MARSEILLE CAPITALE
DE LA CULTURE 2013
LA MUSIQUE EN SOURDINE
À l’orée de l’été,
l’hiver s’attarde, le printemps tarde et Marseille Provence Capitale culturelle
20213 piétine, surtout la musique, la grande absente des manifestations.
À chaque jour suffit
son lot frondeur de vernissages d’expositions, installations et autres
manifestations d’arts plastiques aux quatre coins de la ville, loin du label
MP13 chichement accordé aux obscurs et sans grade mais non sans mérite et
richement concédé aux riches aux somptueuses niches financières, avec pour
centres de gravité officiels le nouveau FRAC admirable bâtiment pour peu de
choses à admirer, la réouverture réussie du MAC (Musée d’Art Contemporain,)
l’ouverture de la Villa Méditerranée, édifice un pied dans l’eau et un pied de
nez à la beauté architecturale du MUCEM qu’il occulte et offusque. Ce dernier,
inauguré en grande pompe le 4 juin en présence du Président de la République et
de la Ministre de la Culture est, au moins une réussite architecturale,
n’était-ce, côté esplanade Saint-Laurent, une passerelle fort utile mais qui
barre l’horizon et les îles et, en sens inverse, du Pharo, barre la cathédrale
de la Major.
Face à ces édifices
nouveaux qui resteront, mais pour contenir quoi, on ne sait pas encore très
bien, sur les quais bien dégagés du Vieux-Port rénové, grande débauche de
statues d’animaux multicolores qui ravissent les enfants, mais constamment
changées de place à grand renfort de grues et pour un coût d’opération qui sera
aussi lourd qu’eux, trois statues immenses imités de Dalí, quelques spectacles
de rue labellisés comme si les Marseillais ne méritaient guère mieux que ces
parades, mais qui prêtent, il est vrai, un air joyeux de fête permanente à
Marseille, telle cette grande Transhumance
certes fort sympathique cavalcade de chevaux et poulains affolés, piétinement
d’un troupeau bêlant d’ovins tels des ovnis dans une grande ville, mais qui
confond culture et agriculture, et fumure sans doute avec les balayeurs fermant
le cortège pour ramasser le crottin.
La littérature, c’est
lettre morte : exit officiel Camus à part un colloque de dix-sept
participants à l’initiative d’admirateurs, un conteneur funèbre aux noms de
grands ports qui annonce pompeusement une exposition René Char et, en fait de
poète, ne contient qu’un livre fort cher de photographies de Serge Dassier qui
signa pendant quinze jours assidûment et, pour alibi littéraire deux textes
photocopiés de Michel Butor et d’Arrabal …
Le grand acteur
marseillais Philippe Caubère s’est vu refuser un spectacle sur Marsiho (Marseille) d’André Suarès (1868-1948), une occasion
perdue de redécouvrir cet écrivain et poète génial marseillais, auteur de
quatre-vingts livres parus de son vivant et d’une trentaine d’œuvres posthumes,
célébré par tous les grands écrivains et artistes de son temps comme Bergson,
Unamuno, Malraux, Montherlant, Blanchot, Bonnefoy, etc, Fauré, Dukas, Satie,
Bourdelle, Rouault, Matisse, Picasso, etc. Caubère a dénoncé haut et fort sur
les ondes la « branchitude » qui exclut les artistes locaux, et le
collectif « Le Printemps marseillais » et le MP13 Off s’est constitué
pour stigmatiser le parisianisme et l’opacité du comité de sélection.
