IL
BARBIERE DI SIVIGLIA
Opéra-bouffe en deux actes
de Gioacchino Rossini
Livret
de Cesare Sterbini
d’après
Le Barbier de Séville de Beaumarchais
Opéra
de Marseille, 13 février 2018
L’œuvre
L’Opéra de Marseille présentait ce désormais célèbre ‘Barbier de Séville’ de
Rossini les 6, 9, 11, 13 et 15 février, une nouvelle production dans
la mise en scène de Laurent Pelly.
C’est une histoire
espagnole imaginée par un Français, immortalisée par un Italien en 1816 : Le
Barbier de Séville ou La Précaution
inutile, écrit par Beaumarchais en 1775, s’inspire de Molière
et son École des femmes, qui
s’inspire du théâtre espagnol. C’est une pièce prérévolutionnaire. Figaro, même
s’il n’est pas encore le rival plébéien du Comte comme dans le futur Mariage
de Figaro mais seulement son valet complice, a déjà une importance et une joyeuse
impertinence qui lui donnent le premier rôle, le rôle-titre, joli renversement
de la hiérarchie sociale : le valet passe devant le maître, le roturier devant
le noble.
La
précaution inutile, ‘l’inutile precauzione’, des
sous-titres, c’est celle du tyrannique patriarche, battue en brèche par
l’obstination amoureuse du Comte Almaviva, les ruses de Figaro, le
triomphe enfin de Rosine sur le barbon jaloux qui la cloître et la
convoite : c’est le complot des
jeunes, la révolte surtout de la femme contre la loi patriarcale des vieillards
détenteurs du pouvoir, révolution des femmes ratée en 1789, frustrées du
suffrage universel, et même aujourd’hui pas entièrement aboutie pour ce qui est
de l’égalité et de la parité.
Beaumarchais, de retour
d’Espagne, en avait fait d’abord une sorte de tonadilla, petite œuvre
lyrique espagnole typique, parlée, chantée, dansée, le pendant musical de
l’univers joyeux des tapisseries de Goya. L’échec de son espagnolade
amena Beaumarchais à en faire la comédie de Figaro qui se mit en quatre (quatre
actes et non cinq, échec de la première mouture) pour plaire.
Le célèbre compositeur Giovanni Paisiello en avait déjà tiré un
célèbre opéra, Il barbiere di Siviglia en 1782 ; on l’estimait indépassable. Le jeune Rossini s’attaque à gros en défiant ce
succès : on le lui fait payer lors de la première en 1816, un échec comme
la première version de Beaumarchais. Une cabale s’était liguée contre lui, des
incidents fâcheux jalonnèrent la représentation : Manuel García, qui, en bon Espagnol s’accompagnait à la guitare
pour la sérénade ou, plutôt, l’aubade du Comte Almaviva pour éveiller Rosine,
cassa une corde ; la basse jouant Basile se cassa le nez, du moins saigna
d’une chute ; un chat traversa malencontreusement la scène, faisant miauler la
salle de rire.
Mais vite, la vivacité,
l’inventivité, la virtuosité vertigineuse de cet opéra, son rythme crépitant,
pétillant de cadences espagnoles soufflées ou écrites par le grand chanteur et
compositeur Manuel García, père des
fameuses Malibran et Pauline Viardot, dont on a lieu de croire qu’il
participa à cette œuvre rapide (quinze jours), l’imposèrent sans conteste comme le chef-d’œuvre de l’opéra-bouffe.
Réalisation et interprétation
La brillante réalisation de Laurent Pelly
déréalise le lieu et temps de l’action et il n’est pas sûr qu’un enfant ou un
« primo arrivant » à l’opéra, qui découvre l’œuvre, en découvre
vraiment le sujet, assujetti à un tel décor imposant, dans son minimalisme
presque abstrait, sa maximaliste et écrasante présence : immense feuillet
d’une partition, feuille mollement recourbée sur un bord avec des nonchalances
d’aile ou de voile prête à l’envol, pour le vol, l’évasion, la fugue, la fuite
de l’oiselle en cage, annoncée déjà par le volatile billet doux lancé de la fenêtre.
