Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
Ci-dessous : liens vers les sites internet de certains de ces supports.

L'auteur

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Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

dimanche, octobre 12, 2008

SALAMMBÔ

SALAMMBÔ
Opéra en cinq actes et huit tableaux d’Ernest Reyer, livret de Camille de Locle d’après le roman de Gustave Flaubert Opéra de Marseille, 5octobre

Marseille n’est pas qu’une future « capitale culturelle » et n’a pas toujours été ingrate envers ses créateurs, locaux ou venus d’ailleurs, contraints à chercher à Paris une reconnaissance souvent niée en leur indifférent pays. Renée Auphan, pendant son mandat à la tête de l’Opéra de Marseille, avec son complice Maurice Xiberras, toux deux Marseillais d’ici et d’ailleurs, s’est vouée à fêter certains illustres concitoyens parfois un peu trop négligés chez eux : tour à tour, des hommages ont été rendus à Louis Ducreux, à travers des reprises de son fameux passage chez nous et d’un amical foyer à son nom, à Edmond Rostand, avec son Aiglon mis en musique par Ibert/ Honegger, à Pagnol, avec la création de Marius et Fanny. Voici le tour d’Ernest Rey (1823-1909), célébrissime en son temps et jusqu’au milieu du siècle dernier sous le nom de Reyer, duquel la place de l’Opéra prend son appellation, anticipant d’un an le centième anniversaire de sa mort. Nous eûmes la chance, il y a quelques années, d’entendre ici son Sigurd (1884) mais Salammbô (1890) avait déserté notre scène (et celles du monde entier) depuis plus de soixante ans.

L’œuvre
Du Locle avait déjà écrit pour Verdi les livrets de Don Carlos et d’Aïda, et celui de Sigurd pour Reyer. Il partit du canevas de Flaubert lui-même qui rêvait d’un opéra sur son texte, la révolte des mercenaires contre Carthage, indignés par « la foi punique », la mauvaise foi des Carthaginois qui refusent de les payer alors qu’ils ont défendu de leur sang leur cité contre Rome. Le romancier avait opéré un découpage des scènes à faire, confiant la rédaction d’abord à Théophile Gautier, puis à son gendre Catulle Mendès, qui déclarèrent forfait.
Le roman touffu de Flaubert, encombré de somptueuses mais statiques descriptions, épuré en livret par de Locle, dans un contexte guerrier et politique, rejoint les classiques intrigues d’opéra : une virginale prêtresse, telle Norma ou la Vestale, amoureuse d’un ennemi, déchirée entre son devoir, sa religion et son amour, compliqué de la jalousie d’un traître : la trilogie classique de l’opéra XIX e siècle des amours contrariées d’un ténor et d’une soprano par une voix basse. L’héroïne est tentée comme une Judith ou une Dalila de venger sa patrie en tuant l’ennemi, mais Salammbô préfèrera se suicider au lieu de sacrifier son aimé, qui la suivra dans la mort -comme Roméo.
L’opéra de Reyer, après un succès éclatant, a été dénigré par des musiciens, le prix peut-être de son intransigeance acerbe de critique musical, juge et partie pris à son piège. Mais la caution de son ami Berlioz et l’admiration de Bizet, entre autres, devraient faire réfléchir. Si quelques accords de l’ouverture et des leitmotive font songer à Wagner, ce qui est normal à cette époque, rien à voir ni à entendre avec d’Indy et Chausson, qui s’en réclament ouvertement. Sans chercher automatiquement et abusivement des références, il est vrai qu’on songe parfois aux couleurs orchestrales et aux rythmes martiaux des Troyens de Berlioz (mais parties médianes mieux remplies) et, pour la déclamation lyrique, large, soutenue, c’est comme, chez Berlioz, dans Gluck qu’il faut la chercher, et d’ailleurs, le même type de voix féminine est requis : un soprano dramatique ou une mezzo. 
Cependant, efficace, adaptée à son objet farouche et guerrier, la musique de cet opéra d’hommes et de chœurs, avec de poétiques parenthèses de douceur féminine, est pleinement de son temps, mais originale.
La désaffection tient plus sûrement à la nécessité d’un plateau extraordinaire, un grand chœur, sept grandes voix masculines plus une chanteuse exceptionnelle pour passer la rampe d’un orchestre dense, nourri, souvent a tutti, dans des tessitures hors normes, exacerbées aussi. C’est déjà la première réussite de cette résurrection.

