CIEL, LE COMTE ORY !
LE COMTE ORY
Opéra en deux actes de Gioacchino Rossini,
Livret français de Scribe et Delestre-Poirson
(1828)
L’œuvre
« Ciel, mon mari ! » est devenu une exclamation folklorique qui symbolise
le vaudeville français où la comique et horrifique situation est l’arrivée
inopinée du mari quand la femme est avec son amant. Par une plaisante inversion
dans le retour puritain sinon victorien de l’époque de la Restauration, guère
badine et libertine, dans ce vaudeville aux stéréotypes de Commedia dell’Arte,
c’est Ory, horripilant, Comte plus pendard que paillard, qui ferait sans doute
pousser ce cri d’orfraie effrayée à la volière de belles dames dans le
poulailler qu’est devenu ce château déserté de ses mâles, dans lequel il tente
de s’introduire avec des ruses de renard qu’une poule aura finalement
pris : fripouille bredouille, fripon frappé de terreur au retour des
maris, battu battant en retraite discrète, la queue entre les pattes.
Conte d’un Comte médiéval
libidineux tentant de profiter de l’aubaine de maris partis en croisade pour se
glisser dans le castel et dans le corps sinon le cœur de la belle Adèle, trop
vertueuse comtesse, non pour la séduire en lui faisant la cour tel un amant
courtois qui attend la reddition de la forteresse, mais pour la posséder à son
corps défendant, et défendu par son page Isolier, vrai amoureux de la dame. Ce
page est une sorte de Chérubin (un travesti aussi) de Noces de Figaro, qui n’aimerait qu’une seule femme et non toutes et
qui, délibérément et non par accident, sous cape, ferait échouer tous les plans
du Comte, comme Donna Elvira fait capoter tous ceux de Don Juan. Les divers
travestissements comte en ermite, chevaliers en pèlerines, renvoient à
l’univers bouffe de l’opéra, et l’on pense au Barbier de Séville et aux divers déguisements du Comte Almaviva pour
s’introduire dans le logis de sa belle.
Mince anecdote et plate écriture, plus grise que grivoise pour
cette gaudriole guindée, sauvée par
une musique riche et bondissante, d’une verve verte, fleurie de vocalises
hérissant tous les rôles et toutes les tessitures, airs virtuoses avec
cabalettes et chœur, cadences vertigineuses d’agilité, rythmes hispaniques,
boléro ou séguedille : du grand art rossinien au sommet.
La réalisation
D’une verte prairie d’enluminure de livre d’heures médiéval,
illuminée de buissons fleuris, avec fond nébuleux de forêt buissonnante qui
s’ouvrira comme les découpures de livres d’enfant en fenêtres ornées de gentes
dames et en murs crénelés où deux chevaliers en armure feront une cavalcade
rythmée, plus proche des manèges que des cortèges guerriers, on passe à une
sorte de sauna ou sérail féminin, à une chambre, avec des signes plaisamment
anachroniques, un siège d’arbitre de tennis, des chaises-longues, des paysans invalides, un caniche nain
mondain, etc. Sous les lumières efficaces de Roberto Venturi, c’est un décor simple, de bonne humeur (Jacques
Gabel et Claire Sternberg). Les costumes des dames (Catherine Leterrier), aux teintes vives, sont d’un Moyen-âge allusif et
tardif, avec des coiffes de fantaisie ; les hommes ont la bure brune des
ermites plus impénitents que pénitents.
Cependant, il faut saluer la mise en scène vive, inventive de Frédéric
Bélier-Garcia, toujours au service
de la musique, dans la musique, dans son rythme, d’une veine humoristique constante jusque dans les
détails, et, avec une distribution de chanteurs tous par ailleurs excellents
acteurs, un vrai travail de comédie non seulement dans les déplacements, les
attitudes stéréotypées, les expressions physiques, mais aussi dans le chant
belcantiste rendu à l’expressivité théâtrale, dans une manière irrésistiblement
drôle de faire « jouer » même les vocalises.