Les lignes de portée seront les grilles, grillages de la prison de Rosine,
musique visuelle qui enserre, enferme, fixe en noir sur blanc, à l’inverse
d’une musique qui libère, comme le message, déguisé en air prophétique de l’inutile precauzione, feuille au vent
lancée comme un SOS par Rosine, et qu’elle chantera dans sa contrainte et libératoire
leçon de chant, champ libre du désir, mise en abîme subtile de la feuille dans
le feuillet, du texte dans le texte, de la musique pour les yeux dans la
musique pour l’oreille.
Saisissante beauté qui capte l’œil de ce décor de partitions, enroulées,
déroulées, en courbes mélodiques, de Pelly. Mais ce ne serait qu’un dire la
musique sans la faire (musiciens de l’aubade en blanc et noir telles des notes,
amusante trouvaille des pupitres au lieu de fusils brandis par les gardes
civiles) n’était-ce que tout, de son travail, au-delà de ce décoratif visuel, est subordonné au rythme musical, mouvements synchrones des personnages,
chorégraphies des ensembles : on voit et entend la musique, matérialisée
graphiquement quand Figaro transcrit ou dicte la mélodie de l’aubade du Comte.
Dans ce décor et cette mise en scène totale de Pelly, réglée, ou
corsetée, au millimètre près, ses costumes noirs sur fond blanc, ou rayés, sont d’un bel
effet chromatique. Ils servent au mieux l’esthétique mais pas forcément l’éthique
de l’anecdote, de l’intrigue, qu’on ne peut tout de même pas évacuer : que
Rosine enlève rageusement sa robe bouffante pour rester en bluffante nuisette
après avoir passé le reste du temps en collant et débardeur sportif, n’est
guère vraisemblable comme minimum de rempart de la pudeur chez une jeune fille
dont un comte demande la main, même si la puritaine Espagne et la stricte
Séville en matière d’éducation des femmes sont complètement gommées ici. Sa
tenue moderne et sportive, ses agressifs mouvements de karaté, rendent bien
invraisemblable qu’une telle pugnace jeune femme d’aujourd’hui se soit laissée
enfermer de telle sorte par un faible vieillard. Figaro, dont j’ai montré
ailleurs, autrefois, que c’est le pícaro
(l’italien garde logiquement l’accent espagnol) le serviteur jeune d’abord de
divers maîtres et qui réussit, par son intelligence, un parcours de vie et
parvient socialement (son air d’entrée le déclare), n’arbore pas les signes ostensibles
de sa respectabilité et notoriété avec sa tenue de rocker tatoué. Ses descentes
des cintres tel un dieu dans une machinerie baroque, affaiblissent, par leur magie
surnaturelle, le pouvoir de son esprit, de sa ruse, de ses stratagèmes de
simple mortel, victoire de l’homme de l’époque des Lumières lui-même sur toute
transcendance.
Mais on reste ébloui par la beauté et la précision de l’ensemble et un
jeu d’acteurs admirable eu égard à la difficulté de cette musique de haute
virtuosité à chanter ne serait-ce que sur les plans ondulés du cornet de la
partition-décor. Rien n’est laissé au hasard, donc, des musiciens débandés de l’aubade,
ressaisis par le vrai chef élégant Mikhaël Piccone en Fiorello, de l’officier
plein d’autorité de Michel Vaissière à cet Ambrogio plaisamment ahuri de
Jean-Luc Epitalon. Le timbre riche, la voix ample d’Annunziata
Vestri, son art de conduire sa belle voix, font de Berta une grande âme
trahie par l’injustice de la vie. Mal fagoté, hirsute, Mirco Palazzi est
un Basile grand teint par la voix, de l’insinuation à la canonnade de la rumeur
devenue publique clameur. Remplacé dans d’autres représentations par Pablo
Ruiz, l’espagnol Carlos Chausson, victime encore d’un refroidissement
dont il surmonte magistralement les effets, est un vertigineux Bartolo de
volubilité, expressif autant dans son jeu que dans son chant. Avec souvent de
jolies nuances et des variations pleines de goût, de l’agilité dans le médium, en
Almaviva, Philippe Talbot accuse des limites dans l’aigu et sa voix
mixte appuyée perd un peu de timbre pour la projection. L’air , généralement coupé (repris pour la Cenerentola) qu’on lui inflige à la fin,
est inutile à l’action, impitoyablement long, rhétorique, et éprouvant.
