Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
Ci-dessous : liens vers les sites internet de certains de ces supports.

L'auteur

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Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

lundi, avril 28, 2008

L’HEURE DU THÉ
Foyer Opéra de Marseille
Solistes du CNIPAL

L’année tire vers sa fin et l’on sirote déjà avec un peu de nostalgie ces généreux concerts des jeunes solistes du CNIPAL, qu’on espère stars futures du chant.
On a déjà salué la forte personnalité, l’élégance physique, l’aisance dramatique et le beau mezzo au satin raffiné et lumineux de Marie Kalinine. On saluera aussi ses choix vocaux exigeants qui la font passer avec un même bonheur de la noblesse de la déclamation néo-classique de Gluck à la passion désespérée du compositeur de Richard Strauss (Ariadne auf Naxos) au désespoir passionnel et à l’angoisse de la Charlotte du Werther de Massenet. On la retrouve dans une veine et une verve picaresques, après sa Rosine du Barbier, cette fois-ci, dans la Concepción canaille et frustrée de L’heure espagnole de Ravel : un régal vaudevillesque. La jeune interprète explore avec aisance des rôles, explore et exploite ses possibilités, la variété diverse des aigus, heureusement ici au piano, sans un orchestre nourri, sans doute dangereux dans cette étape de sa voix. Ses qualités de comédienne sont évidentes, mais peut-être lui conviendrait-il de méditer (pour le fuir) l’exemple de la Callas dont les personnages étaient parfois si composés qu’ils en sentaient souvent la fabrique : l’art se doit toujours cacher par un art plus grand.
Exemple inverse, Alec Avedissian. Ce jeune baryton au timbre chaleureux, rayonnant, à la voix pleine, sonore et aisée, égale en volume, a également déjà montré sa ductilité stylistique sinon exactement dramatique. En Jules César de Hændel, dans le superbe arioso obligato, plus tendre qu’héroïque, transposé pour voix de baryton, il est un héros aussi désarmé que désarmant. Dans la mélancolique chanson du Pierrot de la brumeuse Ville morte de Korngold, son timbre éclatant paraît trop solaire pour cette lunaire et onirique mélodie bien que, vers la fin, il en rattrape les teintes par une couleur éteinte, vaporeuse et poétique de la voix. Il exprime une ivresse plus extrovertie que désespérée peut-être dans la chanson bachique de l’Hamlet d’Ambroise Thomas mais il est touchant par une sorte d’innocence : le charme direct et naïf du regretté Hermann Prey.
Julien Véronèse, plus basse baryton que baryton basse si l’on veut être précis vocalement à l’écoute de cet état actuel de sa voix exceptionnelle, à la nocturne couleur, aux graves caverneux sans être creux, déploie avec une grave intensité les déchirements, les remords morbides d’Elias, l’auto-flagellation de Mendelssohn lui-même sans doute. Très imposant et convaincant dans un registre sombre, dans la dite "Romance à l’étoile" du Tannhäuser de Wagner, plus dramatique que charmeur, de sa voix endeuillée, il laisse déjà pressentir la mort d’Élisabeth et son air de Ralph de Bizet (La jolie fille de Perth) est bien un chant désespéré. Quant à son Nilakhanta de la Lakmé de Delibes, il est un prêtre et un père plus terrible que tendre et vaguement amoureux de sa fille car, s’il sait alléger le volume, on le sent trop pressé de filer les nuances pour revenir à la force, qu’il n’a nul besoin de forcer, de sa voix.
Petit rossignol venu du froid, la Polonaise Aleksandra Resztik, semble avoir surmonté le trac par un jeu scénique subtil (on salue la préparation) qui la fait jouer de sa voix pour en exercer, en jolie comédie, les ressources, et en exorciser les angoisses : ainsi, les vertigineuses acrobaties de son emploi vocal sont mises en scène dans une souriante expressivité et malice qui lui vont à ravir. L’air espiègle d’Adèle dans la Chauve-souris de Johann Strauss, théâtre dans le théâtre et chant dans le chant, passe en revue des rôles, drôles, mais aussi, en riant, tout un répertoire de vocalises des plus sérieuses et des plus périlleuses. La sempiternelle chanson d’Olympia, la poupée mécanique d’Offenbach retrouve avec elle une fraîcheur aussi par le jeu qui l’arrache au machinal du ressort. Enfin, l’air parodique de Cunégonde du Candide de Bernstein, entre lamento et french cancan, drame avéré et comique révélé, lui permet encore de briller, juste scéniquement, précise vocalement, d’étinceler avec ce grain serré du tissu adamantin de sa voix d’une parfaite musicalité.
Au piano, avec de vrais grands morceaux pour lui, Julien le Hérissier fut le partenaire de l’accord parfait.

Jeudi 24 avril

Photos M@rceau :
1. Marie Kalinine et, au piano, Julien Le Hérissier ;
2. Alec Avenissian ;
3. Julien Véronèse ;
4. Aleksandra Resztik.


