Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
Ci-dessous : liens vers les sites internet de certains de ces supports.

L'auteur

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Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

mercredi, mars 28, 2012

MARS EN BAROQUE (2)

MARS EN BAROQUE 
(2)
Le mois de mars s’en va mais Mars en Baroque est venu, nous en laissant encore des échos émerveillés.

VÉNUS ET SES LIBATIONS
Dans l’auditorium comble des Archives Départementales Gaston Defferre, la première soirée fut déjà une réussite. Forum mondial de l’eau oblige, le programme, sans encore faire couler d’encre, faisait couler une eau particulière : La Fontaine de Vénus, effluves amoureux, flots de musique voluptueuse et de paroles licencieuses par l’Ensemble La Fenice de Jean Tubéry, agrémenté d’une chanteuse, Caroline Pelon et d’un conteur Christophe Gravouille. Sous des projections d’images galantes et sensuelles de tableaux de grands peintres, Watteau, Fragonard ou autres Boucher, débauche de rondeurs carnées féminines, de Vénus alanguies sur des couches propices et complices, le concert régalait de musiques françaises du XVII e siècle instrumentales et d’airs de cour de d’Anglebert, Lambert, Bataille, Sicard, Boësset à la fausse naïveté, posant des cas d’amour ironique (Il faut les aymer toutes deux), proposant des conseils hédonistes ironiques sur les âges féminins et les quatre saisons de l’amour (Depuis quinze jusqu’à trente). On goûta la saveur populaire de l’anonyme, Une jeune fillette, l’irrévérence saine de Il était une religieuse de de Lassus. Instrumentalement, la Passacaille de M. Cazzati, sur un thème bien connu, était d’une grande séduction et une belle émotion se dégageait de la Sonate à trois de F. Turini « sopra la monica »
La chanteuse Caroline Pelon, sans doute mal en forme par la perversité allergène du mars marseillais, distillait ces airs faussement ingénus, des bergerettes sur l’herbette fleuries d’agréments joliment troussés et tressés, parfois toussotés par la quinte, moins d’aigu que de fatigue sensible ; les contes aimablement licencieux de La Fontaine, Christophe Gravouille les égrenait, gaillards, gaulois, goguenards, égrillards, avec leurs faux paysans et leurs vrais cocus. Le mobile Jean Tubéry non seulement donnait la réplique chantée à la chanteuse mais faisait pépier la flûte et chanter le cornet tout en dirigeant souplement l’ensemble. La violoniste Anaïs Chen et le gambiste Martin Bauer s’offrirent un beau succès avec une superbe version lancinante de la fameuse Sonnerie de Sainte-Geneviève de Marin Marais et Philippe Grisvard, fit étinceler la grâce de son clavecin toute la soirée. 
CARAVAGE ET GESUALDO : GÉNIES CRIMINELS
Le cinéma les Variétés ayant déclaré forfait faute de visionneuse pour les peintures, le petit auditorium de la Bibliothèque de l’Alcazar, ne put ni accueillir tous les amateurs passionnés de la conférence, ni endiguer le flot des mécontents refoulés de ce huis clos où Martine Vasselin, spécialiste d’histoire de l’art de l’Université de Provence et Jean-Marc Aymes, âme de mars en Baroque, donnaient une causerie en duo sur deux génies criminels, le peintre et le musicien, Caravage et Gesualdo, contemporains. Michelangelo Merisi da Caravaggio (1571-1610), le peintre et le musicien Carlo Gesualdo (1566-1613), Prince de Venosa fort vénéneux, furent deux créateurs révolutionnaires du début de l’ère baroque dans leur domaine respectif. L’un renouvela la peinture par son approche à la fois réaliste et allégorique (il s’inspire d’une noyée pour peindre la Vierge agonisante) ; ses cadrages audacieux annoncent ceux du cinéma, ses contrastes ténébristes et luministes ont marqué la peinture européenne de son temps. Gesualdo écrivit une musique hors des canons acceptés de son temps, pleine aussi d’antithèses, de dissonances, très moderne, comme en purent juger les spectateurs du concert qui lui fut consacré. Ils eurent en commun les lieux où ils vécurent, des amis prestigieux mais, aussi, des mœurs scandaleuses : le Caravage était notoirement homosexuel, Gesualdo goûtant le dolorisme sensuel du sadisme ; le premier, bagarreur et jouant facilement du couteau, eut des morts sur la conscience, tandis que le Prince fit tuer sa femme adultère et son amant.
On se bousculait ensuite au cinéma les Variétés pour le film Caravaggio (1986) de Derek Jarman, prévu pour une projection mais, devant le succès, repris deux autres fois, comme la conférence. Bref, le dixième festival commençait par l'illustration de son intitulé de 2012 : Passion(s) et débordements.
CASTRATS
Autre type d’excès que ne pouvait manquer d’illustrer Mars en baroque, celui de la vocalité virtuose, vertigineuse des castrats, du moins selon les témoignages que nous en avons par les musiques qui leur furent consacrées. Le perfectionnement technique des castrats porta l’art du chant à des sommets de virtuosité jamais atteints.