Interprétation
Plateau de rêve avec un
seul bémol dans cette vocalité tendue de dièses aigus : la voix de Marc
Laho, Comte Ory irrité par le mars
allergène marseillais, gêne là-haut qui ne masque pas la technique ni la beauté
du matériau vocal, ni la drôlerie du jeu, rondouillard égrillard, crucifié hypocritement sur la croix de
ses turpitudes sur d’humoristiques cadences plagales, d’église. Bien
compréhensible et concupiscible objet de ses délires et délices ratés, la belle
Annick Massis, met sa voix
superbe, sa technique sans faille, au service d’un jeu de comédie irrésistible
dans d’hilarantes vocalises hachées de soupirs de jouissance jubilante, qui en
disent long, dans les longues tenues hystérisées, sur ce qui gratouille et
chatouille cette chaste dame, plus émoustillée qu’effrayée de ces assauts
virils. Elle ne repousse guère le page Isolier. Il est vrai que, même en
crédible travesti, Stéphanie d’Oustrac, voix de velours sombre et ardent, est d’une stupéfiante présence
scénique et vocale, toute en nerfs, bondissant lutin qui lutine la dame et dame
le pion au Comte : dans des enlacements à trois, entre le Comte berné,
Adèle et Isolier, le trio poétique de la nuit devient une inénarrable et
inextricables scène de triolisme érotique dans le lit nocturne dont on ne sait
plus l’issue.
Marie-Ange Todorovitch,
autrefois Isolier, est aujourd’hui Ragonde, faconde en morales leçons, dont la
sensuelle rondeur de la voix et des formes dément la sèche chasteté des propos,
tourière pleine d’atours, gardienne de la forteresse et de la morale, ceinte de
clés immenses de l’enceinte comme vaste ceinture de chasteté, dont on
attendrait plus d’un tour dans son sac. Avec son efficacité habituelle, Jean-François
Lapointe campe un Rimbaud, ribaud
barbu, d’abord bourrin bourru bourré de morale, puis bourré de vin, gaillard,
paillard, cherchant ripaille et victuaille, avec un air à boire de
« liste » volubile dans la tradition bouffe, ici, de vins, sorte de
séguedille échevelée aux vocalises avinées, à toute vitesse, où éclate la
virtuosité de sa généreuse voix. En quelques scènes, d’abord en Gouverneur
gourmé mal gouvernant le Comte puis gagne à sa cause, Nicolas Courjal séduit par la beauté de sa voix de basse aux graves
superbement timbrés. Diana Axentii est une jolie Alice à réentendre et on entend avec plaisir Wilfried
Tissot. Les chœurs, ribambelle de
pucelles et dames esseulées et fausses pèlerines masculines aux inénarrables
coiffes de nonnes, sont menés par Pierre Iodice avec maestria. Mais le maestro Roberto Rizzi
Brignoli mérite mille bravos :
de l’ouverture avec ces pas de
loups de loup dans la bergerie au crescendi « vacarmini » des
ensembles concertants,
il mène tambour battant (sans aucun) son monde, vif, incisif : train d’enfer
pour un Rossini de paradis.
Production
Angers Nantes Opéra
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Direction
musicale : Roberto
Rizzi Brignoli
.
Mise en
scène : Frédéric
Bélier-Garcia
; Décors : Jacques Gabel ;
Costumes : Catherine Leterrier
; Lumières : Roberto Venturi.
La
Comtesse Adèle :
Annick Massis ;
Isolier : Stéphanie d’Oustrac ; Ragonde : Marie-Ange Todorovitch ;
Alice : Diana Axentii ; Le
Comte Ory :
Marc Laho : Rimbaud : Jean-François Lapointe ;
Le gouverneur : Nicolas Courjal ; Coryphée : Wilfried
Tissot.
Photos :
Christian Dresse :
1. Todorovitch, Lapointe, Axentii ;
2. Massis, Laho, d'Oustrac ;
3. Sérail des dames;
4. Massis et Laho en sœur Colette ;
5. Trio nocturne…
1. Todorovitch, Lapointe, Axentii ;
2. Massis, Laho, d'Oustrac ;
3. Sérail des dames;
4. Massis et Laho en sœur Colette ;
5. Trio nocturne…
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