Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
Ci-dessous : liens vers les sites internet de certains de ces supports.

L'auteur

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Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

dimanche, mai 29, 2022

LE BEAU/BOHÉMIEN

 

Gipsy

Opérette de Francis Lopez

Théâtre de l'Odéon

Dimanche 22 mai 2022       

         Heurs et malheurs de l’opérette

         Des spectateurs, sans besoin de « chauffeurs de salle », dressés par les shows télé à scander en frappant mécaniquement dans leurs mains tout passage musical rythmé, des cris juvéniles de joie saluant les bons (et moins bons mots du spectacle), des demandes réitérées du bis aux beaux airs bien chantés : commentaires et visages heureux d’un public d’une opérette, dont le sort faillit l’être moins. Le livret est de Claude Dufresne, en deux actes et douze tableaux ; les paroles de Daniel Ringold, la musique de Francis Lopez, les airs additionnels de Anja Lopez. Nous sommes dans les années 1970. C’est le règne des non-chanteurs « Yéyé », micro comme une sucette à la bouche, et les vrais chanteurs, l’opérette jugée désuète, plus ambitieuse vocalement et musicalement, ne font plus recette. Luis Mariano vient de mourir. Le temple de l’opérette, le Châtelet à Paris, est près de la faillite. Ne trouvant pas de salle, c’est à Lille, avec peu de moyens, que se créée Gipsy en 1971, avec le superbe ténor Italien du Liban, José Todaro, avec juste ce qu’il faut d’accent exotique. À Paris, le théâtre du Châtelet la reprend en 1972. Triomphe :  plus de six cents représentations qui sauvent le Châtelet de la ruine.

         Tziganes, Zingari,  Gitans

Avec un nom anglais pour nommer les Gitans, Gipsy est définie avec un humour involontaire comme opérette « tzigane », ce qui serait le plus juste puisque l’action se passe en Europe centrale, en Bohème. Mais la musique en est due à un compositeur français d’origine espagnole Francis Lopez, de son vrai nom Francisco López, dont on sait combien sa musique est attachée à l‘Espagne, au folklore andalou et gitan.

Essayons d’y voir clair dans les origines obscures de ce « peuple nomade », appellation aujourd’hui abandonnée pour en appeler officiellement l’ensemble « Roms » ou « Gens du voyage », bien que l'immense majorité soit de nos jours sédentarisée, même si leur drapeau, officieux mais reconnu, représente une roue de caravane, symbole de leur nomadisme originel, de leur mobilité actuelle pour certains : de leur liberté mythique, rêvée ou revendiquée, comme le cri de Carmen  préférant la mort à la soumission, demeure un fier symbole.

Comme tant d’autres peuples, ils ont abouti dans notre continent, notre Europe, au terme de longues et lentes migrations sur des siècles. Issus du sous-continent indien, dont dérive leur langue, variation du sanskrit comme nos langues européennes, ils atteignent l’extrémité européenne au XVe siècle. Ainsi l’atteste avec justesse Victor Hugo dans son roman médiéval Notre-Dame de Paris, dont l’héroïne, Esmeralda, est nommée « Égyptienne », terme qui se simplifie en Gitane, en Gipsy en anglais, en Gitana en Espagne où les Gitans, « la race de bronze », prétendent ouvertement descendre de l’Égypte, de Pharaon, selon leur légende fondatrice, leur « roman » qu’on n’ose dire « national » puisqu’ils transcendent nationalités et frontières. Dernièrement, selon une étude récente exposée à France-Culture, il semblerait que certaines tribus seraient passées par Chypre ou d’autres îles, où y auraient résidé, terres alors sous occupation des Turcs d’Égypte, accréditant leur mythe.

Selon les divers pays où ils se sont établis, en Europe centrale et de l’est, on les appelle Tziganes / Tsiganes, Zingari, BohémiensManouches, Romanichels (chez nous, on les nomme couramment Roms), ou encore Sinté, dont les nazis entreprirent la déportation et l’extermination comme celle des Juifs.

Sans se souvenir de cette tragédie encore récente, notre opérette légère n’en pose pas moins la lourde persécution dont furent souvent et longtemps victimes les Bohémiens, les Tziganes, puisque l’action se situe justement en Bohème à la fin du XIXe  siècle.

Gipsy, opérette tsigane

L’action de Gipsy se déroule en 1888, en Bohème donc, sous le règne de François-Joseph I d’Autriche, époux d’Élisabeth, plus connue sous le diminutif de Sissi. Le roman d’amour de ce couple impérial, rendu fameux par le cinéma et ses sucreries, dont les vignettes illustrent à satiété des boîtes de chocolats, apparaît déjà dans de nombreux livrets d’opérettes, ainsi que leur fils l’archiduc Rodolphe, dont le suicide à Mayerling en 1889 avec sa jeune maîtresse Marie Vetsera est toujours un mystère. Sissi sera assassinée. Bref, héros tragiques pour opérette joyeuse mais l’ombre du drame plane avec quelques allusions inévitables à Meyerling pour les spectateurs qui en connaissent l’histoire. Ainsi, l’air au portrait de son aimée, interprété avec une noble mélancolie par le baryton Frédéric Cornille, longue silhouette princière élégante, timbre raffiné, expression romantique, laisse sensiblement pressentir le drame, comme une parenthèse sombre qui n’affecte en rien le rythme de comédie rose obligé du spectacle : objet d’un complot des tziganes, auquel il échappe, nous savons, les entendus, qu’il ne sera victime que de lui-même, n’échappant pas à son destin, l’année suivante de l’action.