La réalisation
L’autre gageure de l’œuvre tient à la démesure des moyens scéniques originaux que nous rappellent les belles projections de maquettes de décors et costumes d’époque, très marqués par le style Art Nouveau du temps. Autres mœurs et contraintes de notre époque de pénurie : faute d’onéreuse mise en scène, la mise en espace. Yves Coudray, avec son inventivité habituelle, s’en charge : dispositif très simple, un praticable à degrés, palais, temple ou terrasse, deux colonnes délimitant des espaces divers fermés d’une tenture, une statue, une table, des bancs, un canapé. Les chœurs et les personnages s’y disposent en d’harmonieuses diagonales. Les éclairages de Philippe Grosperrin créent des atmosphères, jour, nuit, pénombre rosée du temple, dessinent des triangles bleus de rêve sur fond noir ou sanglants comme une lame.

L’interprétation
Pour la dernière, les chœurs (Pierre Iodice) sont parfaitement rôdés et domptés et déploient une énergie grandiose et barbare. Éric-Martin Bonnet, Antoine Gardin, basses, André Heyboer et Jean-Philippe Lafont (leur aîné), barytons, font un sombre tapis vocal et viril et illustrent au mieux l’école française de chant, tandis que Wojtek Smilek a la noirceur caverneuse du traître et son accent polonais ajoute de la couleur au personnage de roi Numide. En prêtre cauteleux et insinuant, mains jointes onctueusement comme un juvénile séminariste, Sébastien Guèze, étonnant dans ce rôle, déploie une voix claire pour sombres pensées, murmurant à l’oreille mais déferlant sur la houle orchestrale. Dans le rôle de Mathô, le chef mercenaire rebelle, Gilles Ragon, technique à toute épreuve se lance à corps perdu, sans perdre la voix ni la justesse de l’expression, dans la tempête orchestrale passionnellement déchaînée. Les quelques répliques de Murielle Oger-Tomao suffisent à imposer cette servante mais, tourmentée, douce, violente, aussi belle de ligne vocale que de corps, Kate Aldrich, avec une diction impeccable, voix large, généreuse, ductile, mezzo aux beaux graves, aux aigus éclatants et aisés, fait sien le rôle de Salammbô.
À la tête d’un orchestre transcendé, Lawrence Foster fait tonner, briller, vibrer, murmurer les luxuriances d’une généreuse partition heureusement retrouvée.

Orchestre et Chœur (Pierre Iodice) de l’Opéra de Marseille ; 
Direction musicale, Lawrence Foster ; mise en espace : Yves Coudray ; lumières : Philippe Grosperrin ; 

Salammbô : Kate Aldrich ; 
Taanach : Murielle Ogier-Tomao ; 
Mathô : Gilles Ragon ; Shahabarim : Sébastien Guèze ; 
Hamilcar : Jean-Philippe Lafont ; 
Narr’Havas : Wojtek Smilek ; 
Spendius : André Heyboer ; 
Giscon : Antoine Garcin ; 
Autharite : Eric Martin-Bonnet ; 

Marseille, du 27 septembre 2008 au 5 octobre.

Salammbô a été diffusée samedi 11 octobre à 19h30 sur France-Musique dans la "Soirée Lyrique" de J. Rousseau.