Par ailleurs, un grand
théâtre comme le Gyptis, après un quart de siècle de rayonnement indiscutable
dans un quartier déshérité, la seule scène offrant emploi à plus de deux-cents intermittents par an,
ferme ; le Concours International d’Opéra est torpillé pour toujours alors
que la ville avait voté une scandaleuse subvention de 400 000 € au DJ David
Guetta, plus l’octroi gratuit d’un emplacement exceptionnel pour un concert à
50 € la place, qui a soulevé une telle indignation sur les réseaux sociaux
(près de 75 000 signatures en peu de jours) que l’intéressé, sinon la municipalité
assiégée par la fureur citoyenne, a renoncé de lui-même à cette manne, sinon à
son concert. Pour comparaison, le remarquable ensemble Baroque graffiti, attendait toujours 3000 € de subvention pour
survivre. Quant à l’Opéra de Marseille, de rang international, malgré une
saison toute dévouée au thème méditerranéen imposé à MP13, la somme allouée
pour l’intégrale des Troyens de
Berlioz avec Roberto Alagna et Béatrice Uria-Monzon ne permet qu’une version…
de concert. Le CNIPAL (Centre National d’Insertion d’Artistes Lyriques),
structure unique en France, est non assuré de sa survie alors que Ludovic
Tézier, Béatrice Uria-Monzon et d’autres chanteurs lyriques venus d’ailleurs
s’y perfectionner en font le rayonnement sur les scènes internationales.
Les labels décernés
parcimonieusement ne sont pas forcément suivis d’aide financière :
Marseille-Concerts a un seul concert labellisé mais pas financé ; le
magnifique ensemble Les Festes d’Orphée,
attaché à la résurrection, à l’édition et à l’enregistrement du patrimoine
baroque provençal d’Aix, devait recréer les 9 et 10 juillet Les Muses
rassemblées par l’Amour du célèbre
compositeur aixois André Campra présentées le 6 juillet par une conférence.
L’œuvre de 1723 (commande de la ville d’Aix, sur le texte d’un autre
aixois académicien), réputée perdue, récemment retrouvée, et jamais rejouée
depuis l’époque, est dédiée à sa ville natale Aix-en-Provence et la glorifie
comme capitale des arts et de l’amour. Faute d’argent, cela n’aura pas lieu.
Concerto soave reçoit un label, mais une aide bien insuffisante pour son
projet. Le GMEM est bien mieux doté et, espérons-le, Musicatreize. Il semble en
fait que MP13, volant au secours de la victoire des grandes structures, qui
tirent leur épingle du jeu, pour les autres, c’est l’épingle dans la botte de
foin pour la clarté et le financement.
Marseille, ville musicale
Pourtant, Marseille
est une grande ville musicale même si les responsables de MP13 se bouchent les
oreilles. La belle revue municipale Marseille a pu naguère consacrer un volume
de près de cent-trente pages à la musique dans la ville. Avec pour lieu
emblématique l’Opéra, plus ses concerts symphoniques et de musique de chambre,
ses récitals au foyer, on compte plus d’une trentaine de lieux, dont le récent
et immense Silo, où se pratique la musique, sans oublier trois théâtres qui en
programment (le Gyptis, le Toursky, le Festival de piano de la Roque d’Anthéron
se décentralise à la Criée), dont l’active Cité de la Musique, la bibliothèque
de l’Alcazar, les Archives départementales, etc, les églises. Sans oublier les
associations et clubs (Lyric Opéra, Club lyrique, Club Wagner, le Club Opéra
Lions), parmi d’autres structures qui programment de la musique, on dénombre
dix ensembles baroques de qualité, la Société de Musique de chambre,
Marseille-concerts, Musique & Co, six festivals (Mars en Baroque et Automne
baroque, Festival des Musiques sacrées, Festival des Musiques interdites,
Festival de Saint-Victor… ).