Nous sommes donc dans la ville luxueuse de Karlsbad, réputée pour ses bains, en Bohème en cet an encore de grâce de 1888 juste avant les disgrâces à venir pour la dynastie finissante des Habsbourg d’Autriche, où François-Joseph tyrannise, tentant de soumettre les tziganes séparatistes. Une tribu de tziganes en particulier, avec à sa tête Vano Ballestra, surnommé « Le Tzigane Rouge », un remarquable violoniste, mène le combat. Son violon devient le symbole de cette liberté qu’il revendique et chante : « Violon tzigane… »

Il est incarné par le ténor colombien Juan Carlos Echeverry, silhouette virile joliment râblée, mise en valeur par des costumes moulants et seyants comme des gants, allure souriante de brun latin lover, crédible Gitan ou Tsigane, véritable jeune premier par la voix, pleine, égale, éclatante, le vrai héros aimable, aimé, courageux, que demande le rôle. Que demande de plus, sinon le mariage, fatiguée de ses atermoiements, sa belle amante Mariana, rousse, farouche, jalouse, une troublante Laurence Janot, allure de reine, illustrant cette noblesse gitane dont parlait Teresa Berganza, hélas, disparue dernièrement, qui renouvela l’image de Carmen, l’arrachant aux clichés de l’espagnolade, la rendant à la dignité de sa race : élégante silhouette dansante, voix facile, ronde, d’ambre et d’ombre, assortie en souplesse à son corps. Elle a quelque chose de la Marlène Dietrich de Golden Earrings, ‘Anneaux d’or’, assumant avec humour la distance de sa personne avec le rôle, qui joue à jouer qu’elle n’est pas ce qu’elle joue…

À côté du couple des jeunes premiers, les jeunes seconds obligatoires, doubles comiques des amours des premiers, ne sont sûrement pas secondaires en talent : Flora, la française suivante de Liane de Pougy, c’est Flavie Maintier, joli minois piquant et voix fraîche de divette, faisant jeu et danses, à la limite de l’acrobatie pour la renversante figure finale, avec la grande perche hilarante de Vincent Alary, tous deux bien servis en duos fantaisistes des plus réussis. Complice bien chantant du héros, Émilien Marion, pianiste, accompagnateur, compositeur, qui était peu avant au concert de LyricOpéra avec la soprano Éléonore Devèze, dont je parlai dans une émission, campe un beau Venceslas au titre vocal et scénique.

Mais voici, prétexte aux fastes de l’opérette, de fastueuses fêtes qui se préparent. Nous sommes, on l’a dit, dans la ville balnéaire de Karlsbad où va avoir lieu, on ne l’oublie pas, la célébration du quarantième anniversaire du couronnement de François- Joseph. On ne s’étonnera pas de son absence, tout comme de sa voyageuse de femme Sissi : l’opérette a ses raisons que la raison historique ne connaît pas. On attend des invités couronnés de toute l’Europe, on ne sait trop qui, sauf le guindé mais galant Prince de Galles, le fêtard Édouard futur roi d’Angleterre, incarné par le fringant et élégant angliciste Jean-Luc Épitalon, accompagné de sa favorite de l’heure, la célèbre courtisane française Liane de Pougy qui, lasse peut-être du flegme britannique, a des faiblesses pour l’ardent et beau Tsigane. La vraie Liane, dont on dit qu’elle méritait son pseudonyme par la souplesse de liane de ses enlacements (sur ceux qui pouvaient se les payer), sinon d’opérette, est un vrai personnage de roman, danseuse aux folies bergères, multipliant amants et maîtresses, devenue princesse Ghika par son second mariage avec un prince roumain et finissant religieuse dominicaine au couvent, morte en 1950 à Genève, dans une cellule monacale qu’elle s’était fait aménager…à l’hôtel Carlton. On comprend que Mariana en soit jalouse quand c’est chanté par la flambante Perrine Madoeuf, timbre fruité, voix pleine d’aisance et pleine même en des aigus qu’elle file avec une technique de messa di voce maîtrisée en des pianis aussi assurés et séducteurs que sa séduisante personne qui sait vivre, princièrement, de ses charmes.

Le fameux compositeur et chef d’orchestre Johann Strauss lui-même sera présents aux fêtes, animera la musique, bien animé en forme ronde bourgeoise et broussailleuses moustaches et favoris par Philippe Béranger. Admirant le talent de violoniste de Vano, bien qu’il soit suspect à la police, le musicien veut qu’il se produise avec lui. Le « tzigane rouge » résiste à l’offre mais ne résiste aux prières de Liane de Pougy, venue, comme Micaela cherchant José dans le repaire ordinaire des contrebandiers, jusqu’au camp ses Bohémiens, une caravane le symbolisant, invitée à l’une de leurs fêtes : un beau spectacle… de flamenco andalou, où, à défaut de violon tsigane, ne manquent même pas les castagnettes, réglé de main, —de pied de maître— par Felipe Calvarro pour son altier quadrille de danseurs, avec force zapateado et taconeo, les « claquettes » typiques des danses espagnoles. Les Bohémiens, Gypsies, Tsiganes, sont partout en Europe, mais le flamenco n’existe qu’en Andalousie où les Gitans, sans en être les créateurs, s’approprièrent magistralement le genre.

Si Vano, avec la médiation de la belle Liane, a accepté l’offre de Strauss de jouer avec lui pour ce public prestigieux, le parterre de nobles et de têtes couronnées venus pour l’événement, c’est, qu’en fait, cela lui offre l’occasion de frapper un grand coup en approchant et abattant l’archiduc Rodolfe, héritier de l’empire oppresseur, attendu à Karlsbad pour présider la cérémonie. Jolie scène de comédie, de quiproquo, de dépit amoureux de Mariana : champagne empoisonné pour éliminer le prince, bon prince finalement, puisqu’il s’avère partisan de la Bohème (en fait, sa mère, Sissi, à la vie de nomade comme ces Bohémiens, préférait à l’Autriche la voisine Hongrie). Les bras (armés) de Vano en tombent et ils tombent presque dans les bras l’un de l’autre, amis et complices en un éclair non explosif. L’héritier du trône, sain et sauf, n’aura besoin de personne pour se tuer lui-même, l’année suivante, avec sa toute jeune amie, Mayerling.

À côté des héros chantants, et de deux figurants, figures amicales connues, on retrouve avec plaisir Michel Delfaud (Wallensdorf), un toujours égal à lui-même, inénarrable, Dominique Desmons (Brenner) maître d’hôtel qui ne maîtrise plus rien et moins ses hôtes, même pas ses désirs, et Fabrice Todaro (Conrad), sinon comique troupier, comique Commissaire fleur bleue, jardinier prenant des râteaux amoureux, rêvant d’effeuiller des marguerites aux pétales pétulants, « pistolants » pour ce Polichinelle  rêvant de masculinité.

Les mélodies, agréables, coulent de source, avec l’aisance musicale de Lopez, « Violon tsigane…Vaï, vaï… » avec le mouvement lent puis l‘accélération effrénée de la musique folklorique des Bohémiens, une inévitable valse viennoise à la Strauss, un boléro latino pour ces latitudes, un tango-habanera et, naturel revenu au galop du compositeur d’origine hispanique, des mélismes bien espagnols. Habitué des lieux et de l’orchestre, Bruno Conti joue et mène le jeu avec un entrain communicatif dont les chœurs, très nombreux, presque toujours de front, sont la vive expression comme une toile de fond aux solistes de l’avant-scène, dont ils accentuent et amplifient les mouvements, le rythme, dans une chorégraphie dansante d’ensemble des corps et des bras balancés. Car Caroline Clin, autre habituée autant de la scène que de sa mise en scène, pouvant difficilement tirer une dramaturgie de ces personnages stéréotypés, sans ombre de psychologie, en pleine lumière, a joué le jeu de la donnée brute, mais non brutale : des chanteurs solo sur fond d’ensemble choral devenu aussi chorégraphique. Et finalement, cela marche, cela danse.

    Pour les décors (un vague hôtel de style néo-baroque XIXe au mieux, un auvent de caravane)… au royaume de la toile peinte, le rideau nu est souvent le roi. Quand il est sobrement marron, il met davantage en valeur les couleurs dérivées en tabac, roux qui font vibrer les oranges et jaunes, verts des vêtements tsiganes bien vus, ceignants gilets pour les hommes, seyants joliment pour les femmes en souples jupes à volants, opposés aux raideurs empesées des costumes stricts des mondains et militaires, aux vaporeuses robes à crinoline aussi légères que de Liane de Pougy.

On admire le directeur Maurice Xiberras qui, contre vents et marées, défend, avec une programmation remarquable, reconnue partout, pour notre Opéra, maintient celle de cet exceptionnel temple de l’opérette, dont j’ai déjà dit, même si l’on m’a piqué et répété le mot, que cela devrait être remboursé par la Sécurité Sociale, tant, à voir son nombreux et fidèle public, cela relève au noble sens du mot, d’un service public. Avec le même budget, cela relève aussi du miracle. Bien sûr, il y a un miracle de l’art, mais les artistes ne doivent pas être tenus à la corde raide du miracle permanent.

 

NOUVELLE PRODUCTION

Direction musicale : Bruno CONTI
Mise en scène : Carole CLIN
Chorégraphie : Felipe CALVARRO
Décors et Costumes : Théâtre de l’Odéon de Marseille

DISTRIBUTION

Mariana : Laurence JANOT
Liane de Pougy : Perrine MADOEUF

Flora :  Flavie MAINTIER

Vano Ballestra : Juan Carlos ECHEVERRY

Rodolf : Frédéric CORNILLE
Conrad :  Fabrice TODARO
Joschka : Vincent ALARY

Brenner : Dominique DESMONS
Venceslas : Émilien MARION
Strauss :  Philippe BÉRANGER
Prince de Galles : Jean-Luc ÉPITALON

Wallensdorf : Michel DELFAUD
Figurants : Lucas INTINI et Thomas PHILIPPART

Orchestre de l’Odéon

Alexandra JOUANNIÉ, Marie-Laurence ROCCA, Alexia RICHE-GUILHAUMON, Isabelle RIEU, Hélène CLÉMENT, Christine AUDIBERT, Nicolas PATRIS DE BREUIL, Frédéric LAGARDE, Jean-Bernard RIÈRE, Virginie ROBINOT, Stephan BRUNO, Benoît PHILIPPE, Marc BOYER, Marianne BILLAUD, Thierry AMIOT, Aurélien HONORÉ, Alexandre RÉGIS

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Chœur Phocéen

Caroline BENOIT, Nadine D'ANGELO, Diane GAUTHIER, Sabrina KILOULI, Davina KINT, Caroline RANCELLI, Damien BARRA, Sylvio CAST, Ludovic COUTAUD, Jacques FRESCHEL, Damien RAUCH, Bruno SIMON
Chef de chœur : Rémy LITTOLFF

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Ballet

Sophia ALILAT, Valérie ORTIZ, Felipe CALVARRO, Clément DUVERT 

Photos Christian Dresse :  

1. Janot,  Etcheverry ;

2. Maintier, Alary ;

3. Etcheverry, Marion ;

4. Cornille, Béranger,  Épitalon, Madoeuf ;

5. Béranger, Madoeuf ;

6. Todaro, Desmons  ;

7. Salut final, danseurs au fond.  

 

vendredi, mai 27, 2022

PESTER CONTRE LA POSTE


Sonne, sonne, cor de postillon !
Es ruft das Posthorn !

La musique des missives au temps de la poste à cheval

Par Alice Julien-Laferrière et l’Ensemble Artifices

Éditions Seulétoile


     Qui ne peste contre la poste ? Aujourd’hui en déshérence, ce service autrefois public, avec la fermeture des petits bureaux de proximité, ne garde désormais de public que celui qui s’allonge à la porte des grands bureaux non fermés et de leurs guichets réduits : les files, les queues aggravées par les contraintes et distances sanitaires. Dans ce monde du rendement économique chiffré, on nous explique que la Poste n’est plus rentable, que le courrier par lettres s’est raréfié avec la pratique de la communication par internet, mails, courriels,  textos par téléphone. Ainsi, nous voyons de moins en moins la silhouette autrefois familière du facteur, sac au dos, figure amicale, sauf pour des chiens méfiants de la grosse sacoche, attendu sur le pas de la porte pour un brin de causette par des grands-mères isolées, selon la tournée, à pied, à bicyclette, en fourgonnette jaune canari. Autrefois journalière, la distribution de courrier est officiellement réduite à tous les deux jours aujourd’hui et nos boîtes à lettres se remplissent surtout de publicités parasites et meurtrières de la nature par tant de papier arraché aux arbres et volant chez nous au vent de déchets pollueurs des rues et de la mer.

         Ce sont les premières réflexions que m’inspire cet élégant coffret noir en forme de lettre, orné de trois postillons dorés, des toujours originales Éditions Seulétoile animées par la violoniste baroque Alice Julien-Laferrière et son Ensemble Artifices, consacré au cor de postillon. Il n’existe plus et l’on a dû reconstituer ce petit cor enroulé, dont la percutante sonnerie annonçait l’arrivée du porteur de courrier, ancêtre de la poste, qui se frayait ainsi un passage  au galop pour arriver et délivrer sa missive.

C’est un CD accompagné de cartes documentaires anciennes, de fort belles illustrations, d’un poster de la carte de 1711 du réseau postal du Saint-Empire romain germaniques et de ses provinces, de deux marques-pages avec deux lignes de portée musicale d’époque, la Diligence de Louis de Caix d’Hervelois et le Courrier, de Michel Corrette, titres, termes assortis au verso d’une pédagogique définition selon la tradition intelligente de Seulétoile qui s’adresse aux enfants sans infantilisme bêtifiant. Les cartes, en carton, reproductions de tableaux et gravures des XVII et XVIIIe siècles pour faire imaginer la poste du temps, sont si belles qu’en les encadrant, on pourrait en faire de jolis tableautins mais, on perdrait alors les textes explicatifs au verso, en français et allemand, avec renvoi vers les pistes, les plages du CD. Il y a même une lettre, apocryphe, bien sûr, de Jean-Sébastien Bach à l’Ensemble Artifices pour le féliciter de ce travail, à laquelle je me joins plus modestement en signant et contresignant ouvertement cette illustre missive pour louer ce patient travail de recherche pour ce magnifique résultat.

C’est près d’une heure de musique autour de celles inspirées par ce pittoresque cor de postillon, instrument annonciateur de ce facteur à cheval à l’échelle d’un pays, dont l’appel urgent lui ouvrait même les portes des villes. Sa sonnerie de deux notes était si caractéristique sur les routes d’Europe, qu’on la retrouve chez nombre de musiciens et pas des moindres : Bach, Beer, Duval, Keiser, Telemann, Veracini, Vivaldi, une cantate de Johann Samuel Endler, chantée ici par Romain Bockler, et même un extrait des Chansons de mon village du dessinateur Jacques Nam (1881-1974) que l’on découvre ici compositeur.

Écoutez l’explicite Courrier de Michel Corrette avec ses notes reconnaissables sib deux fois :

1) PLAGE 1

Le coffret/lettre offre, comme un jeu, dix-sept pièces numérotées avec un ordre de lecture pour ne pas s’y perdre. Cela peut paraître un peu ardu pour de trop jeunes enfants, mais les parents seront là pour les aider, encore que je pense que ce sont plutôt les enfants de notre époque, qui naissent avec internet et autres casse-têtes, qui peuvent souvent aider les parents dans des domaines qui échappent encore trop aux aînés.  Des liens vers des vidéos ouvrent vers un concert spectacle monté par les musiciens du Cd avec en prime un clown joueur de ce cor qui réjouira petits et grands.

C’est par ailleurs un instructif parcours de l’histoire de la poste aux XVIIe et XVIIIe siècles à partir des postillons à cheval qui changeaient de monture, en prenant une fraîche dans les relais dits de poste, d’où ils tirent leur nom. On en remonterait l’origine aux Mongols de Gengis Khan, qui serait le premier à organiser sur une très longue distance des relais de poste pour ce peuple de cavaliers des steppes qui occupaient toute l'Asie centrale jusqu’à la Russie.

Échelle des distances

 Pour donner une échelle des voyages autrefois, que j’ai étudiés, dont nous n’avons plus idée aujourd’hui, je signale que la nouvelle de la mort du roi Philippe IV d’Espagne, surnommé Le Roi-Planète pour l’immensité de son empire, qui eut lieu en septembre 1665, n'arriva au Mexique qu’en mai de l’année suivante, près de huit mois après. Le galion espagnol du courrier qui partait d’Acapulco une fois par an, pour arriver à Manille aux Philippines, autre colonie espagnole, mettait près d’une année à traverser le Pacifique, quand il arrivait malgré les tempêtes et la piraterie.  Et que dire du fameux « Camino indio », ‘Chemin indien’ des Incas ? Quelque 6000 km du nord au sud de leur empire, une route pavée que les messagers parcouraient à pied, à la course, le cheval y était inconnu avant l’arrivée es Espagnols, par étapes d’un jour. Je signale encore que la première ambassade de Chine vers la Russie, en 1687, mit trois ans pour parcourir la distance Pékin-Moscou…

Voilà donc de quoi situer l’échelle des courriers de nos postillons à cheval de notre petite Europe, ce qui n’était pas forcément non plus un mince exploit sans danger sur des routes infestées de brigands et il pouvait s’annoncer aussi joyeusement au son de son cor, comme ici chez Bach :

2) PLAGE 9

Voici de Reinhard Keiser, La poste impériale de la paix, qu’on voudrait au présent en ce terrible temps de guerre, mais qui est l’annonce de celle, déjà européenne, de 1715, chantée par Romain Bockler :

3) PLAGE 15

Et nous quittons cette belle réalisation sur Le Postillon de 1921 de Jac Nam, par le même baryton :

4) PLAGE 22 

 


ÉMISSION N° 594 DE BENITO PELEGRÍN

lundi, mai 23, 2022

ART PARTOUT, ART POUR TOUS

14e FESTIVAL PAC

LE PAC EST DE RETOUR

Le 14e festival PAC aura lieu du jeudi 26 mai au dimanche 12 juin 2022.

PAC ET PAQUETS DE PACS

         Quatorze ans déjà pour LE PAC, P-A-C, masculin, mais je suis sûr qu’une majorité de personnes ignore ce que signifie cet acronyme, c'est-à-dire ce sigle qui fleurit en ce printemps, qui semble homonyme de la PAC (Politique Agricole Commune de notre Europe), ou l’envahissante campagne publicitaire actuelle pour la PAC (Pompe À Chaleur) si ce n’est, par apocope, c'est-à-dire la chute d'un ou plusieurs phonèmes à la fin d'un mot, PAC, un condensé, une réduction de notre région PAC/A. J’ai écrit acronyme, homonyme, apocope, avec un brin de pédanterie humoristique, étalant un peu ma culture philologique, linguistique, pour badiner un peu sur cette mode des acronymes qui court le risque de se piéger dans l’anonymat cryptique à vouloir désigner tant de choses en si peu de lettres, comme l’écriture dite « inclusive », en fait excluante pour les malheureux apprenants du français trébuchant sur le pointillisme, la coquetterie précieuse de points coupant les mots et l’orthographe : barrière à la lecture et que dire de l’énonciation à voix haute…Le féminisme mérite mieux que des petits points.

 Mais bon, et bel et bon, notre PAC, c’est bel et bien le Printemps de l’Art Contemporain à Marseille Provence (Pourquoi pas PAC/AM ?). Sa création eut lieu en 2007 de la volonté de la soixantaine d'adhérents du Réseau de l'Art Contemporain à Marseille de se fédérer pour défendre les artistes contemporains accueillis dans leurs structures culturelles respectives, musées, galeries institutionnelles ou privées, faire connaître conjointement leur travail en facilitant les rencontres avec le public, afin d’éviter l’écueil de l’art aujourd’hui qui est, sinon la hautaine tour d’ivoire de l’enfermement sur soi,  la ghettoïsation, quand il se veut art de recherche et non de démagogie consumériste, au risque de l’incompréhension,  de la marginalisation, de l’incommunication. Le Pac a le beau désir de ne pas se soumettre à la fatalité de la marge, de l’ombre, de mettre l’art et les artistes au centre, de leur permettre, sinon de communier toujours avec le visiteur, au moins de communiquer avec lui : amorce nécessaire de toute relation humaine, l’art étant, selon moi, une quintessence pacifique de notre humanité, interrogation sur notre présent, spéculation sur notre avenir. Il n’est que de voir les matériaux, trop longs à énumérer ici, aujourd’hui manipulés par les artistes contemporains, pour se convaincre qu’ils se nourrissent de notre présent, qu’ils questionnent, interrogeant déjà ou inventant au moins des voies vers le futur.

En effet, qu’est-ce que l'Art contemporain qui fait peur à certains ? Comme les mots les plus savants deviennent simple avec une explication, pour simplifier et sacrifier au goût rassurant des dates, des repères, on appelle en gros art contemporain celui qui succède à l'art moderne depuis 1945, on s'épargnera les nuances critiques de moderne et postmodernité et leurs nouveaux rapports au temps. Il désigne des œuvres, principalement dans le champ des arts plastiques, produites de nos jours, quels qu'en soient le style, l’esthétique. L’Art Contemporain intègre l’utilisation de nouvelles technologies, vidéo, numérique, c’est assez dire qu’il s’ancre dans notre temps.

Malgré l’ombre grandissante de la pandémie qui a frappé la culture pendant deux ans, le PAC 2020 eut un chiffre impressionnant de 40 000 visiteurs, d’ici et d’ailleurs. Après l’éclipse pandémique, le PAC nous revient donc, avec un nombre de membres du réseau augmenté considérablement, et à l’étroit dans Marseille, il a heureusement débordé et s’est ouvert sur la Métropole, la Provence. Des circuits sont organisés hors Marseille. Pour cinq euros, on peut bénéficier d’un bus pour aller visiter quelque lieu insolite, à Aix ou autour de l’Étang de Berre, où niche ou germe une œuvre, où habite un artiste, qui vous attend, pour un verre de l’amitié, un goûter à partager, que rien n’interdit d’amener non plus !  Mais, sur place, sur le site (voir plus bas) on trouvera une carte des quartiers qui permet de repérer des galeries, des lieux, parfois surprenants et passionnants, où œuvrent les artistes, prêts à montrer leur travail, à répondre aux questions. 

Les musées, l’Opéra ouvrent leurs portes avec un grand succès : entrez aussi chez les artistes, ils vous attendent. L’art, les artistes ont besoin d’être vus dans leurs œuvres, leur travail, leur résidence. L’art, les artistes cherchent, sinon toujours la communion, qui reste toujours un miracle, la communication : on peut leur parler, les interroger. On doit sentir, ressentir, sans forcément traquer un sens. L’art nous concerne tous, il nous environne sans même que nous y prenions garde à voir le nombre de ses lieux et artistes. Le PAC n'est que l’occasion de porter sur lui, sur eux la lumière, avec un effet de loupe qui ne doit pas être éphémère. On ne doit pas rester le nez contre la vitre, contre la vitrine sans oser faire le pas d’entrer (pas obligation d’acheter !) mais il faut franchir ce seuil pour voir, regarder sans crainte de se sentir intrus, indiscret, pas à sa place. Tout le monde a sa place dans l’art, qui nous assemble toujours, même s’il semble ne pas nous ressembler. L’art n’est pas élitiste : il est pour tous. Allez voir les artistes, partager avec eux une émotion, une interrogation, une énergie.

ENFANCE DE L’ART ET ENFANTS DANS L’ART

Protéiforme, multiforme, l’Art Contemporain, ne se laisse pas enfermer dans une forme, une définition : il invite même par sa liberté, à être soi-même artiste. L’artiste est celui qui a gardé son âme d’enfant, joueur, inventif.

Ce qui m’amène moins à une obsession qu’à une évidence que j’ai répétée : cet art réputé complexe me semble directement accessible aux enfants qui, sans préjugés artistiques sur l’art, sans mémoire culturelle traditionnelle, sans références figées comme souvent les adultes, sans ce lourd bagage qui handicape l’appréhension immédiate sensible, tactile, matérielle, d’une œuvre ou du travail d’un artiste, sont d’emblée de plein pied avec le foisonnement divers d’un art infiniment ouvert qui parle, par sa profusion, directement à leur imagination.

« l’Opéra, c’est classe » est une superbe opération opératique qui amène les enfants dans le monde enchanté de l’opéra : le public de demain. Et je témoigne de leur intérêt, de leur fascination, de leur respect des artistes. Il faut le faire autant pour l’art de leur temps, le temps d’une balade en famille avec ces haltes chez des artistes dans la proximité du quartier ou ailleurs.

Le 14e festival PAC (26 mai/12 juin 2022)

Tout est pratiquement gratuit : goûters, apéros, simple verre convivial.
Au programme : expositions en bord de mer, balades à flanc de coteaux, ouvertures d'ateliers, rencontres avec les artistes, concerts, dîners, performances, circuits, et autres découvertes. 
 Retrouvez toute la programmation sur p-a-c.fr/le-festival
https://p-a-c.fr/le-journal

 

 

 

 

 

 

 

 

dimanche, mai 15, 2022

GUERRE QU'ON PEUT AIMER BEAUCOUP


Händel vs Scarlatti

Cristiano Gaudio, clavecin

Label Encelade

« Ah Dieu ! que la guerre est jolie… », écrivait Guillaume Apollinaire, qui mourut des suites de sa blessure par un obus à la tête, achevé par la grippe espagnole la veille de l’Armistice. Ah, qu’il était joli le temps de la guerre en dentelles, au XVIIIe siècle, où le comte Joseph-Charles-Alexandre d'Anterroches, chef de l’armée française à la bataille de Fontenoy, en 1745, lançait avec une révérence courtoise empanachée aux ennemis en ligne face à face : « Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! ».  Je ne dirai pas la raison tactique de cette politesse en une époque où recharger un fusil à un coup s’était s’exposer à « passer l’arme à gauche », offrir une cible immobile à l’ennemi tant cela était long. Mais je reprends à mon compte, à bon compte, ces expressions de guerre jolie dont plaisantait le pauvre Apollinaire, et de guerre en dentelles, pour qualifier, un beau soir, une belle soirée, dans le luxueux Palazzo Corsini de Rome du fastueux Cardinal Ottoboni. En 1709, donc, pour distinguer la guerre, le combat, du moins le duel qui opposa, en perruques dont on ne se crêpait pas le chignon, deux géants de la musique baroque, nés  tous deux en 1685, comme Bach, le Saxon Georg Friedrich Haendel et le Napolitain Domenico Scarlatti. On comprendra donc que je puisse, abhorrant, détestant naturellement la vraie guerre, on le voit aujourd'hui encore, qui rabaisse l’homme, je puisse exalter ce pacifique combat de deux génies où, si l’on s’accroche, c’est en croches et doubles croches, où les salves ne sont que celles des applaudissements d’un public de connaisseurs ravis.

Wanda Landowska, qui le réhabilita au XXe siècle, parlait du « noble ferraillement » du clavecin dont les cordes pincées sont en métal. Händel et Scarlatti, au cours de cette mythique soirée, pendant ce duel duo, vont donc ferrailler, croiser le fer, non de l’épée mais du clavecin. C’est le sujet de ce disque élégant Händel vs Scarlatti, VS non ‘vitesse de sédimentation’ de nos analyses de sang, mais versus latin, ‘contre’, ‘opposé à’. Si l’on ne sait pas grand-chose de concret sur cette compétition entre ces deux compositeurs de vingt-quatre ans, on sait qu’ils s’étaient connus à Venise, où ils avaient sûrement rencontré Vivaldi comme le rêve l’écrivain cubain Alejo Carpentier dans son festif petit roman Concierto barroco. Ils se témoignaient une amicale admiration, en parfaits connaisseurs de leurs qualités respectives.

Le jeune claveciniste italien Cristiano Gaudio, s’est formé en Italie, puis au CNSMD de Paris auprès des meilleurs maîtres, et à la Schola cantorum de Bâle  Blandine Rannou et d'Olivier Baumont, conseillé par Christophe Rousset ou Skip Sempé, lauréat de nombreux prix internationaux,  a eu cette belle idée pour son premier CD. Ce programme, il l’a présenté en concert à Paris ce 13 janvier. On comprend qu’il ait été séduit de se mettre en miroir lui-même à travers deux compositeurs qu’il sert, dans ce duel, non l’un d’une main, l’autre de l’autre, mais, l’un et l’autre à deux puissantes et légères mains, jouant sur deux clavecins du facteur Bruce Kennedy, l'un italien, l'autre allemand, sans les affecter un peu simplement à la nationalité respective des deux compositeurs, mais plus musicalement, selon la nature de la pièce à interpréter. On peut imaginer qu’il a eu à cœur, d’adapter son style propre à celui de chacun des deux, qu’il défend avec une égale technique, une étourdissante virtuosité, leur prêtant toute la fougue de sa jeunesse et de son sang italien, sans en verser une seule dans cet idéal duel.

Commençons la pacifique confrontation avec un mouvement lent de chacun des deux musiciens, d’abord la Toccata 11 de Händel :

1) PLAGE 4

À défaut de connaître l’exact programme de la légendaire soirée, Cristiano Gaudio tire le répertoire Haendel du CD des manuscrits de Bergame (une sélection de Toccatas) et de Naples, qui pourraient correspondre à la période italienne du jeune compositeur. Pour ce qui concerne Scarlatti, qui a composé 555 sonates pour clavecin, il en retient dix. Nous écoutons quelques mesures de la K32, sous-titré, Aria, air :

2) PLAGE 5

Après ces mouvements lents des deux musiciens, donnons le pas aux vifs dans lesquels s’exprime la virtuosité acrobatique du baroque le plus vertigineux qui devait soulever l’enthousiasme des auditeurs comme les roulades obstinées non pas de l’allegro, allègre, mais l’Allegrissimo de la Sonate K43 de Scarlatti :

3) PLAGE 8

La toute brève Toccata 1 de Händel ne le cède en rien en vélocité, prestesse, prestidigitation :

4) PLAGE 19

On regrette, bien sûr, de ne rien connaître de précis de cette soirée, de ce match organisé par des mécènes raffinés entre deux jeunes compositeurs déjà bien cotés. Nous avons simplement ce témoignage de Scarlatti lui-même :

 « à 24 ans, je participai à une compétition avec un jeune homme nommé Haendel qui était considéré comme un prodige, je fus vainqueur au clavecin et lui à l'orgue ». 

Donc, il reconnaît avec élégance un match nul et l’on apprend qu’il y eut deux instruments en jeu. La biographie de Händel par John Mainwaring (Memoirs of the Life of the feu George Frederic Handel, Londres, 1760) est lointaine mais, après tout, ces compétitions étaient à la mode.