Rappelons que l’Église, estimant indécentes les femmes sur scène, ne voyait nul inconvénient à faire opérer de jeunes garçons à jolie voix, à les opérer, les châtrer pour, s’ils survivaient, éviter leur mue et garder leur timbre d’enfant et leur tessiture féminine de contralto ou de soprano. Et que chantaient-ils  dans un opéra? Indépendamment du sexe du personnage représenté, homme ou femme. Patrick Barbier, au cours d’une conférence très courue à l’Alcazar le 21 mars, devait en brosser le large spectre et panorama.
Aujourd’hui, où fort heureusement, on ne châtre plus les jeunes garçons pour en faire des rois de la scène lyrique, ce sont les femmes travesties qui chantent leur rôle ou des contre-ténors, des hommes chantant sur un registre de voix de tête. Le même soir, l appartenait à un tout nouveau venu ici dans ce registre, Magid El-Bushra, d’en illustrer la technique dans des Arie per un divo avec la complicité de l’excellent ensemble Filigrane d’Étienne Mangot, tout en souplesse et nuance. Bononcini, Gasparini, Händel furent à l’honneur et deux Vénitiens fameux, Marcello et surtout Vivaldi ce qui peut relativement étonner puisque Venise employait peu les castrats et le Prete Rosso écrivait surtout pour des altos féminins et non pour les sopranistes et altos masculins castrés. La voix de Magid El-Bushra est puissante, large, d’une belle et moelleuse couleur boisée et use subtilement du registre de poitrine sombre. Il sait filer des sons dans les arie di portamento sur la tenue du souffle. Cependant, envers de l’égale rondeur du timbre, il manque de mordant et un peu d’éclat dans les airs de bravoure. Il fut gentiment sage en excès annoncés de cette journée.
NICOLAU DE FIGUEREIDO
L’instrument omniprésent dans la musique baroque est assurément le clavecin. Dans ce festival, il est certes illustré par Jean-Marc Aymes pour Concerto soave et chaque ensemble invité a son claveciniste en titre. Innovation, cette année, la place faite à de jeunes talents clavecinistes et par l’invitation d’un grand aîné, déjà célèbre, le Brésilien et parisien Nicolau de Figuereido, qui a travaillé avec les ensembles les plus prestigieux. Il offrit un jubilatoire récital de sonates de Domenico Scarlatti.
Dans l’ombre douce de l’église Saint-laurent, éclairée des vitraux géométriques oranges, roux et verdâtres, comme un oiseau exotique aile déployée, posé simplement sur deux tréteaux, un clavecin rouge historié, c’est-à-dire orné de motifs divers, d’oiseaux, de coquilles, de nœuds, d’amours, de flammes et oriflammes aux écritures étranges, de médaillons représentant des amis musiciens de son propriétaire, Freddy Eichelberger , à la façon de célèbres tableaux détournés (Latour et sa Bohémienne, Titien et le Concert à Vénus devenu concert à un éphèbe nu), un voilier d’autrefois cinglant vers le large.
Brillant timonier de cet instrument, Figuereido nous plongea dans l’univers hispanique du Napolitain Scarlatti qui, laissant sa Naples encore espagnole, fit carrière au Portugal et en Espagne, imprégnant sa musique des rythmes populaires espagnols les plus à la mode alors, séguedilles, fandangos, polos, tiranas, etc. Scarlatti s’inspirait des tonadillas, petits spectacles parlés, chantés et dansés  « à l’espagnole », en opposition avec la mode française et italienne, et qui fixèrent ces danses, et non, comme on dit d’un flamenco apparu bien postérieurement, qui utilisera simplement cette terminologie.
Alternant à la façon baroque tempi lents et vifs, ceux-ci d’une grande variété (Allegro, Presto, Vivo), mêlant les tonalités majeures et mineures, Figuereido, avec une fibre, une fièvre, une fougue toute hispanique avec une verve vertigineuse, nous élève et enlève, nous porte, transporte dans la folie de ces rythmes soyeux et joyeux, jubilatoires. Sous ses doigts agiles s’égrènent les grappes diaboliques des ornements ; il nous fait sentir le rasgueado et le punteado de la guitare espagnole, entendre les castagnettes, les palmas (battements frénétiques des mains) et ces parados, ces arrêts incisifs, comme coupés au couteau, de la danse espagnole. En bis, il rendit hommage au Padre Soler, digne continuateur espagnol du Scarlatti hispanisé. Un grand moment.
Ultime grand moment et couronnement de mars en Baroque, la création, en l’abbaye de Saint-Victor, de la Passion selon Marie de Zad Moultaka avec la chère María Cristina Kiehr, notre Jean-Marc Aymes et son Concerto soave, avec le chœur de chambre Les Éléments de Joël Suhubiette.
Puisque nombre de gens n’ont pu entrer à la conférence de Martine Vasselin sur le Caravage, voici une suggestion de jolie promenade de Semaine sainte dans le joli village de la Tour d'Aygues. Dans le beau château Renaissance, le vendredi 30 mars à 18h30, entrée libre, elle offrira une causerie illustrée sur une forme de dévotion populaire, les mises au tombeau sculptées et polychromes, des cryptes, des chapelles. Mais rien de morbide en ces pratiques  dévotionnelles : peindre la Vierge, le Christ ou les saints, pour les peintres d'autrefois, c'était peindre des gens qu'ils aimaient et admiraient, faisant partie de leur univers concret, pour lesquels ils se réjouissaient ou pleuraient, selon les paroles de l’érudite conférencière.

