Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
Ci-dessous : liens vers les sites internet de certains de ces supports.

L'auteur

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Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

samedi, mars 27, 2021

BEL ENVOL

 

RCF N°506

Semaine 4 

Paris-Los Angeles, 

Ambroise Aubrun (violon), Steven Vanhauwaert (piano), œuvres de Darius Milhaud, Eric Zeisl, Wolfgang Amadeus Mozart, éd. Hortus 

         À voir le titre, Paris-Los Angeles, à regarder la couverture de ce CD, un banal immeuble à grandes baies vitrées, placardé de deux immenses photos qu’on croirait affiches de cinéma,  trois palmiers hollywoodiens, une large avenue avec deux automobiles,  dans le ciel un jet, on croirait plutôt à une invitation au voyage d’une agence, car, par ailleurs en fond sur le rose bonbon du bâtiment, une tour Eiffel  émerge d’un grisâtre immeuble haussmannien de Paris, avec en petite vignette, deux personnages à perruques qu’on identifiera, si on est connaisseur, Mozart en rouge et sans doute son père, Léopold. Mais j’en retiens, symboliquement, le vol de l’avion, le climat aérien, léger, tant l’écoute de ce disque séduit par une légère, une douce et volante volupté, que je dirais planante, tant du choix des œuvres de Milhaud, de Mozart et surtout d’Eric Zeisl, que de l’élégance du jeu, de la manière sans maniérisme de l’interprétation d’Ambroise Aubrun (violon), et Steven Vanhauwaert (piano). Ajoutons le charme acoustique, l’équilibre idéal de l’enregistrement exécuté au Rando-Grillot Hall de l’Université du Nevada, de Las Vegas, qui n’est pas que la cité du jeu. Connaissant les universités françaises et américaines, du moins de Los Angeles, je leur envie, il est vrai, la large place qui y est faite à l’art, avec salles de concert, de théâtre et aussi terrains de sports. Mais il est vrai que leur prix est exorbitant et que les parents doivent souscrire un plan financier d’éducation dès sa naissance s’ils veulent que leur enfant puisse plus tard faire des études.

Mais profitons de la belle sonorité de cet enregistrement  dont le premier mouvement, « Pastoral », de la Deuxième Sonate pour violon et piano composée en 1917 par le Marseillais Darius Milhaud (1892-1974), dédiée à André Gide est ravissant avec  ce violon virevoltant en volutes de rêve d’azur que le piano ponctue en bas de petits clapotis avant qu’il ne prenne une piquante revanche de crépitante pluie.

         On se doit d’éclairer le titre : Paris et Los Angeles s’explique car ce sont deux étapes géographiques de deux dates 1938 et 1939 de l’exil forcé du compositeur autrichien Eric Zeisl (1905-1959). Les nazis, qui ont annexé l’Autriche, classent sa musique, comme ils ont déclassé l’art moderne d’Entartate Künste, ‘Art dégénéré’, sous la rubrique d'Entertate Musik (Musique dégénérée). Menacé comme juif, il fuit à Paris, où il se lie d’une profonde amitié avec Darius Milhaud, avant de partir en 1939 pour Los Angeles où ils se retrouveront en 1940 quand ce dernier, juif également, est contraint de fuir la France. Le compositeur autrichien y retrouve d’autres exilés autrichiens, Arnold Schönberg, le génial créateur de la musique atonale et sérielle, dont sa fille épousera plus tard le fils ; il y a aussi le jeune génie Korngold dont la prometteuse carrière classique est brisée par la nécessité de survivre en tâcheron de la musique de films. Comme lui, Eric Zeisl travaille à Hollywood pour la Metro-Goldwyn-Mayer. Il compose une vingtaine de musiques de film à succès, dont Le facteur sonne toujours deux fois, en 1946, sans que son nom figure au générique. Il continue d’écrire pour lui et en 1945, sans doute à la libération des camps de concentration, il composer son deuxième Requiem, « ebraïco », dédié à la mémoire de son père, Siegmund Zeisl, assassiné en déportation avec une partie de sa famille. En 1949, il est nommé professeur de théorie et de composition au Los Angeles City College.

