Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
Ci-dessous : liens vers les sites internet de certains de ces supports.

L'auteur

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Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

mardi, décembre 24, 2013

FLAMENCO

TEL UN ENVOL D'OISEAU REBELLE…

VEND 31 JANVIER et SAM 1er FEVRIER 2014
TABLAOS à SOLEA
avec 
PATRICIA GUERRERO 
Prix Giraldillo de la dernière biennale de Séville en tant quArtiste Révélation en 2012
Patricia Guerrero est un phénomène à part, une danseuse classique et flamenca hors norme qui a franchi les étapes dune carrière brillante à toute vitesse: Danseuse de la Compagnie de Mario Maya, premiers prix d Ubrique et de la Union à 17 ans, première danseuse du Ballet Andalou sous la direction de Rubén Olmo. Elle tourne dans les plus grands théâtres et festivals du monde. On la vue dans le film "Flamenco Flamenco" de Carlos Saura, en tant que soliste dansant une guajira splendide.
Nous n'avons pas hésité à faire appel à Pepe de Pura, l'un des meilleurs cantaores de Séville, pour l'accompagner. 
A la guitarra
PEPE FERNANDEZ
Al Cante
PEPE DE PURA
TONY FERNANDEZ

CENTRE SOLEÁ, 68; RUE SAINTE, 13001 MARSEILLE, TÉL. : 04 91 54 70 55


www.centresolea.org
MARIA PÉREZ
Chorégraphe, directrice du Centre Solea
Centre Solea - 68, rue Saint
e - 13001 Marseille - Tél : 04 91 54 70 55
Centre Solea - 68, rue Sainte - 13001 Marseille - Tél : 04 91 54 70 55



LE CORBUSIER/GILBERT AMY


LE CORBUSIER/ GILBERT AMY
ÉMISSION
Enregistrement 2/12/2013, passage, semaine du 16/12/2013
RADIO DIALOGUE (Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)
« LE BLOG-NOTE DE BENITO » N° 106
 Lundi : 10h45 et 17h45 ; samedi : 12h45

(Les exemples musicaux du disque sont évidemment supprimés) 

        Marseille, Capitale européenne de la culture 2013 vit ses derniers instants, brille de ses derniers feux.  Je voudrais ici inviter ceux qui ne l’ont vue, à courir à la dernière grande exposition, la plus originale et complète à mes yeux, qui demeure encore pour une semaine, Le Corbusier et la question du brutalisme, LC au J1, Place de la Joliette, jusqu'au 22 décembre. Le Corbusier, né en Suisse, de son vrai nom Charles-Édouard Jeanneret-Gris (1887-1965) est connu à Marseille pour sa célèbre unité d’habitation construite entre 1945 et 1952, mais l’exposition rappelle qu’il fut non seulement architecte mais aussi homme de lettres, dessinateur, peintre, sculpteur, théoricien de l’art moderne dans une revue trop peu représentée, l’Esprit nouveau et, hélas, on oublie qu’il avait des sympathies fascistes.
          Je voudrais également associer à ce grand architecte un grand compositeur français de notre temps, Gilbert Amy, dont un disque récent constitué de deux CD, chez Soupir Editions a enregistré ses Litanies pour Ronchamp. Ronchamp, Notre-Dame-du-Haut, c’est la chapelle moderne, simple, harmonieuse, toute en courbes maternelles, répondant à celles des vallons, que Le Corbusier, athée mais mystique du progrès humain, édifia entre 1950 et 1955 en Haute- Saône. Le Corbusier résumait son dessein : « créer un lieu de silence, de prière, de paix, de joie intérieure ».

        Vu d’en bas, la chapelle semble un vaisseau de pierre à l’étrave fendant les flots verts de la prairie qui l’entoure, avec son toit triangulaire comme des ailes ou une voile, au sommet d’une colline d’où elle semble prête à prendre son envol : malgré sa masse, par ses proportions réduites, elle semble légère. À l’intérieur, elle est lumineuse, éclairée de vitraux modernes qui selon l’heure, teignent selon la course du soleil, de couleurs pures, bleu, rouge, jaune, vert, l’apparente rudesse du béton cru ou tempèrent d’arc-en-ciels tendres la noblesse grise du béton.

      C’est cela, ce matériau brut, dans sa pureté, sa dignité naturelle, originelle, béton, bois, métal, sans l’artifice d’un polissage mondain ou le fard du plâtre poli, et encore moins du stuc déguisé en faux marbre, que l’on appelle « le brutalisme ». Le terme prête à confusion et n’est pas de Le Corbusier lui-même mais d’un critique anglais, pour désigner son esthétique : rendre aux matériaux leur vérité première qui correspond à son éthique, pour y loger, lover l’homme rendu quelque peu aussi à la nature même en milieu urbain. A l’image des architectes mauresques de l’Alhambra de Grenade, qui, loin de clore et cloisonner, de murer les pièces, ouvraient ce palais sur la nature environnante, Le Corbusier désirait, par de grandes baies, faire entrer le paysage dans la demeure, dans l’intimité de l’homme. Nous en avons un modèle exemplaire dans sa célèbre Cité Radieuse, communément appelée le Corbusier, et non sottement ou amicalement « Maison du fada » que l’on vient visiter du monde entier, hélas gravement endommagée par un incendie il y a plus d'un an.

         Quant à Gilbert Amy, Né en 1936 à Paris, il est non seulement chef d’orchestre mais compositeur joué dans le monde entier, couronné de prix prestigieux. Notre première pause musicale, est un extrait de ses Litanies pour Ronchamp, créées  dans la chapelle même en 2005, 50e anniversaire de sa création.  C’est interprété par l’Ensemble Solistes XXI, le Quatuor Parisii, les chantres Dominique Vellard et Emmanuel Virstorky, le percussionniste Abel Billard sous la direction de Rachid Safir.
     Rien qu'à écouter le « Sancta Maria, ora pro nobis », ‘Sainte Marie, priez pour nous…’, on sent, en entend déjà qu'il n'y a pas de solution de continuité entre ces graves notes médiévales qui se déployaient dans la majesté résonante des longues nefs gothiques et le traitement respectueux, affectueux d'un compositeur de notre temps. On  sent que la musique contemporaine, par ses couleurs peut-être insolites pour une oreille profane, retrouve le charme mystérieux et ancestral de la musique grégorienne et semble nous venir du fond des âges.


