CHRONIQUE DE DISQUES
L’actualité
musicale de Marseille et sa région est si riche qu’elle ne me laisse guère le loisir de rendre
compte de celle de disques. Avec l’accalmie relative des vacances, voici un
petit rattrapage.
D’abord un disque de ce jeune mais ambitieux label au nom plaisant,
Indé!SENS, Mozart /Beethoven, quintettes pour piano et
vents en mi b majeur. Ce disque met en regard, plutôt en écho, en écoute,
deux quintettes pour piano et vents de Mozart (1756-1791), en mi bémol (numéro
d’opus KV 452) et, en mi b M lui aussi (opus 16) de Beethoven (1770-1827),
hautbois, cor, clarinette, basson. Pas de nom de groupe pour l’ensemble
talentueux de jeunes gens qui les interprète et qui tourne, depuis 2011, avec
ce programme, dans des salles prestigieuses d’Allemagne et d’Autriche, de
Munich à Vienne, en passant par le Mozarteum de Salzbourg.
Lauréat de nombre de concours prestigieux, avec déjà un beau
palmarès discographique, le pianiste Herbert Schuch, pour cet enregistrement, s’est entouré de quatre
musiciens de sa génération, tous Premiers prix du fameux concours international
ARD de Munich, et récompensés également par d’autres prix enviables qu’il
serait long de décliner ici : Ramón Ortega Quero, hautboïste, David Fernández Alonso, corniste, Marc Trénel, bassoniste, Sebastian Manz, clarinettiste. Belle homogénéité de talents et
d’âge, connivence sensible dans l’interprétation.Il y a donc deux Espagnols, un
Français, et, avec Schuch lui-même, un autre Allemand : une pléiade
européenne pour le langage universel de la musique pour ce disque enregistré à
Paris.
Avec ce quintette, un piano et quatre vents, rare association
d’instruments à l’époque, les vents étant voués en général, à cause de leur
puissance sonore, à une vigoureuse musique de plein air, militaire ou d’agrément
civil, Mozart dignifie cet ensemble inédit et inouï en le constituant, pour la
première fois en musique de chambre intimiste, alors qu’on entendait et
attendait plutôt des cordes dans cet emploi. La gageure n’était pas mince, les
instruments à vent n’ayant pas, entre eux, l’homogénéité des cordes. Même si le
piano y est central -Mozart le tenait-il donne un jeu égal à chaque instrument,
et, dans la beauté des proportions, le résultat est un modèle d’équilibre.
Mozart vante le succès de son œuvre dans une lettre à son père dont il regrette
l’absence et le jugement :
« ce quintette, je le tiens, moi-même, pour le meilleur que
j’ai encore écrit de ma vie… Ah, que je voudrais que vous ayez pu
l’entendre ! »
On n’est pas obligé de croire Mozart lorsqu’il dit que c’est ce
qu’il a fait de mieux, le mieux, chez lui, est innombrable, on le sait. Mais, à
coup sûr, les interprètes l’ont pris au sérieux à juger le sérieux profond et
allègre de cette interprétation équilibrée : pureté des lignes où se dessine
un classicisme qui va vite perdre son équilibre serein avec Beethoven pour
tomber dans un romantisme qui est, en somme, un affect baroque de ce
classicisme.
Le quintette de Mozart
est de 1784, celui de Beethoven de 1796, à peine éloignés de douze ans :
Mozart a vingt-huit ans et il lui en reste sept à vivre (il meurt en 1791 à
trente-cinq ans), Beethoven, vingt-six ans quand il compose le sien, l’astre
bientôt éteint le premier, soleil levant pour le second. Beethoven aurait pu
entendre le quintette de son aîné admiré à ses seize ans, dans cette même
Vienne qui l’accueille, en tous les cas, en consulter la partition. En effet,
les ressemblances sont, sinon criantes, chantantes : un ensemble
d’instruments assez rare, la même tonalité pour les deux de mi bémol majeur,
trois mouvements pour les deux pratiquement aux mêmes tempi malgré la
convention des mouvements tripartites en général. Lumineuse beauté de
l’interprétation.
On remonte un peu le temps, et après Mozart et Beethoven, Autrichien
et Allemand, ce dernier à cheval entre les XVIIIe et XIXe
siècles, voici deux compositeurs français entre les XVIIe et XVIIIe,
une époque qui ne connaît pas encore le piano mais presque exclusivement le
clavecin :
Marchand,
Rameau : Christophe Rousset,
clavecin, éditions Ambronay.
C’est le claveciniste bien connu Christophe Rousset qui signe cet bel enregistrement par le choix et
l’interprétation. Il le consacre à deux musiciens français Louis Marchand
(1669-1732) et Jean-Philippe Rameau (1683-1774). Ils ont en facteur commun
d’être pratiquement contemporains et d’avoir travaillé tous deux à Lyon, où Marchand naquit et
fut maître organiste ; Rameau, de Dijon, séjourna deux fois à Lyon avant de
s’établir définitivement à Paris en 1723. Pour plus d’harmonie encore, Rousset
joue sur un clavecin lyonnais historique signé Donzelague, construit en 1716.
Au programme trois suites de danses typiques de l’époque, deux de Marchand suivies de trois
pièces, et une suite de Rameau. Pour Marchand, Suite en ré de son Livre I édité en 1699 et la Suite en sol de son Deuxième livre de 1702. Pour Rameau, c’est la
Suite en la également de son
premier Livre, paru en 1706. Les
deux compositeurs utilisent le schéma traditionnel de ce qu’on appelle
plaisamment la « Suite française », débutant par un prélude non
mesuré, libre, suivi de danses en fait venues d’une Europe sans
frontières : allemande dont le nom dit l’origine, gigue anglaise,
sarabande et chaconne espagnoles, enfin courantes, gavottes, italiennes,
menuets et courantes, étant les seules danses vraiment
« françaises », encore qu’on est heureux de la porosité artistique
des frontières, loin des sottes vanités nationalistes.
Évidemment, entre
Marchand, encore tributaire du style noble et parfois compassé, mais très
fleuri, du temps de Louis XIV qui assimile le clavecin, instrument à cordes
pincées, à la viole et au théorbe, et celui de Rameau aux lignes claires mais
plein de fantaisie et même de fureur, il y a la distance entre un baroque et le
rococo scintillant, mais aussi entre le talent et le génie. C’est une belle
promenade dans « le noble ferraillement » du clavecin qui, sonne,
parfois, sans doute perfidie de l’acoustique du lieu d’enregistrement, un peu sec
Pour finir, voici encore
un disque encore original du label Indé!SENS qui avec The art of euphonium, nous présente au mieux un instrument rare,
l’euphonium, en apparence sorte de trombone de plus grandes dimensions, de la
famille des saxhorns, au son le plus grave des cuivres, mais capable d’une
douceur toute délicate, inventé en Angleterre en 1835. C’est Bastien Baumet qui nous promène à travers les musiques de James Curnow, de Daniel A. d’Adamo,
de Philip Sparke et de Vladimir Cosma dans les vibrations sensibles de son
instruments si proche de la voix humaine, dans l’émotion de vibratos pudiques
et des couleurs d’automne doré contemplé des vitres épaisses et vaguement
colorées d’une caude et intime brasserie. Une poésie nostalgique se dégage de
ce gros instrument si doux, aimable géant au cœur tendre.
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