Portrait de Stéphanie d’Oustrac
Grand Théâtre de Provence
21 janvier 2012
Une grande jeune dame du chant français. Après Avignon, le Grand Théâtre d’Aix recevait Stéphanie d’Oustrac pour un récital Mozart et Rossini. Marseille l’accueillera en mars pour Le Comte Ory du même Rossini pour lequel elle revêtira le costume masculin d’Isolier, travesti auquel semble la vouer sa voix sombre de mezzo-soprano, tels le rôle fétiche et charmant de Chérubin des Noces de Figaro, ou ceux de nombre d’opéras baroques comme celui de Sesto dans le Jules César de Händel dans lequel elle triompha ici même à Marseille ou celui de Sesto aussi dans La Clémence de Titus de Mozart.
Telle est la convention de l’opéra qui donne aux jeunes gens une voix de jeune femme, quand on ne remplace pas, comme aujourd’hui, dans les opéras baroques, les héros chantés alors par des castrats, à la tessiture féminine grave le plus souvent, par des chanteuses capables d’en rendre la vraisemblance physique et, surtout, de se tirer du feu d’artifice virtuose de ces partitions acrobatiques.
Le paradoxe c’est que Stéphanie d’Oustrac, avec un physique de rêve pour une jeune femme, belle silhouette aux longues jambes, longs cheveux noirs, grands yeux rieurs et sourire assorti, par son talent de comédienne, sait rendre vraisemblable l’invraisemblable mue d’une femme en homme.
Quant aux rôles féminins, qui peut l’oublier dans sa première apparition à Marseille, en Zerlina vive et réactive, nerveuse, joueuse, aussi séductrice que le séducteur Don Juan qui tentait de la séduire, séduisant le public marseillais ? Elle fut aussi sur notre scène une picaresque et coquine Périchole d’Offenbach, passant sans problème des rôles dramatiques comme les deux Sesto et autres à ceux de comédie. Nous la revîmes avec bonheur dans Phaedra de Britten, suivie de la magnifique Didon de Purcell, deux rôles éminemment féminins et tragiques. La presse a été unanime à la saluer dans une Carmen de Bizet dont on a dit qu’elle fait date.
Avec la même aisance et la même crédibilité, à Avignon, elle a été récemment une terrible Mère Marie dans le Dialogue des Carmélites de Francis Poulenc et, ailleurs, La Voix humaine du même Poulenc et Cocteau, c’est-à-dire deux rôles où, dans l’un le féminin se redouble de l’habit religieux de Mère supérieure et, dans l’autre, de l’inutile robe de soirée de la belle maîtresse abandonnée par son amant qui se marie avec une autre. Une heure de chant seule sur scène, au téléphone.
Peut-être en chantant ces deux derniers rôles contemporains rend-elle hommage à son déjà lointain parent Francis Poulenc dont elle est l’arrière-petite nièce, comme elle est aussi arrière petite-nièce de Jacques de la Presle, autre compositeur dont elle a aussi enregistré des mélodies. Ou, plutôt, ce sont eux qui devraient lui rendre hommage tant elle les a servis avec un talent qui laisse béat d’admiration.
C’est que Stéphanie d’Oustrac passe avec la même facilité des rôles tragiques aux comiques, des rôles de garçon à ceux de femme et, avec une telle aisance que l’on remarque à peine qu’elle passe aussi de la tessiture de mezzo à celle de soprano comme dans les deux rôles interprétés de Poulenc, aux terribles aigus. Sa voix est longue, facile, d’un velours sombre dans le grave, soyeuse et radieuse dans les aigus : rien ne trahit l’effort ni l’exploit, tout semble naturel et plein d’aisance même dans le plus ardu du chant, dans les plus folles des vocalises.
Née à Rennes d’une famille aveyronnaise, Stéphanie d’Oustrac se fait vite remarquer par sa ductilité vocale, son art du chant et de la scène et récolte de prestigieuses récompenses. Elle est lauréate des prix Bernac en 1999, des Radios Francophones en 2000, et des Victoires de La Musique en 2002.
La musique baroque annexe son talent et, dès 1998, William Christie lui propose le rôle terrible de l’infanticide épouse bafouée de Jason, Médée, dans Thésée de Lully, dans le cadre de l’Académie baroque européenne d’Ambronay.
Du même Lully et avec le même grand maître américain du baroque français, William Christie, on a pu l’admirer il y a peu à la télévision dans la célèbre et redoutable Armide, et, encore plus récemment, dans la reprise d’Atys, dans la légendaire production qui sonna le grand retour du baroque vocal français oublié jusque-là. Elle y a été, respectivement, la magicienne amoureuse de son ennemi Renaud et la déesse Cybèle grandiose amoureuse d’un mortel, avec le même sens de la grandeur, de la beauté de la déclamation lyrique et une diction exemplaire. Elle fut aussi la Psyché toujours de Lully et la Médée, cette fois de Marc-Antoine Charpentier.
