Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
Ci-dessous : liens vers les sites internet de certains de ces supports.

L'auteur

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Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

lundi, novembre 27, 2017

DOUCEUR DE FEMMES DANS LE MONDE VIOLENT




Musique française pour chœur de Fauré à Poulenc
Chœur de femmes des Zippoventilés
Saint-Charles de Marseille
19 novembre 2017

En un moment où le scandale de la violence faite aux femmes déborde dans la rue, il était bon, au sein —et l’on donne à ce mot tout son sens féminin, charnel et chaleureux— au sein matriciel donc de l’église Saint-Charles de Marseille, de se recueillir, d’entendre, de sentir la caresse chorale, cordiale, d’un chœur, de cœurs de femmes.

L’église Saint-Charles, est malheureusement enchâssée au bout de la rue Breteuil dont l’étroitesse empêche d’embrasser largement la simple élégance. De style néo-classique du premier tiers du XIXe siècle pour la sobre et linéaire façade d’une rigoureuse et plane géométrie : quatre colonnes ioniennes encastrées encadrant la porte rectangulaire soutiennent le second niveau où quatre pilastres corinthiens semblent porter le triangle du fronton.
Harmonieuse structure en croix interne, murs et pavements à réminiscences géométriques de la Renaissance italienne, marbres de miel, la belle coupole rayonnante semble pourtant faite, parfaite, pour coiffer l’autel néo-baroque, quatre colonnes ambrées en hémicycle soutenant une gloire sur volutes dorées surmontée de la croix. Merveilleux réceptacle des voix, aujourd’hui au féminin superlatif, de seize chanteuses des Zippoventilés de Benoît Dumon, chassé le masculin du chœur, qui en assure la direction, secondé à l’orgue par Pascal Marsault.


Benoît Dumon, je l’ai déjà dit, occupe assurément une place multiple et singulière, jeune musicien qui se singularise par la multiplicité de ses dons, de ses talents, claveciniste, organiste, contre-ténor. Chanteur soliste, , il sait se fondre solidairement avec le quintette masculin a cappella, Calisto, mais il est aussi chef de chœur et dirige un ensemble vocal mixte qu’il a fondé en 2013, les Zippoventilés. Il nous en présente ici une quintessence au féminin pour un parcours, en un concert, de la Musique française pour chœur de Fauré à Poulenc.

         En effet, comment mieux sentir incarné, littéralement fait chair, cet Ave verum corpus…, ce salut au vrai corps de Jésus, Verbe, pain et vin faits vrai corps, sinon par des femmes qui, de leur vrai corps aussi, de leur voix, font de l’abstraction fatale du texte latin et de sa sublimation musicale par Fauré, une vraie incarnation avec la potentialité maternelle de donner la vie ? C’est dirigé par Dumon avec des gestes amples et arrondis, engageants, et l’on goûte l’équilibre entre des piani et des forte et l’on se laisse porter, emporter doucement par la quiétude transparente de l’amen, sur l’horizon bleuté de brume vaporeuse de l’orgue de chœur caressé par l’invisible Marsault.