Photos : quelques disques des fondateurs de Concerto soave (Aymes, Kiehr) :
1. Girolamo Frescobaldi : Fantasie (1608) | Recercari e Canzoni Franzese (1615) | Fiori Musicali (1635)  ;
2. Claudio Monteverdi :  Pianto della Madonna
3. Girolamo Frescobaldi : Il Secondo Libro di Toccate | Canzoni alla Francese (1615) ;
4. Alessandro Scarlatti : Bella madre de’ fiori ;
5. Girolamo Frescobaldi | Il Primo Libro di Capricci  ; 
6.  Barbara Strozzi : Sacri Musicali Affetti ;
7. Concerto soave au complet (Phot. Pinchène)



dimanche, mars 25, 2012

LE COMTE ORY



CIEL, LE COMTE ORY !  

LE COMTE ORY

Opéra en deux actes de Gioacchino Rossini,

Livret français de Scribe et Delestre-Poirson (1828)

L’œuvre

« Ciel, mon mari ! » est devenu une exclamation folklorique qui symbolise le vaudeville français où la comique et horrifique situation est l’arrivée inopinée du mari quand la femme est avec son amant. Par une plaisante inversion dans le retour puritain sinon victorien de l’époque de la Restauration, guère badine et libertine, dans ce vaudeville aux stéréotypes de Commedia dell’Arte, c’est Ory, horripilant, Comte plus pendard que paillard, qui ferait sans doute pousser ce cri d’orfraie effrayée à la volière de belles dames dans le poulailler qu’est devenu ce château déserté de ses mâles, dans lequel il tente de s’introduire avec des ruses de renard qu’une poule aura finalement pris : fripouille bredouille, fripon frappé de terreur au retour des maris, battu battant en retraite discrète, la queue entre les pattes.
Conte d’un Comte médiéval libidineux tentant de profiter de l’aubaine de maris partis en croisade pour se glisser dans le castel et dans le corps sinon le cœur de la belle Adèle, trop vertueuse comtesse, non pour la séduire en lui faisant la cour tel un amant courtois qui attend la reddition de la forteresse, mais pour la posséder à son corps défendant, et défendu par son page Isolier, vrai amoureux de la dame. Ce page est une sorte de Chérubin (un travesti aussi) de Noces de Figaro, qui n’aimerait qu’une seule femme et non toutes et qui, délibérément et non par accident, sous cape, ferait échouer tous les plans du Comte, comme Donna Elvira fait capoter tous ceux de Don Juan. Les divers travestissements comte en ermite, chevaliers en pèlerines, renvoient à l’univers bouffe de l’opéra, et l’on pense au Barbier de Séville et aux divers déguisements du Comte Almaviva pour s’introduire dans le logis de sa belle.
Mince anecdote et plate écriture, plus grise que grivoise pour cette gaudriole guindée, sauvée par une musique riche et bondissante, d’une verve verte, fleurie de vocalises hérissant tous les rôles et toutes les tessitures, airs virtuoses avec cabalettes et chœur, cadences vertigineuses d’agilité, rythmes hispaniques, boléro ou séguedille : du grand art rossinien au sommet.
La réalisation
D’une verte prairie d’enluminure de livre d’heures médiéval, illuminée de buissons fleuris, avec fond nébuleux de forêt buissonnante qui s’ouvrira comme les découpures de livres d’enfant en fenêtres ornées de gentes dames et en murs crénelés où deux chevaliers en armure feront une cavalcade rythmée, plus proche des manèges que des cortèges guerriers, on passe à une sorte de sauna ou sérail féminin, à une chambre, avec des signes plaisamment anachroniques, un siège d’arbitre de tennis, des chaises-longues,  des paysans invalides, un caniche nain mondain, etc. Sous les lumières efficaces de Roberto Venturi, c’est un décor simple, de bonne humeur (Jacques Gabel et Claire Sternberg). Les costumes des dames (Catherine Leterrier), aux teintes vives, sont d’un Moyen-âge allusif et tardif, avec des coiffes de fantaisie ; les hommes ont la bure brune des ermites plus impénitents que pénitents.
Cependant, il faut saluer la mise en scène vive, inventive de Frédéric Bélier-Garcia, toujours au service de la musique, dans la musique, dans son rythme, d’une veine humoristique constante jusque dans les détails, et, avec une distribution de chanteurs tous par ailleurs excellents acteurs, un vrai travail de comédie non seulement dans les déplacements, les attitudes stéréotypées, les expressions physiques, mais aussi dans le chant belcantiste rendu à l’expressivité théâtrale, dans une manière irrésistiblement drôle de faire « jouer » même les vocalises.
Interprétation
Plateau de rêve avec un seul bémol dans cette vocalité tendue de dièses aigus : la voix de Marc Laho, Comte Ory irrité par le mars allergène marseillais, gêne là-haut qui ne masque pas la technique ni la beauté du matériau vocal, ni la drôlerie du jeu, rondouillard égrillard,  crucifié hypocritement sur la croix de ses turpitudes sur d’humoristiques cadences plagales, d’église. Bien compréhensible et concupiscible objet de ses délires et délices ratés, la belle Annick Massis, met sa voix superbe, sa technique sans faille, au service d’un jeu de comédie irrésistible dans d’hilarantes vocalises hachées de soupirs de jouissance jubilante, qui en disent long, dans les longues tenues hystérisées, sur ce qui gratouille et chatouille cette chaste dame, plus émoustillée qu’effrayée de ces assauts virils. Elle ne repousse guère le page Isolier. Il est vrai que, même en crédible travesti, Stéphanie d’Oustrac, voix de velours sombre et ardent, est d’une stupéfiante présence scénique et vocale, toute en nerfs, bondissant lutin qui lutine la dame et dame le pion au Comte : dans des enlacements à trois, entre le Comte berné, Adèle et Isolier, le trio poétique de la nuit devient une inénarrable et inextricables scène de triolisme érotique dans le lit nocturne dont on ne sait plus l’issue.
Marie-Ange Todorovitch, autrefois Isolier, est aujourd’hui Ragonde, faconde en morales leçons, dont la sensuelle rondeur de la voix et des formes dément la sèche chasteté des propos, tourière pleine d’atours, gardienne de la forteresse et de la morale, ceinte de clés immenses de l’enceinte comme vaste ceinture de chasteté, dont on attendrait plus d’un tour dans son sac. Avec son efficacité habituelle, Jean-François Lapointe campe un Rimbaud, ribaud barbu, d’abord bourrin bourru bourré de morale, puis bourré de vin, gaillard, paillard, cherchant ripaille et victuaille, avec un air à boire de « liste » volubile dans la tradition bouffe, ici, de vins, sorte de séguedille échevelée aux vocalises avinées, à toute vitesse, où éclate la virtuosité de sa généreuse voix. En quelques scènes, d’abord en Gouverneur gourmé mal gouvernant le Comte puis gagne à sa cause, Nicolas Courjal séduit par la beauté de sa voix de basse aux graves superbement timbrés. Diana Axentii est une jolie Alice à réentendre et on entend avec plaisir Wilfried Tissot. Les chœurs, ribambelle de pucelles et dames esseulées et fausses pèlerines masculines aux inénarrables coiffes de nonnes, sont menés par Pierre Iodice avec maestria. Mais le maestro Roberto Rizzi Brignoli mérite mille bravos :  de l’ouverture avec ces pas de loups de loup dans la bergerie au crescendi « vacarmini » des ensembles concertants, il mène tambour battant (sans aucun) son monde, vif, incisif : train d’enfer pour un Rossini de paradis.

