Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
Ci-dessous : liens vers les sites internet de certains de ces supports.

L'auteur

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Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

lundi, juillet 30, 2012

CHORÉGIES D'ORANGE, TURANDOT


N. B. À l'attention des lecteurs de ce blog qui me font  l'honneur de me lire et l'amitié de mettre des commentaires, je me dois de signaler que le système ne permet techniquement pas de leur répondre. Aussi, à l'occasion de ce petit texte et de cette chronique, je me dois de préciser qu'ici-bas, ma critique, si on la lit correctement, si elle rapporte le fameux ratage du si, n'entache en rien la prestation d'Alagna malade : je ne fais que rapporter objectivement des réactions de professionnels. J'ai aussitôt ajouté un P.S. pour saluer sa performance de la seconde. Par ailleurs, je signale que je ne lui ai en rien reproché de sortir du répertoire lyrique : pour s'en convaincre, on n'a qu'à lire  plus bas ma chronique "Festival, estival, Marseille" du 15 juillet, dans laquelle je rapporte l'enthousiasme du public marseillais lors de son concert gratuit. D'autre part, on n'a qu'à se promener dans mon blog qui rend compte de nombre de ses spectacles et l'on verra que j'ai toujours tenu en grande estime et sympathie ce grand artiste. Voilà pour ses"fans" inconditionnels.
Quant à la personne qui regrette des "surtitres" aux spectacles d'Orange… Comment faire en ce lieu gigantesque? (B. Pelegrín)
Turandot, 
musique de Giacomo Puccini,
livret d’Adami et Simoni d’après Carlo Gozzi
28 juillet 2012 
L’œuvre
Le Vénitien Carlo Gozzi (1720-1806), l’auteur de L’Amour des Trois oranges (1761) qui inspirera Prokofiev en 1921, est à la mode en ce début du XX e siècle intéressé par ce lointain et mystérieux Extrême-Orient qui fascina aussi Debussy. Il écrit l’année suivante une autre fable scénique, Turandot (1762). C’est histoire d'une cruelle princesse chinoise très belle qui impose une énigme insoluble à ses prétendants qui, pour gage de ce jeu court mais peu courtois, engagent leur tête : elle les fait décapiter après qu’ils ont perdu imprudemment la tête pour elle, afin de venger son immémoriale aïeule victime de la violence masculine. Un prince inconnu trouve la solution et peut prétendre à sa main, mais, généreusement, lui propose de résoudre à son tour, avant l’aube, le mystère de son nom. Turandot mettra Pékin à feu et à sang pour trouver qui il est et échapper ainsi au mariage.
On se permettra de rappeler ce que dit déjà ailleurs sur cette œuvre.
Dans la longue galerie de femmes sacrifiées sur l’autel de l’honneur ou de la passion du mâle qu’est l’opéra à partir du XIX e siècle, Turandot forme une remarquable exception. Non qu’il y manque la pure héroïne innocente s’offrant par amour au supplice pour sauver l’homme qu’elle aime et ne pas dévoiler son nom : l’aimante et douce Liu témoigne de cette tradition de l’exaltation féminine sacrificielle rêvée par la misogynie de toute une époque. Mais la nouveauté terrible, ici, c’est le personnage titulaire, la féroce princesse chinoise Turandot, sorte non de veuve noire puisqu’elle n’est pas mariée, mais disons de veuve jaune anticipée puisqu’elle voue à la mort les princes prétendants à sa main qui n’ont pas élucidé les trois énigmes que, sphinge redoutable, comme de fascinants filets, elle tend à ses présomptueux adorateurs. Méprisante et frigide, « ceinte de glace », dans « sa froide chambre », la dévoratrice consume et tue les mâles sans les consommer : elle tranche du chef, fait couper leur «superbe tête », les décapite, offrant, comme Salomé, sur un plateau l’exemple de la femme castratrice aux théories freudiennes triomphantes des années 20 toutes tournées idéologiquement vers le siècle précédent. Et il ne manque pas de candidats pour mettre la main -ou l’appendice imprudent- dans l’engrenage de cette femme fatale, fière et farouche beauté altérée, à défaut d’autre substance, de sang viril.

Comme s’il était lui-même victime de son héroïne, Puccini, l’amoureux des femmes concrètes et le créateur de tant de tendres personnages féminins sacrifiés, meurt en 1924 avant d’achever son ouvrage, sans même finir le duo final rêvé qui devait voir la rédemption par l’amour de son effroyable princesse frigide, resté figée dans sa glaciation puisque la fin connue de la fonte des glaces érotiques n’est pas de lui mais d’Alfano. L’œuvre sera créée deux ans après sa mort, complétée par ce disciple.
Réalisation
Le mur monumental d’Orange, sinon la muraille de Chine, sied à Charles Roubaud. Un vaste portique dont les ombres semblent parfois doubler les colonnes s’allonge sur la scène, surmonté d’une galerie du palais à deux niveaux : la grisaille du marbre froid sur la chaleur de beurre de pierre dorée, comme une anticipation colorée de la chaude victoire du cœur vivant de l’amoureux sur le cœur pétrifié de la belle. Tout en haut, un gigantesque cercle jaune cache la statue d’Auguste, lune écrasante par son poids pesant sur les destinées humaines, gong vibrant ou coup et roue de la Fortune indécise quand elle tournoie étrangement, meule tournante pour affûter les lames. Grandeur de l’Empire et raffinement, simple et impressionnante scénographie (Dominique Lebourges) que des projections vidéo subtiles (Marie-Jeanne Gauthé) habilleront d’intérieur raffiné  en teintes de laques chinoises rouges et noires, bibliothèque de savante et antique culture millénaire, l’ouvrant à l’espace du rêve nostalgique de Ping d’un vague lac verdâtre miroitant de lucioles, bercé par de tendres bambous. Sur les murs latéraux de la scène, en contraste avec les arêtes tranchantes des lignes, de nébuleuses projections grouillant de formes serpentines indécises, se précisant en dragons bondissants à la fin, donnent à l’ensemble une dimension onirique et fabuleuse. Lumières obscures, inquiétantes, rousses ou blêmes, lunaires, d’Avi-Yona Bueno, peut-être pas assez variées, pensées sans doute pour la télévision.
On connaît la maîtrise  de Roubaud dans le maniement des foules dont les mouvements, tumultueux ou terrorisés, semblent chorégraphiés. On admire ce jeu de casse-têtes casse-pipes, cet amas de corps amoncelés quand on évoque les dernières victimes de Turandot. Cette dernière apparaît enfermée dans une sorte de sphère armillaire métallique, enclose dans sa bulle, araignée maléfique, veuve noire au centre de sa toile, dont elle sortira pour énoncer les énigmes et s’en trouvera exclue  un peu plus à chaque solution juste du Prince inconnu, condamnée à sortir de son monde finalement.
Les costumes de Katia Duflot sont d’une sombre beauté pour cette sombre histoire, gris marron pour le peuple avec des verdeurs vagues et des teintes bleutées selon les lumières, noirs pour les soldats brutaux. L’empereur est doré et quelques dames offertes à Calaf en soyeuse et joyeuse lumière. Mais la cour féminine de Turandot est une longue théorie de deuil, pectoral d’argent, têtes surmontées de coiffes en éventail, tels des couperets inverses. Sous son habit volant au vent, Turandot, arrachée à sa rigidité de vierge frigide, aura une robe d’aube, de papillon aux futures ailes déployées.