Toujours de Fauré, qui fut maître de chapelle à la Madeleine de Paris, la brève Messe basse (1881), sans gloria, est une messe en abrégé. Les lignes vocales sont simplifiées dans la tendance du moment de retour au grégorien solennisé à Solesmes par les travaux de Dom Guéranger (1805-1875) qui, en le restaurant pieusement, en ignore cependant la libre ornementation, restituée depuis. Mais chaque époque se fabrique les mythes dont elle a besoin et, après la défaite de 1870 contre la Prusse, avec le crépuscule du romantisme tardif, il y a un rejet de la complexité de la musique allemande et les fioritures néobaroques et rococo de ce que sera l’Art nouveau prochain se réduiront aussi aux proches épures néo-classiques de l’Art Déco. La musique, surtout dans la France blessée, malgré sa fascination, manifeste ce rejet des grandes formes germaniques, Wagner, Mahler, n’échappant pas à cette répulsion pour le gigantisme écrasant, associé à la puissance bismarckienne de la Prusse impériale. Cela donne, cependant, ces exquises miniatures et il faut dire que le Benedictus, chanté par une frêle, fragile et fraîche soprano (Julie Pons), a un charme touchant d’estampe naïve et pieuse. La fin se fond dans une évanescente rêverie bercée doucement par l’orgue solidaire de Marsault.
On connaît trop Racine pour pouvoir aimer le texte de son Cantique, desservi par une compréhension immédiate qui n’a pas le charme poétique immémorial du latin. La musique d’un jeune Fauré de dix-neuf ans est d’une véhémence qui contraste avec les autres pièces tardives ici présentées. À l’évidence, le Pie Jesu de son Requiem (1888) s’envole à un autre niveau et nous aussi avec la fraîcheur angélique de cette toute petite voix sans acidité ni arêtes, tombée du ciel, planant, comme en apesanteur, sur un orgue vaporeux, respectueux et souriant pour cette berceuse tendre de la mort.
         Avec le Lied de Louis Vierne, nous changeons d’époque (1870-1937) et d’orgue du chœur au grand orgue de tribune où Pascal Marsault, organiste titulaire de l’église Saint-Ignace à Paris et de Sanary-sur-Mer, sur une pédale obstinée élève un impressionnant crescendo. Plus tard, il nous fera frissonner des frémissements, tremblements, grondements grandioses aux lignes efflorescentes, de la Toccata (1890) Eugène Gigout (1844-1925) trop peu joué. 
         André Caplet (1878-1925), ami et chef d’orchestre pour Debussy, vit sa carrière et sa vie écourtées par la Grande Guerre, gazé très vite. Sa Messe à trois voix subit aussi l’influence de la modalité médiévale alors en faveur, mais enrichie de modulations, de mélismes qui renvoient à l’origine orientale du grégorien, notamment dans le Kyrie. Le Sanctus est d’une prenante ferveur. Le malheureux Jehan Alain (1911-1940), mort au champ d’honneur en résistant seul à un bataillon allemand à Saumur, figurait avec son austère Tantum ergo… et sa longue vocalise, que la dévotion de son père pour l’héroïque fils sacrifié transforma en un Ave Maria délibérément sans vibrato, mais nous faisant vibrer d’autant plus devant la beauté sévère de cet extrait d’une œuvre, ou plutôt d’une vie si tragiquement tronquée.
Poulenc fermait le concert avec ses Litanies à la Vierge noire de Rocamadour, morceau de bravoure pour les chœurs mais d’autant plus délicat d’exécution par la large palette de moyens musicaux divers déployés par le compositeur : vocalité souvent lyrique pour une polyphonie à saveur médiévale, avec des cadences plagales, des modes d’église et un orgue puissant aux sombres couleurs. La supplique souvent véhémente, déchirante, à la Vierge, est exprimée presque d’entrée a cappella par les sopranos et leur anaphore, la répétition obsessive, propre de la litanie, « Ayez pitié de nous », sera reprise avec l’entrée progressive, parfaitement étagée, des deux autres voix, les mezzos, puis les altos, ponctuée finalement par l’orgue. Après un passage narratif, cette noirceur tragique de l’existence humaine s’éclaire et s’apaise à la fin de l’œuvre par l’espérance en la rémission des péchés avec l «’Agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde » et la réitération litanique, en toute humilité, de « Pardonnez-nous », « Priez pour nous et « Exaucez-nous. »
Ce n’est pas le moindre mérite de Benoît Dumon de contenir, de géométrique précision, les risques de débordements lyriques, effusifs, emphatiques, de l’œuvre.

Musique française pour chœur de Fauré à Poulenc
Chœur de femmes des Zippoventilés
Saint-Charles de Marseille
19 novembre 2017
Fauré, Caplet, Vierne, Alain, Gigout, Poulenc









        
        