Photos Christian Dresse :
1. Salammbô et les mercenaires ;
2. Salammbô et le directeur de conscience ;
3. Salammbô et Mathô ;
4. Mort des amants.

vendredi, octobre 10, 2008

Le cas Dimec(K)h

LE K DIMEC(K)H
Sur la route d’OKlahoma
d’après
AmériKa ou le disparu de Franz KafKa
La friche de la Belle-de-mai
(du 25 septembre au 2 octobre)

On n’entre pas aisément dans l’univers de FranK Dimech. Mais, dès l’entrée, on est saisi : dans une pénombre d’angoisse, un roulement sourd et sonore de monde qui s’écroule, écroulement ou bombardement indistinct mais présent. Dans la lumière glauque qui se lève – ou se couche- et qui restera dans cette indécision immuable, on découvre ce qui paraît une urne, en fait un piano déglingué recouvert de pierres, non, de pommes de terre, dont l’éboulement régulier sur le tambour répercutant et vibrant du caisson de bois de la scène (Sylvain Faye) causait ce bruit étrange venu d’ailleurs. Elles joncheront le plateau, imposant aux acteurs des contraintes et des contorsions, parfois trop forcées, un malaise ambulatoire crispant attitudes et jeu.
De l’ailleurs d’un fenestron livide perché sur la hauteur du mur sinistre du lieu, qu’une femme, assise de dos presque tout au long, ouvre et ferme par intermittence en grimpant une échelle en fer, des vagissements, des pleurs lointains d’enfant, une comptine, vont scander ou trouer le déroulement ou la juxtaposition de corps solitaires mais non solidaires et d’actions sans actes ou d’actes sans action à proprement parler dramatique, sans linéarité sensible, dans une perpétuelle hésitation, une indétermination entre long silence et fil coulant de parole abondante comme pour laver à grand flot, parfois étalé dans l’écluse de vraies tirades (flaques de discours étanches et autarciques), comme pour effacer la tache du mutisme d’un monde sans réelle communication, sans communion à coup sûr, à part des yeux méfiants et une esquive de l’Autre singulier, l’intrus, ce K quémandant regard, échange, et dialogue. Il s’en retournera, pauvre et littéralement nu comme Job, non sur un tas de fumier mais de pommes de terre (après tout richesse d’un temps de pénurie…) dans l’expressivité touchante de K (Laurent de Richemond), malgré la complaisance de Dimech à mettre a nu la misère inesthétique des corps et du monde.
Ce Grand Théâtre délabré du Monde prend son prétexte chez Kafka, attente d'embauche dans un cirque, mais la mise en scène ne « joue » pas le texte ni contre le texte, ni dans le texte mais hors du texte. Même dans le jeu du non jeu imposé aux excellents acteurs, Dimech a cependant une manière de les faire jouer, subtile, décalée et, surtout, le texte, déjoué, désémantisé de son contexte, prend une vie étrange et parfois loufoque, mais confinant au tragique, dans ces tirades réussies. Difficile d’entrer, mais pas facile d’en sortir.

Photos Francis Blaise



jeudi, octobre 09, 2008

Octobre baroque

BAROQUE ET SAISONS

Trionfi sacri

Motetti, canzoni & sonate di Goivanni Gabrieli per San Marco di Venetia
Basilique du Sacré-Cœur, Marseille, 1 octobre
Solistes et orchestre de la 15 e Académie baroque européenne d’Ambronay
Direction Jean Tubéry