         Un mouvement modéré de Scarlatti, cette fugue de sa Sonate K. 58, Fuga :

5) PLAGE 18

Sans trancher le débat, le duel, que nous préférons duo, nous quittons ce CD par un bel arrangement pour clavecin de Cristiano Gaudio, de l’Adagio de la Sonate pour violon en la majeur de Händel :

6) PLAGE 21 

RCF ÉMISSION N°582  DE BENITO PELEGRÍN DU 19:1:22 

 

 

lundi, mai 02, 2022

GÉNÉROSITÉ DES VOIX

 

NOS VOIX POUR L’UKRAINE

Temple Grignan,

Dimanche 24 avril 2002


            D’un concert prévu, annulé par la pandémie, ces jeunes chanteurs ont fait un prévisible concert de solidarité au bénéfice de l’Ukraine, tant leur générosité juvénile répond à celle de Marthe Sebag, fondatrice, Présidente, âme infatigable de Lyricopéra. Dans cet espace apprécié du joli Temple de la rue Grignan, où son propre piano est gracieusement à demeure, toujours prêt pour la grâce d’un envol musical d’un concert, depuis les déjà anciens débuts de Lyricopéra, elle a permis à un grand nombre de jeunes artistes internationaux, issus du regretté CNIPAL (Centre National d’Insertion Professionnelle d’Artistes Lyriques), de faire leurs premières armes publiques, dont certains, découverts ici il y a longtemps, font  aujourd’hui une remarquable carrière sur les scènes du monde.

         Cette fois-ci, elle a réuni sept jeunes talents du Conservatoire de Marseille, dont on se réjouit de voir que, fidèle à son identité de ville ouverte sur les quatre horizons, ils viennent des quatre continents, du monde entier. Le facteur commun entre eux (factrice, fée fédératrice de beau chant) est une professeure d’ici, très appréciée à Marseille mais rayonnant très loin, à preuve puisque ces jeunes disciples du concert, pour travailler avec elle, bénéficier de ses leçons et conseils, viennent du Caméroun, du Vénézuela, de Chine, du Guatemala, de Syrie, et enfin, de cette Ukraine martyre pour laquelle saigne notre cœur. Remarquable concert dont le bénéfice a été reversée, sur scène, à l’association franco-ukrainienne Victor Orly. 

         À la qualité des élèves, on reconnait l’excellence des maîtres. En l’occurrence, Magali Damonte. Très jeune mezzo colorature, vite célèbre, elle a chanté les grands rôles rossiniens et mozartiens d’Aix à l’Amérique sur de grandes scènes mondiales, pour se retirer dans sa ville natale, trop tôt pour les amoureux de sa voix et son talent, mais un atout pour ce Conservatoire et ses aspirants chanteurs. Une remarquable pianiste Anne Guidi, accompagnatrice du cours et professant aussi, soliste chambriste internationale, a montré de manière sensible, sa complicité artistique affectueuse avec ces jeunes accompagnés au succès, enfin devant un public, sous l’œil vigilant et l’oreille attentive de la professeure présente. À juste titre, au-delà de la bonne action de la cause, toutes deux pouvaient être fière de leurs poulains, qui ont charmé les spectateurs —et le critique ému, mais dont la tête n’est pas la dupe du cœur.

         On salue d’abord le choix excellent du répertoire, partant du chant baroque, qui est la vraie gymnastique vocale et stylistique nécessaire, la santé de la voix exercée, l’absolue maîtrise technique qui seule permet la virtuosité et le raffinement : le vrai bel canto, au sens historique et premier du mot. Mozart, même tendant vers le classicisme, en est encore l’héritier acrobatique vocal. La seconde partie était dévolue à l’opéra du XIXe siècle, avec le beau cadeau original, précieuse découverte, d’un air local offert par ces jeunes venus de diverses cultures du monde.

Hommage à l’Ukraine, c’est le baryton ukrainien Dmytro Voronov, physique clair de jeune premier slave, qui ouvre le concert avec un passage de l’acte III d’Orlando (1733), inspiré de l’Arioste, d’un Haendel au sommet, chanté par Zoroastre, « Sorge infausta una procella ». C’est une « aria di paragone », air rhétorique qu’on dirait « classique » dans l’économie de l’opéra baroque, construit sur une comparaison traduisant un état d’âme, ici la tempête funeste de la passion et ses infortunes, mais qui annonce l’étoile paisible du bonheur. C’est pour une basse mais, avec la liberté baroque de tessiture, le jeune baryton au timbre rayonnant le sert avec une vaillance sans faille, déroulant impeccablement les implacables vocalises volubiles, tempétueuses, belle tenue de ligne, variations bien venues dans les ornements du da capo.

Dans le fameux duettino avec Zerlina du Don Giovanni de Mozart, « Là ci darem la mano… », on comprend qu’il soit pressé de déguster le ravissant fruit exotique, à voix joliment fruitée, de la brune de blanc vêtue, Katherine Serrano ; mais vocalement autoritaire, il est séduisant sans être séducteur, sûr d’un charme physique qui le dispense des séductions cauteleuses, insinuantes, des couleurs vocales pour embarquer une fiévreuse et fragile Zerline finalement plus à emporter qu’importer à séduire.

Sous l’émouvante image des bourgeons verts des clochetons poussés autour du dôme doré du clocher de la cathédrale Sainte-Sophie de Kiev (autant que je me souvienne), le jeune baryton fermera le concert avec deux chansons de son pays, dont la valse lente Kyieve miy Kyiv, ma ville,’ du grand compositeur Ihor Shamo (1925 -1982). À l’heure où son pays est martyrisé, où cette ville jardin de Kiev est bombardée, menacée de destruction, on sent toute l’émotion du jeune chanteur : il arrive à la maîtriser, à nous la communiquer, à nous la communier et je suis sûr de n’avoir pas été le seul spectateur à en avoir eu les larmes aux yeux.

    Entre ce début et cette clôture du concert hommage, délicatement confié à ce jeune Ukrainien, une palette de talents solidaires nous était judicieusement présentée.