EURYDICE PERDUE ET RETROUVÉE


Enregistrement 23/11/2017, passage, semaine du 27/11/
RADIO DIALOGUE RCF (Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)
« LE BLOG-NOTE DE BENITO » N° 293
lundi : 12h15 et 18h15 ; samedi : 17h30
Semaine 48
         Fermé pour cause de travaux, l’Opéra d’Avignon prend ses quartiers provisoires Place de l’Europe, face à la gare TGV, dans une salle d’une jauge de neuf cents places, baptisée Opéra Confluence. Elle a été inaugurée vendredi 24 novembre. Sa première production lyrique, c’est le rarissime Orphée et Eurydice de Christoph Willibald Gluck, le dimanche 3 à 14h30 et le mardi 5 décembre à 20h30.
Le compositeur autrichien, maître de musique de la jeune Marie-Antoinette, avait créé son Orfeo ed Euridice, en 1762 à Vienne, en italien. Devenue reine de France, Marie-Antoinette fait venir le compositeur à Paris où Gluck monte une version française de sa tragédie lyrique en 1774. Mais la production d’Avignon reprend l’adaptation qu’en fera Hector Berlioz en 1859 pour la grande cantatrice hispano-française Pauline Viardot García, contralto, dans le rôle du héros qui était chanté à Vienne par un castrat, à Paris, par un haute-contre, c’est-à-dire un ténor très aigu. Pierre-Louis Moline écrira son livret d’après le texte de Raniero de Calzabigi pour Gluck.
Orphée et Eurydice sont un couple d’amoureux, mariés, célèbres depuis l’Antiquité. Orphée, dans la mythologie, est fils du roi de Thrace et de la nymphe Calliope. Calliope est aussi une muse, les muses étant vouées à la musique, autour d’Apollon musagète, dieu de la lumière, de la poésie et de la musique puisqu’il aussi est citharède, joueur de cithare. Orphée, lui, joue de la lyre offerte par Apollon et si merveilleusement que, pour écouter sa musique, les fleuves arrêtent de couler. Orphée adoucit les bêtes féroces, attendrit même les rocs. Il épouse une belle dryade, la nymphe, Eurydice. Hélas ! Piquée par un serpent, elle meurt. Désespoir d’Orphée et de la nature entière compatissant à sa douleur.
 Ne se résignant pas à sa perte, Orphée décide de descendre dans les enfers de la mythologie, donc froids et souterrains (ce n’est pas l’Enfer chrétien) pour tenter de ramener Eurydice au jour et au monde des vivants. Dans l’opéra, c’est l’Amour qui lui conseille de charmer par les « doux accents de [sa] lyre » les dieux du Tartare, de les fléchir et d’en obtenir le retour de sa femme. Mais Orphée a beau supplier les esprits infernaux, larves, spectres, démons, Furies, de le laisser passer, ils lui opposent un violent refus : « Non ! » Nous écoutons Mark Minkovski, à la tête des Musiciens du Louvre, interpréter la « Danse des Furies » :

1) DISQUE I, PLAGE 29 

Orphée, avec la force du désespoir, persévère et, par la beauté de son chant, arrive enfin à émouvoir Cerbère, féroce gardien des Enfers, qui le laisse passer. Après l’entrée du royaume ténébreux peuplé d’êtres hideux et redoutables déchaînés dans leur danse frénétique, il découvre un paysage merveilleux, les Champs Élysées, paisible domaine des Ombres heureuses. Écoutons quelques mesures de cette flûte, évanescente, rêveuse qui berce leur danse éthérée : 

2 ) DISQUE I, PLAGE 30

Orphée poursuit son chemin dans ce paysage enchanteur, émerveillé par la beauté des lieux, un ciel serein, un tendre bocage, tout bruissant des zéphirs et du murmure des ruisseaux, que sa voix décrit, et que la musique évoque avec beaucoup de poésie. Nous écoutons le ténor Richard Croft qui nous le fait goûter :

3) DISQUE I, PLAGE 32 

On connaît la suite : le dieu des Enfers, comme le lui avait dit l’Amour dans l’opéra, lui permet de ramener Eurydice sur terre à condition de ne pas se retourner pour la regarder avant d’avoir atteint la lumière. Hélas, Orphée, qui est un demi-dieu selon la tradition baroque, vainqueur de la nature et des Enfers par sa part divine —la musique— trop humain par sa part terrestre, n’arrive pas à se vaincre lui-même : cédant aux prières de sa femme qui ne comprend pas son refus de la regarder, Orphée donc se retourne et perd sa chère épouse à jamais. Cependant, Apollon, apitoyé lui concèdera de finir au firmament comme constellation de la Lyre. Conclusion, moralité religieuse, dans L’Orfeo de Monteverdi de 1607 : 
« Ainsi reçoit grâce du ciel/Qui éprouva ici l'enfer. »
Car L’Orfeo de Monteverdi est l’illustration la plus achevée du Baroque de la Contre-Réforme. Des maximes morales parsèment l’œuvre, exaltant la grandeur de l’homme à qui rien n’est impossible : « Rien n’est tenté en vain par l’homme » mais soulignant aussi sa misère :  
« Qu’aucun mortel ne s’abandonne / À un bonheur éphémère et fragile » car « Plus haut est le sommet, / plus le ravin est proche. »   
Orphée devient un héros ordinaire, un homme, exemplaire par sa faiblesse même : 
« Orphée vainquit l’Enfer, puis fut vaincu / Par ses passions. / Seul sera digne d’une gloire éternelle / Celui qui triomphera de lui-même. »

Un siècle et demi plus tard, l’Orphée de Gluck, est d’une autre esthétique et d’une autre éthique. Ce n’est pas l’exploit héroïque de descendre aux Enfers qui est mis en avant mais sa sensibilité de veuf, d’amoureux. L’opéra, même seria, doit avoir un lieto fine, un happy end, une fin heureuse : Orphée tente de se suicider, mais Amour, le petit dieu ailé, lui arrache le poignard et ressuscite et lui rend Eurydice par ces mots :

« Tu viens de me prouver ta constance et ta foi;
Je vais faire cesser ton martyre. » (Il touche Eurydice et la ranime.) 
Eurydice…! respire! 
Du plus fidèle époux viens couronner les feux», conclut-il. 

      Et tout finit, sinon par des chansons, par des chœurs, chorale, des cœurs en joie et des danses. Mais nous ne saurions nous quitter sans écouter la plainte déchirante d’Orphée avant cette résurrection, « J’ai perdu mon Eurydice… » :  

4) DISQUE II , PLAGE 6 

Orphée et Eurydice de Gluck, le dimanche 3 à 14h30 et le mardi 5 décembre à 20h30, Opéra Confluence, Avignon, Place de l’Europe, Quartier CourtineTGV.
www.operagrandavignon , tél. : 04 90 14 26 40
Tarifs
A partir de 12 euros
Navette Opéra
Informations disponibles sur tcra.com
Parking gratuit
450 places
































lundi, novembre 20, 2017

CORDES SANS FRONTIÈRES…


Arthur Dente

AU PROGRAMME, ŒUVRES DE :

ALBÉNIZ, BROUWER , DE FALLA, DENTE,  GISMONTI, GRANADOS, LAURA, MALATS,  MUDARRA,TÁRREGA,VILLA-LOBOS…
 

SILLAGES À SUIVRE…


Enregistrement 1/10/2017, passage, semaine du 13-19/11/

RADIO DIALOGUE RCF (Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)