         C‘est donc une heureuse initiative que le violoniste français Ambroise Aubrun et le pianiste belge Steven Vanhauswaert aient  couplé,  dans ce disque si chaleureusement amical, les deux amis Milhaud et Zeisl, qui se sont soutenus dans leur exil. Les deux instrumentistes ont aussi partie liée avec Los Angeles mais de façon moins dramatique heureusement :  Ambroise Aubrun, du Conservatoire de Nice à celui de Paris, part pour Los Angeles pour achever ses études à l’Université de Californie (UCLA des T-shirts). C’est là qu’il découvre l'œuvre d'Eric Zeisl dans les archives, alors qu’il préparait son doctorat avant d’être nommé à UNLV, cette université de Las Vegas, Nevada où s’est fait ce disque ;  il y enseigne depuis 2018 le violon et la musique de chambre. Steven Vanhauswaert, lui, passe du Conservatoire royal de Bruxelles, à Los Angeles où un important concours lance sa carrière d’abord américaine avant de devenir mondiale.

         On peut être surpris de trouver dans ce disque sur deux compositeurs du XXe siècle, la Sonate pour piano et violon K. 304 en mi mineur de Mozart.  Ils nous apprennent que Zeisl était fasciné par cette œuvre. C’est la seule en mode mineur de toutes celles écrites par Mozart. Elle est de mai 1778, composée à Paris lors du second séjour de Wolfgang, juste après le décès de sa mère, d’où l’accent rageur et tragique, la vive vélocité révoltée qui colore le premier mouvement Allegro mais sans rien qui pèse ou pose chez les deux interprètes : un moment de de bonheur sur le tragique de la composition.

Mais la découverte, bien sûr, c’est ici les pièces de Zeisl qui nous invitent à découvrir ce musicien peu connu. Sa production est importante, entre autres, des lieder, deux concertos, quatre opéras. Du dernier, inachevé, Job, sur un livret de Kafka, autre juif dont l’œuvre sera brûlée par les nazis, d'après le roman de l’Autrichien Joseph Roth, figure ici le Menuchim's Song (1939), dédié à Milhaud. On trouve le premier mouvement de la Suite pour violon et piano op. 2: I  , Zigeunerweise', un chant tzigane aux accents yiddish pour le violon vertigineux qu’il composa à quatorze ans, une première au disque. On remarquera aussi la belle Brandeis Sonata pour violon et piano 1949 qui porte le nom de l'Institut de Californie où Zeisl fut compositeur en résidence, sa manière de remercier son accueil.

    Autrement plus imposante, la. Elle est dédiée à Alexandre Tansman. Le premier mouvement ''Grave'', qui dure autant que les deux autres, s'ouvre sur un martèlement sombre du piano. Un trottinement s'installe aux 2 voix faisant la part belle au violon. Un deuxième thème plus calme mais intense voit les mélismes du violon s'épanouir naturellement. Le piano reprend la main dans une section articulée où le violon est traité dans le medium. Puis le mouvement bascule dans une allègre fluidité, très classique. Car le langage de Zeisl reste tonal, malgré l'héritage de la Seconde École de Vienne, et au moment où un Richard Strauss termine sa carrière. L'Andante ''Religioso'' introduit le chant du violon aux accents hébraïques, dense et sinueux dans le registre aigu. Des ruptures accentuent l'effet déclamatoire. Au Rondo Allegro final, toujours dans la veine hébraïque, on remarque un développement magistralement pensé. Là encore des ruptures corsent le discours comme des changements de tempos façonnent un parcours plaisant.

Milhaud (1892-1974). Dédiée à André Gide, composée en 1917, elle est contemporaine des premiers quatuors et de la trilogie de l'Orestie due au livret de Claudel. Une rare occasion d'apprécier la musique d'un grand auteur français prolifique et dans presque tous les genres, mais par trop méconnu, singulièrement au disque. Les quatre mouvements alternent lent et vif. ''Pastoral'' offre un lyrisme teinté d'une agréable modernité dans le traitement des deux instruments. ''Vif'' possède un humour primesautier et se distingue par sa belle écriture pianisitique jusqu'à une fin apaisée. ''Lent'' évoque une douce rêverie menée par le violon sur une pédale du piano. Il en émane un sentiment de quiétude. ''Très vif'' est un finale brillant et preste, flattant le registre médian du violon et traversé de passages fantasques. Une bien belle œuvre, pourtant de jeunesse. Superbement jouée par Ambroise Aubrun et Steven Vanhauwaert.