La soprano vénézuélienne Katherine Serrano, voix large, aisée, avec aisance passe du jeu ou double jeu faussement innocent de la gracieuse et astucieuse Zerline avec Don Juan pour être une crédible Illia, prisonnière troyenne en Crète, victime de guerre, arrachée à sa famille, et leur disant un  déchirant adieu déchiré de vocalises : « Padre, germani, addio » de l’Idomeneo, re di Creta (1781) de Mozart. Aussi facilement, elle sera une brillante Juliette de Gounod dans sa jubilante valse. Accompagnée à la guitare par Grégoire Gérin, elle nous régalera d’un air du folklore vénézuélien, El curruchá de Juan Bautista Plaza Alfonso (1898 – 1965), au texte malicieux de Vicente Emilio Sojo, au dernier vers métaphoriquement érotique, les effets physiques sur l’amoureux de la danse lascive de sa belle : un fameux joropo, héritage du fandango espagnol, qui exige flexibilité, agilité, volubilité, avec des accélérations diaboliques de zapateado dont se souviendra Rossini, marié à une espagnole et collaborant avec son interprète Manuel García, non seulement dans son Barbier  mais aussi ses chansonnettes espagnoles.

Auparavant, elle aura été la triomphale, pour l’heure, mais proche victime de Néron dans « Pur ti miro », le duo final de Ferrari rajouté à la version de Naples de L'Incoronazione di Poppea de Monteverdi, tout d’étreintes de vocalises voluptueuses enlacées mais teintées de mélancolie, sans doute du pressentiment du dramatique futur de ce couple. Timbre tout de léger velours sensuel, son amoureux empereur est la Guatémaltèque Nicole Franco, qui dans le feu de sa robe rouge devient une figure tragique célébrée par le Baroque, la reine de Carthage Didon, abandonnée par Énée. Dans le désespoir de sa dignité blessée et de son amour bafoué, elle prépare son suicide, disant adieu à la vie et à sa sœur Belinda, dans le bouleversant lamento en gammes descendantes mineures que lui prête Purcell, avec le cri déchirant sur l’aigu « Remember me ! » Sans peine, elle sera la désinvolte Carmen de Bizet, dans la séguedille, pimentée d'un délicieux accent hispanique. Avec pour partenaire à la guitare encore Grégoire Gérin qui semble tisser et distiller la dentelle de ses notes, elle propose une touchante interprétation de la célèbre chanson, rythme de zamba (la danse argentine non brésilienne) de la chanson Alfonsina y el mar d’Ariel Ramirez et Félix Luna sur le suicide, en 1938, dans la mer, de la poétesse argentine Alfonsina Storni.

Chevelure noire sur velours noir, la soprano chinoise Wenhua Yuan, voix puissante et tragique remue le public par son incarnation de la Wally (1892) de Catalani dans l’air très connu, le seul qui ait survécu de l’opéra, « Ebben?Ne andrò lontana », quand l’héroïne brave les neiges des Alpes pour fuir courageusement la tyrannique maison familiale, inspiré d'une chanson groenlandaise sur un texte, semble-t-il, de Jules Verne. Une autre soprano asiatique, Shan Guo, illustre encore l’opéra italien vériste du XIXe siècle, coiffure et tenue japonaises, elle incarne une autre forte héroïne, une très crédible et sensible Madama Butterfly de Puccini, interprétant avec tendresse et vaillance son grand air, « Un bel di vedremo », son rêve du retour de l'abandonneur époux frivole, vision pleine d’espoir qui sera cruellement avérée, il revient, mais pas pour elle, la conduisant au suicide. Puis, parée d’un fin foulard, avec une autre émission de voix et une autre douce émotion, aigus haut perché, elle nous régale d’un air du folklore chinois, « Fleur de poirier », avec des gestes pleins de grâce fleurie.

Face au quatuor des dames, deux autres remarquables chanteurs complétaient le trio masculin. Le baryton camerounais Maurel Endong, baryton-basse, élégante présence, campe un Figaro plein d’allant et d’allure, dans la martiale ironie de l’air « Non piu andrai, farfallone amoroso… » terminant en parodique marche militaire, extrait des Nozze di Figaro de Mozart. La voix est puissante, sombre, riche et moelleuse. Il se glisse avec aisance dans la sarcastique sérénade, « Vous qui faites l'endormie » de Méphisto du Faust de Gounod, avec ses cascades de rires infernaux. Enfin, il interprète avec ferveur un célèbre negro spiritual de 1927, qui chante la toute-puissance de Dieu qui « tient le monde entier dans ses mains », He's got the whole world in His hands, dont la fin de chaque strophe répétée, « hands » est l’empreinte chorale homophonique du chant africain.

Un ténor ne pouvait manquer, Hassan Memmou : il vient de Syrie, déjà autre pays martyr des Russes. Présence puissante, il déploie l’airain éclatant d’un timbre qui sait se faire plainte pour exprimer l’absence de lumière, doux gémissement dans « Total eclipse », l’air de supplique de Samson aveugle de l’oratorio Samson de Hændel. Il nous fera la surprise, en arabe, d’un chant d’amour populaire en Syrie, insolite pour nous, sur la musique du pseudo Adagio d’Albinoni, envoûtant avec ses mélismes guère éloignés des vocalises baroques qui, au fond, sont un patrimoine commun à toute la vocalité méditerranéenne des trois religions du Livre, quelles que soient les stupides frontières que leur impose arbitrairement la bêtise et l’ignorance humaines. Il mena ensuite la voix soliste de l’Hallelujah de Leonard Cohen, un chant d’espoir en l’humanité, par-delà les différences que ces jeunes artistes, venus de continents différents, de cultures diverse,  mais unis dans la fraternité universelle de la musique, assurèrent le chœur, de tout cœur, et nous avec eux.

Un bon et beau concert pour une bonne et belle cause.

On peut retrouver le plaisir du concert filmé par Gérard Monchablon sur son compte Youtube :

monchamcb

C’est Marthe Sebag qui assure les projections qui illustrent en textes et images les morceaux chantés.

Le visuel ci-dessus, affiche du concert, illustrant aussi cet article, est la photo autorisée que le photographe JR a déployée sur la place de Lviv, sur une toile géante. La petite fille s’appelle Valeria, elle a cinq ans, sa photo a fait, justement, le tour du monde, celui qui ne se bouche pas les yeux devant le drame ukrainien

Réservations Lyricopéra pour les futurs concerts : 06 32 94 65 40

 

 

 

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