Livret
d’Emanuel Schikaneder,
Musique de Wolfgang Amadeus Mozart
Opéra de Marseille,
8 juin 2012
L’œuvre
1791 : Mozart végète, malade et sans travail. Ses grands
opéras, chef-d’œuvres absolus, Les Noces de Figaro, Cosí fan tutte, Don Giovanni, n’ont guère marché dans l’ingrate Vienne. Son frère
franc-maçon, Emanuel Schikaneder, directeur d’un théâtre de quartier, pour des
acteurs chanteurs plus que de grands chanteurs, comme lui-même, lui présente au
printemps le livret d’un opéra qu’il vient d’écrire. Il est dans l’air du temps
pré-romantique, sorte de féerie inspirée de contes orientaux à la mode de
Christoph Marin Wieland, très célèbre auteur des Lumières allemandes, l’Aufklärung, surnommé « Le Voltaire allemand » pour
son esprit, et de Johann August Liebeskind : Lulu ou la Flûte enchantée, Les Garçons judicieux. Rappelons la vogue égyptienne du temps : la
campagne d'Égypte de Bonaparte de 1798 à 1801 n’est pas loin. Par ailleurs,
Mozart avait déjà écrit la musique de scène de Thamos, roi d’Égypte, mélodrame ou mélologue, drame mêlé de musique, de
Tobias Philipp von Gebler à la symbolique maçonnique puisqu’on situait
l’origine de la maçonnerie en Égypte. Beaucoup d’éléments de cette œuvre se
retrouveront dans la Flûte.
Mozart rechigne : il n’adore pas d’emblée cette féerie. Il
remanie avec Schikaneder et la troupe cette œuvre parfois collective, sa
musique insiste sur la thématique maçonnique, c’est connu : le thème
trinitaire, ses trois accords de l’ouverture, les trois Dames, les Trois
garçons, les trois temples, les trois épreuves des deux héros sont empruntées
au rituel d'initiation de la franc-maçonnerie. Le parcours initiatique de
Tamino et Pamina dans le Temple de Sarastro est inspiré des cérémonies
d'initiation maçonnique au sein d'une loge.
Cependant, à cette sorte de mystique maçonnique du parcours de
l’ombre vers la lumière de l’esprit et de l’amour, Mozart mêle aussi de la
musique religieuse : avant la fin de l'initiation du Prince, dans la
troisième scène (acte II) au moment où Tamino est conduit au pied de deux très
hautes montagnes par les deux hommes d’arme, il fait entendre le choral
luthérien Ach Gott, vom Himmel sieh darein (‘Ô Dieu, du ciel regarde vers nous’). Il est chanté par les deux
d’hommes en valeurs longues de cantus firmus d’origine grégorienne sur les mots Der welcher
wandert diese Strasse voll Beschwerden, wird rein durch Feuer, Wasser, Luft und
Erden, (‘Celui qui chemine sur cette
route pleine de souffrances sera purifié par le feu, l'eau, l'air et la terre …’).
L’idéologie maçonnique rejoint ici l’univers religieux traditionnel.
Ainsi, si les quatre éléments sont utilisés dans le rituel maçonnique, ils le
sont aussi depuis des temps immémoriaux dans nombre de religions, le quatre de éléments,
des horizons avec le trois
trinitaire, font même le sept (déjà les sept plaies de l’Égypte, les sept fléaux)
et, dans la religion chrétienne, des sept plaies du Christ, de ses Sept Paroles
en croix, des Sept Béatitudes de Marie, des sept péchés capitaux, etc. Quant à
cette quête du Bien, de la Lumière, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle
est partagée de longue date par philosophies et religions. Ici, il est question
de la lutte du Mal (les forces obscures de la Reine de la Nuit, la lune) contre
celle du Bien et de la Lumière, qui triomphera dans un temple après des
épreuves. Comme toujours, le génie musical de Mozart transcende les
compartiments apparemment étanches des croyances diverses.