         « L’architecture, écrit Le Corbusier, est le jeu savant, correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière ». Mais c’est quoi, la musique, sinon une architecture sonore, tout comme l’architecture est une musique muette : une science, un art des proportions, toutes deux d’origine physique, matérielle l’une, sonore l’autre. Il n’est pas étonnant que nombre de compositeurs se soient interrogés sur les rapports entre l’architecture et la musique, comme le Grec Yannis Xenakis (1922-2001) par ailleurs assistant de Le Corbusier. Tout près de nous, Frédéric Flamand, le Belge architecte et chorégraphe, directeur du BNM de Marseille, dont on vient d’apprécier la mise en scène d’Orphée et Eurydice, située dans une cité onirique.
    La musique ne se joue pas indifféremment dans des lieux indifférents : elle est spatialisée, elle sonne différemment selon l’espace, un plein air ou un lieu clos, et, selon le lieu où vous êtes placé, près, loin, de face, de côté, vous la recevrez différemment. Les grandes nefs des cathédrales gothiques, ombrées de résonances profondes, semblent faites pour la lenteur majestueuse du plain chant, c’est-à-dire, le chant ‘plat comme une plaine’, peu rythmé, qui s’étale langoureusement dans la longueur pleine et les lignes droites de ce vaste espace qui s’offre à la prolongation infinie des voix. Jouez dans ce même lieu un rythme baroque vif et rapide et les échos, les résonances excessives en font une bouillie sonore déplaisante, alors que cette musique vive, pleine de contrastes, s’ajuste parfaitement au style rocaille, aux lignes brisées.
 À preuve encore, de Gilbert Lamy, tout inspiré de médiévalisme grégorien, son « Gaude Maria »  dont l’origine ancienne se moule avec bonheur au creux lumineux et serein de la chapelle moderne de Ronchamp.

      Les litanies sont de longues prières en l'honneur de Dieu, des saints, ou comme ici, de la Vierge. Ourlées d’ombres médiévales anciennes, les Litanies pour Ronchamp, que nous offre le compositeur Gilbert Amy se présentent comme un pèlerinage d’autrefois dans un langage musical d’aujourd’hui, qui conduit à cette architecture religieuse sur un site au départ païen, puis chrétien, incendié puis détruit pendant la guerre et enfin renouvelé par Le Corbusier. Et, de même que cette construction est faite de matériaux divers dignifiés par une esthétique nouvelle, cette composition s’édifie, de façon édifiante, sur le dialogue, le duo, le chant choral entre diverses esthétiques musicales à travers le temps, allant du plain-chant et de la polyphonie médiévale à la musique d’aujourd’hui, englobant amoureusement un adagio pour cordes du XV e quatuor à cordes de Beethoven, mêlant la voix des chantres liturgiques à celle des chanteurs lyriques des Solistes XXI, alliés aux percussions et à cette poétique cloche verticale. Sans impression de rupture, sans sacrilège, du privilège de ce mélange fécond naissent de nouveaux échos, de nouvelles résonances qui, finalement, semblent hors du temps, intemporelles, planant dans une sorte d’éternité. Tel le « Je vous salue, Marie » qui cite l’Annonciation,  annonce Noël, qui déploie un envol lent, émouvant, d'une polyphonie d'aujourd'hui dont les lignes de fuites se fondent à la polyphonie d'autrefois, actualisée, éternisée dans notre aujourd'hui.

Photos Benito Pelegrín

samedi, décembre 14, 2013

jeudi, décembre 12, 2013

mercredi, décembre 11, 2013

DISQUE



Chronique de disque

Nabucco, dialogo a sei voci (Messine, 1683), oratorio. Musique de Michelangelo Falvetti (1642–1692),  livret de Vincenzo Giattini, un enregistrement Ambronay par la Cappella Mediterranea dirigée par Leonardo García Alarcón, Chœur de chambre de Namur

     Les fêtes approchent à grands pas. On se doit de signaler les mérites de certains disques qui sortent de l’ordinaire et ceux de celui-ci sont grands puisqu’il exhume une œuvre magnifique dans une magnifique réalisation phonographique. Il s’appelle Nabucco.
Nabucco ? Les passionnés d’opéra penseront aussitôt à l’ouvrage de Verdi, à l’origine, Nabuchodonosor, heureusement raccourci en Nabucco, créé en 1842 à la Scala de Milan. Le chœur célèbre, chanté par les Hébreux déportés et esclaves à Babylone, « Va pensiero… », qui évoque tendrement et doucement, avec une poignante nostalgie, le pays lointain et perdu (« Ô, ma Patrie, si belle… ») devint vite l’hymne national révolutionnaire d’une Italie pas encore unifiée, sous la coupe autrichienne. Spontanément, les milliers d’Italiens suivant le cortège mortuaire de Verdi en 1901 entonnèrent ce chant devenu une sorte d’hymne national, sinon officiel, du cœur. Eh bien, non, ce Nabucco n’est pas celui de Verdi, même s’il s’inspire du même monarque chaldéen : il s’agit de Nabuchodonosor II, Roi de Babylone, entre 604 et 562  avant JC. C’est l’œuvre d’un compositeur pratiquement inconnu aujourd’hui, bien plus ancien, que l’on redécouvre.

Nabuccco, Falvetti
     Ce Nabucco, Nabuchosonosor II, est un héros paradoxal, tyran, presque instaurateur d’une religion personnelle, mais restaurateur en son propre pays du culte au Dieu d’Israël. C’est le roi bâtisseur des fameux jardins suspendus de Babylone, l’une des sept merveilles du monde de l’Antiquité. Il est finalement immortalisé par la Bible, par le Livre de Daniel. Son prestige demeure si grand encore aujourd’hui que Saddam Hussein se considérait lui-même comme un successeur héritier de sa grandeur et avait placé l'inscription « Du roi Nabuchodonosor dans le règne de Saddam Hussein » sur les briques des murs de l'ancienne cité de Babylone, près de la Bagdad d’aujourd’hui, qu’il rêvait de reconstruire : et tant de ruines dans cette Syrie d’aujourd’hui !

