CRÉPUSCULE ET APOGÉE DU CLAVECIN FRANÇAIS
JACQUES DUPHLY (1715-1789)
Pièces pour clavecin,
par Brigitte Tramier
Clavecin
Antoine Vater 1738
Jacques Duphly (ou du
Phly), compositeur, organiste et claveciniste, professeur et musicien coté des
coteries musicales des salons parisiens, naît l’année de la mort de Louis XIV
(1715), Roi Soleil éclipsé, et meurt le lendemain de la prise de la Bastille
(le 15 juillet 1789) qui signe symboliquement la mort de la royauté. On
pourrait, dans son œuvre pour clavecin, parue en 1744, 1748, 1756 et 1768,
symboliser également l’apothéose et le crépuscule de l’instrument, roi solaire
de l’Ancien régime, bientôt détrôné par le révolutionnaire piano forte.
Brigitte Tramier, sur
un clavecin du facteur Vater contemporain du compositeur et par ailleurs
dédicataire d’un des morceaux, nous en offre une brillante démonstration dans
ce disque : bel arc-en-ciel de sa production, passant par les prismes
d’abord de la tradition française en s’irisant ensuite du chromatisme italien
jusqu’à atteindre la théâtralité légère et élégante du « style galant»,
entre un baroque crépusculaire et ses affects et l’aurore du sentimentalisme
personnel du romantisme précoce.
Si l’on oubliait que certains de ces morceaux ont des dédicataires
masculins pour s’en tenir à leurs titres féminisés avec la galanterie de mise
dans ces salons français où règne la Femme, on pourrait rêver et presque
prendre ces « Pièces » au sens théâtral du terme tant la plupart de
ces tirades musicales, La Forqueray,
la Boucon, la Pothoüin, la de Vatre, la Félix, la Vanlo, la de Drummond, la Cazamajor, la de
Belombre, la de Juigné, semble être une série de figures scéniques dans
la tradition française de la comédie de caractères, ou, picturalement, une
galerie de portraits de belles dames, tour à tour alanguies ou coquettes
piquantes de notes piquée comme des fleurs dans leurs cheveux, avec leurs
danses et chansons, Allemande, Chaconne, Rondeaux, joliment apprêtées pour une fête galante, une pastorale enrubannée ou
un nostalgique embarquement pour Cythère à la Watteau : La Bruyère et ses Caractères (1688) n’est pas loin de ces courtes saynètes
musicales, climats ou portraits au délicat pastel harmonique ravivé par le
doigté à la prestesse de prestidigitateur de Brigitte Tramier.
De cette dernière, on pourrait louer la technique, la franchise
décisive des attaques (La Forqueray),
l’art consommé de ne pas brouiller la ligne sous le gribouillage virtuose
parfois vertigineux des ornements, le nœud de la question, qu’elle dénoue élégamment
comme des rubans précieux, mais sans préciosité, avec une grâce sans
gracieuseté, sans rien qui pèse et qui pose, donnant à voir et entendre la
délicate dentelle aérée, les lacs et entrelacs, les fanfreluches de fines
fioritures en bouquets, en grappes à la fois unes et multiples. Le métier est
tout entier au service de l’expressivité. Et l’on goûte, comme un fin
champagne, la mousseuse écume solaire qu’elle tire de l’instrument, son
affectivité qui la fait entrer dans les affects, telle la fièvre, la frénésie,
l’affolement, la folie enfin de Médée proche du paroxysme du crime, à côté de
la pépiante et pétillante Vater,
de la mélancolique Boucon ou de
la noble Félix au port un peu
martial.
La prise de son,
d’une excellente qualité, évite le piège de la sécheresse, mortelle pour le
clavecin, et nous berce de la rêveuse griserie d’un rayonnement onctueux et
tendre qui invite à la volupté de l’abandon.UN DISQUE ÉDITIONS PARNASSIE http://parnassie.fr
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