Interprétation
Le temps était clément et la brise légère. Mais une certaine électricité courait entre les spectateurs alertés de la méforme d’Alagna lors de la générale, qui assurait sa treizième participation aux Chorégies depuis 1993. Effectivement, lors des deux premiers actes, on sent le ténor à la peine, aisément couvert lors de son duo avec Liu par l’émouvante, douce mais puissante Maria Luigia Borsi, au vibrato très large mais qui nous fait vibrer d’émotion. Pourtant, à sa première confrontation avec la grandiose Turandot au timbre acéré de Lise Lindstrom qui lance ses aigus droits et drus comme des lames, on se dit que la chaleur de sa voix produit un contraste dramatique intéressant avec la princesse frigide. Mais, après l’entracte, une annonce : Roberto Alagna, affligé d’une mycose laryngée causée par des antibiotiques, demande la compréhension du public. Et voilà, Alagna, dont les spectateurs guettent les contre ut, décaputé, décapité, public dépité : la brève cadence sur « vinceró », le saut redoutable au lieu de monter au triomphant et victorieux si aigu laisse passer un hoquet : huées, rares, au milieu de salves d’applaudissements d’un public attendri par les victimes, mais commentaires sévères des professionnels sur un chanteur qui, au lieu de préparer cette prise de rôle, s’enrôle à jouer les ténors populaires de place marseillaise (Voir, dans ce blog, "Festival, estival, Marseille" du 15 juillet) à Bayonne, de la chanson napolitaine à celles de Mariano, sonorisé, mais inaudible ici à l’heure de vérité. Fatigué ou malade, au bénéfice du doute, on concédera que pour grands que soient les chanteurs, ce ne sont pas des machines, ni des conserves discographiques immortelles, et que le spectacle vivant a ses risques qui ne devraient pas être mortels.
Cela n’entache que lui mais ne diminue pas la tâche méritoire de tous ses partenaires : du dernier vertigineux niveau du palais, Luc Bertin-Hugault, superbe et épique héraut mandarin, s’adresse au « Peuple de Pékin » mais aussi, belle idée, par sa position, au public du haut des gradins du théâtre qui trouve enfin un chanteur à sa hauteur. Un étage plus bas, Chris Merritt, vrai « Fils du Ciel » par la hauteur, est un empereur humain plein de solide noblesse. Au niveau de la scène, Marco Spotti qu’on aura entendu avec bonheur dans la Bohème est un admirable Timur. On a plaisir à retrouver la chaude jovialité de Marc Barrard en Ping, teintée de nostalgie, face à ses complices bien chantants et dansants, les ténors lumineux Florian Laconi et Jean-François Borras en Pong et Pang. Dans cet opéra choral, les chœurs sont remarquables.
À la tête de l’admirable Orchestre National de France et des Chœurs des Opéras de Région, on a connu Michel Plasson plus léger. Certes, il fait rutiler les gemmes de cette partition exigeante, polytonale souvent, la beauté singulière des timbres de façon pointilleuse et pointilliste mais, du moins pendant les deux premiers actes, cela semble au détriment des lignes incisives et concises de Puccini. Mais, n’était-ce l’incident, sans incidence sur le reste , du ténor, cette production est digne de la qualité  des Chorégies d’Orange.
POST SCRICTUM :
Après l'incident de la première au 3e acte, mais qui n'a pas fauté -"faussé"- lui jette le première pierre, comme ont pu en être témoins des milliers spectateurs en délire qui l'ont ovationné, Alagna, que l'on attendait au détour du "si", malgré les oiseaux -non chanteurs- de mauvais augure, l'a donné avec une  belle "vaillance" au sens plein du son et du mot : quand on songe  à l'angoisse que peut représenter, pour un chanteur malade qui a déjà la courage de ne pas annuler la représentation, d'arriver à ce moment qui fut malheureux pour lui, on mesure vraiment combien Roberto fut vaillant. Salut, l'artiste!

France 3 et France-Musique retransmettent le spectacle le mardi 31 juillet.


Chorégies d’Orange 2012
Turandot de G. Puccini, 28 et 30 juillet.
Orchestre National de France et des Chœurs des Opéras de Région.
Direction musicale : Michel Plasson.
Mise en scène : Charles Roubaud ; scénographie : Dominique Lebourges ; éclairages : Avi-Yona Bueno ; vidéo : Marie-Jeanne Gauthé ; costumes :Katia Duflot.
Turandot : Lise Lindstrom ; Liù : Maria Luigia Borsi. Calaf : Roberto Alagna ; Timur : Marco Spotti ;  Imperator Altoum :  Chris Merritt ; Ping : Marc Barrard ; Pang : Jean-François Borras ; Pong : Florian Laconi ; Un mandarin : Luc Bertin-Hugault.
Photos © Philippe Gromelle :
1. Un rêve de paix ;
2. « Non piangere, Liu… » (Maria Luigia Borsi et Roberto Alagna) ;
3. Ping, Pang, Pong (successivement : Borras, Barrard, Laconi) ;
4. Arrivée de Turandot ;
5. Turandot hors de sa bulle ;
6.  Turandot et Calf, la glace brisée (Lise Linstrom et Alagna).
En haut, affiche de la création.