« LE BLOG-NOTE DE BENITO » N° 292

lundi : 12h15 et 18h15 ; samedi : 17h30

Semaine 47
         Le label discographique belge Cyprès, a une collection AVEC, qui donne l’amalgame étrange AvecYprès ou AVE (C)yprès : peu importe comment on prononce ces deux mots unis en un, cela fait, en tous cas, une jolie variation de son qui démultiplie le sens, la sensation. C’est à l’image sonore de cette dernière livraison, Sillages, Pierre-Adrien Charpy. C’est un disque que je ne dirai pas singulier, puisqu’il est composé de deux CD, c’est un élégant coffret, consacré à notre concitoyen compositeur, Pierre-Adrien Charpy. Ce compositeur à l’œuvre déjà abondante, est par ailleurs professeur de composition musicale d’après les styles et formes historiques au CNRR, le Conservatoire de Marseille. Depuis 2015, d’autre part, il est codirecteur artistique, avec Jean-Marc Aymes, du Festival Mars en Baroque et vient de rejoindre, lui aussi, avec son ensemble Da Pacem fondé avec son épouse la soprano Raphaëlle Kennedy, en résidence féconde, Musicatreize de Roland Hayrabédian. Belle trilogie marseillaise qui honore la créativité musicale de notre ville avec également l’ensemble Télémaque de Raoul Lay, et nous n’oublions pas non plus Lionel Ginoux. C’est la musique vivante, d’hier et aujourd’hui : la musique tout court. Car l’art n’a pas de frontières ni spatiales ni temporelles, ni de genres, ni d’écoles comme voulurent longtemps le faire croire les maîtres dogmatiques enfermés en leurs étroites chapelles autant musicales que mentales.
Sillages, titre du coffret, exprime poétiquement un héritage musical assumé, exprimé par ces incernables traces écumeuses d’un navire, brassage généreux d’une onde mêlée, ainsi renouvelée. Car les sillages ne sont pas les rails impeccables mais implacables, géométriques, mécaniques, du suivisme. Il y a dans Sillages une liberté ludique, joueuse,  jouisseuse, de prendre non seulement « son bien où on le trouve », comme disaient Montaigne, Molière et même Picasso, mais ce droit de faire bien, de faire sien de ce qui est bien de tous en faisant œuvre tout à fait personnelle, rendue, offerte à tous, dans un va et vient généreux entre le moi singulier et le nous collectif. Car il n’y a pas d’œuvre sans récepteur, pas de musique sans auditeur.
C’est sans doute aussi ce qu’exprime la belle introduction de Didier Lamare qui a pour titre "LA MUSIQUE DERRIÈRE LA MUSIQUE". En effet, comme on sait qu’il y a des mots dans et derrière et sous les mots et, derrière les mots, des lettres, des lettres de tout le monde, derrière la musique, il y a forcément d’autres musiques, et, derrière la musique, des notes, toujours les mêmes, mais jamais agencées de la même façon. Il n’y a pas de génération spontanée de la création, qui ne naît jamais du vide. Chez le compositeur Pierre-Adrien Charpy, il y a donc toute une mémoire de la musique qui affleure sans que ce ne soit ni de la citation directe, ni de la parodie, ni du pastiche : c’est la densité même d’une riche couche sonore nourrie en profondeur d’un passé dans le présent de la modernité.
Ainsi, ce premier exemple, un extrait de Vivante morte éblouie, deux paragraphes de Belle du Seigneur d’Albert Cohen où roule la houle sur les ondes électroniques éclairées de l’écume lumineuse de la voix de Raphëlle Kennedy, une lointaine et proche grève de rêve où déferlent les vagues perlées de mélismes vaguement orientaux :
1) DISQUE I, PLAGE I
Le premier CD comprend outre ce premier titre, toujours sur fond électronique, ou mieux, sur un horizon acousmatique abstrait mais expressif, deux morceaux pour instruments concrets, la guitare électrique (Nekama), et un autre pour harpe, bel alliage sonore (Sur l’abîme) ; sur un poème d’Andrée Chédid, Ce corps, est un hommage solaire à la Méditerranée au féminin, celle de la poétesse, de la guitariste Marylise Florid et enfin, celle d’adoption de la soprano Raphaëlle Kennedy. Nous y trouvons aussi en finale  My soul’s at liberty, pour chœur mixte a six voix, a cappella. Et le second morceau, Contes de la pluie et du soleil, en est le plus classique, voluptueusement dévolu au violoncelle et piano, respectivement par Anthony Leroy et Sandra Moubarak, et nous écoutons un extrait du second mouvement :
2) DISQUE I, PLAGE 3.
Le second CD reprend une œuvre dont la création eut lieu en 2004 au Festival Musique et Mémoire, qui en fit la commande à l’Ensemble Da Pacem, exécutée dans la jolie et lumineuse Chapelle du Corbusier à Ronchamp dans les Vosges. Un lieu de mémoire car, sur les ruines d’une ancienne chapelle défendue pendant la guerre par des tirailleurs africains, sans balayer le passé, unissant cultuel et culturel, Le Corbusier bâtit la sienne consacrant le futur et l’universel comme le religieux sacre l’éternité. Le morceau répond doublement au lieu, d’abord liant passé et avenir à travers ascendants et descendants par son beau titre À nos ancêtres, à nos enfants mais aussi parce qu’il lie, tisse et tresse, dans ce lieu symbolique de la forêt vosgienne, une solidarité, une fraternité avec la forêt africaine de ces lointains tirailleurs africains sacrifiés, à travers la participation du musicien et compositeur venu d’Afrique, Moussa Héma.
Ce sont des joyaux, des perles de la musique baroque, de Monteverdi à Merula, enfilées, enchâssées dans des morceaux, des improvisations de musique africaine par Moussa Héma. Ainsi, les pièces pour soprano, viole de gambe, clavecin et orgue, instruments classiques d’un ensemble baroque dira-t-on, pour réunir deux termes faussement antagoniques fraternisent avec le balafon, sorte de xylophone africain.  Nous en écoutons quelques notes :
3) DISQUE II, PLAGE 5
Nous nous quittons sur les accents bouleversants de la Nanna de Tarquinio Merula, la bouleversante berceuse de la Vierge à l’enfant Jésus,  pleine de tristes pressentiments, à laquelle Raphaëlle Kennedy prête sa voix tendre et maternelle :
4) DISQUE II, PLAGE 6 : FIN ET FOND
Sillages, Pierre-Adrien Charpy, un coffret Cyprès, collection Avec


