Enregistrement
2/06/2014, passage, semaine du 23/06/2014
RADIO DIALOGUE
(Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)
« LE BLOG-NOTE
DE BENITO » N° 134
Lundi : 10h45 et 17h45 ;
samedi : 12h45
À l'écoute, aujourd'hui, des extraits de l'opéra-ballet Les Indes galantes, de Jean-Philippe Rameau (1683-1764) dont on commémore le 250e anniversaire de la mort. Cette année
Rameau est donc lancée par cet événement, Les Indes Galantes, un enregistrement de la Simphonie et le Chœur du
Marais sous la direction d’Hugo Reyne, un beau coffret de 3 CD d’une durée totale de 3h22 de musique,
assorti d’un livret très fourni, passionnant, de 120 pages, bilingue
français-anglais, sous le label fameux de la Chabotterie. Ce disque, qui vient de sortir, est
l’enregistrement « live »,
d’un concert donné au Konzerthaus
de Vienne en 2013.
Hugo Reyne nous a déjà habitué à ces captations en direct
avec son magnifique concert Corelli
en l’église de Saint-Louis-des-Français de Rome dont nous avons parlé :
avec la présence, plus ou moins sensible du public à l’écoute, le direct, s’il
peut pâtir de quelques inégalités techniques ou musicales, inhérentes à l’art
vivant consommé et goûté sur place, sans pâlir, a l’avantage inappréciable d’une
vivacité, donc, d’une vie, d’une chaleur
que n’a jamais la perfection souvent glacée de laboratoire d’un enregistrement réalisé
en studio. Comme la nourriture fraîche, l’enregistrement sur le vif, qui
ne peut tricher, a donc une saveur et une vérité que ne peut avoir la mise en
boîte, en conserve, d’un enregistrement en studio.
Même, si pour son
œuvre lyrique, assez tardive, il est l’héritier du Florentin Lully qui créa la
tragédie lyrique à la française, accordant une place importante aux chœurs, aux
danses et aux effets de machinerie, Rameau est l'un des plus grands musiciens
français avant le XIXe siècle, le plus grand représentant du
Baroque à la française, opposé à l’italianisme musical et vocal qui règne presque sans partage dans toute l’Europe.
On peut écouter avec
quelle intensité il exprime musicalement et vocalement une tempête dans cet
extrait des Indes galantes,
opéra-ballet, un air que l’on dirait, en italien, di paragone, de comparaison, tradition baroque, puisque l’orage de la nature
traduit la rage, la peur, l’épouvante, de l’héroïne Émilie, de la Première
entrée, « le Turc généreux », chantée ici par Stéphanie
Révidat.
Les Indes galantes sont un divertissement dans la tradition de
l'opéra-ballet mis au point par l’Aixois André Campra en 1697 avec le
Carnaval de Venise et l’Europe
galante mais situées dans des Indes très
approximatives de Turquie, en Perse, au Pérou chez les Incas et l’Amérique du
nord. L’intrigue est des plus
minces : une juxtaposition de petits drames sentimentaux, de rivalités
amoureuses, par exemple entre Huascar, le prêtre inca et le conquistador
espagnol, entre le Français Damon et l’Espagnol Alvar, prétexte à une petite
dissertation sur ce que l’on appelait alors «l’amour à l’espagnole »,
jaloux et passionné (paradoxalement rien à voir avec Don Juan), et l’amour léger du Français donjuanesque, volage (« Vous aimez
trop », « et vous, vous n’aimez pas assez », dira respectivement la sage Zima indienne à ses deux prétendants, leur préférant le peau-rouge
Adario. Mais, pour relativement indifférente qu’elle soit à la trame
dramatique, la musique de Rameau, dans la pure filiation baroque, s’applique à
la traduction, par la musique, de toutes les situations théâtrales, des
passions, des sentiments humains, bref, des affects. Sans chercher un
arrière-plan sociologique ou politique, on remarquera cependant que le livret
de Louis Fuzelier pour ces Indes galantes, offre un petit moment d’évocation historique : la destruction des
temples incasique du soleil par les Espagnols. C’est l’air plein de noblesse de Huascar chanté par
le baryton-basse Aimery Lefèvre, plage 8.
Un Inca apparemment préoccupé plus par sa rivalité
amoureuse que guerrière avec l’envahisseur espagnol. Mais, au-delà de
l’anecdote frivole, on goûte encore cette métaphore de l’amour inconstant
symbolisé par le papillon, chanté par Fatime, à laquelle Valérie Gabail prête sa voix fruitée dans la troisième entrée,
« Les fleurs », « Fête persane », plage 8.
Autant que par ses pièces de clavecin, avant
cette œuvre de 1735-36, Rameau était connu comme un théoricien pour son premier
traité sur l'harmonie (Traité de l'harmonie réduite à ses principes naturels publié en 1722), dans la tradition de la théorie
cartésienne, alliant mathématique et musique. Une musique savante qu'il avait la prétention d'élever au rang le plus haut de la philosophie, qui lui aliéna la sympathie première des philosophes encyclopédistes à son égard!
Il avait triomphé en
1733, à cinquante ans, dans le théâtre lyrique avec Hippolyte et Aricie, sur un livret de l’abbé
Pellegrin, librement inspiré de la Phèdre de Racine. Mais il déconcertait par la modernité et la complexité d’une
musique trop harmonique que lui reprochera abusivement plus tard Jean-Jacques
Rousseau, la qualifiant de "baroque", terme d'origine portugaise pour désigner la perle irrégulière, attesté par le Dictionnaire de Furetière de 1690, et que Rousseau, piètre musicien simpliste, est l'un des premiers à employer dans un sens péjoratif, méprisant, qui traîne encore, hélas, dans les seuls dictionnaires français et la bouche de certains politiques, attardés et ignorants du sens esthétique du mot.
Autre défaut qu'on lui impute : Rameau
emploie une musique des plus novatrices en l’appliquant à la forme considérée
comme surannée de la tragédie lyrique lullyste, avec ses intrigues dramatiques,
mythologiques, sans cesse interrompues par des danses, des
« entrées », et des « effets spéciaux » sur des livrets
indigents. Rameau protestait et déclarait que, si on l’ennuyait sur ses
livrets, il serait capable de mettre en musique La Gazette de Lausanne. Malheureusement, le génial mais irascible compositeur n'écrira jamais de musique sur le livret Samson que rêvait de lui écrire Voltaire.
Le mince canevas Les
Indes galantes sert essentiellement à
introduire un « grand spectacle » où les costumes somptueux, les
décors, les machineries (tempête, tremblement de terre, orage), et surtout la
danse, tiennent un rôle principal. C’est une image insouciante d’une société
raffinée, vouée aux plaisirs et à la galanterie, reflet de Louis XV et de sa
cour et même la présence de Polonais, d’airs, de danses polonaises, sont un
hommage à l’épouse polonaise du roi, Marie Leczynska. Une société qui ignore
encore qu’elle danse sur un volcan. Et non de théâtre comme celui qui fait frémir délicieusement le public de cet opéra exotique dans l'épisode du Pérou.
Nous nous quittons sur
la célèbre danse du calumet de la paix, l’entrée des « Sauvages »,
tels que se les figurait cette frivole société et l’on appréciera la joie
rythmique contagieuse,grisante, exaltante, que lui donne Hugo Reyne, plage 30. Un régal pour les oreilles. Qui se rêvent des yeux.
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