La présence de la Sonate pour piano et violon K.304 de Mozart est le fruit d'une vraie fascination de Zeisl pour cette œuvre. En mi mineur, elle est la seule de toutes celles écrites par Mozart en mode mineur. On sait qu'elle date de mai 1778 et a été composée à Paris lors du second séjour de Wolfgang, juste après le décès de sa mère. D'où un parfum de tristesse, perceptible dans le premier de ses deux mouvements : un Allegro qui voit une violence tragique, d'abord contenue, se développer peu à peu plus pathétique. Le Tempo di Menuetto renchérit dans cette veine dramatique, notamment le premier thème d'où émane un sentiment de douleur. La partie centrale l'exprime encore plus intensément quoiqu’avec pudeur, sinon une pointe de tendresse. Les traits en répons ou à l'unisson reprennent plus tragiques encore. Surtout dans l'exécution toute de retenue des deux présents interprètes. Qui auront magnifié le propos d'un programme enrichissant, révélateur d'une fascinante amitié musicale.

 


jeudi, mars 18, 2021

ARBRES DANS LE VENT

Tenu aussi par mes propres travaux, mes livres à écrire, très en retard, je mets en ligne lr trxte ce cette émission sur deux beaux disques.

RADIO DIALOGUE RCF

N° 479, semaine 1

         Pour l’an nouveau, musique nouvelle. Et nouvelle génération, une talentueuse jeune compositrice, Camille Pépin dont nous avions apprécié, ici même, Chamber Music, par l’ensemble Polygones, un CD label NoMad Music. Sorti le 6 mars de pré fâcheux confinement, avec la même anglomanie des titres, Camille Pépin présente The Sound of Trees, ‘Le son des arbres’, et des orchestrations d'œuvres de Claude Debussy et de Lili Boulanger, avec Julien Hervé (clarinette), Yan Levionnois (violoncelle), Orchestre de Picardie, sous la direction de Arie van Beek. Nomad Music. Cette œuvre, commande de l'Orchestre de Picardie, lui avait valu, deux semaines avant la sortie du disque, de remporter la Victoire de la Musique classique, au titre de « Composition ». La Sacem l’avait déjà couronnée, en 2015, d’un Grand Prix « musique symphonique jeune compositeur ». Ses orchestrations de Debussy et Lili Boulanger sont riches, foisonnantes en timbres et ont ravi l’Orchestre de Picardie, commanditaire.

         Passant avec bonheur de l’effectif chambriste limité du précédent CD à un orchestre complet, en privilégiant deux instruments, la clarinette et le violoncelle, The Sound of Trees, semble prendre l’allure d’un double concerto une symphonie concertante six mouvements orchestre où les rôles sont également partagés. Nous ne parlerons ici  que de ‘Le son des arbres’. 

Mais il faut vite dire que ce titre en anglais est ici pleinement justifié puisque la compositrice explique dans le livret que sa musique s’enracine et puise sa sève dans le poème The Sound of Trees du poète américain Robert Fros (1874-1963). C’est un texte initiatique qui oppose le paradoxe d’une invitation au voyage par les arbres immobiles. Le poète partage, avec son contemporain d’Amérique du Sud Pablo Neruda, mais dans un registre intime et moins tellurique, une mystique de la nature. Certes, c’est une veine profonde et lointaine face à l’industrialisation galopante et grouillante du monde gommant la nature, et aussi une mode un peu superficielle du sentimentalisme paysager romantique. Mais cela anticipe de très loin notre conscience contemporaine urgente, aiguisée par la lucidité des confinements et des changements climatiques ravageurs : l’homme, loin d’être, comme le disait Descartes « Maître et possesseur de la nature », dépend d’elle et elle, de nous.

C’est en quoi cette œuvre, relativement courte de Camille Pépin, vingt minutes pour six mouvements, même sans qu’elle n’exprime rien de ce que je dis, me semble bien d’aujourd’hui, d’une urgente modernité qui ne s’encombre pas de modernismes musicaux racoleurs, à peine quelques expressifs motifs de musique répétitive comme des feuilles obstinées agitées du vent, à la Steeve Reich, sans fausse honte de se réclamer aujourd’hui d’un Debussy d’hier, de ne pas remiser,  comme antiquaille, la tonalité. C’est avec une grande liberté de moyens, très efficaces, que la compositrice sert cette fresque végétale si vitale, d’une fraîcheur qui n’exclut pas la force : on est loin du temps où l'on cantonnait les jeunes demoiselles pianotant les touches d'un touchant piano timide —ne parlons pas de celles qui osaient hardiment défricher les  viriles terres vierges de la composition— aux liserons et autres volubilis dévolus à la grâce féminine, dressés par un raide tuteur. Camille Pépin a de la puissance aussi.

Dans cette toute première note de la clarinette solo qui semble monter vertigineusement à l’infini, de l’ombre du silence au fracas de la lumière, de la terre au ciel, je crois me retrouver, seul, dans la sombre forêt amazonienne où les troncs des arbres semblent ne jamais s’arrêter dans leur aspiration au soleil du jour qui se lève. Ancré dans des racines harmoniques verticales l’orchestre, telle la bruissante canopée feuillue exposée au soleil, se déploie avec exubérance et luxuriance, dans l’effervescence et l’efflorescence d’un luxueux feuillage lumineux.

  Ce sera, aux flûtes, réveillées par le vent de la clarinette, l’éveil des oiseaux et l’on songe à la poétique promenade de Siegfried aux bords du Rhin. Mais, avec la flexion, l’inflexion du troisième mouvement, quelque chose s’altère de l’ordre harmonieux des arbres, une angoissante course en avant, qui affole l’orchestre, la fuite de bouffées ébouriffées de notes répétitives qui se pressent oppressent pressentant une menace. Dans le Quatrième mouvement, je ne peux m’empêcher, dans ma rêverie amazonienne, de ressentir l’entrée, l’intrusion des percussions, dans le grinçant crescendo de cymbales d’acier de sinistres scies de Bolsonaro, aiguisées de glissandis acérés du violoncelle. Mais ce beau disque nous offre, comme un exorcisme salvateur, le soulagement du dernier mouvement. On goûte la joie, si oxygénée,la respiration d'un orchestre heureux, dont la commande n'a pas été trahie.

Camille Pépin présente The Sound of Trees, et des orchestrations d'œuvres de Claude Debussy et de Lili Boulanger, Orchestre de Picardie, sous la direction de Arie van Beek. Label Nomad Music.

        


Puisque Camille Pépin se réclame de Debussy, il y a une logique à faire faire suivre et bruire le son de ses arbres sous le souffle debussyste du CD de Ryutaro Suzuki (piano), Ce qu'a vu le vent d'Est, œuvres de Claude Debussy, Jacques Ibert, Hisadata Otaka, label Hortus

Ce vent d’est n’est pas le nôtre, tempétueux, mais un doux murmure d’un zéphyr capricieux sous les doigts du Japonais Ryutaro Suzuki qui a perfectionné son art à Paris, caressant cette Isle Joyeuse qui est ici introduction aux douze Préludes de Debussy traités avec une délicatesse qu’on dira, sans abus, d’estampe japonaise. Mais Debussy n’est pas rare dans les programmes discographiques. On soulignera, dans ce disque, beaucoup moins rare, Jacques Ibert dont figurent dans ce CD trois Histoires, sur les dix composées en 1922, dont le délicieux "Petit âne blanc".  Mais, plus que rare, absent de nos catalogues, le compositeur Japonais Hisadata Otaka (1911-1951), très marqué par Debussy, qui lui fut marqué par le Japon, dont Susuki nous offre deux mouvements de la Suite japonaise, de 1940, année terrible ce guerre, néantisée ici par « La fête villageoise » .

Ryutaro Suzuki (piano), Ce qu'a vu le vent d'Est, œuvres de Claude Debussy, Jacques Ibert, Hisadata Otaka, label Hortus

 

jeudi, mars 04, 2021

CORDES SENSIBLES


RADIO DIALOGUE RCF

N° 475, semaine 50

Luth et violes 


        Deux instruments baroques, anciens, longtemps disparus de notre horizon sonore et revenus en faveur avec le retour du Baroque, ou au Baroque, de notre temps : le luth et la viole. Deux instruments qu’on pourrait dire intimes, confidentiels, qui pourraient convenir à notre confinement —qu’on espère le dernier— qui a tant invité à des retours sur soi. C’est à des retours sur hier que nous invitent, aujourd’hui deux disques, un retour au passé musical actualisé par des interprètes contemporains qui savent faire revivre, par leur art, la magie sonore d’autrefois.

Le luth est un instrument à cordes pincées, dont la coque oblongue et rebondie, cannelée, semble celle d’un vaisseau d’autrefois dont le manche, gréé de cordes, serait le mât et la table, ornée d’une rosette sur la caisse de résonance, le pont, que les doigts agiles de l’instrumentiste va faire voguer sur les vagues, les ondes de la musique de ces cordes vibrantes. Né en Perse, le luth, adopté par les Arabes s’installent en Espagne avec leur arrivée. Les Arabes le nomment oud, les Espagnols, laúd ; en France on l’appellera longtemps la ud, en deux mots et il sera adopté et son nom adapté dans toute l’Europe. Louis XIV aimait chanter en s’accompagnant du luth, et de la guitare, rivale qui l’éclipsera, ces deux instruments venus de l’Espagne de sa mère Anne d’Autriche. Jean-Sébastien Bach eut une prédilection marquée pour le luth et sa mort en 1750 semble marquer la fin de cet instrument délicat au volume confidentiel. Cependant, mort aussi en 1750 et né deux ans après Bach, en 1687, un de ses compatriotes et presque exact contemporain, oublié de l’histoire de la musique, a laissé une œuvre immense pour luth, la plus importante pour cet instrument, considérée comme géniale par les musiciens spécialistes, que l’on redécouvre avec passion aujourd’hui.

Il s’agit de Sylvius Leopold Weiss dont, sous le label Seulétoile, le guitariste et luthiste colombien Diego Salamanca, installé en France et intégré dans le milieu musical baroque, nous offre un difficile choix, sur les six-cents œuvres du compositeur, une ouverture, une fantaisie et deux sonates, en fait, des suites de danses qu’on dirait classique du temps, si elles n’étaient baroques, danses de toute l’Europe, de salon comme le menuet français, la sarabande espagnole, la polonaise, l’allemande, et populaires comme la bourrée, la courante, dans l’alternance de tempo lent et vif.

Le CD débute par l’Ouverture en si bémol majeur, qui semble s’ouvrir comme un élégant rideau de scène sous les doigts respectueux du luthiste, avec son rythme iambique à la française de brève/longue, noble et solennelle. On aime, dans les morceaux lents, la délicatesse des ornements de doigts arachnéens qui égrènent, effeuillent les cordes comme des pétales perlés, en tirant de minuscules arcs-en-ciel à l’échelle des fleurs. Cette délicatesse fleurie pourrait être parcourue du souffle léger de la « courante » de la solaire Sonate en sol majeur, ludique, on aurait envie de dire « la o/udique », où les deux motifs semblent effectivement se faire une joyeuse et joueuse course, se courir après, se rattraper.

On raconte que, ébloui par sa virtuosité, on demanda à Weiss âgé alors de 50 ans depuis quand il jouait du luth, il répondit : « Depuis vingt ans » ; on protesta, disant qu’il en jouait depuis l’âge de dix ans. « C’est vrai, répondit-il, mais pendant vingt ans, je n’ai fait que m’accorder ! ». Plaisante et modeste réponse mais qui dit bien la difficulté de cet instrument par un de ses maîtres. Cela explique que, comme la vihuela, son autre version espagnole, le luth disparaîtra, détrôné par la guitare, plus facile à jouer et accorder. On s’accordera pour dire que, praticien virtuose de ces instruments, Diego Salamanca en est un digne héritier. Pour s'en convaincre, il suffirait de danser avec lui,  si on en a la légèreté, quelques pas du joli menue de la plage 16. 