S’il divise la vie et l’année en saisons comme Gracián ou Vivaldi, le Baroque n’a pas de saisons et encore moins à Marseille, promise capitale culturelle, où l’on cultive les fruits baroqueux d’un Mars en Baroque couvrant le champ d’octobre pour le CRAB (Centre régional d’Art Baroque, direction artistique Jean-marc Aymes), sans oublier, entre autres ensembles locaux, Anna-Magdalena Bach de Natalia Cherachova, Baroques Graffiti de Jean-Paul Serra et Les Festes d’Orphée de Guy Laurent, voué obstinément à faire revivre les compositeurs baroques provençaux et, désormais, à faire renaître l’oublié Concert de Marseille du XVIII e siècle créé sur le modèle du Concert spirituel de Paris.
Dans la basilique néo-byzantine et néo-romane du Sacré-Cœur érigée en 1947 pour commémorer la peste de 1720, sous l’immense corolle de la fleur inverse de sa voûte soutenue de colossales colonnes de granit rose de Corse, protégée et illuminée du céleste parapluie d’une mosaïque dorée, pour un soir, Jean Tubéry, à la tête des Solistes et orchestre de la 15 e Académie baroque européenne d’Ambronay, faisait renaître les fastes grandioses de la musique d’une Venise à son apogée, à cheval entre les XVI e et XVII e siècles avant son inéluctable décadence. À l’honneur, un maître de chapelle de la Basilique Saint-Marc, cœur battant, spirituel et musical de Venise comme le Palais des Doges l’était du pouvoir politique patricien : après Adrian Willaert qui apporte la science flamande du contrepoint sur les rives de la Méditerranée, après le fameux Zarlino dont la théorie fait faire à la musique un pas décisif vers le système harmonique et mélodique modernes, Giovanni Gabrielli, y partage d’abord avec son oncle et maître Andrea Gabrielli (nous en entendrons une bataille) les deux orgues, avant d’en devenir le compositeur officiel, le maestro di cappella, et rien moins que Monteverdi lui succédera dans ce poste. C’est dire l’importance capitale pour toute l’Europe de cette musique vénitienne et ce concert nous en rafraîchit somptueusement la mémoire.
Les années 1597-1612 de ces œuvres sont cruciales pour l’orgueilleuse Sérénissime République au sommet de sa puissance : en 1605, elle a défié l’Église de Rome qui voulait la soumettre et la frappe d’interdit ; elle résiste à l’impériale Espagne qui règne sur presque toute l’Italie et régente l’Europe. Toute cette superbe se sent dans le faste de cette musique religieuse mais guère humble, triomphaliste qui comble l’espace et le Sacré-Cœur comme elle remplissait l’orgueil de Saint-Marc avec ses deux loges de chœurs opposées, jouant des échos, des répons, des réponses chorales et instrumentales, à grand renfort de cuivres de solennelle procession arrivant par les déambulatoires, traversant le transept. Et l’un des grands mérites de Tubéry c’est de rendre vivant et vibrant l’espace en spatialisant avec une souplesse toute musicale, sans discordance, dans des interludes à l’orgue, au clavecin, aux luths et théorbes, ses jeunes musiciens et choristes qui se déplacent entre chaque morceau, latéralement, transversalement, de droite à gauche, du chœur à la nef et même dans les tribunes, nous enveloppant de couleurs de timbres de vents, de voix, de cordes, comme d’un chaleureux manteau de saint Martin que nous partageons tous, voluptueusement.

Photo Philippe Matsas : Jean Tubéry, avec un cornet à bouquin.