Production Angers Nantes Opéra


 Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale : Roberto Rizzi Brignoli
.
Mise en scène : Frédéric Bélier-Garcia
 ; Décors : Jacques Gabel ; 
Costumes : Catherine Leterrier

; Lumières : Roberto Venturi.
La Comtesse Adèle : Annick Massis ; Isolier : Stéphanie d’Oustrac ; Ragonde : Marie-Ange Todorovitch ; 
Alice : Diana Axentii ; Le Comte Ory : Marc Laho : Rimbaud : Jean-François Lapointe ;Le gouverneur : Nicolas Courjal ; Coryphée : Wilfried Tissot.




Photos : Christian Dresse :
1. Todorovitch, Lapointe, Axentii ;
2. Massis, Laho, d'Oustrac ;
3. Sérail des dames;
4. Massis et Laho en sœur Colette ;
5. Trio nocturne…

mercredi, mars 21, 2012

Jean-François Lapointe, baryton



Portrait de Jean-François Lapointe, baryton

Il y a peu, je brossais ici (01/02/12) un portrait de Stéphanie d’Oustrac, mezzo soprano, à l’occasion de son récital à Aix et de sa proche venue à l’Opéra de Marseille pour le Comte Ory de Rossini, qui se joue cette semaine, où elle tient le rôle d’un page travesti. Tel est le destin des voix graves dans l’opéra hérité du XIXe siècle, où, en général, ce sont les voix aiguës, soprani et ténors, qui tiennent les rôles de héros principaux, les voix graves étant en général les méchants empêcheurs de tourner en rond des amours harmonieuses entre les divas et les divos.
 Aujourd’hui, à l’occasion de sa participation à ce même ouvrage, je veux vous parler d’une autre voix grave, mais masculine, celle du baryton Jean-François Lapointe, habitué de notre scène. S’il n’a pas non plus ici le rôle principal, il n’en est pas moins un chanteur capital dans les emplois où le situe sa tessiture, sa catégorie vocale de « baryton lyrique aigu » tel qu’il aime à se définir.
Fort heureusement, si les mezzos ont à leur répertoire le rôle de Carmen, l’opéra le plus joué dans le monde, les barytons, à côté de rôles superbes, ont un autre personnage essentiel, presque couple avec cette séductrice, Don Giovanni, Don Juan de Mozart : en somme deux ouvrages qui, à eux seuls, pourraient à la fois résumer l’opéra tout entier et symboliser deux archétypes ou mythes fondamentaux de notre culture occidentale et sans doute universelle : la femme à hommes et l’homme à femmes, pour la simple surface, mais, en profondeur, deux êtres exceptionnels emblématisant la liberté humaine inaliénable, le libre arbitre, qu’ils défendent jusqu’à la mort face à la transcendance, au destin, ou à un Dieu vengeur qui écrase sa créature mais sans réussir à la soumettre. Ouvrages qui reposent essentiellement sur les épaules de la mezzo et du baryton qui incarnent ces héros hors du commun.

Justement, l’an dernier, l’Opéra de Marseille reprenait une magnifique production de ce Don Giovanni monté par Frédéric Bélier-Garcia, le metteur en scène de notre actuel Comte Ory. Lors de la création de cette production, j’avais déploré ce Don Giovanni paradoxalement sans Don Juan, car le chanteur qui en avait alors le rôle n’en possédait malheureusement pas l’envergure. Mais, avec la reprise par Jean-François Lapointe l’an dernier, ce personnage grandiose, enfin habité, prenait toute sa dimension de grand fauve, fier, farouche mais noble. Je me permets de rappeler ici ce que j’en écrivais l’an dernier :

«Don Juan, c’est Jean-François Lapointe : on connaît et apprécie depuis longtemps les grandes qualités de ce baryton, artiste complet. Il joue du texte et de la musique avec subtilité. Sa voix semble prendre la couleur ombreuse du héros dans les graves sans perdre la vaillance de coq éclatant d’aigus arrogants. C’est le prédateur mais qui sera pris quand il croyait prendre […] il lance sans faille, la folie fiévreuse d’un « air du champagne » brillantissime, joue du velours du séducteur, cravache et rudoie Elvire, Leporello, Masetto, avec la rudesse et brutalité de ce « grand seigneur méchant homme » pour Molière, ici grand fauve, fier, farouche, qui lance avec panache un extraordinaire la de défi au Commandeur. » Car l’ultime refus de se repentir du libertin au moment de sa mort, ce  « Non ! » qu’il crie sur cette note extrême pour un baryton n’est pratiquement jamais donnée par les chanteurs prudents.

Bref, un rôle qu’on aurait dit fait pour lui s’il avait connu Mozart.

Et pourtant, à côté de ce rôle flamboyant, brûlant, puisque Don Juan meurt dans le feu de l’enfer, sans doute pour renaître de ses cendres comme le désir après sa consommation et consumation, Lapointe est l’incarnation rêvée d’un personnage qui semble l’envers exact de ce héros libertin, fougueux et solaire, le lunaire, brumeux, aquatique, le romantique Pelléas de Debussy. C’est sans doute là son rôle fétiche, qu’il a interprété quelque deux cents fois dans le monde entier. Il y a quelques années, nous eûmes la chance de le découvrir à Marseille avec l’impression de redécouvrir ce personnage qu’il semblait recréer. En effet, ce rôle tout en délicatesse, court le risque, à trop vouloir le raffiner, de s’évanouir en évanescence, en afféterie affectée et éthérée à laquelle n’échappent pas certaines interprétations tombant dans la préciosité à trop forcer la finesse. Lapointe semblait trouver la juste mesure, la bonne manière sans maniérisme, une sorte de grâce sans gracieuseté, une tendresse forte, une ardeur, qui faisaient de la scène des cheveux de Mélisande, qui sombre souvent dans la mièvrerie romanticoïde, un vrai moment d’érotisme romantique mais viril. Son physique de jeune premier athlétique, auréolé de cheveux blonds, donnait comme une évidence à cette incarnation.

Dire donc qu’il s’est montré d’une étonnante justesse dramatique et musicale dans ces deux rôles majeurs aux pôles diamétralement opposés suffirait à donner la mesure de son talent et l’éventail de ses possibilités. Car cet artiste complet a également campé, toujours avec le même bonheur, ici à Marseille, Arlequin d’Ariadna auf Naxos de Richard Strauss, Mârouf, Savetier du Caire de Rabaud, Danilo de la Veuve joyeuse et on l’appréciera sans doute prochainement dans Escamillo de Carmen et il fut Mercutio de Roméo et Juliette de Gounod à Orange, Zurga des Pêcheurs de perles à Toulon, etc. D’autres scènes nationales et internationales ont applaudi la justesse étonnante de son jeu, l’élégance de son chant dans Hamlet d’Ambroise Thomas et, récemment, il a triomphé dans le rôle titre d’Eugène Onéguine de Tchaïkovski, deux premiers rôles pour baryton.

Mais ne croyons pas que Jean-François Lapointe soit voué aux rôles dramatiques. Il ne dédaigne pas l’opérette et, ce qu’il a chanté le plus, c’est l’air brillantissime et plein d’humour du Figaro du Barbier de Séville de Rossini qu’il a chanté au moins 600 fois.

BIOGRAPHIE
Jean-François Lapointe est né au Québec, et il est passionnément et fièrement Québécois. Jeune, à sept ans, il étudie d’abord le piano puis, jeune homme, à seize ans, sur les traces de son père, il se lance dans des études de chant, obtient d'une maîtrise en interprétation à l’Université Laval de Québec, heureuse université qui monte aussi des spectacles lyriques et forme d’excellents chanteurs et comédiens. Tout jeune, il est déjà sur les planches et se forme sur le tas, y polit son instinct de comédien chanteur et de chanteur comédien. Par ailleurs, il travaille la direction d’orchestre et dirige au moins une œuvre tous les deux ans. Ce qui explique que, sur scène, ce grand gaillard souple ne semble faire qu’un avec la musique qu’il joue et dont il joue : son jeu scénique, son expression et attitude sont toujours coulée dans la musique. Titulaire de nombreux prix qui couronnent ses débuts, Jean-François Lapointe s’est imposé sur les scènes lyriques internationales dans le répertoire français dont il est l’un des meilleurs défenseurs.
RÉCITALISTE
Concertiste, il se produit avec des orchestres symphoniques et en récital de mélodies accompagnées au piano.
Lapointe est un orfèvre de la langue française dans son expression la plus transcendée, la poésie, dans son expression la plus sublimée, la poésie chantée : son articulation, son art des hiatus expressifs, sa diction, son phrasé, d’une rare perfection, concourent à des interprétations aussi pensées que senties, à la fois intelligentes et sensibles. C’est du grand art sans artifice où le naturel est, en fait, une conquête de l’art. Cet amoureux de la langue française a eu l’heureuse idée de se pencher sur la poésie de Verlaine et sa mise en musique par Reynaldo Hahn, Fauré, Debussy et l’un de ses compatriotes, André Mathieu (1929-1968), dont il nous fait découvrir les compositions, enregistrées pour la première fois.


VERLAINE, Poètes maudits dans la mélodie française, Analekta

Chaque mélodie mériterait un commentaire particulier mais on appréciera d’Une prison le fameux poème de Verlaine qui se retrouve enfermé avoir tenté d’assassiner Rimbaud, mis en musique avec une subtilité toute française par Reynaldo Hahn. On aime cette confidence  méditative presque neutre posée comme le regard sur le ciel ouvert, cette cloche qui « doucement tinte » avec sérénité, puis cette voix désespérée qui semble vouloir faire éclater les murs de la prison aux regrets de la jeunesse dissipée. Délicatement et dramatiquement accompagné par le piano de Louise-Andrée Baril, avec une belle dynamique, Lapointe respecte toujours scrupuleusement les nuances piano, double piano et triple piano de la partition, offre des demi-teintes et des couleurs aussi doucement variées et soyeuses que les habits de soie des participants à ces Fêtes galantes. De Fauré, Clair de lune est un régal d’équilibre entre le son, le sens et l’accord entre la pianiste et le chanteur.
Dans ce disque on peut comparer avec intérêt comment Hahn, Fauré et Debussy traitent un même poème : « Mandoline », tiré des Fêtes galantes, retrouvant parfois les mêmes formules –ou rendant hommage successivement au devancier.