jeudi, juillet 26, 2012

L'OPÉRA AU VILLAGE


POURRIÈRES,
PERGOLÈSE / GRÉTRY
22 juillet 2012
On retrouve toujours avec bonheur ce petit festival dans le cloître intime du Couvent des Minimes où la branche séculaire d’un seul arbre amical suffit à faire dais douillettement protecteur au public jusqu’à la petite scène du fond. Ce festival, modeste mais joliment ambitieux, avec une programmation judicieuse de formes lyriques rares que l’on a le plaisir de retrouver ou découvrir, s’est affirmé autour d’un noyau d’artistes, animé par des dizaines de bénévoles villageois qui préparent même le repas à thème. On le prend sous les marronniers, devant le mur dont le crépuscule nimbe la pierre rose. Au menu : « les piques de Pierrot, La bandiera de Cassandre, la salade d’Arlequin, la polenta dell’arte, la verrine d’Isabelle, la douceur de Colombine, la sucrerie de Léandre et le chocolat de Pandolphe ». On déguste ces plats à saveur de Commedia dell’Arte assaisonnés à la française en prélude à deux œuvres courtes du XVIII e siècle, l’exemplaire Serva padrona de Giovanni Battista Pergolesi (1710-1736), modèle de l’opéra-bouffe à venir, dans sa version française, et Le Tableau parlant (1769) d’André Grétry (1741-1813), qui en a capté l’essence italienne en la francisant.
Les œuvres
La serva padrona
Pergolèse naît dans la Naples, encore possession de l’Espagne, où l’opera seria s’est modelé sur la comedia espagnole en trois « journées » avec, entre ces actes, deux intermèdes musicaux comiques distincts. Ainsi, le compositeur intercale, dans son opéra tragique Il Prigioner superbo (1733), deux intermezzi (leur succès éclipsera l’œuvre principale), deux divertissements joyeux dont il fait deux parties d’un même sujet : l’astucieuse servante qui réussit à se faire épouser par son vieux maître bougon berné. Ainsi naît ce qui sera le modèle, en deux actes, de l’opera buffa à venir où se retrouvent des personnages archétypaux de comédie, la soubrette rusée, les jeunes premiers énamourés, le riche barbon amoureux qui sera toujours cruellement dupé par le complot des jeunes et des valets contre lui, de Rossini à Donizetti et son Don Pasquale.
Querelle des Bouffons
La serva padrona eut un autre sort historique notable. Jouée à Paris en 1746 sans succès, reprise en 1752 à l’Académie royale de musique, chantée en italien par la troupe des Bouffons, dans ce temple de la musique française à la Lully et Rameau, figé dans ses conventions compassées, elle fait scandale, déclenchant la fameuse Querelle des Bouffons. Guerre de pamphlets sur la préséance de la musique française ou de la musique italienne, ou Querelle des coins, puisque le roi Louis XV, de sa loge, son « coin », prend parti pour la première et la reine, Marie Leszczyńska, Polonaise, de la sienne, défend la seconde. Contempteur de la musique française, Rousseau, zélateur de la musique italienne, avec les philosophes, voit dans les sujets plus quotidiens, plus populaires, plus bourgeois de l’opera buffa, dans sa musique légère et simplifiée, un modèle de naturel face aux lourdes machines mythologiques, aristocratiques, pompeuses, de Rameau. 

Directeur artistique et metteur en scène, Bernard Grimonet a eu l’excellente idée d’exhumer la version française, La servante maîtresse, dans la traduction  de Pierre Baurans (1710-1764), remarquable adaptation où les récitatifs italiens sont remplacés par des passages parlés, versifiés en octosyllabes et alexandrins de la meilleure facture, alternance de parlé/chanté qui donnera la tradition de l’opéra-comique, mais qui existait déjà dans la zarzuela espagnole et que l’on retrouvera dans le singspiel allemand. Cette version, par ailleurs, ajoute deux airs bien venus, amenés par deux récits « à la française », avec la caractéristique battue sur deux ou trois notes répétées des fins de vers, dans la plus pure tradition de Rameau, « Monsieur utrémifasollasiututut » (‘do ré mi fa sol la si do do do’) comme le surnomme plaisamment Diderot. Seuls les personnages changent leur nom italien en français mais dans la tradition italienne de la comédie : Uberto devient Pandolphe, Serpina, Zerbine et le valet muet Vespone, Scapin.
En miroir inverse et concordant, Le Tableau parlant (1769) du Belge André Grétry (1741-1813) est une parfaite assimilation des recettes de l’opera buffa italien à la française, devenu opéra-comique, avec toujours la thématique du conflit de génération entre le riche barbon amoureux qui veut épouser sa pupille (qu’on retrouve dans Le Barbier de Séville de Beaumarchais), le couple de jeunes premiers amoureux aidé par l’astuce du couple parallèle de valets. Heureuse idée, encore, de rendre justice à Grétry, dont on commémorera l’an prochain le 200 e anniversaire de la mort, ami de Voltaire dont il crée le Huron en 1768, d’après Candide. Auteur de quinze opéras, de quarante opéras-comiques, opportuniste politique, si l’air « Ô Richard, Ô mon Roy ! » de Richard Cœur-de-lion (1784) devient l’hymne royaliste pendant la Révolution, il traverse sans dommage celle-ci et sera protégé par Napoléon. Compositeur adulé de son temps, admiré et imité par Mozart, puis méprisé, on commence à lui rendre justice et Pourrières offre un excellent témoignage de son talent : joliesse expressive des airs, fraîcheur harmonique, légèreté piquante et pimpante à quoi s’ajoute la fluidité des vers parlés. Mais, dépassant l’impitoyable et cynique triomphe juvénile sur le vieux de l’héritage italien, réflexion contre le réflexe de rire du barbon berné, il y a ici le zeste d’amertume de la victime pitoyable du complot de la jeunesse, qui faisait dénoncer par Rousseau, dans sa Lettre contre le théâtre, l’immoralité de la scène qui exaltait constamment les jeunes gens et ridiculisait constamment les vieux. D’ailleurs, significativement, contrairement à la tradition italienne de confier le rôle du barbon à une basse bouffe, Grétry lui donne une voix de ténor, dévolue généralement aux jeunes hommes, mettant ainsi à égalité le vieux vert et le jeune beau, l’éternel Léandre et le vieux Cassandre, qui pourrait être également héros d’un drame. Même le valet est à égalité de voix.
Réalisation et interprétation
Le dispositif scénique, expliqué par le metteur en scène Bernard Grimonet, est d’une simplicité linéaire : sur fond noir, en deux verticales et une oblique, le déroulé agrandi de plaques de lanterne magique chère au XVIIIe siècle, sorte de pellicule transparente à travers laquelle la lanterne projetait des images, des ombres chinoises de silhouettes découpées, ici les têtes face à face d’un couple dans un médaillon enrubanné. Subtile stylisation, épure de la simplicité même de l’opera buffa qui se jouait au début devant le rideau tandis qu’on changeait le fastueux décor de l’opere seria. À peine quelques accessoires nécessaires, une poupée symbolisant les femmes objets, une tenture rouge théâtrale, des fauteuils, une table, un chandelier, un vaisseau à voiles et, servant d’habile transition entre La Servante maîtresse et Le Tableau parlant, un portrait amovible des deux maîtres de maison respectifs. Ainsi, sans transition autre qu’un changement astucieux, un passage de relais à vue, le portrait dont on change le personnage, un plumeau et une canne, plaisants symboles affrontés en duo et duels, du pouvoir de la servante et du maître, des jeunes et du vieux poussiéreux et menaçant dans les deux œuvres, on passe d’une pièce à l’autre.
Contrastant avec la sobriété du décor, les costumes, réalisés aussi par des bénévoles du village, sont d’une fantasque interprétation, mêlant joyeusement étoffes et signes stylisés de Commedia dell’ Arte (losanges arlequinesques) ou jeux de cartes. Ils font du faste du Siècle des Lumières, un siècle de technicolor comme issu de la fantaisie hollywoodienne d’une comédie musicale. Les musiciens de l’excellent ensemble, joyeusement menés par Luc Coadou, précis et méticuleux, sont aussi costumés, affublés d’énormes perruques synthétiques. Dans une gaîté ambiante de troupe ambulante de Foire du Trône et Commedia dell’Arte, sur un rythme de saltarello, de farandole, le bateleur, le crieur, amène et promène sa troupe et annonce le spectacle.
Mais, cette bouillonnante introduction, crée peut-être un contraste trop grand avec La Servante maîtresse et son personnage longtemps seul sur scène en vitupérant, de façon trop statique, contre sa servante, un Pandolphe bien chantant (Pierre Villa-Loumagne), opposant nettement ses aigus et ses graves, mais un peu raide. À l’opposé de la vibrionnante Zerbine de Monique Borelli qui compense par le jeu sa tessiture gênée : trop légère, la voix manque de corps pour l’accorte et picaresque servante, notamment dans son premier air aux graves pas assez timbrés alors que, dans cette œuvre baroque, le chanteur devait montrer son aisance sur toute sa tessiture, notamment dans des contrastes accusés entre l’aigu et le grave. En Scapin muet, Fabrice Alibert, dont on découvrira ensuite le talent, semble sous-employé.
Le Tableau parlant, œuvre postérieure à coup sûr plus ambitieuse, ne serait-ce que par le nombre de chanteurs, des ensembles réussis, semble avoir plus inspiré le metteur en scène, tant il est vrai que les personnages, dans les limites du genre, y sont un peu plus élaborés. Chacun a une part d’ombre : la jeune première accepte la main de son tuteur, même amoureuse de son lointain amant, amoureux aussi mais qui, à Cayenne, a mené galante vie avec les indigènes ; le barbon est plus retors que les tourtereaux tortueuxet joue les dupes sans être dupé. Enfin, la soubrette, du bois dont on fait les Despina de Cosí fan tutte, tire bien les ficelles et son Pierrot est digne d’elle, en devenir de Figaro. Benjamin Auriol, ténor, est un Léandre tard paru et peu chantant, mais crédible et mignard. En Pierrot, Fabrice Alibert, le Scapin muet, se rattrape ici en déployant un bel organe de fort ténor, très expressif. Avec lui, l’autre révélation, c’est Gwénaëlle Chouquet, soprano au beau satin sonore, voix ronde et pleine, sachant aussi bien chanter que jouer, très douée en pupille dont la docilité cache la nature de vipère comme Rosine.