mardi, octobre 07, 2008

André Beaurepaire, Studio Musicatreize

L'univers en fuite
d’André Baurepaire


L’œil était dans le cadre et regardait… Que regarde cet œil immense qui, dès l’entrée, vous saisit comme un objet de son titanesque objectif ? Regard hagard de masque, mascaron, théâtraux, décliné en agrandissement de zoom retenu par la rigueur d’un cadre qui contient de son arête vive la vivacité aiguë d’une, de deux de ces dévoratrices prunelles, d’or, de cuivre, d’acier, d’un bleu saphir venu d’ailleurs. Regard du peintre qui happe le réel pour le faire, défaire, le refaire en teintes vives, irréelles, citron sur azur, feu sur brasier et nettes structures de lignes obliques, diagonales acérées voulant trouer le cadre dans leur fuite perspective, leur expansion visant l’infini à partir du noyau invisible de l’explosion d’un monde à la rigidité architecturale estompée de roux, de rouille, de brun, de brumes, de flammes, d’oriflammes fantômes, de fumées, de fumerolles, de nues, de nuées, de nuages jaunes, jaunâtres, d’évanescentes vapeurs : géométrie cubiste démentie par tout ce qui contredit la ligne, rogne l’arête, l’équerre, molles nuées cotonneuses, célestes divans profonds à de vagues personnages échappés de la rondeur aérienne d’un plafond baroque, posés dans la langueur indécise de la volupté dans de moelleux bouillonnements nuageux.
Ailleurs, empâtées de pastel, de lointaines foules nues, nourries, serrées, dans la grille et la rouille d’une incertaine pluie, ou dans le gris, grisâtre délavé, pâle, palette impressionniste, impression d’oppression estompée de brouillard sinon de nuit. Les tableautins de bateaux, épurés, aux lignes décidées et aux vives couleurs : toujours des lignes diagonales, de fuite, qui font un monde tempétueux par beau temps du coloris, univers instable mal assis sur la charpente oblique qui aspira encore à un ailleurs infini, au-delà du cadre, par-delà l’horizon.
Les deux fenêtres ouvertes, rouge, bleue, tout aussi inclinées, semblent projeter violemment un dehors du dedans dans une implosion ou explosion qui brouille les repères d’extérieur et d’intérieur. On croise Dali, on entrecroise des lignes du futurisme, du cubisme, mais, dans tout cet environnement pictural, il y a l’évidente patte et la pâte originale d’une sorte d’expressionnisme baroque original.
André Beaurepaire, né en 1925, déniché par Cocteau, collaborateur de Massine des Ballets russes, au passé prestigieux, a un beau présent marseillais : non seulement ses tableaux inspirent le décor de L’Enterrement de Mozart, livret d’Hubert Nyssen, musique de Bruno Mantovani, interprété par Musicatreize sous la direction musicale de Roland Hayrabédian, mise en scène de Jeanne Roth, donné le 9 octobre au Gymnase et, de plus, projection d’avenir, le peintre illustre poétiquement le beau livre/disque de cette œuvre aux Éditions Actes Sud. Par ailleurs, on peut admirer une sélection de ses toiles au Studio Musicatreize, 53, Rue Grignan, jusqu’au 17 octobre.

Photo : André Repaire, Fenêtre rouge

jeudi, octobre 02, 2008

Nuits d'été

ÉTÉ INDIEN

(Nuits d’été)
L’Italie du Paris romantique et de Liszt

Concert Brigitte Peyré, soprano, Laurent Wagschal, piano
Musée Granet, Aix-en-Provence
28 septembre 2008