dimanche, novembre 19, 2017

DE MOZART À LA CORÉE


LYRICOPÉRA

Airs d’opéra et mélodies coréennes

Temple Grignan

4 novembre 2017

De son LyricOpéra, Marthe Sebag a su faire, au fil des années, une vivante institution du paysage musical marseillais, sans aucune aide institutionnelle, et qui est en danger de mort faute de subvention d’aucune sorte. Avec une volonté têtue d’offrir à de jeunes artistes une scène et un public, et une nécessaire rétribution, elle nous a donné le luxe de bien belles découvertes de chanteurs dont beaucoup, désormais, font une enviable carrière lyrique en France et à l’étranger. Par ailleurs, au-delà d’un répertoire d’airs d’opéras sans doute trop fréquentés, elle a ouvert le panorama musical de son public de fidèles non seulement à l’opérette, française et américaine, mais, également, à la mélodie plus rare venue de Russie, de Chine et, dans le dernier concert, de cette Corée, dont l’actualité politique internationale nous fait frémir, mais ici de bonheur.
À l’affiche, de ce concert, des airs et duos d'opéra de Mozart et de Rossini en première partie et, en seconde, de prenantes mélodies coréennes par Wooyeon Lee, soprano et Jiwon Song, baryton, tous deux de Corée, accompagnés par Marion Liotard au piano, experte partenaire de grandes et célèbres voix,  créatrice aussi de musique contemporaine, longtemps maître de chant du regretté CNIPAL dont ces deux jeunes chanteurs furent de la dernière promotion.
Avec un piano très orchestral, le concert commence par la dynamique et ironique première scène des Nozze di Figaro de Mozart entre Figaro occupé à mesurer la grandeur de la chambre offerte par le Comte pour leurs noces et une Suzanne qui en mesure les occultes et petites intentions. C’est très vif, mais la résonance du lieu dans les tempi rapides perturbe un peu l’écoute des voix. Passant du valet au maître berné, Jiwon Song, plein d’allure devient le Comte humilié et ruminant la vengeance, récitatif expressif, « hai già vinta la causa… », aria détaillée avec une féroce élégance, voix puissante, étincelante d’harmoniques et l’on comprend son Premier Prix remporté au concours international d’Arles de cette même année.
Wooyeon Lee lui succède dans l’air final de Vitellia de La clemenza di Tito, « Non pui di fiori… » , ‘Finies les fleurs…’ où la haineuse intrigante, instigatrice du complot contre Titus dans lequel elle a aventuré la vie de son amant Sextius, fait un sincère examen de conscience et, au lieu du mariage, s’apprête à marcher au supplice. Air en rondo terrible par la tessiture avec des graves corsés hérissé d’aigus tendus, fleuri de vocalises, dont la jeune chanteuse, lumineuse voix égale sur toute sa longueur, timbre fruité, se tire avec aisance. Les mêmes qualités pour les mêmes difficultés de l’air de Fiordiligi de Cosí fan tutte, « come scoglio… », voix ronde, graves et aigus également beaux et abordés avec une saine franchise, éludant sans doute un peu les notes piquées de la cadence. Dans une alternance entre airs solistes et duos, Jiwon Song sera encore un élégant et confidentiel Don Giovanni pour la sérénade, très entraînant avec cette belle Zerlina de « Là ci darem la mano. » Comme autre duo aux vocalises d’une superbe agilité, ils nous gratifieront du duo entre Rosina et Figaro  du Barbiere di Siviglia de Rossini.
 En seconde partie, les mélodies coréennes de leur pays sont une belle découverte. Le baryton chantera des airs traditionnels et la soprano des mélodies contemporaines mais dont les thèmes se sont ancestralement transmis. Le premier air  par Jiwon Song (de Baek Gzeonghwan) est un chant de bateliers dont le texte a quatre cents ans avec un rythme marqué, à l’évidence, du halage, du travail de la rame, sensible aussi dans les Bateliers de la Volga, la trace universelle du travail des hommes, puis de la fête ensuite. C’est très puissant. Plus de douceur féminine dans le poétique, mélancolique chant de séparation, très lyrique Vent qui souffle dans les lotus (de Kim Joowon, 1915-2000) par Wooyeon Lee, musique très occidentalisée. Même sentiment avec Cœur nostalgique (Kim Dowhan) d’une finesse à la fois schubertienne mais d’une générosité vocale de chanson napolitaine qui permet au baryton de déployer la splendeur de sa voix. Par la soprano, Lien (Lee Wonju) est la mélodie qui remporta un concours, au piano très nourri, exprimant absence et attente, et la chanteuse ménage un crescendo d’une grande envolée pour finir dans un pianissimo d’une grande douceur dans la tenue absolue de la ligne, la maîtrise du souffle, de la voix. Au baryton de chanter à pleine belle voix, avec une joie communicative, la liesse populaire, bruyante, dansante, d’un air traditionnel anonyme des Chutes d’eau de Bakyon. Lui succédant, la soprano distille une mélodie chantée depuis plus de six-cents ans, mais dans son dernier avatar musical (Kim Dongjin), Nouvel Arirang, qui oppose des affects dans une saveur orientale plus marquée. Enfin, en duo émouvant, les deux jeunes chanteurs terminent leur concert en exhalant tendrement, et même douloureusement, La Nostalgie du Mont Kumkang (Choi Youngsup), montagne sacrée pour tous les Coréens, mélodie créée en 1962, date terrible de la séparation du pays en deux : Corée du Nord et Corée du sud.
Avec tous les styles de musique dans ses doigts, Marion Liotard, attentive accompagnatrice, existe aussi en égale partenaire des solistes dans une osmose d’une appréciable sympathie.