Timbre fruité, nuancé, Catherine Bocci, que l’on connaît, est une Colombine allurée et délurée, espiègle, qui joue aussi bien de sa voix parlée que chantée. Mais il faut reconnaître que, expressif dans son visage et sa voix, Pierre Espiaut, ténor, en Cassandre, fait de quelques aigus difficiles de sa partie, un peu « à l’arraché », une déchirante révolte du barbon que l’on veut berner dans ce jeunisme cruel de cette époque dont j’ai parlé ailleurs[1]. Les larmes sous le rire.
On apprécia, sous le doigts agiles d’Isabelle Terjan, qui tenait la basse du piano, en interlude, une jolie gavotte de Grétry, et la finesse du petit ensemble cordes, flûtes et cor dirigé tendrement par Luc Coadou.

Couvent des Minimes, Pourrières, 16, 18, 20, 22, 24 juillet ; le 26 à Vins-sur-Caramy

La Servante maîtresse :
Pandolfe : Pierre Villa-Loumagne, baryton-basse ; Zerbine : Monique Borrelli, soprano ; Scapin : Fabrice Alibert, comédien.
Le Tableau parlant 
:
Isabelle : Gwénaëlle Chouquet, soprano ; Colombine : Catherine Bocci, soprano ; Cassandre : Pierre Espiaut, ténor ; Pierrot : Fabrice Alibert, ténor ; Léandre : Benjamin Auriol, ténor.

Photos : Lauren Pascault sauf 1 Stéphane Seban :
1. Le couvent
2. Pierre Villa-Loumagne et Monique Borrelli, Pandolphe et Zerbine ;
3. Fabrice Alibert et Catherine Bocci, Pierrot et Colombine ;
4. Benjamin Auriol et Gwénaëlle Chouquet, Léandre et Isabelle ;
5. Entre l'ombre des amants, le barbon tragique, Pierre Espiaut ;
6. Une redoutable Isabelle : Gwénaëlle Chouquet ;
7. Les saluts avec l’ensemble et le metteur en scène.


[1] Voir Benito Pelegrín, D’un temps d’incertitude, éditions Sulliver, VI, La longue saison des crépuscules.

dimanche, juillet 15, 2012

FESTIVAL, ESTIVAL, MARSEILLE

FESTIVALS
Estival se cache sous festival. Par la vertu de la consonance, de la paronomase dirait-on en bon terme rhétorique, on ferait presque des synonymes de ces mots. Or, ces festivités artistiques en un lieu et une période donnés n’ont pas de saison, tel le printanier Festival de Cannes ou le Festival permanent des deux saisons de Toulon, hiver été, dont la frontière entre les deux n’est que la belle étoile qui permet des concerts à l’air libre.
La Région PACA est devenue, sinon une terre de mission une Terre de Festivals  comme le volume qu’elle édite : il y en a 271 en 2012. Ils étaient plus de 400 en 2008. Mais les baisses et souvent l’arrêt de subventions ont porté un coup d’arrêt à cet essor culturel, forcément inducteur d’emplois, même saisonniers, apportant un supplément de prospérité estivale à des lieux fréquentés par les touristes.
Dans la fonte des subventions, on constate que l’Etat semble réserver ses subsides aux manifestations de prestige, et il abandonne aux collectivités locales, qui assument déjà le financement des structures, un art et une culture du terrain attentifs aux publics moins favorisés et plus éloignés des grands centres culturels et artistiques, officialisant de la sorte une politique culturelle à deux vitesses, renversement historique des lois Malraux et leur rêve d’élitisme démocratique de l’art pour tous. Retiré de certains petits festivals, le Ministère en a signé la mort. Cela représente néanmoins, en 2012, 1869 spectacles dans notre région privilégiée.
Pour ceux qui ne veulent pas simplement bronzer ou toaster idiots sous le soleil estival, sans pouvoir bien sûr citer tous les festivals, voici quelques festivités d’été, ces festivals estivaux –en bon accord grammatical.
D’abord, on saluera la belle diversité des programmations : des musiques savantes, anciennes ou contemporaines, au rock et aux musiques du monde, de l’art lyrique aux variétés et au jazz, du théâtre le plus classique au théâtre de rue, de la danse contemporaine aux danses folkloriques, de la photographie au cinéma, l’éventail est aussi large que les prix.
MARSEILLE SOUS LES ÉTOILES
Cependant, on va parfois chercher loin ce que l’on a tout près. Et quand la crise creuse les écarts entre les classes, que tant de gens ne peuvent prendre des vacances, nous avons la chance, à Marseille, d’avoir des manifestations de très grande qualité à portée de main et même de bourse, puisque certaines sont gratuites. Dans des lieux magnifiques.
 LONGCHAMP
Ainsi l’imposant et apaisant Palais Longchamp, la rigueur de la pierre et la douceur de l’eau, avec ses fontaines qui ont alimenté la ville en eau, à deux pas du centre en tramway ou à pied. On a l’impression deux bras accueillants, grands ouverts, quand on arrive devant ce double péristyle de colonnades de palais digne d’un décor d’opéra baroque jouant à l’antique. Il a servi de cadre harmonieux à des soirées musicales sous les étoiles. On a pu y écouter le Big Band d’accordéons du CNRR, du Conservatoire National à Rayonnement Régional, l’Orchestre Philharmonique de l’Opéra de Marseille, les  élèves pianistes lauréats 2012.