   On sait peu de chose du compositeur Michelangelo Falvetti, dont la récente redécouverte d’un autre oratorio, Il diluvio universale, enregistré par la même équipe, fit sensation. C’était un Calabrais ayant fait carrière en Sicile, c’est-à-dire dans le même état espagnol du Royaume des Deux Siciles, l’insulaire et la péninsulaire, comprenant le Royaume de Naples et la Sicile, qui était espagnole, ou plutôt aragonaise, depuis les fameuses « Vêpres Siciliennes » de 1282, d'où l'absurdité historique de parler, comme on a pu le lire, "d'occupation espagnole" pour un territoire qui formait légitimement partie de la couronne d'Espagne depuis des siècles. C’était forcément un musicien officiel puisque les compositeurs et la plupart des artistes dépendaient des commandes que leur faisaient l’Église ou la Cour vice-royale espagnole.
       Falvetti et son librettiste, contrairement au postérieur Nabucco de Verdi, très romantiquement romancé, sont très fidèles au texte de Daniel qu’il eût été inconvenant de transformer dans un oratorio biblique, opéra religieux, que tout le monde connaissait en un temps de culture catholique officielle.
     Selon la Bible, je cite Livre de Daniel (Da 1 :1-3), vainqueur des Juifs, Nabuchodonosor amena captifs à Babylone
     « Daniel, Ananias et Misael, qui étaient de race royale, et que le roi de Babylone fit élever à sa cour dans la langue et les sciences des Chaldéens, afin qu'ils pussent servir dans le palais. »

   Ce monarque traite bien ses captifs, ses otages sans doute. Daniel, qui le raconte lui-même dans ce livre biblique, gagne la confiance de Nabuchodonosor, il devient pratiquement un sage conseiller : un jour, au réveil, il explique au roi le songe qui l’épouvante de la fameuse statue immense, d’or, d’argent, d’airain, mais aux pieds d’argile qu’une petite pierre tombée de la montagne, réduit en poudre. (Da 1 :1-44). D’où l’expression : « un colosse aux pieds d’argile ». Dans l’ouvrage, c’est l’occasion d’un très bel air désabusé du monarque, une « vanité » musicale sur la fragilité des choses d’ici-bas, chanté par l’expressif ténor Fernando Guimarães qui prête à Nabucco, ombres et lumière de la voix, ses doutes, bien baroques, sur la vanité de la puissance et de la richesse pour être heureux en ce monde : « Per non vivere infelice, ah ! non basta l’esser re … », ‘Pour n’être pas malheureux, il ne suffit pas d’être roi… »

     Cette vanité du monde, chantée par le Roi des rois lui-même, est la l’exacte expression d’une morale religieuse stricte, certes biblique, mais réactualisée par le Concile de Trente (1545-1563), par la Contre-Réforme catholique qui, depuis un siècle, avait imposé ses thèmes et ses formes non seulement à la religion mais à l’art tout entier, a fortiori à cette forme artistique religieuse qu’était l’oratorio depuis 1600, date du premier.
    À peine entend-on Daniel, après cette réflexion désabusée du roi, faire un commentaire qui prévoit la proche mégalomanie de ce puissant du monde qui va amener la suite :  Nabucco, puissance temporelle, dans son orgueil, voudra se mesurer au Ciel, la puissance spirituelle. Daniel, c’est la basse Alejandro Meerapfel qui lui donne de sombres couleurs prophétiques qui anticipent non tant les imprécations que la profondeur caverneuse d’un futur Iokanaan de SaloméEt, en effet, le roi conquérant, maître du monde, dans sa superbe ville de Babylone, près de laquelle déjà fut érigée aux origines du monde la présomptueuse tour de Babel qui prétendait escalader le Ciel, méprisant la leçon de son rêve sur la statue colossale aux pieds d’argile, se fait construire une statue immense statue d’or, toujours selon Daniel :

     « et fit publier par un héraut que tous ses sujets eussent à adorer cette statue […] sous peine, contre ceux qui y contreviendraient, d'être jetés dans une fournaise ardente. »

       Or, trois jeunes gens juifs, ici devenus trois enfants pour que ce soit plus pathétique, proches amis de Daniel, non seulement éclatent de rire mais déclarent au monarque étonné par cette audace, qu’ils ne révéraient que le seul Dieu d’Israël et qu’ils ne craignaient pas les flammes.

     « […] À ces mots, le roi les fit lier, et jeter dans la fournaise [mais] la flamme brûla les hommes qui les y avaient jetés ».

        Mais elle épargna les enfants. L’oratorio s’achève sur le chant de louanges à Dieu et au Saint-esprit qui a sauvé les enfants.
         Cependant, le livre de Daniel rend justice à Nabuchodonosor ému et pris de remords de son terrible châtiment (Da 4 :1-3) envers des enfants sauvés par leur foi :

        «Alors Nabuchodonosor rendit gloire Au Dieu [des enfants dont il] reconnut [l]a puissance et [l]a majesté, et ordonna que quiconque aurait proféré un blasphème contre le Seigneur, le Dieu des Hébreux, serait mis à mort, et sa maison changée en un lieu souillé et impur. Il éleva en dignité les trois Hébreux dans la province de Babylone, et donna un édit dans lequel il publia la grandeur du Dieu des Juifs, et raconta ce qui lui était arrivé ensuite du songe. »

     De l’ouverture à la fin, même s’il y a d’inévitables petites baisses de tension pour un oreille d’aujourd’hui, on se laisse porter par ce flux mélodique de la ligne que le chef nourrit, dans la réalisation de la basse et du dessus, d’instruments baroques traditionnels, clavecin, orgue, archiluth, avec, flottant comme air et nuages, le nappage de cordes aérées de vagues de couleurs doucement méditerranéennes grâce au souffle de vents de timbres et d’instruments orientaux, ney, duduk, kaval, mêlés délicatement aux cornet et flûtes à bec, au chalumeau, galoubet et saqueboutes, donnant une saveur venue d’ailleurs, à la fois proche et lointaine, intemporelle et actuelle. Le Prologue allégorique à trois voix, entre l’Orgueil (Capucine Keller), l’Idolâtrie (Mariana Flores) et l’Euphrate (Matteo Bellotto) est magnifique avec l’écoulement harmonieux et mystérieux du fleuve qui anticipe quelque peu, par sa poésie, l’introduction à l’air des Champ-Élysées de l’Orphée de Gluck. Chanté Magdalena Padilla Osvaldes, le récit du miracle des enfants dans le feu est un moment de grâce.