LyricOpéra 
Temple Grignan, 4 novembre  
Airs d'opéra et mélodies coréennes
Wooyeon LEE soprano, Jiwon SONG baryton, Marion LIOTARD piano.
Mozart : extraits de Don Giovanni, Le Nozze di Figaro, Cosi fan tutte, La clemenza di Tito ; Rossini : Il  barbiere di Siviglia ; mélodies coréennes



Marthe Sebag
06 32 94 65 40    

lundi, novembre 13, 2017

MADAMA BUTTERFLY


Enregistrement 1/10/2017, passage, semaine du 13-19/11/
RADIO DIALOGUE RCF (Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)
« LE BLOG-NOTE DE BENITO » N° 291
lundi : 12h15 et 18h15 ; samedi : 17h30
Semaine 46
L’Opéra de Toulon propose Madama Butterfly, l’inépuisable opéra de Puccini le vendredi 17, le mardi 21 novembre à 20 h et le dimanche 19 novembre à 14h30. 

Difficile de renouveler la présentation de ce classique ; donc, on n’en peut que répéter l’argument même connu de beaucoup mais il faut toujours songer à ce qui découvrent l’opéra, qui méritent qu’on pense à eux.  L’action se déroule au Japon à la fin du XIXe siècle. Mais, avant ce chef-d’œuvre, il y eut d’autres œuvres sur le thème cruel de la geisha épousée, engrossée, abandonnée et suicidée. Il traduisait sans doute une conscience occidentale sûre de son bon droit colonialiste, guère bourrelée des remords des conséquences humaines de ses actes, mais, plus particulièrement, du mâle égoïste, irresponsable, satisfaisant ses désirs charnels avec une femme, et par ailleurs jeune, sans se soucier après des suites malheureuses.
         L’une des sources, c’est le roman autobiographique Madame Chrysanthème (1887) de Pierre Loti. Le galant et ambigu Loti, grand officier de la marine française, avait sans doute, aussi littérairement que littéralement, une femme dans chaque port :  il contera ses amours avec une Turque d’un harem ; il avait déjà écrit Le Mariage de Loti (Rarahu) (1882), évoquant un séjour et un mariage avec une indigène à Tahiti. De ce récit sera tiré le livret d'un opéra de Reynaldo Hahn : sous le titre de L'Île du rêve, il sera créé en 1898 à Paris. Avec Madame Chrysanthème (1887), Loti nous raconte comment, à Nagasaki, le temps d’une escale de son navire, par contrat légal renouvelable d’un mois, il épouse en juillet une jeune Japonaise qu’il quitte …en août. La femme, vraie femme objet, objet de ce contrat, nous dit-on, pouvait se marier ensuite sans problème. Ce roman à succès fut donc mis en musique par Messager (1893), sous le même titre de Madame Chrysanthème, qui fut intelligemment couplée à Marseille, en version concert, avec l’opéra de Puccini, l’an dernier. Cependant, cette Madame Chrysanthème, proche de Butterfly par le thème du mariage entre une Japonaise et un marin étranger, n’y est pas une victime, c’est une femme intéressée faisant une bonne affaire.
         Les librettistes de Puccini, Giacosa et Illica puisent aussi à d’autres sources : Madama Butterfly, la nouvelle américaine de John Luther Long, devenue une pièce anglaise mélodramatique (1900) de David Belasco de même titre. Puccini, en 1903/1904, lui donne la finition et la définition qui en font un opéra définitif, qui a éclipsé ces œuvres, qui, à côté, ne sont pas des chef-d’œuvres.