Le versant féerique, assorti de maximes morales de tous les jours
est délicieusement naïf. Bref, au seuil de la mort, c’est l’enfant Mozart qui
remonte, s’exprime, dans l’enchantement d’une musique sublime et populaire :
elle s’adresse au plus haut et au plus simple de l’homme. Rentré de Prague
après l’échec de sa Clémence de Titus, Mozart achève La Flûte enchantée et en peut diriger la première malgré sa maladie le 30 septembre 1791.
C’est un triomphe. Entre temps, on lui a commandé un Requiem Il n’a pas le temps, l’achever : il meurt le 5
décembre. Cette messe des morts est sa dernière œuvre. Un an plus tard, fait
extraordinaire pour l’époque, la Flûte enchantée connaît sa 100e
représentation.
Réalisation
Entre songe ou conte, ombres du sommeil, figures du rêve ou du
réveil, un long portique à colonnes sur, sous ou devant lequel passeront des
personnages en ombres chinoises du monde noir de la Reine de la Nuit, ou, dans une aura luminescente
qui semble émaner d’eux-mêmes, les héros zoroastriens de l’univers de Sarastro
en route vers la lumière. Une lumière toute dorée, jamais éclatante, toujours
entre conte et onirisme, comme hésitant à dissiper, par un trop grand
éclat, cette enfantine et bienheureuse parenthèse de temps et réalité
suspendus. Obscure clarté où tout baigne, émerge ou replonge, mettant en valeur
les enluminures, les dorures de livre d’image, l’immense lion royal et solaire
articulé ou la sage meute de lionceaux maçonniquement par trois, crinière de
soleil sur la nuit, et celle des beaux costumes, jus d’orange, jaune jésuite
japonais ou mandarins, des prêtres solaires de Sarastro. D’après celles d’Urs
Schönebaum (joli nom, ‘arbre
joli’!), les lumières d’Anne-Claire Simar sont, déjà, une poétique réussite, une atmosphère prenante de cette mise
en scène de Jean-Paul Scarpitta,
qui signe aussi heureusement décors et costumes: mise en abîme du théâtre
dans le théâtre par des rideaux en carton-pâte tombant des cintres pour les
apparitions théâtrales de Papageno.
L’oiseleur est par ailleurs doublé, sur son dos, par un
homme-oiseau (extraordinaire Nuño
Roque qui sera aussi une légère
licorne), avec un « truc en plumes » frémissant au derrière, belle
queue de paon se pavanant avec d’autres figures dansantes, dans un saisissant
et irrésistible mouvement de ballet dans la juste musique. Tout aussi admirable,
le marionnettiste doré sur tranche (Olivier Hagenloch) portant ce gigantesque lion d'or, à crinière
métallique figée au vent, mais d’une douceur majestueuse et tendre, bien opposé
à ce serpent métaphorisé par ce long filet à papillon ou avide tube
digestif. Trouvailles innombrables et bien fondues et confondues sans
incongruité dans l’intelligence adulte d’un monde enfantin, dont ces costumes
stylisés de sages écoliers XVIIIe pour les trois garçons, perruque,
rabats et bas blancs, la banquette suspendue, la flottante flûte ou, tel un
livre musical, le « glockenspiel », les clochettes, dont on regrette
malgré tout un peu l’absence visuelle. On rêve aussi devant cette vue d’abord
indécise, flottante puis planante de ce désert de rocs ocres et roux, où l’on
devine en perspective flottante un château, sans doute le Krach des chevaliers,
avec une trouée comme une grotte étrange en surplomb. Et l’on rit avec la
flopée emplumée de petite Papagenos/Papagenas autour de papa et mama
pa-pa-pa-pa-pa-pa.
Le jeu d’acteur n’est pas moins réussi, gestes stylisés, symétriques
pour les uns, outrés pour Papageno, souplesse humaine des deux héros. Mais, le
metteur en scène joue sur du velours avec une troupe remarquable.
Interprétation
Finalement, les récits
allemands de ce « singspiel » où le parlé passe parfois
insensiblement au chanté, ne sont guère regrettés. Même si les textes sont un
peu plats, les deux récitants qui racontent en français l’action, Matthias
Dannreuther et Benjamin Duc, ductiles comédiens, ont dans la voix une fragilité
et une fraîcheur naïve en harmonie avec la conception d’ensemble.