       Par ses procédés déjà fixés par la rhétorique baroque et des thèmes obligés (cours d’eau, sommeil, etc), par certaines formes encore souples d’airs entre arioso et aria, précédés et suivis de récitatifs, l’ouvrage est par ailleurs intéressant, à la charnière entre le dramma per musica post montéverdien, vénitien, et ce que va être l’opéra baroque international bientôt forgé et figé dans la voisine Naples, avec ses schémas d’arie da capo dont on prête la paternité justement au Sicilien Alessandro Scarlatti 1660-1725). Une réussite.

Michelangelo Falvetti (1642-1692) : Il dialogo del Nabucco.
Leonardo García Alarcón, direction. Avec la la Cappella Mediterranea :
Fernando Guimaraes, ténor, Alejandro Meerapfel, basse, Fabian Schofrin, contre-ténor, Caroline Weynants, soprano, Mariana Flores, soprano, Magdalena Padilla Olivares,  Matteo Bellotto, Capucine Keller, , , Chœur de chambre de Namur.
Un CD Ambronay éditions AMY 036.

PHOTO : © Bertrand Pichène





mercredi, décembre 04, 2013

mardi, décembre 03, 2013

ANNONCE THÉÂTRE


Mademoiselle Else


     Adaptation théâtrale, mise en scène par 
Jean-Claude NIETO, 
de l'œuvre de l'écrivain autrichien
Arthur Schnitzler. 


           Else, belle jeune fille, alors que son esprit vagabonde dans les fantasmes de sa sexualité naissante,voit son corps "mis à prix" pour sauver ses parents endettés. Dans une confusion de sentiments mais aussi d'une lente dérive personnelle, elle se sentira obligée de s'exécuter... Portrait de femme émouvant et sensible.



Jeudi 12 Décembre 2013 à 20h30 ,Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence

RÉSERVATIONS : 08 2013 2013 (du mardi au vendredi de 11h à 20h). Possibilité de régler au tél par CB et de récupérer les billets le soir du spectacle  -au Théâtre du Jeu de Paume : 21, rue de l'Opéra – Aix-en-Provence - du mardi au vendredi de 13h à 18h www.fnac. <http://www.fnac.fr/> f <http://www.fnac.fr/> r <http://www.fnac.fr/ www.francebillet.com <http://www.francebillet.com/ www.carrefour.fr <http://www.carrefour.fr/>

OPÉRA DANSÉ


ORPHÉE ET EURYDICE
de Christoph Willibald, Ritter von Gluck, 1762,
Livret de Ranieri de' Calzabigi, texte français de Pierre-Louis Moline (1774)
Version Berlioz de 1859
Opéra de Marseille, 30 novembre 2013

L’OREILLE ET L’ŒIL


Le mythe d’Orphée
           Dans la mythologie grecque, Orphée était fils du roi de Thrace et de la nymphe Calliope, une muse, et les muses étant vouées à la musique ; musicien et chanteur, il est le héros de nombre d’aventure. Par sa musique, les fleuves s’arrêtent de couler ; il adoucit les bêtes féroces, attendrit même les rocs. Il épouse la belle dryade, une nymphe, Eurydice. Piquée par un serpent, elle meurt. Ne se résignant pas à sa perte, il décide de descendre dans les Enfers de la mythologie, donc froids et souterrains (ce n’est pas l’Enfer chrétien) pour tenter de la ramener au jour et au monde des vivants. Par la beauté de son chant, il arrive à émouvoir le chien Cerbère, féroce gardien, puis le dieu des Enfers qui lui permet de ramener Eurydice sur terre à condition de ne pas se retourner et la regarder avant d’avoir atteint la lumière. Or, le demi-dieu Orphée selon la tradition baroque, vainqueur de la nature et des Enfers par sa part divine, la musique, trop humain, n’arrive pas à se vaincre lui-même : cédant aux prières de sa femme qui ne comprend pas qu’il ne daigne pas la regarder, il se retourne et perd sa chère épouse à jamais.


De Monteverdi à Gluck
            Cependant, Apollon, apitoyé  lui concède de finir au firmament comme constellation de la Lyre. Conclusion, moralité religieuse dans L’Orfeo de Monteverdi de 1607 :

Ainsi reçoit grâce du ciel
Qui éprouva ici l'enfer.

               Car L’Orfeo de Monteverdi est l’illustration la plus achevée du Baroque. Des maximes morales parsèment l’œuvre, exaltant la grandeur de l’homme : « Rien n’est tenté en vain par l’homme » mais aussi sa misère : « Qu’aucun mortel ne s’abandonne / À un bonheur éphémère et fragile car « Plus haut est le sommet plus le ravin est proche. » Orphée devient un héros ordinaire, un homme, exemplaire par sa faiblesse même :

Orphée vainquit l’Enfer, puis fut vaincu
Par ses passions.
Seul sera digne d’une gloire éternelle
Celui qui triomphera de lui-même.

                Un siècle et demi plus tard, l’Orphée de Gluck, est d’une autre esthétique et d’une autre éthique. Ce n’est pas l’exploit héroïque de descendre aux Enfers qui est mis en avant mais sa sensibilité de veuf, d’amoureux. Ce XVIIIe siècle, d’abord libertin puis abandonné à la molle sensibilité, ne connaît pas le drame même si l’Ancien Régime termine dans la tragédie de la Révolution. L’opéra, même seria, doit avoir un lieto fine, un happy end, une fin heureuse Orphée tente de se suicider mais Amour, le petit dieu ailé, lui arrache le poignard et ressuscite et lui rend Eurydice par ces mots :

Tu viens de me prouver ta constance et ta foi;

Je vais faire cesser ton martyre.

Il touche Eurydice et la ranime.
Eurydice…! respire!

Du plus fidèle époux viens couronner les feux.


Réalisation
              Et tout finit, sinon par des chansons, par des chœurs, des cœurs en joie et des danses. Coulé dans le moule de la tragédie lyrique héritée de Lully et de Rameau, contrairement à l’opéra baroque international, en plus des chœurs, Gluck, sur le livret de Calzabigi, y introduit onze scènes de danse dans le goût français. Il y avait donc une cohérence à confier à un chorégraphe, Frédéric Flamand, la mise en scène de cet opéra et sa chorégraphie.
             Le Ballet National de Marseille (BNM), l’Opéra Théâtre de Saint-Étienne et l’Opéra de Marseille avaient uni leur puissance pour cette production au pouvoir captivant dû à la réussite de la triple alliance, du chorégraphe, de la baguette magiquement inspirée de Kenneth Montgomery et des costumes, de la scénographie et de la magie des images envoûtantes de Hans Op de Beeck.

          Sur un fond du deuil d’Orphée, un écran gris dont la transparence donnera parfois une inconsistance blême de spectres aux danseurs pourtant si charnellement présents, passant de l’autre côté de ce miroir. Des images vidéo oniriques, on pense à Cocteau : deux mains, sur une table, édifient, morceau à morceau, de sucre, une étrange ville pâle, hérissée de gratte-ciels ; plus tard, bouteille d’eau plastique renversée à bouteille renversée, une autre ville vaguement bleutée, blafarde, blême, s’érige dont l’eau, à la fin,  répandue du récipient, fera fondre partie de l’autre cité. Un univers glacé dont un dieu détourné, ou le deuil omniprésent, a banni toute couleur chaude, vive, vivante (sauf le vert turquoise espérance de la robe d’Eurydice dans un lointain figé), évoquant des peintres surréalistes belges, moins par des citations directes que par une atmosphère, des couleurs froides, des teintes grises, bleutées. Présence plane de l’eau, peut-être larmes en lacs, paysage désolés d’arbres dressant au ciel le spectre de leurs branches telles des mains décharnées, comme ces danseurs executive women en tailleur et traders aux costumes gris sévères, dont les corps parfois horizontaux dressent à la verticale leurs bras d’où émerge, blanche, la branche d’une main. La danse est frénétique, répétitive au rythme forcené d’une grande cité, porte peut-être d’un Enfer avec grilles brouillées, et canapé d’un bureau d’attente vide : monde fonctionnel de fonctionnaires ? On espère quelques lueurs colorées d’espoir mais le champ de foire qui semble apparaître n’est que le squelette d’une  fête finie, triste, sans lampions ni lanternes. Même les Champs Élysées, séjour des héros et des Ombres heureuses, est d’une brume de limbes, un bref ponton et une barque, sans doute pour passer le Styx, le fleuve des Enfers glacés des Anciens. Univers où Orphée, en costume blanc, envers de son deuil, traîne sa douleur. Seule la danse est un élan de vie, une pulsion, désespérée par sa frénésie même, cherchant à épuiser la vie.

               Cela est saisissant de beauté visuelle et plastique pour la danse, moderne mais avec quelques signes classiques dans le contexte de la musique de Gluck. La chorégraphie est belle, les images superbes, et tellement que l’on souhaiterait que l’une cesse pour que l’on puisse goûter pleinement l’autre : elles se parasitent.

Interprétation
                L’œil entend et l’ouïe voit. Mais, ici, dans ce magnifique et trop riche spectacle, émules l’une de l’autre, il faut parfois fermer les yeux pour goûter la musique, contrariée par un regard trop sollicité diversement. Et quelle musique! menée de main de maître Kenneth Montgomery, un tempo plus proche de Gluck que celui plus lent du temps de Berlioz, vif, incisif, sans faiblesse : danse folle des furies infernales et, en contraste, c’est le menuet qui rythme la « Danse des Ombres heureuses, suivie du solo de flûte que l’on dirait paradisiaque si l’on n’était dans des Champs Élysées païens et non dans le Paradis chrétien. Dans le prélude à l’air d’Orphée, « Quel nouveau ciel… », les sextolets, limpides, rapides, perlés, coulent de source pour traduire les ruisseaux et roulent et trillent, comme les chants des oiseaux dans le flot de zéphyr musical. L’on entendra même les aboiements du chien Cerbère, gardien farouche et furieux de l’entrée des enfers.

          On saluera les chœurs invisibles même aux saluts, mais sensiblement présents par la beauté de leur chant, bergers et nymphes, déplorant la mort d’Eurydice dans le premier acte, esprit infernaux ou esprits heureux dans les Champs Élysées : le premier acte est pratiquement une cantate pour voix soliste, Orphée et chœurs.
                  Le rôle d’Orphée, transposé du castrat d’origine puis du contre-ténor français au contralto de Pauline Viardot García par Berlioz, était tenu par Varduhi Abrahamyan, voix d’ombre et d’ambre, aux sombres profondeurs, déchirante dans ses aigus de douleur. Elle se tire avec aisance de son air très orné de la fin du premier acte, et se moule dans le tempo presque infernal imposé par le chef dans « J’ai perdu mon Eurydice… ». Ingrid Perruche, voix cuivrée, large et solide, n’est pas une pâle Eurydice même dans son enfer glacé et l’Amour de Maïlys de Villoutreys est, au sens propre et classique du mot, aimable, digne d’être aimée.
                Onze numéros de danse étaient prévus par Gluck mais ici, la danse, débordant les danses prévues, envahit tout l'espace. Les danseurs du Ballet National de Marseille occupaient la scène et nos yeux, avec une telle évidence que les trois chanteurs, seuls protagonistes du drame, essentiellement Orphée, semblaient des pièces rapportées, préoccupés de faire entendre leur voix dans ce concert visuel dont l’excessive agitation pouvait sembler, même silencieusement, tonitruante et contrariait l’esthétique de sobriété néo-classique, dont les théoriciens sont justement Calzabigi et Gluck.
         Les chanteurs sont doublés systématiquement par des danseurs et ce système fait naturellement double, doublon, doublure : redondance.
Opéra de Marseille, 30 novembre et 1 décembre.
Orphée et Eurydice de Christoph Willibald, Ritter [Chevalier] von Gluck,version Berlioz de 1859.
Orchestre et chœurs de l’Opéra de Marseille. Direction musicale : Kenneth Montgomery ; chef de chœur Pierre Iodice. Mise en scène et chorégraphie : Frédéric Flamand ; scénographie, images vidéos et costumes de Hans Op de Beeck.
Ballet National de Marseille, le BNM ; Varduhi Abrahamyan : Orphée ; Ingrid Perruche : Eurydice ; Maïlys de Villoutreys : Amour. 
Photos Pipitone.