ESPLANADE VILLENEUVE BARGEMON
Jouxtant la Mairie centrale, joyau architectural du XVII e siècle sauvé du dynamitage des quartiers du Vieux-Port par les Allemands en 1943, cette vaste esplanade aménagée en plusieurs niveaux, part de la Rue Caisserie au quai du Port. Des répétitions du Festival de danse de Marseille, s’y sont données en public, le BNM, le Ballet National de Marseille y a offert un spectacle ainsi que d’autres formations et, clou de la saison, le 7 juillet, Roberto Alagna, sous l’égide de l’Opéra, donnait un récital gratuit.
Alagna, ou simplement Roberto pour le public, c’est le plus populaire des ténors français, disons, un Sicilien de Paris, un Parisien universel, que les plus grands opéras du monde s’arrachent. Adopté depuis Marius et Fanny à Marseille, triomphant dans Le Cid de Massenet l’an dernier, il reviendra l’an prochain pour illustrer Marseille capitale européenne de la culture en 2013 et sera, cet été le Calaf de Turandot  de Puccini à Orange les 28 et 31 juillet. Il donnait un récital gratuit d’airs d’opéra et de chansons siciliennes, napolitaines, hispaniques, devant plusieurs milliers de personnes dans cet autre lieu superbe, tout contre la Mairie du Vieux-Port, la Place Villeneuve Bargemon.
Depuis 11 heures du matin, des gens avaient pris place pour ne pas rater cet extraordinaire concert commençant à 21h30. Imaginez, sur fond de scène transparent, la Vierge de la Garde telle une carte-postale, comme un doigt pointé vers le ciel encore lumineux ; derrière, la noble façade restaurée de l’Hôtel-Dieu : entre les deux, une marée humaine, des vagues de têtes étagées sur les degrés de l’immense place, sur des sièges installés ou des chaises que certains ont apportées de chez eux, d’autres assis à même le sol, d’autres encore, privilégies depuis la fenêtre de leur appartement comme d’un balcon plongeant sur la scène, d’autres encore, attablés dans les restaurants voisins. Bruissement de foule impatiente, odeurs de cuisine, de sardinade, brouhaha par moments de foule méditerranéenne forte en gueule. Une brise légère, la nuit tombe, la Vierge de la Garde d’illumine, les mâts des bateaux éclairés se mettent à danser sous une brise légère. Il arrive, c’est une clameur d’émeute, mais pas de meute, cris de joie, d’enthousiasme, on l’appelle, interpelle : « Roberto, Roberto ! » « Oui, c’est moi, je confirme », répond-il avec un sourire bon enfant, une gouaille de Poulbot, de titi parigot, et une familiarité de « ragazzo » italien, entretenant, toute la soirée, ce climat cordial, bon enfant, méditerranée : bref, un vrai Marseillais d’honneur, au meilleur. Il enchaînera inlassablement airs d’opéras italiens, français, allemand, russe puis des airs populaire de son Italie originelle, sans oublier l’Amérique latine et l’Espagne. Il passe de forte éclatants à des pianissimi, à une voix de tête digne des mariachis mexicains, avec un égal bonheur, pour le bonheur des spectateurs. Concert terminé à minuit sous les ovations enthousiastes, la foule fera encore la queue jusqu’à 1h30 devant la Mairie pour le voir, se faire photographier avec lui, faire signer programmes et disques.
THÉÂTRE SILVAIN
Autre lieu d’exception. Dans Vallon de la Fausse Monnaie au nom si romanesque, à la première courbe de la Corniche, à gauche en allant vers les plages du Prado, entre mer et colline, un creux de verdure : le théâtre Silvain. Le 14 juillet 1923, Eugène Silvain, d’abord chanteur lyrique et comédien, et sa femme, tous deux sociétaires de la Comédie française, tombent amoureux de cette sorte de poing généreusement ouvert vers le ciel, une conque à l’acoustique parfaite. Une scène, des gradins à l’antique qui semblent escalader la colline vers le ciel, et voilà une sorte d’Épidaure marseillais, qui peut, restauré aujourd’hui, accueillir aujourd’hui quelque 3000 personnes. 
 Les spectacles se succèdent tout au long de l’été certains gratuits, comme le remarquable récital D’autres rivages de Christina Rosmini, marraine 2012 du théâtre, qui a régalé un public nombreux de ses chansons au beau métissage méditerranéen : elle danse, chante, « tchatche » avec son public en bonne Marseillaise, avec un charisme toujours renouvelé. Un spectacle de haute qualité artistique et morale. Concert gratuit. Et même quand les spectacles sont payants, les tarifs restent largement accessibles.
Trente spectacles y ont été programmés : jazz, rock, musique classique, opérette, opéra, cinéma retransmission gratuite des Noces de Figaro en direct du Festival d'art lyrique d'Aix-en-Provence, (gratuit) ont été au programme, en passant par Juliette Gréco dans le cadre du festival Accordémonde. L'Orchestre des Jeunes de la Méditerranée donnera un concert le 21 juillet.
Mais il faut signaler un concert particulièrement original le 27 juillet. L'ensemble baroque Una Stella, dont nous reparlerons, va offrir en un soir, un voyage dans une année musicale bien particulière, une année non pas de quatre, mais de huit saisons. En effet, nos baroqueux marseillais ont eu la belle idée d’associer les fameuses Quatre Saisons de Vivaldi (voilà le Baroque) à celles d'Astor Piazzolla, dont on célèbre le 20 e anniversaire de la disparition. Ce grand compositeur, nourri à l’école de Nadia Boulanger, a révolutionné le tango et sa musique est prisée même des plus grands interprètes classiques. Una stella nous proposera donc, comme en un miroir, un doublé de chaque saison du Vénitien et de l’Argentin, avec la complicité du Duo intermezzo qui signe chez Indé !SENS ! Balada para un loco, un disque hommage à Piazzola.

