L’ART DE BIEN CHANTER AU GRAND SIÈCLE
Bertrand de Bacilly ou l’art d’orner le « beau chant ».
Belle danse, beau chant, belle manière : belle obsession d’un siècle pas si beau, le « Grand Siècle » des Français ou « Siècle de Louis XIV » pour Voltaire qui impose l’expression au chauvinisme hexagonal de la France (qui n’était pas encore un hexagone) calquant l’expression patriotiquement auto-satisfaite sur ce que l’Histoire a consacré comme « Siècle de Périclès » pour les Grecs, « Siècle d’Auguste » pour les Romains, etc. Et les Espagnols ont leur « Siècle d’or » (en fait les XVI e et XVII e siècles !). Mais il est plaisant ou troublant de voir –d’écouter ici- comment, à peine calmées les fureurs déjà révolutionnaires de la Fronde parlementaire ou celle égoïste des Grands à l’intérieur, et signée la Paix des Pyrénées après trente ans de guerres contre l’Espagne à l’extérieur, une société de brutalité, friponne et polissonne pour les mœurs, à peine posée la première pierre de l’absolutisme versaillais et sa police, se veut polie et policée. Le libertinage religieux le plus ouvert y devient un simple libertinage érotique couvert sous l’étiquette hypocrite de cour. Et cette musique délicate, sans adoucir des mœurs fort colorées, avec ses bergeries à l’aquarelle et ses sentiments tendres et doucereux, est comme un fard, un envers rêvé à une réalité moins douce.
C’est ce que me suggère ce beau disque constitué de morceaux trouvés dans un manuscrit de 400 pages, qui sont un témoignage précieux sur un genre musical français de l’apogée du règne de Louis XIV, entre 1660 où il a les rennes du pouvoir en mains et 1680, pratiquement son installation de la cour à Versailles.
Dans ce fort volume, beau travail musicologique, cent-soixante et un airs ont été identifiés de Bertrand de Bacilly (1621-1690), compositeur, fameux en son temps, oublié aujourd’hui, que cet ensemble nous fait découvrir. Homme du monde des ruelles et salons précieux, Bacilly était de plus chanteur et maître de chant de grands de ce monde, du beau monde puisqu’il compta parmi ses élèves rien moins que de belles dames, telles la fille de la tumultueuse frondeuse duchesse de Longueville, la duchesse de Savoie-Nemours, Madeleine d’Angennes connue, avec sa sœur, pour de scandaleuses amours qui excitèrent la verve et la verdeur satiriques de Bussy-Rabutin dans son Histoire amoureuse des Gaules, et Henriette d’Angleterre, Madame, belle-sœur et sans doute maîtresse de Louis XIV, au bref et tragique destin déploré par Bossuet.
Bacilly était surtout connu pour son traité de chant et quelques airs publiés à part, que l’on retrouve ici mais avec l’addition de cette extraordinaire somme. Les airs sont « doubles », selon le procédé connu d’une exposition simple de la mélodie, embellie, à la seconde occurrence, d’agréments (c’est l’art du « beau » et bien chanter) , d’ornements les plus virtuoses, surtout des diminutions qui demandent une grande souplesse et précision au chanteur.Vélocité et volubilité que l’on ne s’étonne plus de retrouver dans la voix agile et ductile de Monique Zanetti. Ses fines roulades et roucoulades, irréelle dentelle vocale, ses diminutions sont si fines qu’on croirait qu’elle peut les diviser à l’infini, aux franges impalpables du silence.
L’air Sortez, petits oiseaux, sortez de ce bocage, est exemplaire de son art, de cet art d’orner le beau chant qu’illustre ce disque. Paul Willenbrock, basse taille, apporte le soubassement du tissu sombre de sa voix à la broderie lumineuse de la soprano. Mais leur belle diction n’use pas de la prononciation ancienne restituée.
Des airs instrumentaux (Nicolas Hotman, François Duffaut, Sieur de Sainte-Colombe) de musiciens contemporains posent le contexte élégant à ces textes musicaux raffinés. Pour les textes, on est dans la bergerie enrubannée, aux sentiments aussi convenus que ces clichés récurrents, l’oiseau amoureux « ne chanterait pas tant / Si c’estoit une peine » (1. Le printemps est de retour), que l’on retrouve même dans l’air de Renaud de l’Armide de Lully et Quinault :
« Si l’amour ne causait que des peines, / Les oiseaux amoureux ne chanteraient pas tant. »
Bref, une logique du lieu commun littéraire, qui devait répondre au lieu commun musical dans la rhétorique baroque du temps.
Ensemble À deux violes Esgales : Bertrand de Bacilly ou l’art d’orner le « beau chant ». Airs inédits, première mondiale. Disque Saphir productions
Ensemble À Deux Violes Esgales
Monique Zanetti (soprano),
Jonatnan Dunford (basse de viole)
, Sylvia Abramowicz (basse et dessus de viole),
Claire Antonini (luth baroque)
,Thomas Dunford (archiluth et théorbe),
Paul Willenbrock (basse).
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