Un autre disque, Poème de l’amour et de la mer de Chausson, complété de mélodies de Duparc, même label Analekta et même pianiste, Louise-Andrée Baril (dont on appréciera la touche poétique perlée dans la fameuse Invitation au voyage de Baudelaire mise en musique par Duparc) offre à l’interprète une matière à la fois plus intimiste, murmure funèbre de la fin de l’amour, et en même temps puissante et exaltée, chez ces compositeurs puisant une énergie wagnérienne pour dire, en fait, la déliquescence raffinée ou putride comme le parfum morbide des lilas et des roses passées, « l’odeur fade du réséda » verlainien, embuée de nostalgie d’un temps perdu proustien, d’un monde à son couchant, crépusculaire ou brumeux, rêveur, d’une fin de siècle décadente, émolliente où les formes se dissolvent entre symbolisme et impressionnisme avant de sombrer dans le naufrage pressenti de l’Histoire.
Lapointe chante la mélodie comme l’opéra et l’opéra comme la mélodie avec autant de nuances mélodiques ici que de force lyrique là. Pas de pointillisme appuyé des phonèmes, des sons des mots, cela semble couler de source mais l’on sent les ressources d’un artiste intuitif, certes, instinctif, mais qui cultive et justifie l’intuition première par la recherche méticuleuse tant littéraire autour des personnages ou des poètes qu’il interprète et de la musique et du compositeur. Pour lui, le texte précède la musique qui procède du texte.

À écouter son Invitation au voyage si tonique au milieu de tant de mélancolie, on partirait volontiers avec Jean-François Lapointe sur les ondes de sa voix. En tous cas, on invite quelque label de disque à lui donner l’occasion de nous embarquer encore sur les flots de la poésie, de la musique et du chant,  peut-être en enregistrant des poèmes de Victor Hugo musiqués par de grands compositeurs et pourquoi par, Brassens.
Photos tirées du site officiel et de l'agence Vivaconcertino :
1. Portrait ;
2. En romantique Pelléas ;
3. En Eugène Oneguine de Tchaïkovski  (Phot. : L. Leblanc);
4. Quelques uns de ses disques.

vendredi, mars 16, 2012

MARS EN BAROQUE 2012 (1)

 
MARS EN BAROQUE 2012

Créé il y a dix ans, le Festival Mars en baroque, refleurit avec les beaux jours à Marseille pour le bonheur des mélomanes.
Si, parlant de baroque, l’on sait en général ce qu’il faut écouter, qu’entendre par Baroque ?
BAROQUE
Historiquement, on qualifie de « baroque » une vaste période historique et culturelle, artistique, de son aurore glacée du maniérisme à son crépuscule rose et mousseux du rococo, c’est-à-dire du dernier tiers du XVI e au milieu du XVIII e siècle. Le Baroque déploie un art vivifiant, chaud, théâtral, monumental, dans tous les domaines des arts, littérature, peinture, architecture, musique, etc. En peinture, on classe dans cette catégorie les frères Carrache, Caravage, Artemisia, Rubens, Rembrandt, Velázquez, La Tour, le Lorrain, Champaigne, etc ; en architecture le Bernin, Borromini, Puget ; en littérature, Cervantes, Calderón, Corneille ; etc, etc ; en musique, Monteverdi, Lully, Purcell, Vivaldi, Bach, etc.
Né en Italie, le Baroque devient cosmopolite et international avec les grandes découvertes des Espagnols et Portugais qui l’exportent aux quatre coins du monde. C’est donc un art migrant, émigrant, immigré, s’adaptant partout et adoptant des modalités locales, hétérogène fait d’agglomérations et de mélanges est un art métissé. Le Baroque, en ses visages, virages, rivages, ses rives et ses dérives, fait donc escale logique chez nous : mars à Marseille, ville de tous les mélanges, mais non Mars,  le dieu belliqueux de la guerre mais celui de la Musique, de l’harmonie universelle.
Avec à sa tête le claveciniste marseillais Jean-Marc Aymes, professeur de clavecin au Conservatoire National de Lyon, Mars en baroque, initialement, se love amoureusement, (en anglais et en français ici, mais dans la langue universelle de la musique) dans l’écrin délicat de l’architecture romane remaniée en gothique, et avec des consoles d’arcs baroques tardifs, de la chapelle de Sainte-Catherine, face à la Tourette, à la tour du Roi René, dominant le Vieux-Port et en regard de la Vierge de la Garde. Mais il a essaimé, dans d’autres lieux emblématiques, les rares joyaux de l’architecture religieuse marseillaise, tels la chapelle ovoïde, de Puget, de la Vieille Charité, à Saint-Victor, pour les concerts, mais avec des manifestations dans d’autres endroits, notamment pour les conférences et films, Bibliothèque de l’Alcazar, Archives Départementales Gaston Defferre, cinéma les Variétés, Institut italien. Beau succès de la première conférence à l'Alcazar, sur Caravage et Gesualdo par Martine Vasselin, professeur d'histoire de l'art à l'Université et Provence et Jean-Marc Aymes, qui a failli déclencher une émeute par le public nombreux dépité de ne pouvoir entrer dans une salle comble! Au point qu'il faudra la refaire en un lieu et une date encore inconnus. de même, le film sur le Caravage aux Variétés, initialement prévu sur un seul jour, sera repris trois fois. Bref, le dixième festival a bien commencé par l'illustration de son intitulé de 21012 : Passion(s) et débordements.
CONCERTO SOAVE
Mars en baroque repose sur deux ensembles instrumentaux, l’un Euterpes, dévolu à la musique du XVIII e siècle, l’autre Concerto soave, à celle du précoce XVII e siècle.
Concerto soave est né de la rencontre de la soprano argentine María Cristina Kiehr et Jean-Marc Aymes. La première est une chanteuse très prisée par les plus fameux ensembles baroques et a déjà à son actif une centaine de disques. Aymes, lui, s’est voué à enregistrer l’œuvre intégrale pour clavecin de Girolamo Frescobaldi, acclamé par la critique.
Plus particulièrement consacré à la musique italienne du seicento, du XVIII e siècle, donc, Concerto soave a promené ses concerts à travers le monde) et ses enregistrements pour Harmonia Mundi ou le Label Ambronay marquent le paysage musical baroque. L’ensemble est ainsi devenu une référence pour l’interprétation de la musique italienne, interprétation où le respect des œuvres n’a d’autre but que d’en décupler le pouvoir émotionnel, la suavité et le mystère.