S. L. Weiss, Pièces de luth, par Diego Salamanca, luth, 

label Seulétoile

 


    Des notes pincées du luth, nous passons aux cordes frottées de la viole, son contemporain instrument, qui eut le même gloire et crépuscule, du XVIe au XVIIIe siècle. Et les mêmes racines espagnoles, à Valencia, pour la viole, avant de s’acclimater et trouver son climax, son apogée, en Angleterre et en France, d’où le titre, déjà poétique, de ce beau CD Rose et Lys, Musiques anglaises et françaises pour duo de violes de gambe, par Eleanor Lewis-Cloué et Olivier Gladhofer, éditions Hortus.

La Rose, ici, symbolise l’Angleterre, mais pas de la guerre  dynastique des Deux-Roses, mais, au contraire, l’harmonique duo, et non duel, avec le Lys, de France, dans une seule compétition, pour une fois, de beauté musicale, l’école anglaise tendant à la virtuosité, la française, à une simplicité expressive chantante.

La viole ou viole de gambe, est un instrument de musique à cordes et à frettes (tiges servant à régler la longueur des cordes) joué à l'aide d'un archet et on la dit de gambe, gamba jambe en italien, provençal, parce qu’elle est tenue entre les jambes. 

Donc, pas deux armées en présence dans ce disque, mais des compositeurs des deux côtés de la Manche, sans Brexit, des cercles privés de la Renaissance élisabéthaine aux salons du château de Versailles. On trouve, du bord anglais, Matthew LockeThomas Morley, Tobias Hume, Michael East, Christopher Simpson et, du côté français Louis Couperin, le Sieur de Sainte-Colombe, Marin Marais, Joseph Bodin de Boismortier, Louis de Caix d’Hervelois.

Dans cette guerre en dentelles de notes, les Anglais tirant les premiers, on goûte, on comprend la vanité ridicule des frontières avec, dès la première plage, débarquée pacifiquement sur la côte britannique de son Espagne natale, cette Sarabande anglaise de Matthew Locke qui, au moins ici, garde encore un rythme de la danse picaresque espagnole.

Oublions encore tout Brexit et frontière arbitraire pour savourer en harmonie universelle pour participer, du côté français, à cette Fête champêtre de Marin Marais de la plage 12. 

Rose et Lys, Musiques anglaises et françaises pour duo de violes de gambe, par Eleanor Lewis-Cloué et Olivier Gladhofer, éditions Hortus.

 

 


 

 

        

 

 

mercredi, mars 03, 2021

HONGRIE/ITALIE : PONTS MUSICAUX


PRISMA – Il Transilvano : Musical bridges between Italy and Hungary around 1600 (one thousand six hundred)Works from Codex Caioni and Hungarian folk music,  Ambronay Éditions.

         Les Britanniques ont largué les amarres, et vogue la galère de leur île. Pourtant, les Européens, à en juger aussi par les titres des disques, restent amarrés béatement à une langue anglaise jargonnée qui n’est parlée ou comprise, en Europe, selon les statistiques, que par moins de 1% de la population. Si la musique est une langue universelle, qui n’a pas besoin de traduction, à juger par ces disques, on croirait qu’il n’est d’auditeurs que britanniques. Que l’on sache, le prestigieux festival et les éditions Ambronay, pardon Ambronay editions, sont bien ancrés en France. Ce fameux label  français nous offre, par l’ensemble Prisma, un Cd dont vous avez sans doute compris le titre, que je vous traduis tout de même :

‘Ponts musicaux entre l’Italie et la Hongrie autour de 1600’ ; œuvres tirées du Codex Caioni et de la musique folklorique hongroise’.

Il Transilvano, ’le Transylvain’ : le CD prend son nom d’un recueil que l’organiste Girolamo Diruta (Venise 1593) dédia au Prince Sigismund Báthory de Transylvanie, région dont les frontières, au hasard des guerres oscillent entre la Roumanie et la Hongrie, le mot venant du latin trans-silvam : « au-delà des forêts ». Pour l’anecdote, c’est en Transylvanie que Bram Stoker a situé l'action de son roman Dracula (1897) dans un château qui existe vraiment, avec le vrai nom d’un terrible seigneur Vlad III Dracula, surnommé l'Empaleur. Mais si le disque donne des frissons, c’est de plaisir.