Ouvertures solistes

Ouvertures solistes
Carte blanche à l’Ensemble Télémaque
Marseille, Montevideo


Baroque
C’est toujours un bonheur de retrouver Raoul Lay et sa souriante pédagogie au service de la musique contemporaine, toujours illustrée de judicieux exemples donnés sur le vif par les précis solistes de son précieux Ensemble Télémaque. Bonheur redoublé quand s’y agrège un habituel complice, Alain Aubin, artiste-orchestre déjà à lui seul, chanteur (contre-ténor et baryton), acteur et, à l’occasion, danseur. C’est à tous ces titres, déjà salués depuis longtemps, qu’on ne chipotera pas à Alain, improvisé aimable commentateur juste avant l’angoisse du concert, devant une table de café du sympathique mais bruyant café de l’espace Montevideo, ses quelques paroles sur le Baroque, ces lieux communs qui traînent partout de « contraste », «de surprenant », voire d’extravagant et d’irrégulier (bannières sous lesquelles on pourrait ranger tant Hugo que les expressionnistes, les cubistes, les dadaïstes, les surréalistes, etc) alors que ce qui frappe dans cette esthétique, quand on la connaît bien, c’est l’exacerbation des règles, l’hypercodification de la forme régie par la rhétorique : la liberté dans la contrainte.

Contemporain
Autre trait « baroque » qui justifiait ces pertinentes mises en miroir auditives entre musiques d’hier et d’aujourd’hui, et qui bannit d’autres clichés, c’est la volonté juvénile de modernité, d’être de son temps : la musique baroque est toujours contemporaine, en rupture avec ce qui précède, et exprime souvent la singularité : au travers du soliste.
Nous fûmes gâtés. Sur une partition graphique de John Cage, Ryoanji (1983) -du nom du célèbre temple zen japonais de roches symboliques- sur la rocaille virtuose d’un ostinato aux percussions (Christian Bini) s’élève la voix, le hautbois, de Blandine Bacqué, sorte de recitativo secco, manière d’ouverture au récit accompagné d’Eugène Kurtz, La dernière contrebasse à las Vegas (1974) pour récitant(e) et contrebasse. Ici, mise en scène par Olivier Pauls, c’est une inénarrable conférencière campée en tailleur aux strictes géométries très Arts Déco (Édith Traverso) par Alain Aubin, lunettes et boucles d’oreilles, élégance chichiteuse très Hitchcock dont le chic est déchiqueté par le choc de l’archet de la contrebasse caressée, frappée, pincée comme aux fesses par le facétieux Jean-Bernard Rière, que la mondaine dame, en anglais, en français, en grave, en aigu, vit en vibrant dans son corps de cordes, piquée de pizzicati, déliquescente de glissandi, rubescente de rubato : l’ut en rut, elle jouit et la salle se réjouit de plaisir.
Les Citations (1985, 1990-91) de Dutilleux, collage au sens moderne ou pasticcio au sens baroque, aux inspirations polyphoniques de Janequin à Britten, est une œuvre infiniment personnelle et poétique : toile d’araignée argentée du clavecin (Isabelle Chevalier), ondoiements vocaux, vaporeux, du hautbois, vibrations du vibraphone, brefs éclairs de lumière de timbales frissonnantes, luminescences et scintillements rêveurs. Le lamento (2000) de Simon Holt, genre canonique encore baroque, donne encore à Aubin, ancien hautboïste, de jouer en virtuose avec celui de Bacqué, les deux voix, boisées, jouant du timbre, de la ligne, échangeant graves et aigus avec une grande émotion.
Par les mêmes interprètes, solistes de Télémaque et Aubin, une cantate de Bach et un air de Purcell, enchâssés dans le contemporain, montraient dans leur beauté que la musique, apparemment la plus diverse, n’est qu’une, et unique quand elle est servie par de grands interprètes.

4 avril 2008

Photos Agnès Mellon pour Télémaque, D. Garcia pour Alain Aubin, légendes B. P. :
1. Grappes de notes, gruppetto ou clusters : Télémaque ;
2. L'ut du rut : la conférencière d'Ah! Aubin.


mercredi, avril 09, 2008

Le grand retour de Boris S.

Le grand retour de Boris S.
de Serge Kribus

Théâtre Fontblanche , Vitrolles


Sur fond noir et l’embrasure d’une porte, un quadrilatère délimité par de minces portants métalliques, dessine, définit et indéfinit entre dedans et dehors, un transparent aquarium qui n’est une pièce que parce qu’un canapé, un fauteuil, deux chaises, un vague meuble et une table basse Ikéa l’occupent sans l’encombrer. Ingénieux décor minimal, minimaliste, pour financement minime du théâtre en ces temps de pénurie et maximum de travail de mise en scène de Jean-Claude Nieto sans même l’assurance d’un avenir de sa production.
La pièce de Serge Kribus commence comme un vaudeville, une scène de ménage mais par téléphone : un jeune trentenaire et chômeur, quitté par sa femme et ses enfants. Le ton monte avec la future ex, descend, avec passage de l’excitation de l’un à l’autre, en décalage avec les affirmations de sérénité, et véhémentes accusations réciproques d’énervement : cela laisse prévoir le procédé qui se répétera des relations tendues d’abord et excitées avec le personnage pour l’heure encadré dans la porte, chapeau en tête et valise à la main. Autre thème vaudevillesque : celui de la belle-mère qui s’invite sans crier gare au domicile de son enfant marié, au pire moment.
Mais ici, c’est le père : vieil acteur qu’on vient juste soi-disant d’engager en urgence pour le rôle titre et prestigieux du Roi Lear, pour sauver la pièce de la défaillance d’un acteur et qui vient répéter chez son fils car le chauffage est en panne chez lui. S’engage alors un conflit (le seul) entre le père qui s’incruste et le fils qui veut le renvoyer chez lui sans oser avouer sa situation familiale. Mais vite l’apaisement et l’arrangement se fait, suivi d’aveux réciproques, entre dire et taire, d’une nuit de beuverie mais dont la teneur n’arrive pas à alimenter, sinon le jeu (parfait des acteurs), l’enjeu, le nœud d’une action. Malgré l’évocation de la mère, les rapports père-fils ne sont guère conflictuels car, passées les premières passes d’armes, du duel on passe à un duo, un désarmant assaut de bons sentiments réciproques auquel le thème surimposé de la judaïté donne une gênante couche supplémentaire de sentimentalité et de pathos. Pour en venir à la conclusion, prévisible, que, finalement, père et fils, vivent des échecs et des solitudes parallèles.
La langue, prosaïque, ne s’élève guère que dans les citations, bien amenées, de Shakespeare ou autres, mais qui ne sont guère exploitées dramatiquement par l'auteur, restant à l’anecdote plaisante, théâtre dans le théâtre dont on sent trop qu’il a été fait pour donner l’occasion à un grand comédien de jouer au comédien, l’autre servant surtout de faire valoir, pièce à l’économie de notre époque. Il faut reconnaître qu’Albert Lerda entre au mieux dans ce rôle, rendant plausible son ivresse, touchant par les naïvetés enfantines des acteurs qui se croient toujours grands et admirés, presque à la névrose mythomaniaque comme dans Sunset Boulevard, rêvant de come back, de grands retours, et Guillaume Hennefant, qui lui donne la réplique, tire habilement son épingle du jeu en fils tendre et mari blessé.
Il faut dire que la mise en scène de Nieto, précise comme toujours, et toujours sensible dans les rapports humains, subtil à travailler les pièces et le jeu, réussit le prodige de donner une dignité scénique à un texte un peu plat dont les truismes -c’est ma perception- soulevaient les rires d’un public ravi, c’est la réception : ce qui compte au théâtre, art de la communion plus que de la communication.

1er avril 2008

Photo :
Lerda et Hennefant.

Troubadours

CHANSONS DES TROUBADOURS
par Alegransa
Église Notre-Dame du Mont, Marseille

Troubadours
Le mot vient sans doute de trobar, ‘trouver’, inventer un « trope », au sens rhétorique mais aussi musical médiéval : le troubadour est donc, essentiellement, un auteur compositeur et interprète. L’influence de la poésie arabigo-andalouse, qui sauva l’héritage de l’amour platonicien, en est sûrement l’origine et ce début du Collier de la colombe d’Ibn Hazam semble résumer l’idéologie amoureuse troubadouresque :

Je te voue un amour pur et sans tache :
Dans mes entrailles est visiblement écrit et gravé cet amour.
Si dans mon cœur il y avait autre chose que toi,
Je l’arracherais et déchirerais de mes propres mains.
Je ne te demande rien d’autre que de l’amour.

Sans oublier les chansons, encore andalouses, adressées à l’ami(e) (habib). Le premier troubadour connu, le duc Guillaume IX d’Aquitaine, père de la fameuse Aliénor, avait dans sa cour des musiciens venus de l’Andalousie médiévale. Quoiqu’il en soit, si les premiers troubadours sont du Limousin et de l’Aquitaine, on en trouvera vite dans toutes les régions de langue d’oc, langue du sud de la Loire, de la Catalogne et au Piémont.
Il reste plus de deux milles poèmes de quelque quatre cents troubadours mais, hélas, seules environ deux centaines de mélodies de leurs textes, entre les XI e et XIII e siècles. Ces poèmes exaltent, non point l’amour chevaleresque qui est celui de la dame envers le Héros, mais la fin’ amor, qui, renversant les rôles fait un héros du chevalier non pas triomphant mais blessé et vaincu par l’amour de la Dame, qui devient centre et souveraine du jeu amoureux. Et cependant, ces poèmes savants de forme, aristocratiques, au-delà d’une métaphysique et casuistique de l’amour courtois qui régnera en Europe pendant des siècles, reprise inlassablement de Dante, tributaire des troubadours, puis de Pétrarque à travers poésie et opéras baroques, nous ont légué non seulement un code courtois et galant de comportement envers la femme, mais toute une symbolique et une imagerie popularisées qu’on ne soupçonnerait pas : cœurs entrelacés gravés sur les arbres, « cœur sur la main » de l’amant courtois qui fait don du sien, agenouillé, à la dame, baise-main, signe d’hommage à celle qu’on fait Maîtresse et souveraine de ses pensées, échanges des cœurs, etc. Mais aussi des genres musicaux, l’aubade (chant pour réveiller l’amie), la sérénade (chant de la nuit), l’alouette qui éveille et sépare les amants, opposée au nocturne rossignol (comme dans Roméo et Juliette).

D’Artemisia à Alegransa
Sous le beau nom d’Artemisia, celui de la fameuse femme peintre du début du XVII e siècle, Artemisia Gentileschi, le trio formé par Isabelle Bonnadier, chanteuse, et ses comparses musiciens, Valérie Loomer et Gwénaël Bihan, nous a déjà enchantés dans le répertoire baroque. Sous celui joyeux d’Alegransa, la triade nous ouvre ou découvre d’autres horizons, plus lointains dans le temps, mais proches du Baroque tant par cette rhétorique amoureuse que les troubadours gravèrent dans l’imaginaire affectif occidental que par la conception d’une façon de chanter un texte au service du mot, toujours compréhensible, collant à sa substance poétique, une manière de recitar cantando, de ‘réciter en chantant’, de favellare in armonia, que retrouveront les précurseurs florentin de l’opéra, doublé de mélismes, libres d’improvisation, qui anticipent aussi la virtuosité vocale baroque.
Si les mélodies des troubadours nous sont parvenues, rien de leur l’accompagnement par contre, bien que les miniatures illustrant les manuscrits, notamment celles des Cantigas de Santa María d’Alphonse le Savant de Castille, nous montrent nombre d’instruments. Laissé donc à la libre imagination des interprètes, l’accompagnement d’Alegransa est du meilleur goût mêlant instruments populaires à percussions (Isabelle Bonnadier) ou à vent flûtes virtuoses et cornemuse (Gwénaël Bihan) et instruments savants à cordes pincées (Valérie Loomeer), avec la saveur nécessairement orientalisante, dette de cette musique : l’harmonium indien pulsé par Bonnadier, le daf, le tambour océan à rumeur de vague, sanza, riqq, flûte indienne : musique d’autrefois, d’ici et d’ailleurs.
Appel lointain d’entrée, virtuoses vrilles de vigne ivre de la flûte sur le tapis bleu d’horizon du bourdon de l’harmonium ; couleurs mélancoliques de cor anglais brumeux de la cornemuse, étincelles dorées de la corde pincée d’enluminure de manuscrit ou de fresque médiévale : s’élevant sur ce fond doucement ombreux de la basse et auréolée des étoiles égrenées des notes aiguës, la voix ailée d’Isabelle, délicatement nimbée de nébulosités rêveuses des résonances de l’église, tour à tour passionnée, tendre, toujours lumineuse, d’une déchirante douceur parfois, enrubannant de vocalises merveilleuses le cadeau précieux de ces textes d’amour blessé ou exalté, éveille des échos profonds du cœur et réveille une mémoire oubliée d’une autre vie rêvée. Isabelle Bonnadier chante les troubadours qui l’auraient chantée s’ils l’avaient connue.
30 mars 2008


Photos G. Zuchetto :
1. Valérie et Gwénaël ;
2. Isabelle et Valérie.

dimanche, avril 06, 2008

MARS EN BAROQUE

MARS EN BAROQUE
La viole et le violon

Mars en musique au Lenche et, à deux pas, Chapelle Sainte-Catherine, Mars en Baroque, sans compter tous les autres concerts ou récitals : à défaut de folle journée de musique de Nantes, mois de folie musicale. De quoi ne savoir plus où donner de la tête, de l’ouïe, à moins d’avoir la chance, comme certains animaux aux appendices auditifs mobiles, de chauvir des oreilles et de les tendre de deux côtés divers en même temps et d’écouter, en plurielle stéréophonie, deux concerts à la fois. N’ayant pas ce privilège, je me serai vu réduit à n’ouïr que deux des six concerts et à n’entendre aucune des trois conférences passionnantes par des spécialistes autour du thème choisi cette année par le directeur artistique de ce Centre Régional d’Art Baroque (CRAB), Jean-Marc Aymes qui, lui-même, à la tête de son Concerto Soave, couronnait ce 6 e Festival : «Viole de gambe ou violon… »
Attestée d’abord en Espagne, à Valence, la viole de gambe, semble une vihuela à archet, le luth espagnol, tenue entre les jambes que le futur pape Borgia, Alexandre VIII, père de César et Lucrèce, importa avec ses bagages à Rome, en Italie qui exalta l'instrument avant de l’éclipser par le violon plus simple et populaire, viole de bras, comme la vihuela, autre instrument aristocratique, le sera par la plébéienne guitare.

Le Nombre d’or au violon et au violoncelle
Envolées les violes, vive les violons, c’est ce qu’on se dit à l’audition du concert inaugural du Festival où la canonique basse continue de la musique baroque était tenue par Michele Barchi au clavecin, cordes pincées, et Gaetano Nasillo au violoncelle, cordes frottées, l’argent et l’or, et, au-dessus, voix chantante et tentante, argentée et dorée, le véloce violon aérien de Chiara Bianchini.
Le thème de ce concert était aussi poétique que mythique : le Nombre d’or en musique… Si dans notre culture antique, l’origine religieuse, pythagoricienne, des nombres et des proportions, laisse des traces moins mystiques que mystifiées, qui vont des numéros à la numérologie, il existe effectivement, en mathématiques, une proportion, dite « dorée » ou Nombre d’or dont on a vite fait une proportion idéale qui réglerait la perfection sans qu’aucun travail scientifique sérieux n’en ait démontré la réalité en dehors d’une certaine harmonie en géométrie, dont les expériences prouvent par ailleurs qu’elle ne garantit en rien ce qui est perçu comme parfait par le profane. Disons plutôt que cela peut être un principe interne d’organisation, de construction, un module qu’on peut personnaliser, comme Le Corbusier pour sa Cité radieuse, qui l’appela « modulor ». La musique, dans la globalisation rhétorique baroque des arts, étant considérée comme une « architecture sonore » et l’architecture comme une « musique visuelle », il est logique qu’on ait rêvé de détecter en celle-là le problématique Nombre d’or de celle-ci, sans qu’aucun témoignage de compositeur ne l’atteste, à moins d’y rajouter une fumeuse volonté d’ésotérisme. Quant à le déceler par des analyses en quantifiant mesures et cellules musicales, il est certain que tout texte, même musical, répond aux grilles externes qu’on lui impose et, après tout, le fondement même de l’harmonie repose sur des séries, le sérialisme en fait même son credo atonal.
Si l’on chinoise sur la thématique du concert, on ne chipotera sur son exceptionnelle tenue, ce voyage entre apogée et crépuscule du Baroque, fantasque et fantastique avec Vivaldi, et aurore sereine du Classicisme avec Costanzi et Giardini, encore que la majestueuse et lumineuse architecture d’un Corelli ou Locatelli allie le baroquisme de l’invention et le thème et développement rigoureux, comme une charnière dans ce concert à la gradation sensible d’un siècle de violon, de l’évolution mélodique au style autonome plus concertant où le violoncelle de miel dialogue à parts égales avec la crête mielleuse du violon sur les écumes mousseuses d’un clavecin.
On aura aimé cette élégance noble du jeu des interprètes avec ces instruments qui passaient alors pour populaires face aux fameuses violes, la pudeur de Chiara Bianchini qui a le bon goût de ne pas ajouter des effets et de l’affect aux affects déjà gonflés de la musique baroque, qui serait tomber dans l’effectisme, de ne pas alourdir d’expression l’expression, ce qui serait sombrer dans l’expressionnisme, pléonasme et caricature de l’art baroque d’essence aristocratique. Son coup d’archet irise et ne martyrise pas les cordes : baguette magique scintillant d’étoiles lumineuses, il effleure un épiderme, caresse, comme dirait Sartre, qui est prise de possession d’une profondeur.
26 mars

L’Autriche et l’Allemagne au XVII e siècle
Triomphant en Italie, le violon s’impose en Europe, l’Angleterre et la France seules résistant au nouvel instrument « populaire » auquel les luthiers italiens, raffinant son timbre et élargissant ses moyens, ont donné des lettres de noblesse que les compositeurs, expérimentant ses possibilités expressives et virtuoses vont offrir à la musique universelle.
Avec la complicité de Laurent Stewart, claveciniste couvert de récompenses pour son jeu franc et raffiné qui fit ruisseler l’instrument dans la Toccata de la 6e Partita WWV de Bach, Hélène Schmitt, anima de sa fougue, de sa passion, curiosité toujours en alerte, un parcours du violon dans les pays germaniques.
On ne pourra pas l’accuser de facilité car, à côté de Bach archi-connus mais qu’elle nous fait redécouvrir, voisinent de moins illustres (aujourd’hui) contemporains qu’elle nous convie à découvrir : Muffat, Walther et, certes un Biber pour qui la postérité fut moins ingrate. Que dire de cette interprète sans sombrer dans le dithyrambe ? On ne sait qu’admirer le plus, la maîtrise technique (qui ne suffit jamais), l’engagement charnel amoureux avec l’œuvre, la folle virtuosité qui lui fait prendre tous les risques, son art du rubato qui exalte un motif, qui suspend le vol d’une note, ces attaques (mot impropre tant il semble agressif) pianissimi, ou plutôt ces sons qui semblent issus du silence, filés au forte et rendus à l’insensible de la perception, dans un sentiment d’un infini d’une ligne tenue à l’invisible audible de la sonorité.
27 mars

Photos, successivement de haut en bas :
Michele Barchi
, Gaetano Nasillo, Chiara Bianchini,
Laurent Stewart et Hélène Schmitt
.


mercredi, avril 02, 2008

À la recherche de Joséphine

À la recherche de Joséphine
Spectacle musical de Jérôme Savary Grand Théâtre de Provence

Si Édith Piaf, après la Seconde Guerre Mondiale, a laissé une profonde empreinte dans la mémoire collective française, Joséphine Baker, après la Première a laissé une trace plus importante dans l’Histoire artistique de notre temps.

Joséphine Baker
Née en 1906 dans le sud raciste des Etats-Unis, elle meurt en 1975, dans cette France devenue la patrie selon son cœur dont elle adopte la nationalité. Formée à l’école de la rue, maîtrisant la danse désarticulée, « caoutchoutée », elle débarque avec une troupe, dont Sidney Bechet, au Théâtre des Champs-Élysées et y gagnera une célébrité universelle. La mode picturale chic est aux Arts nègres, qui influencent des gens comme Picasso. Le terrain intellectuel et artistique est prêt pour accueillir, en octobre 1925, la Revue nègre. Le Tout Paris, auquel se mêlent des poètes, dont Robert Desnos, les écrivains comme Blaise Cendrars, ou le peintre Francis Picabia, en espère un choc aussi grand que celui des tumultueux Ballets Russes d’avant guerre. C’est le triomphe.
Colette, qui sait ce que danser nue veut dire, écrit : « Paris ira voir, sur la scène des Folies, Joséphine Baker, nue, enseigner aux danseuses nues la pudeur. »
Freda Josephine Mc Donald, au sang mêlé indien et noir, devenue Joséphine Baker, à coup sûr ambiguë dans son succès dont témoignent les fameuses affiches caricaturales sur les « bons nègres » joyeux et danseurs, importe à Paris une vision nouvelle, plus populaire, de la négritude, faite de bonne conscience colonialiste condescendante, festive, musicale, comique : elle fait le clown, louche à volonté, gonfle ses joues. Mais, au-delà de ces clichés, impose le jazz, le charleston et un art de vivre nouveau. La première « star noire », « La Vénus d’ébène » de 18 ans dansant nue avec son régime de bananes, que s’arrachent le disque et le cinéma, meneuse de revues, icône de la mode, habillée par Paul Poiret, devient l’incarnation de la femme au corps et cœur libérés des « Années folles ». Elle est sacrée « Reine de l’Exposition coloniale » de 1931, exaltation sans mauvaise conscience du colonialisme qui expose, comme attraction, des tribus d’indigènes, décimés par le froid, qui tourneront ensuite dans des cirques dans toute la France.
Pourtant, célèbre dans le monde entier, Joséphine mettra sa gloire au service de la lutte contre le racisme. Héroïne de la Résistance au nazisme, son périlleux travail de renseignements lui vaudra décorations et d’exceptionnels honneurs militaires à sa mort. Elle rêva d’un monde aux couleurs de sa « tribu arc-en-ciel », à l’image de ces orphelins de toutes races qu’elle adopta

À la recherche de Joséphine
Le spectacle musical de Jérôme Savary
, qui en règle la mise en scène et signe les décors, mêle à l’hommage à cette grande dame, un témoignage ému à la Nouvelle-Orléans dévastée par le cyclone Katrina et l’histoire de jazz, inévitablement tissée de celle de l’esclavage.
Un canot pneumatique à l’avant-scène avec trois rescapés : Old Joe (James Campbell), qui sera le narrateur de l’histoire des descendants d’esclave et du jazz, un homme plus jeune (Tom (Allen Hoist) et une jeune femme qu’un producteur, le seul blanc de cette production (Michel Dussarrat), engagera pour jouer le rôle de Joséphine dans un « revival » de la légendaire Revue Nègre : Nicolle Rochelle, belle de corps, bonne et excellente danseuse et chanteuse, vraisemblable incarnation de la célèbre Vénus noire…en beaucoup plus clair. Des images terribles des dévastations du cyclone passent en boucle sur grand écran, alternées de tableaux bien venus (enterrement New Orleans, Club de jazz, expo coloniale…). La musique, les danses sont superbes mais le discours d'Old Joe, pavé lourdement de bonnes intentions anti-racistes, pro-noires, sombre dans le stéréotype « nègre » inverse et créée l’ombre inévitable du racial.
Cependant, en deuxième partie, les grands tableaux de la Revue nègre, le charisme de Nicole Rochelle, son abattage, son humour distancié par rapport à Joséphine Baker, les quatre superbes acteurs chanteurs, la formidable troupe de danseurs et ces magnifiques musiciens, offrent un bel exemple de spectacle vivant, vivifiant. Avec le remarquable meneur de jeu Dussarrat, la salle entonne « Paris, reine du monde… », chantonne « J’ai deux amours… », « La petite Tonkinoise » que chante merveilleusement la belle et jeune Rochelle La présence de Savary lui-même à la fin, pour présenter chaleureusement sa troupe, sa faconde, sa générosité, opèrent le miracle d’un beau partage heureux.
29 mars 2009


Photos
1. Jérôme Savary par Michel Montea;
2. Nicolle Rochelle et James Campbell (photo : S. Alvarez );
3. Le jazz…(photo : S. Alvarez ).

mardi, avril 01, 2008

Histoires d'amours

Histoires d'amours
Voix : Eliane Tondut, piano : Hartmut Lamsfuss Théâtre de Lenche
Mois des fous ? Mois musical que ce mars marseillais où l’on ne sait à quel son se donner et damner : Le Bal masqué de Verdi à l’Opéra, le Concert symphonique, la Musique classique, « Les Festes d’Orphée » à Saint-Victor, les troubadours à Notre-Dame-du-Mont, Michèle Fernandez au cinéma Variétés, « Mars en baroque » en divers lieux et ce « Mars musical » au théâtre de Lenche. Bref, pas une seule soirée sans son lot de musique et je ne parle ici que celle que l’on dénomme « classique », sans oublier ni mépriser les autres et il aurait fallu un don d’ubiquité auditive pour être tout ouïes à cette riche programmation. Et l’on regrettera que les vacances prochaines soient un fatal et absurde désert culturel au seul moment où les gens (qui sont loin de partir tous en vacances !) peuvent enfin s’offrir le luxe d’une soirée au théâtre ou au concert.
Ce soir, c’était donc pratiquement la semaine que le Lenche dispensait à Éliane Tondut qui n’est pas seulement la talentueuse costumière de théâtre que l’on connaît et apprécie, mais par ailleurs une femme qui s’est lancée à corps perdu et âme éperdue dans le chant, depuis peu mais on croirait depuis toujours tant il y a de sûreté, d’aisance et de facilité dans les facettes vocales qu’elle prodigua.
Éclectique programme que le sien qui allait de l’aube de l’opéra avec Caccini jusqu’à des lieder allemands de Schubert et de Brahms en passant par la rêveuse chanson de Marguerite au rouet du Faust de Gounod. Quelques judicieuses lumières où elle entre et sort, qui sculptent son visage dramatique, anticipant déjà la musique par l’émotion exprimée, quelques gestes justes et significatifs et, avec une présence scénique sensible, elle est tantôt coquine, coquette dans Pergolèse, taquine et mutine dans Offenbach, cocasse aigre et grelottante dans les regrets sur la jeunesse de Paisiello, amoureuse dans la déclaration de Caccini, passionnée dans celle de Gluck, mélancolique dans Scarlatti, désespérée en épouse méprisée, à la limite du souffle, chez Vivaldi et romantique et rêveuse dans les airs du XIX e siècle.
Cette partie offre à son attentif et rassurant partenaire, l’excellent Hartmut Lamsfuss, de beaux moments de piano, le liquide lied de Schubert, l’air magnifique de Pauline Viardot, digne élève de Liszt, et le Brahms profond.
À quelques r italiens roulés à l’excès, à quelques i brillants mais qui acidifient le timbre mais peuvent aisément s’arrondir, la voix d’Éliane est belle, vibrante, aisée, menée intelligemment avec un sens subtil des couleurs et des nuances qui exerce un charme touchant et direct, une belle émotion.