vendredi, novembre 29, 2013

ANNONCE BAROQUE GRAFFITI


BRITANNICUS À LA CRIÉE


BRITANNICUS
de Racine,
Théâtre de la Criée,
28 novembre 2013

L’œuvre
Racine baroque
    C’est un héritage académique et scolaire, une ignorance esthétique et historique qui, dans la seule France, fait encore qualifier Racine de classique comme si le classicisme théâtral se bornait au respect de la règle stricte et artificielle des trois unités, dans une rigidité faussement attribuée à Aristote. (Voir après l’article)
             Lieu
           Laissons de côté l’artifice de ce décor unique[1], vrai hall de gare dans lequel, dans un hasard qui, dans un autre registre serait burlesque et relèverait du vaudeville, amants, amis, ennemis se trouvent, se retrouvent, s’aiment ou conspirent : devant la porte de Néron, soi-disant gardée, tout le monde se retrouve,  Britannicus, ennemi, va et vient ; Junie prisonnière, « va chez Octavie » et tombe sur Néron. Agrippine profère des menaces terribles sans prudence, mais demande à Britannicus de la retrouver chez Pallas pour mieux parler, en réalité pour libérer la scène pour les autres. Néron, devant tous, ordonne, menace, mais leur demande de se retirer pour parler d’amour…
                Temps
           Oublions la temporalité artificieusement condensée à la date de péremption d’un même jour (l’indiscuté baroque Couronnement de Poppée de Monteverdi se passe aussi en vingt-quatre heures) qui devrait suffire à ourdir les complots et mûrir les passions jusqu’à la catastrophe finale : Junie n’a vu la cour que d’un jour, en réalité que depuis la nuit de son enlèvement ; malgré l’insistance du texte, la tirade finale d’Albine frôle l’invraisemblable : attachée aux pas d’Agrippine restée sur scène dont elle est littéralement « la suivante », disparue on ne sait pourquoi, elle a tout vu de dedans, de dehors et en combien de temps ? de la fuite de Junie, de la mort de Narcisse, du désespoir de Néron.
                Ton
              Enfin, ne parlons qu’en passant de l’unité de ton qui n’est pas une caractérisation du seul soi-disant classicisme, la scène de Néron caché épiant les amants qui se retrouvent, son dépit amoureux, fut considérée comme de comédie (rappelant celle de Tartuffe, 1664, Orgon sous la table), sans compter les amants suspects s’attardant  imprudemment sur scène jusqu’à l’arrivée du méchant jaloux.

            Expression baroque des affects
            Je l’ai montré dans l’un de mes essais sur le Baroque (D’Un temps d’incertitude, Sulliver, 2008) que, tant dans Racine que le Couronnement de Poppée de Monteverdi, l’opéra et la tragédie, une même rhétorique baroque des affects, régit l’expression théâtrale des passions, telle que Lope de Vega l’avait déjà formulée avec humour dans sa théorie du théâtre anti-aristotélicien, Arte nuevo para hacer comedias en este tiempo (‘Art nouveau pour faire du théâtre pour notre temps’, 1607). J’en donnerai quelques éléments en annexe plus bas.

Britannicus (1669)

Faux problème dynastique et vrai contexte historique
           Le sujet est moins celui du titre puisque Britannicus, le héros malheureux, objet et victime de la jalousie de Néron, qui lui enlève Junie avant de l’empoisonner, importe moins que son frère adoptif criminel et bien moins encore qu’Agrippine, la terrible matrone, matriarche, mère abusive de cet empereur qu’elle a fait en épousant et tuant son oncle Claude. Véritable pivot de la tragédie, Agrippine a un lourd passé : ayant eu Néron d’un premier lit, après avoir poussé l’empereur Claude à tuer sa femme Messaline, mère de Britannicus et d’Octavie, elle lui fait adopter Néron pour lui succéder, procédure romaine légitime : l’adoption et non la naissance était l’ordre de succession au trône impérial, non la filiation, anachronisme dynastique rétrospectif de la royauté. Mais Racine dramatise l’anachronisme : la France n’a pas encore oublié les nombreux complots du duc d’Orléans pour monter sur le trône occupé par son frère Louis XIII encore sans héritier, et même pendant les récentes Frondes, celui de son neveu, le jeune Louis XIV (1648-1652).
          Agrippine fait donc écarter Britannicus, fils légitime de l’empereur Claude, au profit du sien, auquel elle donne pour épouse Octavie pour resserrer le lien familial et dynastique. De crainte que Claude ne se repente et n’annule son testament en faveur de Néron, elle l’empoisonne préventivement d’un plat de champignons et, son fils empereur, Britannicus écarté, poussé dans les bras de Junie, descendante d’une autre grande famille décimée pour l’éloigner du pouvoir, Agrippine règne pratiquement au nom de son fils. Du moins jusqu’au lever du rideau dans la pièce puisque Néron, à qui elle a donné deux excellents précepteurs, le philosophe et auteur de tragédies Sénèque (absent de la pièce) et Burrhus le militaire, après quelques années de règne salué par tous, s’émancipe de la férule de ses maîtres et de sa mère.
         La pièce de Racine suit exactement les historiens romains Suétone et surtout Tacite et prend Néron le jour de son premier crime. Il se signalera par les meurtres de Sénèque (contraint au suicide), probablement de sa femme Octavie et, entre autres, de celui de sa mère, sans compter celui de Poppée, sa seconde épouse. Racine, comme une fatalité, fait planer et peser sur la tragédie en route tout le poids de l’histoire à venir de Néron que connaissaient ses spectateurs, et même la fameuse prédiction de son meurtre par son fils faite à Agrippine qui répondit : « Qu’il me tue, pourvu qu’il règne ! » Il oppose ici Agrippine et sa passion du pouvoir à Néron qui met son pouvoir au service de sa passion pour Junie : monstre naissant contre monstre finissant.
       Mais cette tragique histoire de famille antique fait oublier celle, contemporaine, peut-être prudemment entre les lignes. En effet, le jeune Louis XIV, marié contre son goût à l’infante d’Espagne Marie-Thérèse en 1660, a pris le pouvoir, s’est mis à régner sans partage à la mort en 1661 de son parrain et tuteur politique Mazarin, qui gouvernait jusque-là sous couvert de la Reine Mère Anne d’Autriche, désormais écartée des affaires. Mère aimante et aimée, elle était loin d’être une Agrippine, mais avait solidement assis le pouvoir de son fils. Elle mourra en 1666. Entre temps, le jeune monarque Louis est amoureux de sa belle-sœur Henriette d’Angleterre, épouse de Monsieur, son frère Philippe, homosexuel, mais jaloux de sa femme qui meurt, peut-être empoisonnée, en 1670. En sorte que Britannicus de 1669, baigne discrètement dans cet autre histoire contemporaine : un pouvoir personnel conquis contre une mère politique, une épouse dédaignée et un amour jaloux pour une même femme entre deux frères : Néron adopté par Claude était, pour les Romains, frère de Britannicus auquel il veut arracher Junie. Par ailleurs, Louis XIV, qui se donnait en spectacle dans des ballets faits pour sa personne, est bien une image du Néron qui chantait dans les théâtres, disputait des concours de chant et de char dans les cirques, indignes jeux pour un monarque comme le  dénonce Narcisse pour nourrir la vindicte de l'empereur.

Réalisation 
              Décor, costumes, lumières
  Dans une angoissante pénombre des âmes, qui projette vaguement la clarté de grandes baies ouvertes sur une indécise nuit puis une aube incertaine et se précise en jour tranchant de cruauté sous les superbes et dramatiques éclairages de Marie Vincent, aux antithèses ombre/lumières caravagesques, sanglantes souvent, avec fonds verts vénéneux. Julie Maret signe les arêtes tranchantes de cette scénographie géométrique, sans faste impérial, vert et rouge pompéien, mais sobrement efficace, avec quatre dégagements confrontées à cour et jardin pour les sorties des personnages affrontés et une subtile issue latérale où se glisse le sinueux Narcisse de la trahison. Sur l’écran, antre rouge de deux portes opposées, les ombres inquiétantes de la garde impériale. C’est plastiquement très beau et saisissant.
           Dans le noir encore, une voix récite une page morale du De clementia de Sénèque dédié à Néron, qui plane comme un impératif moral sur le jeune empereur qui pouvait être, comme le futur Titus, « Délices de l’univers », et que l’on va découvrir en monstre naissant :

       « Je me suis proposé, Néron César, d'écrire sur la clémence, pour vous tenir lieu comme d'un miroir qui vous mît en face de vous-même, et vous fît voir à quelle sublime jouissance il vous est donné d'arriver. Bien qu'en effet le véritable fruit des bonnes actions soit de les avoir faites, et qu'en dehors des vertus, il n'y ait aucun prix digne d'elles… »

            Un personnage indistinct, surgi de l’ombre, lit ce texte clair : son dédicataire Néron.
          Les costumes, encore de Julie Maret, beige et gris pour les souliers et pantalons des hommes, sont dans la banalité moderne du théâtre depuis cinquante ans, vieil académisme déjà, avec quelques éléments symboliques à l’antique, ébauche de toges pour les hommes, étole impériale pourpre pour Agrippine dont elle se drapera enfin quand elle se croit restaurée dans son pouvoir, et pour Néron, bien sûr avec quelques signes de romanité pour celui-ci, et simple tunique romaine pour Britannicus et Albine. Les perruques dont sont affublés les hommes, affectant les frisettes à la mode du temps, ne sont guère seyantes, mais la coiffure arrogante d’Agrippine, perchée sur les ergots de ses escarpins, calquée sur des modèles romains, a fière allure (Julie Maret et Nina Langhammer : maquillages et coiffures), quant aux yeux de panda rouge dont est affligé Néron, il déclenchent quelques rires. Malheureusement, Junie, en robe plissée sans doute à l’antique mais courte style années 50 et cheveux blonds tombants, écharpe étriquée sur les épaules, dans la raideur amidonnée que lui inflige la direction d’acteur, a l’air d’une petite fiancée godiche du Middle West américain et provoque des sarcasmes.
        Le son de José Avelmeir mêle à musique d’époque racinienne un air d’un opéra de Donizetti, una furtiva lacrima pour l’arrivée éplorée de Junie et, trop brève pour l‘identifier, peut-être la voix de Caruso pour la parodie histrionesque de Néron, qui ambitionnait d’être un grand chanteur, sur fond récurrent, dirait-on de cris de mouettes.

Mise en scène et interprétation
             Exsangue tragédie sanglante
          Statisme, absence de rythme et une langueur qui traîne en longueur le texte est sans doute le premier grief que l’on peut imputer à la mise en scène de Xavier Marchand, très attentif, par ailleurs, à la bonne diction générale des vers du texte, tous les acteurs s’en tirant à la perfection, Anne Le Guernec, Agrippine rendant même sensible, sans outrance, des liaisons que peu de comédiens d’aujourd’hui savent faire sans, quand ils les font, les caricaturer. Ce qui fait que le principal intérêt du spectacle, comme disait une spectatrice, c’est « Qu’au moins, on entend bien les beaux vers »…
            C’est, en somme, une belle récitation, comme l’on disait au XVIIe siècle, tirade contre tirade, sans tirer pratiquement parti de la réaction du discours de l’un sur le visage ou le corps de l’autre, immuablement immobiles, piquets rivés aux pavés, plantés droits, impavides presque toujours, sans manifester guère d’émotion même aux adresses terribles qu’on leur débite : la longue plaidoirie et confession criminelle d’Agrippine à l’endroit de son fils, ne déclenche en celui-ci que quelques vagues mimiques, affalé, vautré dans son fauteuil alors qu’on devrait comprendre que la matriarche autoritaire, sans doute assise, ramène son fils à son rôle de petit garçon, le remet littéralement à sa place, (« Approchez-vous, Néron, et prenez votre place »), petite place près d’elle, impérieuse et impériale, et non lui assignant ici ce trône qui le fait supérieur. Une main sur la main, une autre sur la tête du fils et le fils sur la jambe et le ventre de la mère, sont des signes trop brefs pour tout ce long discours.

Absence donc de « contrechamp » des interlocuteurs, seule l’Albine de Manon Allouch, dans la seconde scène, en arrière-plan, semble faire un commentaire muet bien venu entre les discours de Burrhus et l’accueil étrangement imperturbable que leur réserve Agrippine, l’insinuant et sinueux Narcisse aussi, au sourire pervers de Pascal Omhovère, s’agitant sur le dos de Néron, mais moins dans la mimique et la gestique que la gesticulation, peut-être excessive. Le comble étant la pauvre Junie maltraitée de Marine de Missolz, figée droit au milieu de la scène, comme sourde, absente, tant aux discours de Néron que de Britannicus, le dos tourné souvent. Seul Britannicus, qui a la fraîcheur juvénile de Quentin Ellias, semble jouer, dans une nervosité angoissée, ce qu’il dit et ce qu’il entend. Également le Néron inquiétant sous l’apparence placide de Joseph Bourillon, qui fait vivre le texte, mais dont la potentialité sensible semble apparemment bridée, avec une incompréhensible indifférence aux provocations cruelles et humiliantes de Narcisse. Le Burrhus, d’Albert Jaton, certes estimable comédien, sans doute empêtré dans cette paralysie générale qui le rend pâteux sinon pataud, n’a rien du raide et rude précepteur martial. De l’Agrippine d’Anne Le Guernec, on comprend d’entrée qu’elle n’a pas la voix tragique d’une matrone romaine, mais un timbre fragile, qu’il eût été peut-être intéressant d’user à contre-emploi le rendant acide et venimeux, et l’on y croit, on l’espère car on sent, sous cette insolite glaciation, un feu prêt à éclater, mais, au fil de ses longues tirades, le metteur en scène ne lui accorde qu’un ton monocorde, sauf à la toute fin, une tardive et bien inutile montée en puissance.