Un regret : les délicieuses phrases mélodiques des Trois
garçons (Chorale Angelos de l’école de Chevreul), peut-être trop haut dans leur siège volant, ne
sont guère audibles mais, comme toujours les chœurs de l’Opéra (Pierre
Iodice) sont d’une juste et précise
solennité quand il convient. Les deux prêtres et hommes d’armes, Patrick
Bolleire, basse, d’abord effrayant
Locuteur gardien du temple, et Alain Gabriel, ténor, déploient un beau volume et mêlent avec
bonheur l’ombre et la lumière de leur timbre. En Sarastro, Wojtek Smilek, imposante stature, a de la noblesse dans le phrasé,
la légèreté suffisante dans les guirlandes de son deuxième air mais, dans le
premier, le grave profond manque un peu d’onctuosité.
Henk Neven est un
Papageno longue asperge au visage pointu d’oiseau, moue de sale gosse obtus et
déçu, vif et réceptif, belle voix sonore et chaude de baryton. Sébastien
Droy a une très belle allure en
Tamino mais, manque d’échauffement ? son air d’entrée du portrait semble
un peu trop vibrant dans l’aigu, à l’étroit dans l’élégie amoureuse, mais
rattrape vite ensuite vaillance et couleur dans l’héroïsme noble du rôle. À ses
côtés, excellente comédienne qui n’a pas l’air de jouer la comédie, agile dans
son corps et sa voix, Sandrine Piau
campe une Pamina de rêve, timbre, du grave à l’aigu, rond et flexible,
sensible, avec des demi-teintes aériennes, des piani suspendus mais tenus, une
vraie incarnation humaine de la tendresse et de la douleur dans ce catalogue de
types et d’archétypes sans grande humanité : c’est la grande héroïne
mozartienne adulte qui se glisse parmi ces personnages simplifiés de conte
d’enfants.
Dès l’ouverture, avec un tempo incisif, léger, vif-argent, qui ne se
démentira jamais, sans peser ni poser, Kenneth Montgomery, illumine l’Orchestre de l’Opéra de Marseille d’une
baguette tout aussi magique que la Flûte.
Opéra de
Marseille
(http://opera.marseille.fr/opera-saison-prochaine)
Die
Zauberflöte
de
Mozart/Schikaneder
6, 8, 10,
12, 14, 16 juin 2012
Orchestre
et Chœur de l’Opéra de Marseille sous la direction de
Kenneth
Montgomery.
Mise en
scène, décors et costumes : Jean-Paul Scarpitta ; lumières d’Anne-Claire Simar d’après celles d’Urs Schönebaum.
Distribution :
Sandrine Piau : Pamina ; Burcu
Uyar : la Reine De La Nuit ; Yété Queiroz : Papagena ; Eduarda
Melo : Première Dame ; Blandine Staskiewicz : Deuxième
Dame ; Lucie Roche : Troisième Dame.
Sébastien
Droy : Tamino ; Henk Neven : Papageno ; Wojtek
Smilek : Sarastro ; Rapahël Brémard : Monostatos ; Patrick
Bolleire : Sprecher / Premier Prêtre / Deuxième Homme d'armes) ;
Alain Gabriel : Deuxième Prêtre / Premier Homme d'armes ; Trois
Garçons (Chorale Anguélos) ; Matthias Dannreuther et Benjamin Duc
(récitants), Nuno Roque (le Paon La Licorne), Olivier Hagenloch
(marionnettiste).
Photos :
Christian Dresse
1.La Paon,
Papageno et Papagena, envolée de plumes ;
2.
Monostatos affronté aux héros devant la cour et basse-cour de Sarastro ;
3. La reine
de la Nuit, les Trois dames et Monostatos ;
4. Mère-reine
assassine et fille apeurée ;
5. Sire
Lion en majesté et gloire ;
6. Les deux
héros au septième ciel de l’amour et de la flûte.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire