Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
Ci-dessous : liens vers les sites internet de certains de ces supports.

L'auteur

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Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

dimanche, novembre 26, 2006

L'Heure du Thé, nov 06, Marseille

PROMETTEUSE CUVÉE

Non, il ne s’agit pas du Beaujolais nouveau qu’on laisse à d’autres palais pour préférer cette plus enivrante Heure du thé offerte gracieusement par le CNIPAL (Centre National d’Insertion Professionnelle en Art Lyrique) qui présentait un trio du dernier cru de ses stagiaires. Voilà des récitals officiés par des pianistes du plus haut niveau, ce soir, l’excellente et ductile Nina Uhari, partenaire de superbes chanteurs qui défendent les plus belles des musiques, et tout cela dans le foyer de l’Opéra, gratuitement, avec thé ou café à l’entracte et biscuits, le public privilégié des Amis du CNIPAL ne se sentant même pas tenu d’acheter le petit programme à deux sous vendu par des bénévoles au profit de ces jeunes stagiaires venus du monde entier : si l’on devait mettre le prix à la hauteur de la qualité de ces concerts, on mesurerait la chance d’être admis si généreusement à de tels après-midi lyriques.
Mais que peut-on dire à de jeunes mais déjà grands chanteurs comme ceux que l’on vient d’écouter ? Rien qui ne soit du désir de penser à leur intérêt, sinon de se méfier de leur propre générosité, de résister au désir vampirique du public qui en réclame toujours plus, en somme, de s’économiser en volume, en force, en timbre, dont l’excès menace toujours la justesse du son et la santé de leur jeune voix.
Le premier à ouvrir le feu de la glace d’acier bleu de ses yeux, ce fut le baryton Marco di Sapia, droit, élégant, racé : il est le comte Almaviva des Noces de Figaro avec une morgue, une arrogance cruelle d’aristocrate révélant un abîme de haine et de mépris de classe envers le valet. La voix est très sonore, brillante, à peine quelques piani un peu détimbrés ou mal équilibrés par rapport aux forte dans la salle trop réverbérée, que ce chanteur intelligent corrigea vite ensuite avec la mélancolique « Chanson de Pierrot » de La Ville morte de Korngold, veloutant de brume ses demi-teintes lunaires. Diction parfaite, autant que l’allemande dans « Vision fugitive » de l’Hérodiade de Massenet et plus tard dans l’accent napolitain si difficile. C’est avec une belle liberté, naïve, sensuelle ou douloureuse, qu’il exprima délicatement les mélodies de Tosti, toujours d’une remarquable justesse d’expression.
À l’inverse, d’une simplicité un peu rude dans sa tenue de scène, qui s’assouplira, sourire et regard touchants d’enfant dans la puissance d’un corps qui semble tout droit issu de ses montagnes basques, dont il a la fraîcheur ingénue, Andeka Gorrotxategi-Azurmendi, ténor, déploya une voix étourdissante de facilité, mâle, merveilleusement riche et timbrée dans toute son égale tessiture : le son semble jaillir de sa bouche à peine ouverte comme un torrent pyrénéen irrépressible. On en est à trembler pour lui tant il se donne. Il est un Mario de Tosca impressionnant de sensualité et de révolte, un bouleversant Frédéric de l’Arlésienne de Cilea et, dans la tradition des grands chanteurs espagnols, il émeut avec deux extraits de zarzuelas, ces œuvres ibériques entre opéra et opérette, Maitechu mía d’Alonso et l’air bouleversant « No puede ser » de La Tabernera del puerto de Pablo Sorozábal, un très grand compositeur basque.
Pour finir, échangeant leur tessiture avec une déconcertante aisance, les deux chanteurs mirent une verve vésuvienne et solaire dans le fameux Funiculí-Funiculá où ils entraînèrent la si belle soprano Hye Myujng Kang.
Fleur pâle éclose sur la tige à peine jaune et argentée de sa robe, elle débuta par la scène d’Anna Bolena de Donizetti où le récit accompagné et l’air brouillent leurs frontières comme entre raison et la folie. La voix est lumineuse, égale dans toute sa tessiture, bien conduite, étire un beau legato et déroule les vocalises et les friselis de ses trilles avec une facilité qui n’a d’égale que son expression : à peine quelques gestes sans gesticulation et la tragédie est là, sensible et audible. Elle est une Liu de Turandot rouge de passion et sang, crédible et révoltée même dans son sacrifice, une Mimi de La Bohème touchante et frissonnante. Puis cette jeune Coréenne à peine arrivée en France stupéfie par la perfection de sa diction française, son sens du style et de la situation dramatique, offrant une déchirante méditation et invocation de la beauté face à son miroir et au temps qui passe : dans sa voix, son regard, son visage, l’air de Thaïs de Massenet semble renaître et prendre tout son sens.
On se sent plus heureux après un tel concert .

Photos M@rceau, de haut en bas : Marco di Sapia, Andeka Azurmendi, Hye Myung Kang.
24 novembre 2006

lundi, novembre 20, 2006

DIALOGUE DES CARMÉLITES, Opéra de Marseille

LE CRESCENDO DU DIMINUENDO
Dialogues des carmélites
de Francis Poulenc


L’œuvre
Oui, Poulenc semble désormais, par son découpage et sa musique, avoir définitivement fait sienne cette œuvre qui, sur un événement tragique de la Terreur, a pourtant subi diverses greffes. D’un récit d’une carmélite échappée de la charrette de seize de ses sœurs du Carmel de Compiègne guillotinées à Paris en 1794 (10 jours avant la chute de Robespierre qui aurait pu les sauver), Gertrud von Le Fort tire en 1931 une nouvelle Die Letze am Schaffot (‘la dernière à l’échafaud’), créant le personnage fort dans sa faiblesse, de Blanche de la Force (sinon Le Fort comme l’écrivaine) qui va chercher au Carmel ce qu’elle croit un refuge contre la violence du monde : mais on trouve son destin à vouloir l’éviter.
Une pièce américaine avait déjà traité le sujet puis, au sortir de la guerre, en 1947, le Père Bruckberger, résistant, et Philippe Agostini, en font un scénario, ajoutant le personnage du frère, le Chevalier de La Force : les thèmes de la liberté, de l’oppression, de la résistance, de la collaboration, de l’obéissance à l’Ordre interne (à la Règle) ou externe (Politique) imprègnent l’œuvre dont Bernanos, mystique et malade, écrit les dialogues, écriture sobre et puissante traversée du sombre frisson de la mort et par la lumière de la grâce et de son transfert d’un être à un autre : on meurt parfois par soi, pour soi mais aussi pour un autre, qui en aura sa rédemption, forte idée religieuse mais transposable laïquement, le sacrifice politique ou moral n’est jamais vain. Mais, malgré la pièce et le film (Jeanne Moreau en Mère Marie), c’est à l’opéra de Poulenc, créé en 1957 à la Scala, que restent désormais indéfectiblement attachés les universellement appréciés Dialogues.

La réalisation
Jean-Claude Auvray nous a habitués à la concentration intense de ses mises en scènes, plus axées généralement sur le jeu dramatique des personnages que sur la joliesse décorative : exemplaire Traviata avec une Violetta de rêve, et, à l’inverse, un Fidelio plus saisissant par l’oppressant décor que par l’interprète principale. Volonté ou nécessité de temps austères financièrement, ici la sobriété, choisie ou contrainte, devient ascétisme monacal chargé de sens : toile peinte en beige et gris jouant avec les stucs polis de l’Opéra et les costumes de Marie-Chiara Donato pour la bibliothèque du Marquis de la Force, puis l’unique dispositif d’un mur à panneaux vaguement striés de lignes obliques grisées et bleutées, froideur transversale d’un Ciel incertain. Ce mur clos s’ouvre latéralement, comme un espoir ou une crainte, sur un fond nébuleux vert de grisé du Gréco, sorte de mandorle mystique ou de conscience trouble symbolisée où semble flotter un Christ sur une nuée, à la fois chapelle, cellules, cloître, prison et place. À ce simple mais efficace décor d’Antoni Taulé répondent les lumières expressives et picturales de Philippe Grosperrin qui dessinent avec acuité l’habit des carmélites, noir taché du blanc des guimpes ou des coiffes des novices, gris du tablier puis manteaux neigeux : on pense aux austères tableaux de Champaigne des religieuses de Port-Royal.
Le travail d’acteur privilégie les intenses dialogues au dramatique crescendo : Blanche et son père qui tente vainement de la détourner de son intention d’entrer au Carmel, Blanche et la Supérieure moribonde qui teste sa volonté d’y entrer, la Supérieure révoltée par sa mort, doutant de Dieu, et sœur Marie de l’Incarnation, le frère partant pour l’émigration essayant de sauver sa sœur, Sœur Marie essayant de rattraper Blanche pour la rendre au vœu de martyre. Chacun tentant d’infléchir ou d’entraîner, dans une dramatique montée en puissance, la faible, peureuse et inconstante héroïne, même dans le lumineux duo avec l’autre novice, Constance. Cela s’exprime en gestes simples mais expressifs et dans de discrets mais admirables mouvements dans la musique : tête de Blanche dans l’embrasure noire de la porte étroite répondant au mouvement de la Supérieure sur son fauteuil ; frise blanche et noire des carmélites ondulant, dans un fondu naturel et sans rien de mécanique.

L’interprétation
Injustice d’une seule audition ? La direction de Patrick Davin, dans la première partie expositive, semble un peu terne mais la montée de l’émotion rattrape ou corrige cette perception et il sait protéger les chanteurs de cette masse orchestrale parfois excessive. Le plateau est d’une belle homogénéité avec de grandes et admirables aînées : Zlatomira Nikolova incarne la Supérieure saisie par le doute au moment de l’agonie avec une saisissante vérité qui nous interroge tous sur le mystère injuste de la mort. Auprès d’elle, outrée, éprise de contenance aristocratique, d’héroïsme sacrificiel, hiératique sous son habit mais frémissante sous le voile, Marie-Ange Todorovitch est une hautaine et noble Mère Marie, rigide et frigide, puis fiévreuse, tendre, poussant les religieuses, par un coup d’état intérieur au vœu de martyre, auquel elle échappera pour son malheur. À l’inverse, Madame Lidoine, la nouvelle Supérieure, pétrie d’humanité, de bon sens et de bienveillance (assez proche de ce qu’expriment les lettres magnifiques de simplicité et d’humour de Sainte Thérèse d’Avila, la réformatrice du Carmel) à laquelle Manon Feubel prête l’onctuosité chaude et maternelle de son superbe timbre. Constance, c’est Laura Hynes Smith, un joyeux pinson, une voix souriante et ravissante, faisant paire contrastée avec l’héroïne, comme Mère Marie est pivot entre les deux Supérieures. Tourmentée, hallucinée, hystérique parfois, Barbara Ducret porte sur ses frêles épaules le rôle si lourd de la légère Blanche, visage chiffonné, yeux hagards, gestes nerveux, bouleversante dans ses aveux de biche apeurée, harcelée par la violence du monde. En quelques répliques à la fin de l’œuvre, Lucie Roche impose allure, figure, tessiture, le tissu lisse et satiné de sa voix : elle est chez elle en scène.
Kristian Paul est un père bourru et tendre à la chaleureuse voix et Gilles Ragon, en fils et frère, Chevalier de La Force, est, comme toujours, un interprète intense et prenant, maîtrisant la voix mixte dans la tendresse la plus fraternelle. L’Aumonier de Christophe Berry a une suavité ecclésiale et le reste des rôles (Heyboer, Imbert, Mortagne, Castel, etc) témoigne de la qualité de toute la distribution.
Image saisissante (sans image de la guillotine, qui déconcerte un public peu familier de l’œuvre), le large panneau vertical qui descend lentement comme un terrible couperet au rythme de la prière des religieuses allant vers l’échafaud. Cependant la disposition frontale des carmélites au lieu de leur traditionnelle procession en montée vers le supplice, moins dramatique par l’évacuation de la guillotine, parasite malheureusement le final musical : à chaque coup du couperet, traduit brutalement à l’orchestre, la force du Salve Regina des condamnées va diminuant en proportion du nombre de leurs exécutions, créant un effet pathétique jusqu’à la voix de Sœur Constance restant la dernière avant que Blanche, venant la rejoindre dans la mort, ne reprenne seule le cantique. Mais ici, l’alignement des religieuses et la masse du chœur (P. Iodice) derrière, sur le même niveau, sans étagement des plans musicaux, estompe cet effet de diminuendo choral et de crescendo émotionnel.

19 novembre 2006

MÚSICA MAESTRO 2, LA NORIA, AIX


Récital d’israël Lozano, ténor
Jacques Reynaut, piano
Église du Saint-Esprit, Aix-en-Provence

Son maître fut Alfredo Kraus et il est couronné par Plácido Domingo. S’il partage avec ces deux grands ténors sa nationalité espagnole, Israël Lozano, vocalement, artistiquement, est lui-même : voix de soleil égale sur tout son large registre, puissante et douce, malléable, aigus éclatants et rayonnants, aussi égal dans la mélodie que dans le répertoire d’opéra. La ligne est exemplaire, le phrasé, élégant et naturel, la diction espagnole et italienne, parfaites. Il sait colorer l’émission selon la couleur du morceau, maîtrise la voix mixte entre le registre de tête et de poitrine sans effet, au service du texte et de l’émotion et ses demi-teintes sont toujours variées et expressives.
Avec la variété régionale des Sept chansons populaires de Manuel de Falla, généralement chantée par une mezzo, il offre une « Asturiana » bouleversante d’intériorité, de tristesse lumineuse, dans une tenue de souffle indéfinie de douceur puis une « Jota » entre la gouaille aragonaise et la bravade virile. Les trois grands et beaux poèmes de Bécquer et de Góngora mis en musique par Alan Mandel, plus contemporains par les harmonies aux modulations dissonantes raffinées, lui sont l’occasion de démontrer la finesse de son fausset (« Suspiros ») et son héroïsme dans le sonnet « A Córdoba ». Il bouleverse avec l’air de zarzuela de Sorozábal « No puede ser », tout comme dans l’air de Werther malgré une diction française un peu fermée. Il se promène avec charme et conviction dans le répertoire italien mais est frustré du second couplet et de la vaillante cadence finale de Catarí par un Jacques Reynaut, pianiste sympathiquement distrait dans ce répertoire et parfois embarrassé dans les diaboliques ornements structurels de la musique espagnole, sans doute par manque de temps pour les répétitions.
Auparavant, Reynaut était comme un poisson dans l’eau dans Poissons d’or de Debussy, admirable pièce aquatique, pleine de frétillements facétieux, d’éclats, de tourbillons, d’accélérations, plein d’ivresse picturale dans La Puerta del Vino, carte postale musicale de Debussy en réponse à celle postée par de Falla, véloce et virtuose dans la Dedicatoria de Turina, avec le roulement sans rubato du continuo. Simple, modeste et souriant. Sans prétentions aucune, un grand concert.
17 novembre 2006

lundi, novembre 13, 2006

AIRS D'OPÉRA DE HÆNDEL, théâtre Gyptis

AIRS D’OPÉRAS DE HÆNDEL
Théâtre Gyptis

Un bonheur ne venant jamais seul, près son récital de Villanelles (voir ci-dessous), nous retrouvions le lendemain Alain Aubin en compagnie d’Isabelle Bonnadier, soprano, pour des arias tirées de Gulio Cesare (1723) et Tolomeo (1728) avec le même Ensemble Baroque graffiti, mais élargi à Sharman Plesner, violon et Jean-Christophe Deleforge, "violone", Jean-Paul Serra, tenant toujours le clavecin et l’orgue et assurant une précise et facétieuse direction musicale, nous régalant des « sinfonie » de l’œuvre. Max Minitti projetait encore ici ses lumières changeantes sur un vaste écran.
Isabelle Bonnadier, Marseillaise, n’est pas une inconnue chez nous si, nul n’étant prophète en son ingrat pays, d’autres lieux ont la chance de la voir plus souvent que Marseille. Mais, de la Chapelle Sainte-Catherine à la Magalone en passant par ce même Gyptis où elle fut une ingénue et perverse Drusilla dans Le Couronnement de Poppée de Monteverdi, on a pu la suivre et l’entendre dans un répertoire qui va du Moyen-Âge au XX e siècle, de l’opéra baroque au cabaret littéraire, son charme, sa présence souriante et son talent de comédienne en faisant une actrice de choix de spectacles dramatiques. Parmi ses disques, où sa grâce naïve et sa fraîcheur font merveille et sens, j’ai un faible pour Un oiseau chante, mélodies du XX e siècle pour flûte et voix, (flûtiste Arnaud Caumeil) ; les savoureux Chants d’Auvergne, de Canteloube (Festival de La Chaise-Dieu, Orchestre d'Auvergne dirigé par Arie Van Beek), et le tout dernier, …à la folie, « Fêlures, vertiges et autres fredaines... » où Isabelle, baissant son soprano léger, se fait intimiste interprète de chansons très littéraires, de grands auteurs et compositeurs…dont elle-même.
Ce soir, arraché aux intrigues compliquée de ses livrets, l’opéra était livré à la fantaisie complexe mais bon enfant d’un concert animé sinon dessin animé : arrivée de ces jeunes artistes en jeans et chemise blanche, arborant un volume de la bande dessinée fameuse de Tintin, Les Cigares du Pharaon : l’Égypte telle que l’aurait peut-être rêvée le pas si austère Hændel. L’opéra, arraché à ses fastes et ses pompes souvent pompier et pompantes, trouvait une plaisante réalisation et déréalisation dans la lecture de quelques bulles du Tintin, sombre histoire de malédiction pharaonique, de papyrus perdu, finalement pas très loin du mélodrame de Cléopâtre, de son Jules, César, et de son ignoble frère –et époux- Ptolémée. On a la surprise joyeuse de Serra en affreux Rastapopoulos et en Tintin à la houppe, la violoniste virtuose en Milou jacassant et jappant, l’ingambe gambiste en divers personnages, le clavecin en sarcophage et nos deux chanteurs, en héros vocalisant les airs vertigineux de la partition, tendres ou pathétiques selon les affects baroques exprimés : on s’émeut au duo «Ah, sempre piangeró » sur le pleur du continuo, l’orgue auréolant la plainte déchirante du violon soutenue du gémissement grave du « violone » ; les invocations au ciel et les imprécations de Cléopâtre sont exprimées par Isabelle plus dans la douceur que dans la violence mais l’air de fureur vindicative de Sesto est sans doute un peu forcé pour sa nature tendre, même si l’actrice compense par le jeu la légèreté de sa voix pour cet emploi plus lourd. Alain Aubin manifeste sa maîtrise technique dans la tenue de souffle, la vélocité, la « messa di voce », enflant et diminuant le son, et ses qualités d’acteur dans un récitatif mélodramatique joué de Tolomeo, suivi d’une sublime déploration.
Cependant, faut-il l’imputer au malheureux écran de tissu derrière les chanteurs, buvardant les harmoniques, à la manie actuelle, juste scéniquement mais malheureuse vocalement, de « latéraliser » les chanteurs, au lieu de les faire chanter frontalement ?, on eut la sensation de pertes de son et même de gêne. Un autre type de salle et de dispositif, et du temps, si nécessaire aux artistes par les temps qui courent, devrait permettre de fignoler ce spectacle qui remporta un juste et vif succès et qui mériterait de tourner.

10 novembre 2006

VILLANELLES NAPOLITAINES, Théâtre Gyptis


Alain Aubin est un grand artiste : chanteur, metteur en scène et même compositeur. Consacré dans de grands rôles de contre-ténor sur les grandes scènes européennes, Rome, Naples, Vienne, Lyon, Paris, etc, ce Marseillais pouvait se contenter de « gérer » sa carrière d’interprète de la musique baroque, jalonnée de disques. Mais, descendant du XVIII e siècle vers le XVI e, non content d’ouvrir son répertoire vers la musique plus ancienne, remontant vers notre époque, il a été interprète de Britten, a participé à la création d’œuvres contemporaines de notre concitoyen Raoul Lay, de And farewell goes out sighing de Gijan Kancheli, concerto pour violon et contre-ténor, avec le grand violoniste letton Gidon Kremer au Châtelet sous la direction de Kent Nagano en 2000. C’est aussi avec ce célèbre chef qu’il avait participé à la création de l’opéra en russe Les Trois sœurs du compositeur hongrois Peter Eötvös d’après Tchékov (rôle d’Olga) à Lyon, repris dans des lieux prestigieux, consacré par un disque (Deutsche Grammophon), distingué par le Prix Charles Cros et un Diapason d’or. Un disque d’or, en 1997, avait déjà couronné Lambaréné, « Bach to Africa » (Virgin), autre de ses goûts éclectiques pour des expériences syncrétiques, mêlant musique « classique » et musiques traditionnelles, africaines, orientales, expérience récidivée avec Mozart l’Égyptien (Virgin), dont il fit certains arrangements. Ajoutons ses activités d’animateur musical avec sa chorale populaire, tournée vers un répertoire méditerranéen.
C’est cette veine savante et populaire qu’avec l’Ensemble Baroque Graffiti il nous fit savourer, ces « chansonnettes », pendants plébéiens, populaires, des nobles madrigaux de cour, ces chansons de « vilains », virelais pour les Français, villancicos pour les Espagnols, villanelles pour les Napolitains qui subirent la domination angevine et des siècles de suzeraineté espagnole. Autant dire que ces délicieuses villanelles, vignettes musicales et lyriques, si elles sont riches d’influences, sont elles-mêmes influentes et fortement originales, genre vocal à part entière où la science musicale et poétique, suprême élégance, sait s’habiller subtilement à la paysanne. C’est le témoigne d’une époque d’art sans frontières, où l’art savant puise ses modèles dans l’art populaire et où l’artiste populaire popularise les créations savantes, dans une osmose naturelle qui a survécu dans certains pays, Espagne, Italie, Russie et s’est perdu dans une France où le centralisme monarchique de la cour puis jacobin de la République a étouffé bonne part de la créativité régionale du peuple.
C’est donc un déni de justice envers ces délicates estampes que redressait Alain Aubin, expliquant et exprimant de sa voix ronde, boisée, les textes et les chants. Il était en fraternelle complicité avec Jean-Paul Serra (qui illustrera aussi joliment ce brassage savant et populaire avec des courantes de Frescobaldi), ponctuant le chant de la douceur de l’orgue ou des argentines cordes pincées du clavecin tandis qu’Agustina Meroño, tirait délicatement la ligne dorée à la corde frottée de la viole de gambe. On aura aimé particulièrement l’humour de « la gatta cenerentola », la révolte de la mal mariée, le poétique « chant de loin », héritage de « l’amor de lonh » des troubadours, où la noble métamorphose antique se fait simple métaphore humaine pour dire amour, haine ou dénoncer l’oppression fataliste de l’enclume par le marteau, motif et leitmotiv de La Vie brève de Manuel de Falla. Ou la villanelle révolutionnaire de l’intrépide comtesse Fonseca Pimentel. Une villanelle d’aujourd’hui de Roberto de Simone, où l’on arrose les roses de ses pleurs, avait une envoûtante patine immémoriale. Et l’on pensait aussi à Berlioz et l’une de ses Nuits d’été… Tendre émotion en partage.
9 novembre 2006

lundi, novembre 06, 2006

NORMA (Opéra de Marseille)


Éternel retour, non d’un tube que même la pub, qui en use et abuse n’a pu user jusqu’à la corde, vocale s’entend. Mais Norma n’est pas que le sempiternel et inusable « Casta Diva », poétique invocation à la lune de l’héroïne, que la druidesse gauloise, amoureuse pour son malheur d’un volage centurion romain conquérant, exhale, vœu universel de paix sur terre comme au ciel mais aussi pour son cœur et son corps. Cet opéra de Bellini, quelle qu’en soit la pauvreté harmonique et orchestrale, à l’exception de ce seul air strophique que l’on ne va pas condamner sottement pour sa célébrité populaire, c’est un flux mélodique continu, larges arabesques moulées sur la parole, une conversation en musique, poétique ou dramatique, qu’admirait Chopin, se rêvant d’être le Bellini du piano, et dont Wagner n’oubliera pas la leçon dans sa mélodie continue. Le chef Emmanuel Villaume, évitant les langueurs romanticoïdes, en sut tirer toute l’intensité tragique sans jamais trahir les chanteurs.
En a-t-on vu des Norma ! Et pour enterrer ses héritières dans le rôle, comme on l’a bêtement entendu, il est ridicule d’exhumer et exhiber le fantôme de la pauvre Callas : si cette grande artiste, par son génie dramatique, savait transcender les problèmes de sa voix et l’ingratitude de son timbre, depuis qu’elle arrêta sa carrière au premier acte de cet opéra à Paris, bien des cantatrices ont retenu sa leçon et ont su nous émouvoir avec des voix plus belles. Ainsi, June Anderson. Bien sûr, aujourd’hui, elle n’a plus ses aigus solaires irisés d’harmoniques moirées mais sa voix, en gagnant dans le grave un registre dramatique, garde une ligne, une noblesse, une beauté, une lumière que sa maîtrise exceptionnelle colore d’émotions variées, de l’argentin au cuivre de la vengeance. Chaleureuse, charnelle, mordorée, la voix de Mzia Nioradze, si humaine Adalgisa, c’est l’or en duo avec l’argent. Face à ces deux femmes unies dans la détresse du même amour, Zoran Todorovitch, tête burinée de brute militaire, profil de médaille romaine, est un Pollione d’abord tonitruant, un soudard, qui trouve enfin dans la grâce et le sacrifice des accents héroïques et humains. Wojtek Smilek prête à Orovèse, père noble et tragique, le bronze sombre de sa voix et Martine Mahé, la fêlure maternelle de son timbre chaud. Les chœurs, menés par Pierre Iodice, ont la tenue de la tragédie grecque.
Les mises en scène « modernisées » ayant passé les limites du ridicule et de la confondante répétition, on se dit qu’une « mise en espace », quelle qu’en soit la raison, financière ou autre, est un moindre mal entre cette affligeante prétention contemporaine et les régies ringardes, telle cette (É)Norma ou « Astérix à Borély » comme j’avais cru bon de titrer mon article dans la presse à l’époque, comique péplum où les chœurs, déguisés en légionnaires romains escortant le centurion, indifféremment tantôt conspuaient Rome ou exaltaient la révolte de la Gaule… sans changer de costume. Ici, dans ses lumières expressives changeant selon les atmosphères, Francesco Esposito use habilement de la technologie des panneaux mobiles vus dans le Don Giovanni de Bélier-Garcia qui, dans une grande fluidité, dessinent des espaces vastes ou intimes selon les situations, longues arêtes tranchantes comme la tragédie. Les chœurs, dans une découpure diagonale expressionniste sont du plus bel effet dramatique. L’intensité de la musique et de tous les acteurs fait le reste, sans nécessité décorative. On regrette, cependant, dans le bouleversant duo entre Norma et Adalgisa, la distance entre les deux femmes, quand la première pouvait être plus prochement tendre avant de découvrir avec horreur que l’amour confessé de l’innocente seconde se payait du sacrifice du sien. Cependant, même un incongru fauteuil « club », par l’éclair tendre d’un regard et la tendresse d’un éclairage, devient symbolique berceau et nid des malheureux oisillons de cette Médée gauloise qui n’ira pas, malgré la tentation, jusqu’à tuer ses fils, en dépit du sous-titre de la pièce originale : Norma ou l’Infanticide d’Alexandre Soumet.

14 octobre 2006

dimanche, novembre 05, 2006

Mélodies françaises et poésies (Chapelle Sainte-Catherine)


Jacques Charpentier, né en 1933, n'usurpe pas un nom qu’illustrèrent divers grands compositeurs français. Couvert de prix et de distinctions, il a occupé des postes aussi importants que prestigieux toujours au service de la musique sans sacrifier pour autant une œuvre riche, hélas, rarement exécutée en France. Aussi était-ce un hommage choisi et chaleureux que lui rendaient l’Association ACLM et la Cité de la Musique dans ce cœur de Marseille entre gothique et Baroque, face à la Vierge de la Garde, la Chapelle Sainte-Catherine, vigie de pierre vers le ciel érigée, sur l’éperon de Saint-Laurent. La compositeur avait carte blanche pour un programme de mélodies françaises, présentées par lui-même, offrant en prime une création personnelle. Deux chanteurs, Brigitte Peyré, soprano, et Jean-Christophe Maurice, baryton, se partageaient ce choix, avec la complicité de deux excellents pianistes, Jacques Raynaut pour elle, Josée Fabre pour lui, un petit mais efficace effectif musical, flûte, violoncelle, percussions, dirigé par Daniel Dahl servant joliment la création.
Art raffiné de salon, la mélodie française n’en est pas pour autant un genre mineur : à grands poèmes, grands compositeurs, à l’exception de la faiblesse des goûts poétiques de certains textes mais dignifiés et éternisés par la musique de Fauré. Rappelons que Hugo est le poète le plus mis en musique en France (même si Liszt et Wagner ne l’ont pas dédaigné), malgré son interdiction plus formelle que réelle d’interdire que l’on mît « de la musique le long de ses vers.» Cette soirée conviait donc à un panorama autant vocal et pianistique que poétique.
J.- C. Maurice ouvrait le chant avec trois mélodies du plus français des Vénézuéliens, Raynaldo Hahn, admiré par Mallarmé, aimé par Proust, rêvant d’une « peinture sentimentale » dans sa palette musicale. De Théophile de Viau à Verlaine et Hugo, Hahn manifeste un goût poétique très sûr, un sens du mot et un art délicat de la nuance dynamique, du pianissimo simple au triple, que le chanteur servit avec trop d’application peut-être et pas assez de libre simplicité, pliant sa voix large au charme rêveur de À Chloris, à la mélancolie de D’une Prison, et aux arpèges ailés de Si mes vers avaient des ailes… Cependant, on le sentit plus à l’aise et direct dans les vastes déploiements lyriques et les intervalles disjoints des mélodies du malheureux Duparc, vie trop longue pour œuvre courte mais géniale, des superbes poèmes de Baudelaire, la fiévreuse et presque mystique Invitation au voyage, La Vie antérieure, au large légato, jusqu'au sensuel Phydilé de Leconte de Lisle. La miniature mignarde de certaines mélodies demande simplicité sous peine d’en accuser la sophistication et ce grand baryton, encore une fois, parut s’épanouir à l’air libre du Spectre de la Rose de Berlioz et des amarres larguées vers le grand large des Berceaux de Fauré, plus en accord avec la générosité de sa voix que le confinement du salon précieux. Josée Fabre, tour à tour, donnait des ailes au piano, le faisait ruisseler, ondoyer, rêver, avec intensité.
C’est avec bonheur qu’on retrouve Brigitte Peyré, présence rayonnante et vénusienne, voix légèrement mûrie dans le grave, au velouté doucement voluptueux sans rien perdre de la luminosité de son aigu, au sommet d’une technique qui libère la profondeur de ses interprétations, prenantes sans effets ni afféterie, immédiates. Trois vignettes en prose, les Chansons de Bilitis que Pierre Louÿs prête à la poétesse mythique Sapho, mises lumineusement en musique par Debussy, sont détaillées avec un phrasé naturel, recto tono d’une Mélisande antique (La Flûte de Pan), une impeccable diction où glisse un frisson de froid (Le Tombeau des Naïades), une sensualité sans lourdeur de cette voluptueuse Chevelure. Dans les Trois Chansons Madécasses (malgaches) de Ravel sur des poèmes d’Évariste Parny, poète du XVIII e siècle, en comédienne accomplie, elle crée des atmosphères diverses, passe de la lascive et caressante Nahandove à la révolte anti-colonialiste de Aoua et finit dans la douceur idyllique de Il est doux. Mais l’interprète aguerrie de musique contemporaine bouleverse avec l’Action de grâces de Messiaen, déclamatoire psalmodie dans une ferveur extatique au piano large, puissant, vibrant d’intensité de Jacques Raynaut.
Extraits du recueil 7067 TF 83 de notre concitoyen Jean Mangion, Directeur des affaires culturelles, les poèmes mis en musique sous le titre …et mots (clin d’œil à Th. Gautier et ses Émaux et camées ?) ont le charme étrange des formes brèves que l’inachèvement apparent, hors de contexte, complète de vague mystère. La musique de Charpentier les sertit d’éclats, de brillances, les auréole délicatement, les irise de couleurs instrumentales d’une finesse d’orfèvrerie orientale : à mosaïque éparse de mots, constellation de notes, finissant sur une discrète mais jubilante samba éclatante et ironique. Brigitte Peyré adapte à cette belle création les couleurs de sa voix, file, vibre ou estompe ses sons en « sfumato » raffiné avec une maîtrise toujours au service du texte. Un moment de grâce.
20 octobre.

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