Photos Pierre Carrelet

HEURE DU THÉ

Solistes du CNIPAL
Musique contemporaine
On l’a répété et salué : les Heures du thé mensuelles offertes si gracieusement par le CNIPAL (Centre National d´Insertion Professionnelle d´Artistes Lyriques) dans le foyer de l’Opéra, non seulement permettent à un public nombreux d’entendre les jeunes stagiaires, espoirs d’aujourd’hui qui seront peut-être les grandes stars du chant de demain, mais de s’initier et de s’ouvrir à des champs nouveaux de la vocalité sans lesquels le répertoire de l’opéra ne serait qu’une vaste et vaine galerie de musée d’un art plus que moribond, mort et momifié.
Il faut le dire aux nostalgiques passéistes tournés exclusivement vers le passé : la musique a toujours été contemporaine et Monteverdi, Vivaldi, Hændel, Mozart et les compositeurs postérieurs ont toujours écrit de la musique de leur temps et il n’est que de rappeler les polémiques que suscita la modernité du premier, sa seconda prattica, ou du dernier (« Trop de notes, Mozart ! »). Ce n’est que le goût historiciste du XIX e siècle qui revient un peu sur un passé arrangé à sa manière, un peu de Bach (Mendelssohn), un peu de Gluck (Berlioz), un peu de Mozart mal arrangé. Mais on peut lire les carnets critiques du Monsieur Croche de Debussy pour constater que les programmes dont il rend compte sont strictement contemporains.
Cela pour répondre aux quelques critiques opposées à ce programme, au fond sagement et largement classique contemporain, proposé et commenté par Ivan Domzalski répondant aux questions de Gérard Founeau, interprété par trois pensionnaires, joli travail pédagogique.
Le seul compositeur vraiment contemporain et vivant était Philippe Roux (né en 1959), bien connu et reconnu internationalement. Sa mélodie a cappella, sur quelques strophes de la poétique chanson populaire du XVIII e siècle, Aux marches du palais (« La belle, si tu voulais »…) se présente comme un rap (rythm and poetry), rythme et poésie ou poésie rythmée et déclamée rapidement…qui au fond, est un recitar col canto, en « réciter en chantant », cher aux théoriciens florentins de la fin du XVI e siècle, inventeurs de l’opéra, de Caccini à Monteverdi. On retrouve aussi la vélocité vertigineuse de cette déclamation telle qu’on la trouve aussi dans l’opera buffa, dont Rossini, entre autres, fait un usage bien connu chez ses basses bouffes et des décompositions ou redoublements syllabiques comiques, des bégaiements de labiales, largement répandus chez Offenbach, des enrayements de vieux disque, des emballements qui, de « belle » français fait « bell », cloche en anglais, une élasticité et plasticité des mots qui n’oublie pas le sprechgesang de Schönberg. La pièce est d’une extrême virtuosité vocale, d’une périlleuse difficulté, exige souffle, diction et élocution parfaites, et le baryton suisse Étienne Hersperger y déploie une époustouflante agilité, un brio, un train d’enfer, un entrain entraînant et convainquant.
Sur le ruissellement onirique d’un piano au flottant continuo, il interprètera ensuite, en comédien consumé et chanteur prenant, le grand et grave récit d’Owen Wingrave (1971) de Benjamin Britten, manifeste pacifiste qui vise plus l’intensité expressive que la notion classique de vocalité, passant du chant au parlé et au cri. Mais ici on touche le danger technique de cet « air » écrit en fait pour studio et télé : les imprécations déplacent la voix et la vocifération fatigue le timbre. Des quatre chansons archaïsantes aux couleurs de far west d’Aaron Copland (1900-1990), la berceuse nous est murmurée avec une tendre rondeur vocale par le jeune chanteur mais, malgré la faconde et la truculence des autres, sa belle voix se ressent du ressenti trop vif de l’émotion précédente.
Émotion maîtrisée pour ne pas nuire à la voix mais maîtrisant le public ému, bouleversé aux larmes par le sentiment poignant qu’elle exprime et dégage, Eduarda Melo offre une saisissante interprétation d’une page, la plus lyrique du long monologue parlando cantabile de La Voix humaine de Poulenc. Visage chiffonné de réveil d’un rêve ou cauchemar, expression physique -musique déjà inscrite sur ses traits- avec un sens « fadiste » du destin, la jeune Portugaise, de la tendresse à l’hallucination désespérée conduit la montée en puissance de sa voix sur le cri « folle » ou « je ne pouvais plus vivre » sans rien perdre de la beauté ailée de son vibrato et de son timbre. Ce seront ensuite les quatre recettes de La Bonne cuisine (1947) de Bernstein qu’elle nous sert de façon savoureuse, du mouvement perpétuel de la première au staccato pressé et oppressé de la dernière, avec le même bonheur de la diction, de la malice : succulent !
Dans deux des mélodies d’Harawari de Messiaen, imprégnées de surréalisme, de lettrisme dans le texte, qui mêle parole en quechua du Pérou à une incantatoire langue inventée, Olivia Doray, sans rien abdiquer non plus de la limpidité et de la beauté soyeuse de son timbre de soprano aérien, en célèbre dignement le centenaire, colorant diversement les onomatopées, vaporisant sa voix, tour à tour liquide source, nébuleuse, vaporeuse, rêveuse sur les larges touches sombres d’un piano aux profondeurs venues d’ailleurs et aux éclats brisés de verre. Puis elle est une délicate Titania de Britten, reine des elfes et féerique reine, coquette, cocotante, délicieusement.
Enfin, à l’enfantine chansonnette de Copland I bought me a cat, par Hersperger, ces dames, pianiste et tourneuse comprises, donnèrent une miaulante, caquetante, cancannante meuglante et beuglante réplique de tous les animaux de la ferme récapitulés pour notre plaisir.
Au piano, Nina Uhari déploie une palette étourdissante de styles et de couleurs, d’une périlleuse virtuosité, un vrai récital à elle seule.

28 mars 2008

Photos M@rceau :
1. É. Hersperger ;
2. E. Melo ;
3. O. Doray ;
4. Les saluts avec Nina Uhari.

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