Pour la création
musicale, Marseille est riche du Festival des Musiques contemporaines du GMEM
(Groupe de Musique Expérimentale de
Marseille), issu en 1969 du Conservatoire National de Région où fut créée la
première classe de musique électroacoustique en France. Depuis 1987, il
organise le festival Les Musiques, devenu en 1993 un festival
international consacré aux Musiques d’Aujourd’hui. L’on n’oubliera pas le GRIM,
Groupe de Recherche en Improvisation Musicale, qui donne des concerts de
musique expérimentale, où se produit l’excellent ensemble Télémaque, dont le
directeur, Raoul Lay, est par ailleurs compositeur tandis que Musicatreize fait
rayonne partout la musique contemporaine…
Quant aux lieux,
parfois microscopiques, où d’excellents amateurs se produisent en classique ou
variété, ils fourmillent dans la ville (cinquante théâtres), le Med’s, le Rouge
Belle-de-Mai, le Latté. Marseille, qui défraye et défraie la chronique par ses
faits divers, est un lieu étonnant et détonant de créativité en cette époque de
crise.
Concert à
l’Alcazar, 28 mai
Au passé prestigieux
pour l’opérette marseillaise et les variétés, devenu Bibliothèque de Marseille
à vocation régionale, riche en musique, l’Alcazar organise, au long de l’année,
des rencontres avec débats autour d’événements musicaux comme les
présentations, par les artistes eux-mêmes, des productions de l’Opéra de
Marseille et des concerts originaux, toujours gratuits.
De la sorte, on a pu
goûter le concert-conférence du groupe Polyphonies croisées formé d’Agnès Condamin, concertiste, professeur de guitare au Conservatoire à Vocation régionale de Marseille
et de Frédéric Isoletta, pianiste, organiste, agrégé de musicologie,
également professeur, qui, sur
fond de projections de toiles de Klee, Rothko, jouant avec les lignes et
les notes, s’étaient adjoint le concours de Sonia Garcia Parrilla, récitante, pour offrir le contrepoint de poèmes andalous du Romancero
gitano de Federico de García Lorca pour faire correspondre de simple mais baudelérienne façon les sons,
les couleurs sinon les parfums de cette poésie saturée de senteurs andalouses.
Plaisir de l’œil, de l’oreille de l’intelligence et du cœur. Et quelle virtuosité et vélocité pour ce
programme où la guitariste s’empare de morceaux pour le piano diabolique
d’Albéniz auxquels le pianiste donne l’écho improvisé et transposé à vue du
clavier, sans fausse note, dans un équilibre miraculeux des deux instruments
apparemment si inégaux ! Tour à tour Asturias, Granada
d’Albéniz, la Danse du feu pour
orchestre, extraite de L’Amour sorcier de Manuel de Falla
passent à la guitare/piano sans aucun hiatus et, enfin, plus paisible
instrumentalement, la Fantaisie pour un gentilhomme de Rodrigo, pièce expressément composée pour la
guitare, composent la part hispanique du concert . Concertants aussi dans
le commentaire, les deux instrumentistes éclairent leur concert de propos
simples et précis, avec des exemples éloquents au clavier par Frédéric
Isoletta. Il montre la cohérence de leur programme par l’affinité, l’harmonie
étrange entre les gammes hispaniques et celles d’Europe Centrale. Cela
introduit tout naturellement, les Danses roumaines de Bartók, d’une inspiration tout aussi populaire et
savante que celle des Espagnols. Pour finir, c’est le feu d’artifice détonant,
dissonant, brisant rythmes et tonalités, sur le poème Canto negro du p Nicolás Guillén (déjà mis en musique de plus
classique façon par Xavier Montsalvatge dans ses fameuses Canciones
negras) par le compositeur contemporain
cubain Leo Brouwer (né en 1939).
Un public ravi fit une
ovation méritée à ces jeunes talents d’ici sans ce label venu d’ailleurs.
Bibliothèque de l’Alcazar,
Marseille, 28 mai
Polyphonies croisées : Agnès Condamin, guitare ; Frédéric
Isoletta, piano ; Sonia Garcia Parrilla, récitante.
Isaac Albéniz, Manuel de
Falla, Joaquín Rodrigo, Bela Bartók, Leo Brouwer.