Il canto delle dame : justice pour les dames
À l’actif de Concerto soave, nombre de disques. J’en retiens un, d'actualité : Il canto delle dame, label Ambronay, ‘La chant des dames’. Ce disque a la particularité de ne comporter que des musiques de femmes compositrices, italiennes, de la première moitié du XVII e siècle. On y trouve, entre autres, les célèbres Barbara Strozzi, Francesca Caccini, la fille du fameux Caccini, la première femme à avoir écrit un opéra. On retiendra que certaines furent admises en Italie, dans des « Académies » où régnaient les hommes, et même Artemisa Gentileschi, femme peintre (le mot n’a pas de féminin en français), fut admise en 1616 dans la savante Accademia del Disegno de Florence. Je rappelle qu’en France, la première femme à être admise à l’Académie française fut  Marguerite Yourcenar… en 1980. Une grande exposition sera consacrée  à Paris d’avril à juillet à ce génie féminin de la peinture, célèbre d’abord par le retentissant procès à Rome après son viol par un peintre travaillant avec son père. Il est donc heureux que Concerto soave ait mis l’accent musical sur ces femmes trop oubliées par l’histoire artistique officielle des hommes et l'on suggère de coupler un jour musique et peinture au féminin.
DIXIÈME FESTIVAL : débordements et passion
Mais le Baroque est l’époque où l’on se passionne pour la passion, les affects, que l’on étudie, que l’on répertorie (Même Descartes écrit un Traité des passions), dont on trace un rhétorique que l’on retrouve en peinture (attitudes, couleurs qui trahissent les sentiments) et en musique. C’es passions sont souvent extrêmes, ce qui explique que le Dixième Festival mars en Baroque, ait choisi le titre qui fait son programme : Passion(s) et débordements. On pourrait symboliser ces excès chez deux grands artistes du temps, Gesualdo, Prince de Venosa, et Caravage, qui révolutionna la peinture. Car leurs débordements, manifestes dans leur œuvre, le furent aussi dans leur vie : Gesualdo, assassina sa femme et son amants, Caravage, à la turbulente vie, assassina diverses personnes et fut lui-même assassiné.
Mais que l’on se rassure, parmi ces excessifs fréquentables, on trouve La Fontaine et ses contes libertins assortis de musique, Corelli, Scarlatti, etc, des conférences qui introduiront les concerts ou illustrées par des films. Et, à noter, une création contemporaine, La Passion selon Marie de Zad Moultaka en clôture, à Saint-Victor. Les tarifs vont de 7 à 20 € et les billets se prennent dans les lieux habituels, dont l’Espace culture.
Le programme détaillé est sur le site www.concerto-soave.com

PROGRAMME de MARS EN BAROQUE 2012

MERCREDI 14 MARS, 20H, Archives départementales Gaston Defferre
CONCERT : La Fontaine de Vénus (Caroline Pelon, soprano ; Christophe Gravouil, conteur), ENSEMBLE LA FENICE Jean Tubéry 
JEUDI 15 MARS Cinéma Les Variétés18H  CONFÉRENCE : Caravage et Gesualdo, assassins et  artistes (Martine Vasselin, Jean-Marc Aymes), Apéritif  italien 20H FILM : Caravaggio (1986 – Derek Jarman)
SAMEDI 17 MARS, Église Saint-Laurent, Journée « Excès italiens »  11H CONCERT : Sonates de Domenico Scarlatti (Nicolau de Figueiredo  clavecin) 15H30 CONCERT : Sonates pour violon d’Arcangelo  Corelli (Odile Edouard violon) CONCERT Motets & Madrigaux de Carlo Gesualdo (CONCERTO  SOAVE  Jean-Marc Aymes) 20H
MARDI 20 MARS, 18H, Institut Culturel  Italien, FILM : Voluptas Dolendi / I gesti del Caravaggio
MERCREDI 21 MARS, 17H, Bibliothèque  l'Alcazar 
CONFÉRENCE : Patrick  Barbier : Farinelli et l’âge d’or des castrats
MERCREDI 21 MARS, 20H, Église Saint-Laurent,
CONCERT : Arie per un Divo,  L’art des castrats en  Italie, Magid El-Bushra contre-ténor, ENSEMBLE FILIGRANE
JEUDI 22 MARS, 12H30, Chapelle de la Vieille  Charité 
CONCERT JEUNE TALENT : Ronan Khalil, clavecin, Cyrielle  Eberhardt, violon 
MARDI 27 MARS, 12H30, Chapelle de la Vieille  Charité 
CONCERT JEUNE TALENT : Calliopé Chaillan, clavecin 
MERCREDI 28 MARS, 12H30, Chapelle de la Vieille  Charité 
CONCERT JEUNE TALENT, : Kazuya Gunji, clavecin
JEUDI 29 MARS, 20H15, Abbaye de Saint -Victor CONCERT : La Passion selon Marie, de Zad Moultaka,(María Cristina Kiehr soprano, CONCERTO SOAVE, Jean-Marc Aymes), CHŒUR DE  CHAMBRE LES ÉLÉMENTS (Joël Suhubiette).

