chefs-d’œuvre.
Mais il dirige le Collegium Musicum, une institution fondée par Telemann qui se réunit tous les vendredis dans une des brasseries devenue célèbre, le café de Gottfried Zimmerman. Bach y créera ses concertos brandebourgeois, et diverses pièces pour orchestre de chambre ou pour clavier. On y consomme, bien sûr, du café, boisson à la dernière mode, et la « cantate du café », cantate profane satirique de Bach en témoigne. Sans doute aussi du tilleul puisque, l’été, époque de la grande foire de cette riche cité, ces musiciens se transportent à la porte Grimma, donnant leurs concerts en plein air sous les tilleuls : un public protestant, sévère mais aussi joyeux, où se mêlent étudiants, bourgeois mélomanes, commerçants et voyageurs de passage, en font des lieux de rencontre très animés de discussions artistiques et politiques.
Bach dirige le Collegium Musicum de 1729 à environ 1739. Durant cette période, c’est donc près de 600 concerts qu’il a eus sous sa direction ! Malheureusement, les programmes de ces soirées musicales ont disparu, excepté quelques annonces, des publicités dirait-on aujourd’hui.
Clément Geoffroy et Loris Barrucand, nos deux clavecinistes, dans le livret nous en offrent celle-ci, alléchante, pour le jeudi 17 juin :
« dans le jardin de la maison Zimmermann. [...] il y aura un clavecin tel qu’on n’en a jamais entendu de pareil ici. »
Nos deux rêvent naturellement de cette annonce, de cette pub pour ce mystérieux instrument exceptionnel et concluent :
« On ne saura probablement jamais à quoi ressemblait ce surprenant clavecin mais on peut l’imaginer joué par Bach, un de ses fils Carl Philipp, Wilhelm Friedemann, ou encore un élève talentueux. »
Cependant, en historiens de la musique, ils en déduisent le goût, l’engouement de cette époque pour cet instrument, ils constatent que c’est justement à cette période que sont composés les concertos pour clavecin de Johann Sebastian Bach : trois concertos pour deux clavecins, deux concertos pour trois clavecins et un concerto pour quatre clavecins qui nous sont parvenus. Il leur est difficile d’imaginer qu’en l’espace de 600 concerts, seules trois œuvres pour deux clavecins y furent jouées. Alors, ils imaginent dans ce disque les programmes pour cet effectif qui auraient pu être proposés au public des concerts Zimmerman. Ainsi :
1) PLAGE 1 : Concerto pour orgue en la mineurBWV 593
C’est à l’origine un concerto pour deux violons et orchestre tiré de l’Estro Armonico de Vivaldi, que Bach avait transcrit pour l’orgue autour de 1714, que nos deux clavecinistes transcrivent ici pour leur instrument, dans cette logique de transcription si courante à l’époque et chez Bach en particulier. En effet, il réalisa seize transcriptions pour clavecin de concertos de différents auteurs et cinq autres destinées à l’orgue. Clément Geoffroy et Loris Barrucand s’inspirent de ces dernières. Ils transcrivent encore le Concerto en ré mineur BWV 596, œuvre originellement composée par Vivaldi pour deux violons, violoncelle et orchestre, transcrite par Bach à l’orgue. Mais le jeu à deux clavecins leur permet de retrouver la matière orchestrale abandonnée. En voici le très bref premier mouvement si étourdissant de vivacité vivaldienne :
2) PLAGE 5 : Concerto en ré mineur BWV 596 : 0’45’’
Cependant dans ce public protestant, on donnait naturellement aussi des œuvres spirituelles, comme de cette cantate Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit (« Le temps de Dieu est le meilleur des temps »), BWV 106, aussi connue sous le nom Actus Tragicus dont voici un extrait :
3) PLAGE 10 Actus tragicus BWV 106, Sonatina
Autre moment d’intériorité, cette transcription d’une cantate plus ancienne,
4) PLAGE 13 : Wachet auf, ruft uns die [mal transcrit en « due »] Stimme,
BWV 140 : ‘Réveillez-vous, la voix
nous appelle’)
Pour refermer ce récital, les deux compères proposent le Concerto pour deux clavecins et orchestre en do mineur BWV 1060. C’est la seule pièce de ce disque qui n’est pas une de leurs transcriptions puisqu’ils jouent scrupuleusement les parties de Bach pour deux clavecins. Cependant, l’approche en est originale puisqu’ils élaguent les parties d’orchestre, laissant les clavecins dans leur nudité musicale, ce qui pourrait choquer comme un abus, une mutilation de l’œuvre. Cependant, nos deux musiciens, musicologues avisés, ne font que suivre un modèle offert par Bach lui-même dans son œuvre exactement suivante de son catalogue, la BWV 1061, un concerto pour deux clavecins, non en do mineur comme le précédent, mais en do majeur, pour rendre plus visible, ou audible plus exactement, le parallèle entre les deux :
5) PLAGE 14 : Concerto pour deux clavecins en do mineur BWV 1060, Allegro
ÉMISSION N° 77I DE BENITO PELEGRÍN DU 16 OCTOBRE 2024
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