ZOROASTRE
de Jean-Philippe Rameau, livret de Louis de Cahusac
Théâtre de Lenche
Le petit mais dynamique théâtre de Lenche a toujours veillé à une programmation musicale de qualité. Cette fois-ci, il a fait mieux puisqu’il a confié à l’excellent Ensemble Baroques-Graffiti, dirigé par Jean-Paul Serra, du 12 au 29 mai, des ateliers débouchant, au terme de la troisième semaine, sur la création de Zoroastre, tragédie lyrique, en version abrégée, allégée, réduite à un quatuor de chanteurs principaux et un autre d’instruments. Ces ébauche sont la préfiguration artisanale du projet artistique global pour 2013.
Ateliers Rameau
Les ateliers, du 12 au 26 offraient une approche bien menée vers l’œuvre de Rameau, des « Portrait croisés » entre Baroques-Graffiti avec les Pièces de clavecin en concert, Accordances (Sylvie Colas) intervenant pour la danse baroque et la vidéaste Nathalie Demaretz, chargée de projections pour le spectacle. Le 15, le claveciniste Freddy Eichelberger se chargeait d’évoquer, dans le cadre de « Petites histoires de claviers », le contexte musical du temps (Balbastre, Duphly, etc), lors d’un concert titré d’un dissonant « Around Rameau » pour le plus français des musiciens. Du 19 au 21 mai, un « Kadéidoscope opéra » permettait en deux fois de se familiariser avec les héros de Zoroastre, les deux couples antagonistes, les bons et les méchants, illustrés par les interprètes. Enfin, le 22 mai, à minuit, la thématique de l’opéra, « Des ténèbres à la lumière », était confiée à la viole de gambe de Victor Aragon et à la musique de Marin Marais. Le 29 à minuit, il revenait à Marine Sablonnière, flûte à bec, de recréer « Le chant de la nature » grâce aux œuvres de Carl Philippe Emmanuel Bach.
Du 26 au 28, cela avait été la création de ce Zoroastre.
L’œuvre
Elle s’inspire des légendes du Zend Avesta, ou plutôt, l’Avesta, livre sacré des zoroastriens, anciens adorateurs de Mazda (comme la pile du même nom !), puis du prophète de l’ancienne Perse, Zoroastre (Zarathoustra de Nietzsche) qui aurait vécu un millénaire avant J.- C., prêchant la lutte du Bien et le Mal, de la Lumière et les Ténèbres qui est en chaque homme, principe antagonique du monde dont s’empareront plus tard les manichéens. Cahusac fera de ces thèmes d’évidents symboles maçonniques qui choquèrent. Créé en 1749 sans succès et refondu en 1756, cet opéra connaîtra le succès dans l’adoucissement du didactisme moralisateur au profit d’une intrigue amoureuse plus banale : quiasme amoureux entre le ténébreux Abramane qui aime la lumineuse Amélite qui aime le solaire Zoroastre, vainement aimé par l’ombreuse Erinice. Bref, le mal, l’Ombre aspirent finalement au Bien, à la Lumière.
La réalisation
Faute d’effets baroques, de machineries complexes aujourd’hui impensables, la bonne idée était de confier à des « graffeurs », peintres de ces graffiti chers à l’Ensemble Baroque-graffiti, ici le talentueux collectif L’Artmada, le soin de projeter, avec la vidéaste Nathalie Demaretz, des images faisant office de décor. On est saisi, d’entrée par ces stries sombres qui zèbrent le fond sur l’ouverture dramatique et maléfique, orageuse, de la musique. Le problème c’est que la musique s’apaise sans que les « graffes » agressifs calment leur rythme, même lors des récits, en sorte qu’on a le sentiment de deux tempi qui ne se rencontrent que rarement, sans qu’on puisse même parler de contrepoint signifiant, musique et images jouant « perso », sans qu’on y sente un sens convergeant ou même divergeant. En effet, il y a tant d’images, qu’elles dispersent l’attention et, les couleurs et les sons ne se répondant pas, elles créent un effet assourdissant qui parasite la musique. Ne jouant pas dans son sens, elles jouent contre elle ; des projections de « graffeurs » peignant des murs, illustrent parfaitement cela : ils tournent le dos, à la musique, à l’action. Si bien que, malgré de belles images (portraits, tableaux…), on éprouve la sensation d’un immense remplissage à tout prix qui trahit une défiance envers la musique comme si elle était incapable de remplir, à elle seule, l’espace et le cœur.
La minimale minimaliste mise en espace de Renaud-Marie Leblanc, qu’on a connu plus inspiré (Ceux qui partent à l’aventure), est inaudible dans ce tintamarre visuel. Certes, il s’agissait là d’une présentation provisoire. Une vraie mise en scène devrait se serrer autour du conflit ombre/lumière, Bien/Mal maçonniques, ici noyé dans tous ces effets extérieur qui, par ailleurs, semblent indifférents au contenu dramatique de l’œuvre qu’il faudrait accuser au contraire pour dire la filiation jusqu’à La Flûte enchantée de Mozart.
L ’interprétation
La réduction pour quatre instruments, cordes frottées et pincées, violon (Sharman Plesner), viole de gambe (Christophe Oudin), violone et contrebasse (Jean-Christophe Deleforge) de Jean-Paul Serra (clavecin), est respectueuse, subtile et rend bien l’orchestre si harmoniquement coloré de Rameau : étoffée de quelques vents et d’un autre violon, c’eût superbe mais l’espace réduit de Lenche ne pouvait le permettre.
Groupés autour du chef Serra, cela sonne bien, avec une belle cohésion chambriste. Mais, effet de tant d’images qui meublent à satiété ? on a l’impression, parfois, que les chanteurs sont livrés à eux-mêmes, et l’on a senti quelques difficultés pour ces interprètes.
Du quatuor de chanteurs se détachent une basse puissante et expressive en Abramane, Geoffroy Buffière, bien formé à l’école du CNIPAL, en Amélite, une soprano, Eleonora de la Peña, adorable petite poupée, petit Tanagra de vingt ans, avec une voix en devenir déjà très belle, devant gagner en onctuosité, qui ira loin si elle résiste au danger de sa facilité qui expose son timbre. Elle fait un joli couple avec Vincent Lièvre-Piacard, haute contre (ténor aigu à la française) plein de charme, de douceur, peut-être trop en Zoroastre dont lui manque la grandeur héroïque, accusant quelque fatigue à la fin. La mezzo, Yukimi Yamamoto en Érinice, le personnage peut-être le plus intéressant de ces rôles conventionnels, délicate et émouvante, est desservie par la langue, pâtit en projection vocale.
Mais sans doute faut-il laisser à ce spectacle, à la belle ambition, le temps de se rôder, de s’installer.
Photos : Touhid Ster :
1. Ensemble Baroque-Graffiti ;
2. Les deux héros solaires : Eleonora de la Peña et Vincent Lièvre-Piacard ;
3. Les héros de l’ombre : Yukimi Yamamoto et Geoffroy Buffière.
4. Au fond, graffiti assagi.
Ateliers et Zoroastre de J. Ph. Rameau ;
Théâtre de Lenche, Marseille, du 12 au 29 mai.
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