         Le sujet : à la fin du XIX e siècle, au moment où le Japon s’ouvre au monde occidental, Pinkerton, un officier de marine américain, de passage à Nagasaki, s’offre par contrat, le temps de son séjour, une belle maison au sommet de la colline et une jeune épouse, Cio-Cio-San, dite Madama Butterfly, Madame Papillon : un contrat de 999 ans, mais qui peut être dénoncé, annulé tous les mois. Nous écoutons un extrait du duo d’amour entre le séducteur Pinkerton, chanté par le ténor Jonas Kaufmann et la jeune Cio-Cio-San, Madame Butterfly, incarnée par Angela Gheorghiu, sous la baguette d’Antonio Pappano à la tête de l’Orchestre et chœur dell’ Accademia Nazionale di Santa Cecilia :
         1) DISQUE I, PLAGE 16
Dissymétrie dramatique : pour l’Américain, c’est un jeu ; pour la jeune femme, d’une illustre famille tombée dans la misère et dont le père s’est déjà suicidé, c’est un piège fatal : elle croit à ce mariage pour rire de l’officier ; elle est vraiment amoureuse, elle a renié sa religion et s’est convertie au christianisme par amour. Son oncle, le bonze et sa famille, arrivés au moment du mariage, la renient et la maudissent. On la retrouve, trois ans après, dans cette maison, dans la misère avec sa servante, avec un fils, fruit de ce mariage, espérant sur la colline le retour du navire du volage Américain. Elle chante cette folle espérance à sa fidèle servante sceptique dans son air célèbre : « Un bel di vedremo… »’Nous verrons un beau jour se lever un panache de fumée et le navire blanc…" :
2) DISQUE I, PLAGE 20
         Oui, l’Américain revient, marié à une Américaine, mais pour lui prendre l’enfant. Abandonnée, déshonorée, Cio-cio-san, se fait hara-kiri, le seppuku le suicide rituel, en général masculin, mais que les femmes nobles et épouses de samouraïs pratiquaient aussi, avec le poignard de son père sur lequel sont gravés ces mots : « Celui qui ne peut vivre dans l’honneur meurt avec honneur ». Avant cela, avant de se tuer, elle avait écarté son petit garçon, qu’elle avait éduqué à l’américaine. Son adieu est déchirant, avec ces tendres paroles à son enfant :
   « Toi, toi, mon petit dieu, amour, mon  amour […]  Que tu ne saches jamais que Butterfly meurt pour toi / pour que tu puisses t’en aller au-delà des mers… »
3) DISQUE II, PLAGE 25
         Nous nous quittons, en revenant en arrière avant la fin tragique, sur le poétique chœur à bouche fermée, qui scande le retour du jour et l’espérance qui sera cruellement déçue de la jeune femme sacrifiée :
4) DISQUE II, PLAGE 13
Opéra de Toulon Madama Butterfly de Puccini le vendredi 17, le mardi 21 novembre à 20 h et le dimanche 19 novembre à 14h30.
Renseignements : operadetoulon.fr ;  tél. 04 94 92 70 78 
Direction musicale Valerio Galli
Mise en scène & lumières Daniel Benoin
Décors Jean-Pierre Laporte
Costumes Nathalie Berard-Benoin & Françoise Raybaud
Cio-Cio-San Deniz Yetim Suzuki Qiulin Zhang
Kate Pinkerton Anna Destraël
Pinkerton Roberto De Biasio
Sharpless Lionel Lhote
Goro Colin Judson
Prince Yamadori /Le commissaire Mikhael Piccone Le bonze Nika Guliashvili
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Toulon
Production Opéra de Nice 

Photo ©Jaussein


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