Photos :
1. Jean-Marc Aymes;
2.  María Cristina Kiehr 
3. Concerto soave (photos Bertrand Pichène)
4, 5, 6, 7 : quelques disques de Concerto soave.



vendredi, mars 09, 2012

DE GUILBERT À KURT WEILL



DE GUILBERT À KURT WEILL
Chansons à textes et à voix
Marseille,
Cité de la Musique
24 février 2012
De Jean-Paul Serra, animateur de Baroques-graffiti on connaît le talent de claveciniste, l’expert ès claviers, du piano forte à l’orgue, le partenaire accompagnateur occasionnel de chanteurs lyriques : nous le découvrons ce soir comparse et complice d’une soprano devenue « diseuse », dans une soirée cabaret, légère et de qualité.
Une simple chaise devant une table bistro, deux châles, suffiront à la soprano Nathalie Joly pour créer des atmosphères et camper des personnages, d’abord à travers les chansons interprétées ou composées par Yvette Guilbert (1865-1944), quelques couplets réalistes de Marie Dubas et Fréhel, et, enfin des « songs » de Kurt Weill : bref, une jolie promenade du Caf’conc’ parisien au cabaret viennois ou berlinois passé par Paris.
La chanteuse, si elle se garde bien d’imiter l’inimitable Guilbert dont les disques perpétuent le souvenir et la savoureuse et rocailleuse façon de rouler les r, fait sienne une façon de dire et chantonner le texte, entre chant et parole, qui tient de ce sprechgesang, ce parlé-chanté dont il faut rappeler que Schönberg, peintre également, alla le chercher dans les cabarets viennois, tout comme Toulouse-Lautrec trouva aussi son inspiration dans les cafés chantants, laissant d’inoubliables portraits d’Yvette Guilbert. Lieux finalement où racaille et canaille, bourgeois en goguette et grisettes, artistes, intellectuels, se retrouvaient joyeusement, d’où la création souvent audacieuse naissait de ce mélange étonnant ou détonnant. Ainsi, les textes de Guilbert (qui intéressa Freud) sont de vraies créations parolières : leurs rimes et répétitions, recherche de sens et de sons, ont souvent un comique percutant, une cocasserie coruscante, clownesque, qui occulte un grand art pour qui ne sait entendre ce qu’il écoute et ce qu’il en coûte.
Et c’est justement l’art de l’interprète, ici Nathalie Joly, de distiller, d’aciduler, passant de la voix de poitrine à la voix de tête, de ce « recitar col canto’, de ce ‘réciter en chantant’ comme disaient les premiers théoriciens florentins de l’opéra, ou plutôt, du théâtre lyrique, mettant en valeur la phrase, dans la phrase, le mot, et les chutes inattendues et plaisantes, la pointe de la fin des vers. Mordante, piquante, gouailleuse, suivie et commentée par le piano railleur de Serra qui se plaît à improviser de coquettes ou coquines broderies à ces mélodies toujours simples sinon simplettes, elle nous régale avec J’en suis pas sûre, La Pierreuse des fortifs’ appelant son mec et mac à la rescousse contre le bourge jobard ; ivresse des mots de Je suis pocharde, hilarante Complainte des quatre-z-étudiants, l’inénarrable chiasme rhétorique de la Partie carrée entre les Boudin et les Bouton, etc. Elle rend à Marie Dubas, chanteuse réaliste, la préséance de la création de Mon légionnaire avant Piaf, pleine de nostalgie charnelle et de fatalisme romantique, d’une voix lyrique aiguë qui surprend notre habitude des voix graves et sombres pour ce rauque répertoire. Mais elle en reprend un étonnant et irrésistible chef-d’œuvre comique, le stupéfiant Tango stupéfiant par les trouvailles drôles, drolatiques des drogues insolites, naphtaline, eucalyptus, eau de Javel, etc, humées ou injectées. Avec aussi Fréhel, elle nous fait franchir le pas, de la porte, du cabaret au trottoir ou aux passantes maisons closes.




Transition toute trouvée avec l’univers cruel de Kurt Weill (1900-1950) semant, dans sa fuite des nazis allemands, des joyaux sur son passage, des chansons amères, désabusées, désespérées, disant les dessous peu ragoûtants des égouts du fleuve parisien (Au fond de la Seine), les ruptures (Je ne t’aime pas), le lapin posé à la femme qui attend vainement au café. Sous la jupe, la jambe joliment gainée d’un bas, accoudée à la table du bistro, la chanteuse joue intensément le drame du fameux Surabaya Johnny, la plainte et complainte masochiste de la femme aimante et amante à l’amant ou mac indifférent et cruel. L’expression est juste, les effets font mouche. Cependant dans le tango-habanera Youkali, balancé d’espérance, fausse utopie déchirante, l’option choisie de ce parlé-chanté ne fonctionne plus dans cet air très lyrique et, peut-être fatigués entre ce passage perpétuel entre les registres, les difficiles aigus accusent un peu les limites ou de la voix ou du style choisi, du moins pour ce final, qui n’entache cependant pas la réussite de l’ensemble.
On notera que Nathalie Joly, saluée par la critique, promène dans le monde un spectacle avec les chansons d'Yvette Guilbert  et de sa correspondance avec Freud et  que l'on en trouve un CD. 
Photos :
1. Affiche du spectacle en tournée;
2. Photo Yves Prince ;
3. Dates de la tournée 2012.

On retrouvera Baroques-graffiti autour de Mozart  et du concerto, avec Jean-Paul Serra au pianoforte, le jeudi 15 mars à Arles (Temple réformé), 20 heures, et le vendredi 16, 20h30 à la Bastide de la Magalone, Marseille (15 et 12 €). Le mercredi 14 mars, à17 heures, Jean-Paul Serra  donnera une conférence, illustrée par les musiciens de l'ensemble, à l'Alcazar de Marseille (entrée gratuite).



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