Concert de clôture de cet autre festival à l’ombre du « Festival » d’Aix, qui de mai à septembre a habité divers lieux intimes et ravissants de la charmante cité des fontaines : tour à tour le cloître secret et la baroque Chapelle des Oblats, l’austère église de Saint-Jean de Malte, ont accueilli les Polyphonies croates, le Quatuor caliente et Débora Russ pour un voyage au cœur du tango nuevo, du flamenco intemporel, le Lachrimæ Consort de Philippe Foulon. Nous pûmes faire un tour À l’Alcazar de Zanzibar, où, sur des images de Christelle Neuillet, cartes postales fanées comme des souvenirs ambigus d’un colonialisme exploiteur sous couleur (raciste) de civilisation, entre révolte et nostalgie, dans une scénographie et des lumières de Bernard Grimonet, Marie Prost, soprano, avec la complicité blagueuse de Frédéric Carenco, pianiste, nous fit faire une balade gouailleuse, railleuse, émue, en chanteuse de beuglant déguinglé, de Vincent Scotto à Xavier Montsalvatge en passant par Bizet et Ravel. C’était au Musée des Tapisseries.
Et, belle façon, sinon de prolonger un été défaillant, de nous y faire rêver, nous voici dans un autre musée, celui de Cézanne, tout près des œuvres de ce grand maître et des toiles de Granet, l’aîné aixois, puisque nous sommes chez lui : le Musée Granet, peintre honoré par une conférence de Denis Coutagne et Christine Prost, Images de Rome à travers la peinture de Granet et la musique de Liszt , suivie de ce concert, son pendant musical.
Allure et figure, Brigitte Peyré, au-delà de la parfaite musicienne et technicienne aussi à l’aise dans le Baroque que dans la musique contemporaine (première française à interpréter Pli selon pli de Boulez), c’est une artiste qui entre dans les morceaux et hante ses interprétations musicalement et dramatiquement, dans un éventail qui va du tragique au comique (voir ici « Côté cour, côté cœur »). Aussi est-ce toujours un bonheur renouvelé que de la retrouver dans des récitals de mélodies où elle fait, de chaque air, une atmosphère particulière, un pays du cœur, un paysage de l’âme.
Le pays ici, c’est la France ; les paysages, l’Italie offerte à l’admiration de Paris par les compositeurs italiens des années 1830 du romantisme, Donizetti, Bellini, Rossini francisant et Liszt italianisant. Avec pour compagnon de voyage Laurent Wagschal, vrai pianiste autant qu’accompagnateur, sur le vaisseau à l’aile déployée comme une voile de son piano, Brigitte Peyré, gracieuse, rieuse, malicieuse, nous embarque en gondole avec Donizetti et Rossini, ondoyant, ondulant sur les vagues pianistiques qui jouent, pour se faire peur, la tempête, illuminée par l’éclair d’une vocalise perlée et irisée comme un arc-en-ciel. On joue aussi les grandes protestations d’amour conventionnelles avec Bellini, aux textes tournés vers le XVIII e siècle néo-classiques de Métastase, vignettes opératives où Peyré déploie des aigus éclatants et des graves moelleux et sensuels sans lourdeur. De ce même poète librettiste, d’un texte des plus convenus sur l’amant souffrant en silence, Rossini a fait diverses variations et, ici, du drame apparent de la plainte silencieuse, Mi lagneró tacendo, on passe à sa dérision aux syllabes cocassement concassées en cocottes. C’est enfin Liszt, la fameux lied de Mignon de Goethe, fiévreux, pressé de désir, troué de silences et d’évocations brumeuses et angoissées de la mémoire, auréolées d’espoir final. Le célèbre O quand je dors, sur le poème d’Hugo, avec sa sensualité tendre, est donné avec une magnifique douceur d’aigu forte suspendu en pianissimo de rêve pour l’évocation de la Laure de Pétrarque que nous retrouvons, dramatiquement dans le Sonnet 104, déclamation fiévreuse, récitative, qui s’élève à la plainte véhémente achevée sur une cadence à saveur ancienne archaïque.
Ce même sonnet, dans sa version pianistique, sous les doigts virtuoses de Laurent Wagschal, couvert de prix, a une effervescente agitation passionnelle de révolte qui s’apaise dans une sorte de soumission amoureuse qui se fond lentement dans le silence. Le Spozalizio, toujours de Liszt, plus qu’une description figurale, semble une méditation sur les «Noces de la Vierge » (1504), le tableau de Raphaël, où dans des douces teintes harmoniques blondes, tendrement solaires, des sonneries de cloches bleues, une voix féminine semble murmurer, dialoguant avec le registre grave d’une voix sur fond de commentaires choraux en crescendo où passent des couleurs dissonantes, peut-être d’un futur de douleur, avant un soupir final infinitésimal. La Barcarolle opus 60 de Chopin, bercée d’une douce cantilène qui rappelle l’admiration du compositeur polonais pour Bellini, toute scintillante de clapotis, dans ses creux de vagues, fut malheureusement desservie par le plafond bas du musée saturant les graves. Seul bémol à l’accord parfait de ces deux artistes.

L’Italie du Paris romantique et de Liszt (Donizetti, Bellini, Rossini, Liszt), par Brigitte Peyré, soprano, Laurent Wagschal, piano,
Musée Granet, Aix-en-Provence, 28 septembre 2008.




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