         En effet, l’ensemble Prisma, formé de quatre jeunes musiciens hongrois, israéliens, franco-allemands, s’est fait une spécialité de musiques rares mais pittoresques des XVIe et XVIIe, donc de l’époque baroque en gros, et se sont adjoints ici un cinquième larron. Ils sont intégrés à l’excellent programme Européen Eeemerging+, une pépinière qui promeut les jeunes ensembles de musique ancienne, développe la mobilité des artistes, en leur facilitant des tournées en Europe. Prisma a fait des résidences en Hongrie.

Ce disque en est le bondissant et jubilant résultat sautant de la musique savante italienne, aux nobles accents, dont la superbe sonate La Romana d’Orazio Tarditi, des genres baroques localement adaptés, à des musiques populaires tirées d’un terroir hongrois immémorial. On nous pardonnera de donner ici la préférence à cette musique beaucoup moins fréquentée, disons inconnue qui semble venir d’un ailleurs à la fois proche et lointain, un touchant héritage revisité et revivifié. Comme dans la « Gaillarde dite la ‘Hongroise’ », actualisée de David Budai sur le même cadre harmonique, plage 10, que l’on vous recommande d’écouter et réécouter.

Les morceaux, alternant pièces vocales et instrumentales, sont courts, un seul excédant cinq minutes et c’est un plaisir d’en feuilleter les plages, les pages, de passer et de revenir de l’une à l’autre comme en effeuillerait un bouquet venu d’ailleurs. On peut être dérouté, sur ces terres inconnues, par la voix de Franciska Hadju : mais je la trouve, loin de toute sophistication belcantiste qui serait un contresens, ingénue, franche et fraîche, au timbre acide, pas forcément lyriquement séduisant, mais à la saveur populaire convaincante dans une poétique chanson d’amour hongroise au titre que, tout polyglotte que je sois, je ne me hasarderai pas à prononcer. Le poème est du XVIe siècle, la musique, du XVIIe, la seule de ce genre, dont la musique écrite soit parvenue (plage 7).

Ces pièces sont tirées du Codex Caioni qui, lui, tire son nom du compilateur János Kájoni (1629-1687), évêque de Transylvanie, érudit et humaniste. Il avait dressé une large collection de musique, populaire autant que savante, hongroise, allemande, italienne, (on y trouve Schütz, Monteverdi …), inestimable trésor dissimulé pendant la Seconde Guerre mondiale pour l’arracher à la fureur nazie cherchant à détruire, entre autres, tout le patrimoine slave, hongrois, tzigane, peuples soi-disant inférieurs. Heureusement redécouvert en 1988, il fait aussi le prix de cet enregistrement : au mythe mortifère des races et civilisations pures, il oppose la vitalité des métissages régénérateurs entre les peuples enrichis de leurs échanges, de leur mélange de sang et de cultures, savante et populaire.

C’est donc un disque original dans notre univers musical d’Europe occidentale, un panorama attachant, et l’on sera touché par la longue ballade dramatique que j’ose prononcer, Angoli Borbála, nom de l’héroïne (plage 11). Cela commence par un printanier et joyeux concert d’oiseaux qui semble accompagner la danse de la jupe de la jeune fille, jupe trop courte devant, trop longue derrière. On croirait d’abord la marche dansante de notre Perrette et le pot au lait de La Fontaine. Hélas, un dialogue de plus en plus pressant et oppressant avec la mère nous révèle que la jeune fille est enceinte d’un inconnu, elle cherche vainement à cacher sa grossesse par cette jupe. Sa mère, véritable marâtre des contes de fées, l’enferme, lui refuse toute nourriture. Elle meurt mais le Prince qui l’aimait, qui l’avait engrossée, apprenant le drame, vient se suicider sur elle, sa Juliette, en Roméo universel.

PRISMA – Il Transilvano : Musical bridges between Italy and Hungary around 1600 – Works from Codex Caioni and Hungarian folk music.  Ambronay Éditions.

Podcast :

https://rcf.fr/culture/livres/prisma-il-transilvano


 

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