Temple (de la
musique) Grignan
C’est un autre
lieu non négligeable qui accueille et promeut la musique. Issue des anciens
Amis du CNIPAL qui accueillaient, encadraient les jeunes stagiaires étrangers
au maigres bourses venus du monde entier s’y perfectionner, les aidant dans
leurs démarches administratives, à trouver un logement, etc, sans nulle
subvention, l’Association Lyric Opéra s’est constituée pour leur offrir également la possibilité de se
produire en solistes ailleurs que dans le Foyer de l’Opéra qui, dans les deux
rituelles Heures du thé mensuelles les produit depuis des années.
Mais l’association programme également d’anciens stagiaires déjà frottés
largement aux scènes nationales et même internationales, qui manifestent de la
sorte leur fidélité amicale à ces anciens Amis du CNIPAL
C’est ainsi que le 2
juin, accompagnés par la ductile pianiste Valérie Florac, étaient à l’affiche deux chanteurs, la mezzo Emmanuelle
Zoldan et le ténor Marc Larcher, voix de velours et voix de lumière, ombre et
soleil, ambre et or. Tous deux ont diversement incarné des héros lyriques
correspondant à leur tessiture sur de nombreuses scènes nationales, la mezzo
étant une notable Carmen et Maddalena de Rigoletto, le ténor se
taillant par ailleurs de beaux succès dans de belles productions tournantes des
grandes opérettes du répertoire classique, sa verve et sa culture
franco-espagnole le faisant jubiler dans Andalousie et La Belle de Cadix de Francis Lopez.
Ils proposaient ici Une
décennie de musique française, un
intéressant état de l’opéra français au XIX e siècle, opéra comique
et bouffe compris, de 1865 à 1877, époque où se créée ou recrée un style
lyrique français posé par Gounod, imposé par Bizet, proposé même par l’ironie
parodique d’un Offenbach, qui ébranle l’empire étouffant de l’opéra italien.
Ils sont beaux, des
jeunes premiers, il chantent bien et, par ailleurs, s’avèrent de remarquables
interprètes comédiens, donnant vie aux personnages qu’ils incarnent en concert,
en dehors de la dramaturgie d’une scène, d’un spectacle. Alternant solos et
duos, ils enchantent le public. De la sérénade de Smith (La Jolie fille de
Perth de Bizet) à l’aubade de Roméo (Roméo
et Juliette de Gounod), Larcher déploie un
timbre solaire qui éclairerait vraiment la nuit, ferait vraiment se lever le
soleil, projection lumineuse et généreuse, élégance du phrasé, tenue scénique
exemplaire : nombre de chanteurs sont déformés par l’émission vocale, lui,
il en est embelli, souriant. Nous faisant le cadeau, pour illustrer la
thématique du concert, du grand air de Dalila (Samson et Dalila, Saint-Saëns) même s’il est trop grave pour elle et
contrarie le souffle, Emmanuelle Zoldan, regard intense, toute en velours
vocal, est une sensible Charlotte (Werther de Massenet) à la couleur et au volume homogènes, sans les lourdeurs
vocale qui empêtrent parfois le rôle, une Carmen infiniment convaincante, très
séduisante. Ces deux jeunes chanteurs réussissent la gageure, tout en chantant
face à la partition, de nous donner l’illusion qu’ils sont dans le drame de la
scène pour le poignant duo final de Carmen. Enfin, passant à
Offenbach, duos et solos, ils se montrent tout aussi crédibles, risibles
dans le jeu, en passant avec une aisance joyeuse de drame de l’opéra à jubilante dérision de
l’opérette. Deux grands artistes secondés par une belle pianiste.
Temple
Grignan, 2 juin
Emmanuelle
Zoldan, Marc Larcher, Valérie Florac, piano
Airs
et duos : Bizet, Gounod, Massenet, Offenbach, Saint-Saëns.
Photos :
1. Passerelle du MUCEM ;
2. Toit du MUCEM et cathédrale de la Major;
2. Agnès Condamin et Frédéric Isoletta ;
4. Emmanuelle Zoldan et Marc Larcher.
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