Si elle a défendu ce baroque français si négligé, elle n’en a pas dédaigné l’italien : elle fut la douloureuse épouse répudiée de Néron, Ottavia, dans Le Couronnement de Poppée de Monteverdi, et la bouleversante Didon du Didon et Enée de l’anglais Purcell.
Dans toutes les langues, la même impeccable diction.
Elle s’est produite sur de nombreuses et fameuses scènes, demandée par des chefs d’orchestre et des metteurs en scène prestigieux, se disputant son talent de chanteuse et de comédienne.
Stéphanie d’Oustrac chante également en musique de chambre baroque avec les ensembles Amarillis, Il Seminario Musicale et notre Concerto soave marseillais de Jean-Marc Aymes avec lequel elle donna un mémorable récital à Aix.
Concert au Grand Théâtre de Provence
Nous la retrouvions donc à Aix, mais dans cet immense GTP bondé, pour un récital avec l’Orchestre Lyrique Régional Avignon-Provence sous la direction de l’argentin Yeruham Scharovsky, directeur musical et chef de l’Orchestre symphonique de Rio de Janeiro, programme Mozart et Rossini.
D’emblée, avec la Symphonie N°31 en ré majeur, K. 297, dite « Parisienne » de Mozart, le chef donne le ton de son approche musicale : finesse et couleurs délicates de l’instrumentation aux divers pupitres, touches savoureuses des bois et des cuivres, rien de forcé, précis et net mais sans arêtes excessives ni rondeurs molles, aquarelle explosant de jubilation dans les forte. Il y a la langueur sensuelle et la fièvre dans l’ouverture de Cosi fan tutte, la verve pépiante de flûtes cancanières dans l’Ouverture de L’Italienne à Alger et celle du Barbier de Séville de Rossini. Idéal pour mettre en valeur l’art varié et tout en nuance de Stéphanie d’Oustrac.
Moulée dans une robe noire à la chinoise, fendue aux jambes, avec deux longs coquelicots rouges, yeux de chatte et sourire ironique, elle est si superbement féminine qu’elle est obligée d’annoncer avec beaucoup d’humour les rôles de garçon qu’elle chante : un Chérubin adorable de timidité et d’audace, un pathétique Sesto déchiré entre son amour pour Vitellia et celui pour l’empereur Titus qu’elle lui demande d’assassiner : elle veloute ses nuances, chaque mot, chaque note, chaque ornement deviennent expressifs dans sa voix.
Elle présente chaque fois, avec humour, le morceau, mais même ceux qui ne comprennent pas l’italien l’entendent tant son interprétation est éloquente sans rien d’appuyé. Elle fait comprendre par son jeu le théâtre dans le théâtre, la parodie tragique dans le désespoir – si momentané- de Dorabella. Et, dans la rare cantate de Rossini, Giovanna d’Arco, Jeanne d’Arc, orchestrée pour Teresa Berganza, la grande mezzo qui semble sa référence (difficile de faire mieux !) elle arrive à nous faire sentir, au milieu des ornements les plus diaboliquement rossiniens, la dimension mystique et l’exaltation guerrière de l’héroïne, à la fois femme et homme par l’habit. Pour finir, elle s’offre le luxe d’incarner la coquine et mutine Rosine mezzo du Barbier avec des ornements de soprano : irrésistible de vocalises déroulantes, riantes, enthousiasmantes.
Stéphanie d’Oustrac nous donne rendez-vous à l’Opéra de Marseille pour le Comte Ory, de Rossini les 20, 22, 25, 27 mars, dans le rôle d’Isolier.
Grand Théâtre de Provence , 21 janvier 2012
Concert Stéphanie d’Oustrac, avec l’Orchestre Lyrique Régional Avignon-Provence sous la direction de Yeruham Scharovsky, œuvres de Mozart et Rossini.
CD ET DVD DE STÉPHANIE D’OUSTRAC :
Callirhoé de Destouches, Disque Glossa ; Stabat Mater, Salve Regina de Pergolesi et Porpora, Disque Eloquentia ; Les Serpents de feu dans le Désert, oratorio de Johann Adolph Hasse avec Jérôme Correas et les Paladins, Ambronay Editions. Arianna a Naxos et canzonete d’Haydn, Ambronay Editions.
Médée furieuse, avec ses habituels partenaires de l’Ensemble baroque Amarillis, Naïve,
Ferveur et extase, Amarillis, Ambronay
DVD
Armide de Lully, Fra Musica ; Carmen de Bizet, direction de Jean-Claude Casadesus.
Photos :
1. En déesse Cybèle d’Atys de Lully (photos Pierre Grosbois)
2. Telle qu’en elle-même (Photo Baltel, agence Satirino).
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