L’autre face de Bach
APOLLON ET PAN
Johann Sebastian Bach a vécu à cheval sur deux siècle, entre 1685 et
1750. C’est l’un des plus grands musiciens de toute l’histoire de la musique,
pour certains, le plus grand, si ces classements veulent dire quelque chose -
en tous les cas, c’est significatif de son importance. Ses productions sont le
résultat, une synthèse originale, très personnelle, de trois grands courants
musicaux de son temps, la musique italienne, bien sûr, prépondérante à
l’époque, la musique française et l’allemande.
Il a pratiqué tous les genres musicaux existant à son époque à part,
à strictement parler, l’opéra, encore que telle de ses Passions ait pu être critiquée, décriée justement, dans son
austère province luthérienne, pour ses qualités lyriques et scéniques pas très
éloignées de ce genre spectaculaire.
Et pourtant, Bach, qui aurait écrit plus de mille œuvres (beaucoup
perdues), certaines considérées comme fondamentales pour la musique, a vécu
pratiquement confiné dans sa province allemande. Peu connu en dehors de
l’Allemagne, il a été mal apprécié chez lui, considéré comme un musicien savant
à l’excès, abstrait, compliqué, disait-on et, à part l’estime et l’admiration
de Frédéric II de Prusse, flûtiste amateur et de quelques princes de petites
principautés, il a été superbement, sinon ignoré, méprisé souvent dans la ville
qui lui doit désormais sa célébrité universelle : Leipzig, où il vécut
plus de vingt-cinq ans, écrivant sur place la majeure et plus grande partie de
son œuvre. Mais, chose qui paraît une énormité aujourd’hui, s’il obtient dans
cette cité, en 1723, son médiocre poste de Kantor de l’église luthérienne
Saint-Thomas, ce n’est pas pour ses mérites, mais parce que le conseil qui doit
nommer le ‘Maître de chapelle’ titulaire, faute de fonds suffisants, se résout
donc à « prendre les médiocres. » On croit rêver. Oublié dès sa mort,
il a été redécouvert plus tard et
n’a plus quitté les sommets de la gloire musicale
Bach a une nombreuse famille qu’il doit nourrir, des enfants déjà de
son premier mariage. Il s’installe à Leipzig avec sa jeune femme Anna
Magdalena, qui sera une exemplaire collaboratrice, copiant, mettant au propre
sa propre musique. En plus d’être le Kantor de Saint-Thomas, J. S. Bach doit
enseigner le catéchisme et le latin dans deux églises conjointement à sa
production musicale : partitions pour les édifices religieux et une
cantate chaque dimanche pour sa paroisse et les jours de fête. Une seule
répétition apparemment avant l’exécution. On imagine les sueurs froides, les
fureurs, les rages chaudes de ce musicien confronté à de telles conditions de
travail musical avec des musiciens, dont beaucoup amateurs. Mais, cependant, à
écouter ces musiques destinées à ces interprètes, on conclut bien vite qu’il ne
méprise pas ces musiciens choristes, solistes chanteurs et instrumentaux vu les
joyaux musicaux qu’il leur destine et qui font notre admiration et notre
bonheur. Malheureusement, il n’en reste aujourd’hui que 126…
Fort heureusement, Bach obtient la fonction de Director Musices qui
lui offre l’occasion d’être à la tête d’un orchestre excellent d’étudiants, le
Collegium Musicum, et lui permet d’écrire, pour l’université et pour le Café
Zimmermann, des œuvres profanes non négligeables.
Et c’est ce que nous rappelle opportunément un disque
remarquable :
BACH DRAMA, Johann Sebastian Bach (1685-1750), par le Chœur
de Namur et l’Ensemble Les AGRÉMENS,
sous la direction lumineuse et chaleureuse du chef argentin Leonardo García
Alarcón, publié par Ambronay. Un
coffret de deux CD, CD 1 : « La controverse entre Phébus et
Pan », BWV 201, « Éole
apaisé » (BWV 205), et agrémenté d’un DVD « Hercule à la croisée des
chemins », BWV 213.
Ce sont trois œuvres scéniques, de petits opéras en un acte,
inspirées de la mythologie grecque revue par des auteurs latins à travers Les
Métamorphoses d’Ovide, et l’Éneide de Virgile, et de Xénophon pour la dernière.
Éole apaisé
La seconde de ces œuvres fut jouée en 1725 à l’université, pour
fêter l’anniversaire d’un professeur, heureuse époque, heureux professeur
honoré de la sorte par la merveilleuse musique de Bach ! L’anecdote est
mince mais plaisante : elle met en scène le terrible dieu des vents Éole,
furieux on ne sait trop pourquoi, qui rit des bons tours qu’il va jouer en se
déchaînant, arrachant fleurs, feuilles, arbres, toits sur son passage.. C’est
Christian Immler qui prête sa voix et le rire de ses rudes vocalises
rythmiques à ce vent dans cet air
bouffe de fureur dans la rhétorique baroque des affects.
Le malheureux Zéphyre (incarné
avec grâce par le ténor Makoto Sakurada) la douce brise apaisante, tempérée et bienfaisante, le zéphyr, gémit,
contraint d’abandonner les plantes qu’il rafraîchit, et chante sa désolation en
vocalises fleuries comme les fleurs ravagées par Éole.
Le premier de ces actes d’opéras est intéressant par un sujet où,
sous couvert du mythe, le défi, le duel musical qui oppose le dieu soleil
Phébus (l’Apollon des Latins), et le dieu agreste, sylvestre, terrestre, Pan,
aux jambes et aux cornes de bouc, on peut aisément imaginer les polémiques
entre Bach et ses contempteurs rivaux. Pan a pour instrument très rudimentaire
la flûte Syrinx, du nom de la nymphe qu’il avait voulu violer et qui pour lui
échapper, se métamorphosa en roseaux, flûte faite de ces mêmes roseaux, que
l’on appelle depuis, « flûte de Pan ». Ce dieu élémentaire et
effrayant, par sa musique et ses fureurs, semait la terreur, causant ce qu’on
appelle, de son nom, la panique.
Et voilà que le présomptueux ose se mesurer à Phébus dieu des arts, Apollon
musagète, qui conduit les muses avec sa lyre, qui dirige en somme la musique
(du nom des Muses, ses sœurs). Sous le déguisement mythologique, en réalité,
c’est bien le combat entre la musique savante, celle de Bach, opposée à celle
de ses détracteurs médiocres. Évidemment, c’est Phébus qui gagne et Pan s’en
tire bien, mieux que le pauvre satyre Marsyas qui, osant pareillement défier
Phébus, perdit le concours et fut écorché vif par le dieu irrité : la
musique, même d’un dieu, n’adoucit pas forcément les mœurs.
En tous les cas, même la musique que Bach prête au médiocre Pan
n’est en rien moyenne. Il suffit d’écouter, l’air de Tmolus (poétiquement
chanté par Fabio Trümpy) qui
s’extasie avec raison sur la grâce merveilleuse de l’art de ce Phébus qui est,
pour nous, Jean-Sébastien Bach.
Un hommage respectueux et réussi, riant ou souriant, à ce Bach hors
des sentiers rebattus de sa soi-disant imperturbable gravité luthérienne.
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