LA NOUVELLE VÉRONIQUE
Par
La Troupe lyrique Méditerranéenne
D’après Véronique (1898), opérette d’André Messager,
libre livret adapté de l’original (Vanloo et Duval) par Mikhael Piccone en
collaboration avec Gwennaelle Seiferer et Marion Grégori.
Marseille, Théâtre du Lacydon
16 novembre
Belle et bonne idée : créer une
troupe d’artistes du cru et leur donner la possibilité de s’exprimer sur scène,
en troupe. Belle et bonne troupe que celle de ces jeunes et beaux chanteurs
menés tambour battant par le dynamique et enthousiaste Mikhael Piccone qui signe mise en scène et part de
l’adaptation avec ses complices Gwennaelle Seiferer et Marion Gregori. Le résultat : un spectacle
réjouissant, plein d’allant et de talent à partir d’une œuvre dont la musique
résiste encore au temps, au moins deux airs, mais dont le texte est
passablement vieillot.
L’œuvre
Encore que peu
originale mais courante à la scène, l’intrigue, le déguisement pour faire
advenir la vérité, ici un travestissement de la fiancée incognito pour jouer et
déjouer un Vicomte criblé de dettes et coureur de dot et jupons, pourrait
être du Marivaux, du Da Ponte/Mozart. Mais la trame, sans frôler le drame (un
adultère, une rupture, une aventure et mariage faussés), est desservie par un
texte d’une fadeur bourgeoise qui, sans être tiré par les cheveux, est loin
d’être ébouriffant, de décoiffer. Et c’est là que nos lascars, sans se faire
des cheveux, ont saisi la fortune par un cheveu, par la chevelure, en ont fait
des frisettes et des risettes, et même paré les personnages de perruques et de
nouveaux noms qui sont un programme digne d’un salon, sinon de la haute, de
coiffure. Dans ce monde bourgeois où prime l’intérêt, où Guizot, ministre de
Louis-Philippe, sous le règne duquel se passe l’action, lançait le fameux
« Enrichissez-vous ! », cette Nouvelle Véronique, sans que cela tienne à un cheveu,
ou plutôt oui, tout se monnaie non en monnaie de songe mais de singe : au
cheveu près ! On ne paie pas rubis sur l’ongle mais sous l’angle de sa
chevelure, on ne paie pas sur sa mine, sur sa tête, mais sur sa crête : on
paie sur la mine plus ou moins riche de ses cheveux plus ou moins fournis! Et
de tant devoir, de tant de dettes, certains, sans un radis, ont les cheveux
ras, sans être rasoir, menacés de calvitie totale par les remboursements.
Réalisation et interprétation
La mise en scène de Piccone, sur ce postulat chevelu farfelu,
fourmille de trouvailles, de détails cocasses colorés où l’on retrouve sa veine
et sa verve comique, bien servie par les échos coloristes des costumes et des
perruques du quatuor Agnès Pasqualini, Mireille Frayssinhes, Marie Pons, Marion
Redoutey, qui bien attifent et affublent
un quatuor de belles plantes du fleuriste, Alice Buro, Sabrina Kilouli,
Marie Pons, Laura Stamboulis, de beaux tailleurs et de perruques platine
d’abord, rousses ensuite pour la suite de demoiselles d'honneur de la noce qui
font jeu même avec la botte de carottes :
un carré de dames bien sexy pour
la sage robe virginale de mariée de la Véronique dévoilée. On apprécie
également l’harmonie de la robe de la tante qui joue même avec celle de son
parapluie, et l’arc-en-ciel de la robe de la volage Agathe, la belle Émilie Cavallo à la superbe voix. Jolie harmonie des couleurs et des
ensembles vocaux.
Mais la
trouvaille essentielle est d’avoir fait de Florestan, ci-devant Vicomte de Cheveux
courts (Gilen Goicoechea) menacé, pour dettes, d’être rasé à zéro comme son compte
en banque, un rocker, le rocker par excellence, un Elvis Presley en blouson de
cuir et le cuir chevelu brillantiné pour ce brillant ténor —pardon— baryton
brillantissime, timbre chaud de chaud lapin, voix sonore, ample et large comme
ses épaules de rouleur de mécaniques et comme son ego, miroir en main pour
vérifier sa rutilante dentition (« Cheese ! ») et sa coupe de
cheveux soigneusement et amoureusement plaquée de sa main et de ce peigne qui
ne le quitte pas.