Que
dire encore de Stéphanie d’Oustrac que je n’aie déjà dit ? Du
baroque à Poulenc, chaque rôle qu’elle interprète semble définitif, tant
vocalement que scéniquement. Fort heureusement, par rapport me semble-t-il à sa
consœur du Théâtre des Champs- Élysées, elle baisse un peu le ton de sa
combattivité qui rendrait bien improbable sa captivité par un barbon, pour
demeurer dans le registre plus vraisemblable et touchant d’une gamine soumise
malgré elle à la chape de plomb patriarcale, parfois apeurée, plaintive,
victime (et en jouant) mais jamais soumise ni résignée. Tout semble naturel,
aisé, même dans les véloces vocalises rossiniennes dont elle semble se jouer. La
leçon de chant est une vraie leçon : elle chante ce qui en relève en élève
appliquée mais apparemment maladroite, réservant la virtuosité à celle qu’exige
ses furtifs apartés avec le faux professeur.
Et Florian Sempey ? Il descend du ciel par le droit arbitraire
du metteur en scène : il devrait y remonter, métaphoriquement, par les
droits que lui en donnent sa maîtrise et la conquête de ce rôle qu’il fait
tellement sien qu’on le dirait écrit pour lui. Timbre, couleur, agilité, contrôle
de la voix, art de la colorature : il a tout, superlativement, une vitesse
d’émission vertigineuse dans le redoutable zapateado
de la strette de son air d’entrée, le boléro de son air sur sa boutique,
toujours exact. Ajoutons une féconde faconde d’acteur qui ne le cède en rien à
celle du chanteur et sans doute faut-il rendre encore un hommage au metteur en
scène de traiter Figaro non seulement comme le moteur central de la pièce mais,
à la façon du gracioso, le valet
comique de la comedia baroque
espagnole, il fait le lien entre la scène et la salle qu’il prend à témoin,
soulignant, neutralisant donc, par une palette de mimiques diverses, les
incongruités de l’action, comme celle des amants s’attardant à se dire des
mamours quand l’action est à l’urgence de la fuite.
On admirera encore comment Pelly se tire et se joue des redoutables
répétitions de phrases de ce type d’ouvrage : les personnages semblent
parfois, plus que s’en passer le relais, se les prendre les uns de la bouche
des autres.
À la tête de l’Orchestre et du
chœur (Emmanuel Trenque) de l’Opéra de Marseille, Roberto
Rizzi Brignoli, donne à l’ouverture une entrée lente, un peu majestueuse,
qui nous rappelle bien son origine dramatique (réemploi de celle d’Elisabetta, Regina d’Inghilterra), mais
c’est pour mieux construire son crescendo et nous ménager ces mélodieux vacarmes de charme
qui font l’une des signatures humoristiques de Rossini. Étourdissant.
Opéra de Marseille
Il
barbieri du Seviglia,
de Rossini
6, 9, 11, 13
et 15 février
Direction musicale : Roberto RIZZI BRIGNOLI
Assistant direction musicale :
Nicolas CHESNEAU
Mise
en scène, décors, costumes : Laurent
PELLY
Assistant mise en scène :
Paul HIGGINS
Scénographe
associé : Cléo LAIGRET
Costumier associé : Jean-Jacques
DELMOTTE
Lumières : Joël l
ADAM / Reprise par Gilles BOTTACCHI
DISTRIBUTION
Rosina : Stéphanie D’OUSTRAC ; Berta : Annunziata VESTRI
Comte Almaviva : Philippe
TALBOT ; Figaro : Florian SEMPEY ;
Bartolo : Carlos
CHAUSSON ; Basilio : Mirco
PALAZZI
; Fiorello Mikhaël PICCONE ;
Officier : Michel VAISSIÈRE ; Ambroggio : Jean-Luc ÉPITALON
Orchestre et Chœur de l’Opéra
de Marseille
Coproduction Opéra de Marseille, Théâtre des
Champs-Élysées, Opéra National de Bordeaux, Théâtres de la Ville de Luxembourg.
Photos Christian Dresse :
Photos Christian Dresse :
1. Pas de deux (Sempey, Talbot) ;
2. Sempey, d'Oustrac ;
3. Figaro descend du ciel ;
4. La musique n'adoucit pas les mœurs ;
5. Monsieur "Vacarmini";
6. Leçon de musique ;
7. Chorégraphie des ensembles ;
8. Rosine en nuisette ente Figaro et le comte.
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