En somme, une raideur générale, un statisme qui contredit à la souplesse du vers et à la psychologie mouvante, émouvante et troublée des personnages de Racine. Et l’uniformité de ton dans les fameuses exclamations (« Ah, ô,», etc), contrevient à tout ce qu’en disent les rhétoriques d'époque pour les interpréter. 
           Une belle récitation, peut-être à la XVIIe siècle mal compris de ce faux classicisme hérité par les textes figés, mais amputé de toute la rhétorique des affects, de la gestique qui présidait à la scène comme en témoignent tant de tableaux d’époque, les traités de déclamation et de rhétorique, ces derniers souvent suivis d’une partie sur l’actio, l’action, les mouvements, le corps, dont on usait même dans l’éloquence de la chaire. Une main longuement tendue comme paralysée et un bras dressé d’Agrippine, c’est peu pour animer le corps. Et rappelons que, loin d’être plate, la déclamation était « chantée » dirait-on aujourd’hui, en témoigne Lully qui calqua ses récitatifs, les « récits » de ses opéras, sur la déclamation tragique de la Champmeslée pour laquelle écrivait Racine, comme le dit perfidement Madame de Sévigné.

BRITANNICUS de Jean Racine
Théâtre de la Criée, du 20 au 28 novembre
Mise en scène Xavier Marchand, Marine de Missolz (Assistant(e) à la mise en scène) , Julie Maret (Scénographie et costumes), Marie Vincent (Création lumières).
Néron : Joseph Bourillon ; Britannicus : Quentin Ellias ; Agrippine : Anne Le Guernec ; Narcisse : Pascal Omhovère ; Junie : Marine de Missolz, Burrhus : Albert Jaton; Albine : Manon Allouch.
Photos : ©Éric Reignier : 
Agrippine et Albine, Néron, puis Néron et Agrippine et Agrippine seule.

RACINE ET LES AFFECTS BAROQUES
Opéra et théâtre

      Tiré de l’un de mes essais sur la baroque, d’Un Temps d’incertitude (Sulliver, 2008), je donne ici un très bref aperçu de la rhétorique baroque des affects, répertoriés par Lope de Vega au début du XVIIe siècle, et sensible tant dans l’opéra que dans le théâtre international de ce temps, dont celui de Racine, la France, contrairement à la théorie franco-française, n’étant pas une exception culturelle dans une Europe baroque. J’omets, sauf certains, les noms et définitions des figures de rhétorique énumérées par Lope et que l’on retrouve chez Racine.

     « On conviendra qu’il n’y a nulle différence avec l’opéra baroque de Monteverdi [et le théâtre de Racine]. Quant aux apostrophes, suspensions, interrogations, et aux exclamations chères à Lope de Vega, il suffira de donner en continu celles d’une seule pièce, Britannicus :

« Ce que je cherche? Ah, dieux!…
Ah, Narcisse… Ah!, quelle âme assez basse… Quoi, Narcisse!, Quoi, Seigneur!, Quoi! s’il l’aime, Seigneur?, Quoi donc! Qui vous arrête?… Quoi, Madame!… Ah, Seigneur!… Ah, Seigneur!… Moi!… Hélas!… Ah, cher… Narcisse!… Hélas!… Quoi!, déjà votre amour souffre… Ah, Seigneur!… Quoi, même vos regards… Ah!, si je le croyais… Hé bien!, de leur amour… Quoi!, de quel dessein… Ah!, l’on s’efforce en vain… O dieux!… Mais quoi… Hé bien! je me trompais… Ah, lui-même… Quoi!, tu ne vois donc pas… Ah, je ne puis…Hé bien!… Ah!, dieux… Hélas!… Ah!… Ô ciel!… Quoi, Seigneur!… Ah!… Ô, ciel!… Hé bien donc!… Quoi, Seigneur!… Ô ciel!… Quoi!… Ah!… Quoi!… Quoi donc!… Quoi donc!… 
Quoi!, je ne serai plus séparé de vos charmes?
Quoi! même en ce moment je puis voir sans alarmes…?
Ah, Madame,… Mais quoi!… Quoi? Ah, Prince!… Ah, ma chère Princesse!… Quoi, Madame!… Hélas!… Ah!… ô, ciel!… Ah, mon Prince!… Quoi!…  Dieux!… Moi!… Hélas!… Hé, Seigneur!… Ah… Ciel!… Ah, Madame!… Hélas!…  Ah, Madame… Ah, Seigneur!… Quoi! »
 
[ Quelques exemples de duplications]
    Au « Non, non, Britannicus… » du début répond le « Non, non, Britannicus… » de la fin. »
Et rappelons la dernière réplique de Bérénice :

Arrêtez, arrêtez, princes trop généreux !
Et le dernier mot de la pièce : « Hélas ! »

Rapportant ici cette injonction de Barry [dans sa rhétorique] : « pour ce qui regarde les interrogations, les he, les ha, les ô, il faut que selon la nature de la figure, la voix change d’accent», on comprendra que le baroque Lully ait calqué son récitatif sur la déclamation de la Champmeslé. »







[1] Le sommet de l’artifice du lieu unique est sans doute Bérénice où, d’entrée, le lieu central est justifié par  Antiochus, le rival en amour de Titus qui s’y retrouve indiscrètement et le présente :
« ce cabinet, superbe et solitaire,
Des secrets de Titus est le dépositaire :
C’est ici quelquefois qu’il se cache à sa cour,
Lorsqu’il vient à la reine expliquer son amour.»


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