Le destin de son compère Loustot, baron
de Frisette sans un poil, tient à lui par un cheveux pour récupérer les siens
si l’ami règle ses dettes grâce au mariage d’argent. Il est campé avec drôlerie
par l’excellent ténor Guilhem Chalbos qui pourrait crier « Chauve qui
peut ! » avec le cocu Coquenard, la basse sombre Guillaume
Barralis,
dont le manteau est aussi enrichi des scalps d’autrui, signe extérieur de
richesse, que son crâne en est pauvre, et le front, orné par sa femme et
Florestan, est nu comme un œuf, le faisant rêver de la promotion d’une
perruque. On ajoutera à ces bien chantants mâles en mal de cheveux ou mariage,
le drolatique Séraphin d’Angelo
Citriniti,
sorte de Napolitain frustré par sa femme, la jolie Alexia M'Basse, couple haut en
couleur.
Côtés
dames de la high society, il faut saluer l’aisance scénique d’Annabelle
Sodi-Thibault en Ermerance de Cheveux durs/Estelle, tante aristo et pincée qui
en pince pour l’humble fleuriste Coquenard. Véronique —pour le dragueur
Florestan— en grisante grisette (mais en robe vichy et non en grisaille
ouvrière) Hélène de Cheveux d'Ange déguisée, a l’angélique et fraîche voix de Marion
Rybaka,
musicale et douce, mêlée, sinon encore mariée, à celle ardente du pendard
Florestan de Gilen Goicoechea. Ils nous font goûter les duos au charme
désuet attendrissant : « De-ci, de-là, cahin-caha, /Va chemine, va,
trottine !/ Le picotin te récompensera », de la balade et ballade en
âne, et le fameux « Poussez, poussez, l’escarpolette ». Il faut dire que
la fermeté et la vivacité de la direction musicale, à partir du piano, de Valérie
Florac tient bien toute la remuante et juvénile troupe, en maintien le
dynamique tempo sans faille avec le soutien feutré du violoncelle de Jean-Yves
Poirier
et de la flûte parfois espiègle de Danilo de Luca.
Même les silhouettes (Fabienne Hua, Émilie
Bernou, Jérémy Favret, Jeong-
Hyun Han) sont bien traitées. Mal
traitée ? Une jolie Colombine muette, mime, danseuse, pendant tout le long
spectacle, en contrepoint, se gondole, contorsionne, se tord et se distord
joliment, sans un temps d’arrêt : Alessia Tomasello.
Un spectacle de jeunes
qui pourraient en remontrer à des vétérans, qui a réjoui les uns et les autres
dans cette salle pleine et vibrante.
La Nouvelle Véronique
Marseille, Théâtre du Lacydon, 16 novembre,
Cabriès, maison des Arts, 7 décembre, 15
heures.
Direction musicale/piano : Valérie
Florac ; violoncelle : Jean-Yves Poirier ; flûte : Danilo de Luca.
Mise en scène : Mikhael Piccone. Scénographie
: Gwennaelle Seiferer ;
Costumes : Agnès Pasqualini, Mireille
Frayssinhes, Marie Pons, Marion Redoutey.
Distribution :
Hélène de Cheveux d'Ange/Véronique : Marion
Rybaka ; Agathe Coquenard : Émilie Cavallo ; Ermerance de Cheveux
durs/Estelle : Annabelle Sodi-Thibault ;
Denise : Alexia M'Basse ; vendeuses/
demoiselles d'honneur : Alice Buro, Sabrina Kilouli, Marie Pons, Laura
Stamboulis ; Tante Benoît : Fabienne Hua ; cliente : Émilie Bernou.
Florestan/Vicomte de Cheveux courts
: Gilen Goicoechea ; Loustot/baron de Frisette : Guilhem
Chalbos ; Coquenard :
Guillaume Barralis ; Séraphin : Angelo Citriniti ; un acheteur :
Jérémy Favret ; Patron du tourne bride : Jeong- Hyun Han ; Colombine
danseuse : Alessia Tomasello.
Photos
de JB Lev :
1.
Une jolie brochette de talents au Pharo;
2.
Marion Rybaka et Gilen Goicoechea dans l’escarpolette;
3. Un Florestan rocker et ses groupies (derrière, G. Chalbos , J.- H. Han, G. Barralis et E. Cavallo) ;
4. Une tante aristo (Annabelle Sodi-Thibault ) et ses rêves érotico-matrimoniaux ;
5.
Véronique et sa tante ;
6.
Barralis, Cavallo, Rybaka , Sodi-Thibault : explications.
1 commentaire:
Très bel article sur ce spectacle que j'ai eu le plaisir de voir et d'apprécier.
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