Le disque d'Una Stella chez Naïve, que je recommande, Italia 1600/Argentina 1900, à des musiques baroques que je dirais, « classiques », de Caccini, Monteverdi, Porpora, Händel, Vivaldi, Broschi (le frère de Farinelli), mêle avec bonheur trois morceaux contemporains d’Amérique du sud, un poème du grand poète espagnol Rafael Alberti, Se equivocó la paloma, délicatement mis en musique par le compositeur argentin Carlos Guastavino, mélodie adaptée ici à la guitare par Philippe Spinosi, une déchirante Milonga en ay menor (‘Milonga en aïe menor’) de Piazzolla et, enfin, la fameuse Bachiana  brasileira N°5 de Villa-Lobos, pour laquelle Philippe Spinosi encore, qui dirige l’ensemble, a fait une adaptation originale et savoureuse des deux versions qui existent, l’une pour violoncelles et l’autre pour guitare, une réussite. La chanteuse, c’est Verónica Cangemi, véloce et virtuose chanteuse baroque, qui a plus d’un arc dans ses cordes vocales : Argentine, elle interprète les airs et, en particulier, avec une prenante émotion « porteña », du port de Buenos Aires, la milonga de Piazzola. On espère vite un autre disque de ces interprètes.
En août, Una Stella, toujours dans cette veine et verve syncrétique,  se joindra à Michel Legrand et son trio pour un autre concert atypique le 6 août.
 
Un service de bateau devrait être mis en place entre le Vieux-Port et l'Anse de Maldormé pour gagner le théâtre Silvain. Le bus 83, arrêt Pont de la Fausse monnaie, laisse juste devant et le 583 fluobus ramène le public après le spectacle. 
Réservations au 04 96 20 62 04


samedi, juillet 14, 2012

CHORÉGIES D'ORANGE

LA BOHÈME
Scènes lyriques en quatre tableaux (1896).
Musique de Giacomo Puccini,
Livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa,
D’après le roman d’Henry Murger Scènes de la vie de bohème (1851)
10 juillet 2012
L’œuvre
Je reprends ici ce que j’écrivais le 8 janvier, dans ce blog même, à propos d’une production de La Bohème à l’Opéra de Marseille.
Vériste la musique de Puccini, cela se discute autant que le naturalisme impossible de l’opéra où les gens ne parlent pas mais chantent. Le vérisme n’est donc qu’une convention artistique de choix de sujets proches du quotidien, le seul réalisme étant celui des sentiments, comme d’ailleurs l’exprimait Puccini lui-même : «Il me faut mettre en musique des passions véritables, des passions humaines, l’amour et la douleur, le sourire et les larmes. »
D’ailleurs, à part la belle scène de jeu et de séduction entre Mimi et Rodolphe, où leurs mains se cherchent en feignant de chercher les clés dans le noir, comment croire, malgré l’exaltation née du désir et du contact, à l’explosion immédiate de leur amour clamé et déclamé ? Nous sommes dans le pacte théâtral qui joue de l’ellipse pour ne pas s’installer dans la durée de la démonstration. Quant aux protagonistes, ces jeunes artistes en attente de célébrité, le poète (Rodolfo), le peintre (Marcello), le philosophe (Colline) et le musicien (Schaunard) partageant une misérable mansarde glacée, comment croire au réalisme social et psychologique de ce « panel » trop délibérément représentatif ? Et brûler allègrement sa pièce de théâtre ou son dernier tableau juste pour faire du feu et des phrases enflammées, qui peut souscrire au réalisme de la scène ? C’est pratiquement du théâtre dans le théâtre : une mise en abyme de l’artifice.
Pour ces faux déclassés, il est clair, hier comme aujourd’hui, pour ces fils de bourgeois qui peuvent se permettre de ne pas travailler pour vivre la vie d’artiste sinon encore vivre de leur art, « la bohème », la misère en passant n’est que les grandes vacances d’enfants gâtés : un luxe de nantis. La seule vraie prolétaire, c’est Mimi la brodeuse, la cousette, la grisette, et sans doute modèle posant nue, Musette, petite muse et amusette, de ces messieurs bien en parenthèses artistiques d’une vie dont on sent qu’elle rentrera dans le rang alors que l’une, phtisique, meurt, et que l’autre, ses appas fanés, sombrera probablement dans la prostitution. C’est d’ailleurs ainsi qu’est peinte la suite dans la zarzuela concise et poignante de Pablo Zorozábal, sur un livret du grand écrivain Pío Baroja, Adiós a la bohemia (‘Adieu à la bohème’) qui pose avec un humour amer le problème du réalisme et de l’idéalisme dans l’art.
La réalisation
Nadine Duffaut, dont on suit depuis longtemps avec intérêt l’interprétation historique et très culturelle qu’elle donne aux œuvres qu’elle monte avec finesse, en offre encore une lecture subtile. Dans sa note, elle avoue n’être pas dupe de ce faux réalisme de théâtre, de cette misère qui n’est que de théâtre, un jeu d’apparences pour ces grands gamins joueurs, et ses jeunes bourgeois bohèmes sont confortablement et élégamment vêtus.
C’est donc une scénographie expressive, quasi expressionniste d’Emmanuelle Favre sous les lumières délimitant des surfaces de Philippe Grosperrin

, qui évacue, évide tout réalisme, tout naturalisme du décor : noms de rues au sol pour les extérieurs, un angle d’immeuble stylisé qui épouse un pan en saillie du théâtre antique, des montants de porte, embrasures de fenêtres scandant la vaste scène. Pour moi, c’est un monde évidé, vidé de sa substance vériste matérielle pour ne laisser qu’une épure ou, plutôt, le squelette : monde ou ordre du monde en ruines (après un passage de « pétroleuses » ?) dont il ne reste plus qu’un pan de mur debout et des fenêtres vides. Monde passé dont on aurait fait table rase car ces structures, plus qu’échafaudages de concrète reconstruction urbaine, semblent un ensemble d’échafauds traçant une route parmi ces rues écrites au sol : les lumières en perspectives latérales, rasantes, glaçantes, ou verticales, font de ces ébauches de portes aux ombres portées, de ces montants verticaux, sinon un chemin de croix, un parcours semé de potences, de gibets ou, plutôt, de guillotines, d’une Révolution passée ou d’une autre à venir, avortée. Celle de 1848 contemporaine du roman de Murger (1851) ou la Commune de 1871. Dessein délibéré ou effet fortuit, l’interprétation de ce décor qui évacue le réel, suggère une lecture politique et historique en ombre portée contextuelle au texte du roman d’amour de la trame, à son époque.
Si les premières machines à coudre datent de la révolution (au moins industrielle) du premier tiers du XIX e siècle, leur extension est du Second Empire en France, et celle de Mimi, ne semble pas coudre le lien social aussi troué que ces baies béantes sur des vides. C’est l’un des signes daté historiquement parmi les accessoires réalistes du spectacle, l’échoppe du cordonnier, le bistro et ses tables, les gâteaux, les meubles, et, en hauteur, les pupitres de cette école pas encore de la III e République, tableau noir, écoliers en blouse et maître à férule menaçante pour assagir les petits prolétaires pas encore unis. Encore que la manif à drapeaux rouges après la parade militaire, dans une perspective de fuite, le tract glissé à Mimi, refusé par Rodolphe, paraissent annoncer allusivement une sorte de parcours initiatique à venir comme celui, de l’écolier, de l’étudiant à L’Insurgé de Jules Vallès, fondateur du Cri du Peuple, élu de la Commune de Paris, condamné à mort et mort en exil. Les costumes sobres et sombres de Katia Duflot, à peine relevés des parements rouges des uniformes, d’une ombrelle éclose, des drapeaux ou de la robe incendiaire de Musette au dernier acte, le canotier fripon de la coquine, les chapeaux melons, le canapé capitonné Second Empire, disent cette époque. Pour le reste, poêle à frire, poêle à rire sur le poêle, bureau de poète et chevalet du peintre, ce sont les accessoires nécessaires essentiels de l’action.
À l’acte II, dans la foule, on a un peu de mal à distinguer l’arrivée de Musette mais sans doute faut-il y voir un signe : est-ce elle qui entre dans l’immeuble, passe dans cet hôtel de passe ou particulier d’un riche protecteur ? La disparition éclair de Mimi dans une trappe, surprend comme une farce-attrape mais la  fosse véloce n'est-elle pas métaphore dérisoire de la fausse histoire d'amour  trop rapide du début? Avalée, digérée, oubliée.
Interprétation
La musique de Puccini, somptueuse et raffinée, passionnée, requiert, équilibre difficile, un savant dosage à trouver entre l’affect et l’effet, grossir le premier la faisant tomber dans l’effectisme grossier. L’orchestre y est un personnage, un narrateur omniscient qui commente l’action externe et intime des héros. Le chef Myung Whun Chung
 en a donné une version exemplaire, portant l’orchestre et le plateau avec une évidence, une « audience » exemplaires. Sans partition, de mémoire, il scrute scène et fosse, donne un départ, ouvre ou serre le poing pour faire éclore ou fermer un son. Danse souple de ces mains tendues comme en offrande, offertes et ouvertes comme celles d’un danseur qui, soudain, scandent en vive géométrie l’espace. Il presse, compresse le tempo, apaise ou exalte l’orchestre, qu’il semble soulever soudain dans la vague d’un crescendo qui épanouit les voix sur la rondeur montante de la houle. Il déroule le tapis musical somptueux, rutilant des broderies de timbres colorés, avec une variété que l’on dirait inépuisable.
Les chanteurs semblent portés par cette finesse puissante. En Rodolphe, le poète, le ténor Vittorio Grigolo, très convainquant, confirme hautement toutes les qualités déjà affirmées : prestance physique séduisante et sympathique, remarquable acteur, il est juvénile, fougueux, malicieux. La voix, homogène sur tout le registre, est solaire, large, aisée, forte sans effort, nuancée. À ses côtés, Inva Mula, timbre moelleux tout en douceur, rondeur, très intérieure dans son grand air, prête une grâce fragile et poétique à Mimi, la nimbant d’innocence et, déjà, d’une gravité quasi mystique qui annonce la fin. En effet contrastant, grande sauterelle canaille, grande allure délurée, incisive dans sa voix, Nicola Beller-Carbone est une Musette amusante, muse effrontée et affrontée d’un Marcel campé de sa somptueuse voix par Ludovic Tézier en grande forme, râleur mais bon enfant. À ses côtés, Lionel Lhote, solide voix de baryton, mobile, bondissant, donne au musicien Schaunard une verve et un allant irrésistibles. Il appartient à la sombre et profonde basse de Marco Spotti
, de chanter avec un phrasé superbe, le funèbre requiem à son manteau du philosophe Colline.  Jean-Marie Fremeau campe un plaisant vieux vert Alcindoro dépassé par Musette et, comme toujours, tous les autres rôles sont fort bien tenus, sans parler de chœurs allègres et bien en place dans le désordre joyeux du II.
Chorégies d’Orange
La Bohème de Puccini, 7et 10 juillet
Orchestre Philharmonique de Radio France, Chœurs d'Angers-Nantes Opéra, de l'Opéra-Théâtre d'Avignon et des Pays de Vaucluse, de l'Opéra de Toulon Provence-Méditerranée, Maîtrise des Bouches-du-Rhône
 sous la direction musicale de Myung Whun Chung
.
Mise en scène : Nadine Duffaut ; scénographie : Emmanuelle Favre ; 
costumes : Katia Duflot
 ; éclairages : Philippe Grosperrin

.
Mimi : Inva Mula
 ; Musetta : Nicola Beller-Carbone ; 
Rodolfo : Vittorio Grigolo
 ; Marcello : Ludovic Tézier ; 
Colline : Marco Spotti
 ; Schaunard : Lionel Lhote ; 
Benoît : Lionel Peintre ; 
Alcindoro : Jean-Marie Fremeau ; 
Parpignol : Jean-Pierre Lautré ; le Sergent douanier : Xavier Seince ; le douanier : Antoine Abello ; le vendeur ambulant : Bo Sum Kim .
Photos 1, 2, 3 : © Philippe Gromelle.
1. Vittorio Grigolo ;
2. Vittorio Grigoloet Inva Mula ;
3. Au céfé Momus ;
Photo 4 : © Photo Christian Bernateau
4.  Nicola Beller-Carbone.



CHORÉGIES D'ORANGE 2012



 ORANGE
L’Esprit souffle où il veut, disent les Ecritures ; la musique, où elle peut, quand souffle le mistral sur nos festivals d’été. Pourtant, cette dimension aérienne fantasque fait partie intégrante du charme musical de nos estivales nuits festivalières qui ont leurs lieux magiques où les dieux de l’harmonie savent pactiser avec Eole capricieux. Ainsi à Orange, l’antique, la colossale et ses Chorégies, festival d’art lyrique.
Colosse aux pieds solides : ouvert avec grandeur au vent, à la nuit, aux risques multipliés du plein air, la pluie parfois, à la foule compacte à chaque spectacle, le grandiose théâtre antique s’est trouvé un public nouveau en gardant ses fidèles qui applaudissent à tout rompre. Le phénomène est sensible : les anciens, les habitués, les musiciens, s’irritent de ce public non (encore) connaisseur qui applaudit intempestivement la fausse fin d’un air non terminé, qui manifeste sa satisfaction bruyante sans laisser l’orchestre finir ses accords : broutilles d’un plaisir spontané, qu’on ne chipote pas ici,  partagé à l’unisson par plusieurs milliers de personnes, dont ces spectateurs enthousiastes gratifient avec générosité celle de ces héroïques chanteurs affrontés à la démesure. Qu’il gèle ou fasse chaud, Orange, c’est cela : cette chaleur humaine et cette communion hors du commun par son échelle. On l'a dit, on le répète.
Les Chorégies d’Orange sont le plus ancien festival français, on a envie de dire le plus  antique, puisqu’elles datent de 1869. Le nom est d’origine grecque, khorégos, « celui qui dirige un chœur, qui le finance » mais son lieu est un théâtre  non grec mais romain antique, le mieux conservé  de l'Antiquité, d’une jauge de 8600 personnes. Ce grandiose festival est pratiquement autofinancé.
L’intelligence et la sagesse de la direction des Chorégies, c’est de donner à ce public, non pas démagogiquement ce qu’il attend forcément, mais des œuvres, du répertoire certes, mais servies loyalement, en grand, avec grandeur et dignité, à la mesure du cadre : mises en scènes grandioses.
Giacomo Puccini (1858-1924), est à l'honneur cette année à Orange. À l’affiche cet été entre le 7 et le 31 juillet, deux de ses célèbres opéras La Bohème et Turandot
La Bohème
La Bohème (1896), d’après le roman d’Henry Murger Scènes de la vie de bohème (1851) met en scène, au milieu du XIX e s, un groupe de jeunes artistes en attente de célébrité, le poète (Rodolfo), le peintre (Marcello), le philosophe (Colline) et le musicien (Schaunard). Ils partageant une misérable mansarde glacée et leur misère, pauvres mais joyeux. Il y a aussi leurs compagnes d’un moment ou plus, Mimi, la brodeuse, la grisette (cousette vêtue de gris à l’époque) qui mourra de tuberculose, la phtisie, et Musette la scandaleuse.

Comme toujours, les distributions d’Orange sont prestigieuses. Pour la Bohème, L’Orchestre Philharmonique de Radio France, les Chœurs des Opéras de Région et les solistes seront sous la direction musicale de Myung Whun Chung.
 La mise en scène est de Nadine Duffaut,  la scénographie d’Emmanuelle Favre, les costumes de  Katia Duflot, nos deux concitoyennes, les éclairages, de Philippe Grosperrin
Distribution naturellement de premier choix :
Mimi : Inva Mula ; Musetta : Nicola Beller-Carbone ; Rodolfo :Vittorio Grigolo ; Marcello : le baryton marseillais international Ludovic Tézier ; Colline : Marco Spotti ; Schaunard : Lionel Lhote ; Benoît : Lionel Peintre ; Alcindoro  : Jean-Marie Fremeau ; Parpignol :  Jean-Pierre Lautré ; le Sergent douanier : Xavier Seince ; le douanier : Antoine Abello ; le vendeur ambulant : Bo Sum Kim .
France 2 a fait le cadeau d'une retransmission en direct le mardi 10 juillet.
Turandot
L'Orchestre national de France, les chœurs de l’Opéra-Théâtre d’Avignon, de l’Opéra de Nice, de l’Opéra de Toulon Provence-Méditerranée, de l’Opéra de Tours,  l’Ensemble Vocal des Chorégies d’Orange et la Maîtrise des Bouches-du-Rhône seront placés sous la baguette de Michel Plasson.

 Mise en scène de notre Marseillais, Charles Roubaud, scénographie Emmanuelle Favre, costumes Katia Duflot, ses  habituelles complices locales. Turandot :  Lise Lindstrom ; Liù : Maria Luigia Borsi. Calaf sera le ténor Roberto Alagna qui assurera ainsi sa 13e participation aux Chorégies depuis 1993 ; Timur : Marco Spotti qu’on aura entendu dans la Bohème ;  L'Empereur Altoum :  Chris Merritt ; Ping : Marc Barrard ; Pang : Jean-François Borras ; Pong : Florian Laconi ; Un mandarin : Luc Bertin-Hugault.

Concert lyrique
Le 30 juillet, Michel Plasson dirigera, encore à la tête de l'Orchestre national de France, un récital lyrique de grands airs d'opéra français et italiens. La soprano allemande Diana Damrau -pour la première fois à Orange- et la mezzo-soprano, une habituée du lieu et de notre Opéra de Marseille,  Béatrice Uria-Monzon. Au programme, Verdi, Bellini, Donizetti, etc.
Musique sacrée
Vendredi 13 juillet à 21h45
Le Requiem de Mozart figure également au menu des Chorégies. Le 13 juillet, Myung-Whun Chung dirigera l’Orchestre Philharmonique et le Chœur de Radio France, un quatuor vocal tout aussi exceptionnel (la soprano Patrizia Ciofi, la mezzo-soprano Nora Gubisch, le ténor Topi Lehtipuu et la basse Gunther Groissböck) qui sera accompagné par l'Orchestre Philharmonique de Radio-France. Le concert se terminera par l’Ave Verum Corpus. Quelques jours plus tard, les 20 et 21 juillet, la Petite Messe Solennelle de Rossini sera donnée par le Chœur Asmara et quatre solistes (la soprano Amel Brahim-Djelloul, l'alto Isabelle Druet, le ténor Leonardo Cortellazzi et la basse Nicolas Courjal), dirigés par Samuel Coquard. Dans la Cathédrale Notre-Dame d’Orange.

 © Photo grand angle Orange (photo.grand.angle@wanadoo.fr)
Photo Inva Mula : Berisha.
 VENTE, RÉSERVATIONS :
 Chorégies d’Orange BP 205 84107 Orange cedex
           TÉLÉPHONE : +33 (0)4 90 34 24 24
           AGENCES :
  FNAC, CARREFOUR, GEANT, SYSTÈME U, LE BON MARCHÉ :  0 892 68 36 22
 INTERNET : http://www.choregies.asso.fr/fr/location.html 

 

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