SALON D’AUTREFOIS À LA MODE
D’AUJOURD’HUI
AMADEUS ET LE DON JUAN
NOIR
Leda Atomica, 2 décembre
Théâtre Nono, 17 février
Il y a dans
Marseille des lieux, non certes pas secrets, mais connus de quelques fidèles,
on dirait des initiés, pour y célébrer le culte de spectacles musicaux hors des
sentiers battus.
Ainsi, Leda Atomica, nom tiré d’une
toile de Dalí que prit un des plus vieux groupes rock de la ville dont on n’a
pas oublié les surréalistes spectacles de rue. Co-fondé dans les années 80 par
Phil Spectrum, récemment disparu, il s’érigea en collectif, créant le label LAM
(Leda Atomica Musique) ouvert à toutes les musiques. Depuis 2001, dans le
foisonnant quartier de la Plaine, c’est un cryptique lieu : une salle
moyenne, reliée par un bref couloir en coude, où s’accoude le comptoir d’un
petit bar donnant dans l’angle d’un recoin intime d’une toute petite scène
devant quelques chaises et un canapé. Studio d'enregistrement, lieu de
création, de récréation et de travail pour des musiciens soucieux de partager
leurs expériences, structure productrice de spectacles vivants, dispensant leur
savoir dans des stages et ateliers ouverts aux amateurs : chant, théâtre
bilingue, danse orientale ou de théâtre pour enfants. Tous les premiers
mercredis du mois, LAM organise un repas gastronomique ouvert à tous ses
adhérents : au sens étymologique, cène
et scène, une vraie communion pour initiés.
C’est dans ce cadre, évoquant les salons d'autrefois, qu’Alain Aubin, contreténor, donnait un
concert lecture avec Jean-Paul Serra,
âme de l’ensemble Baroque graffiti, organiste, claveciniste et, ici,
pianofortiste : piano et forte, littéralement, par le ton confidentiel et
amical, et fort parce que soutenu par la recherche musicale, musicologique, dans
les bibliothèques, pour exhumer, copier et réaliser, notamment, des pièces plus
que rares de l’illustre inconnu Joseph
Bologne de Saint-Georges, le noir détonant à Versailles, le plus fameux que
connu Nègre des Lumières, confronté à
son ingrat contemporain Mozart.
OMBRE ET LUMIÈRES
Alain Aubin est une figure que je dirais incontournable de la scène musicale
marseillaise, terme trop galvaudé qui m’horripile, si justement il ne me
permettait de souligner qu’on en peut difficilement faire le tour, le cerner,
tant il y a de tours et de contours dans sa riche carrière au départ d’hautboïste
venu au chant, chef charismatique d’une chorale populaire et compositeur,
militant inlassablement, depuis qu’il s’est fixé dans notre ville, pour la
musique dans la cité.
Sa remarquable carrière de soliste contre-ténor
l’a promené en Europe, interprétant de la musique baroque à la musique
contemporaine : on rappellera, en 1998, Les Trois Sœurs,
opéra d’après Anton Tchekhov, musique de Peter Eötvös, création à Lyon et
enregistrement sous la direction de Kent Nagano, sans oublier ni ses créations contemporaines
avec Raoul Lay et l’Ensemble Télémaque. Sans se poser, se reposer, il
s’st exposé librement à tous les genres de musiques, de Falla à Mahler, en
passant par les mélodies latino-américaines.
Dans ce lieu intime, dans une
simplicité communicative avec les spectateurs amicaux, avec la complicité
doucement souriante et concertante de Jean-Paul Serra de Baroques
graffiti, soucieux également de croiser les genres et les styles, il se
livre à un jeu de miroirs musicaux et épistolaires entre Mozart et le pas assez
célèbre aujourd’hui pour ce qu’il fut et fit Joseph de Bologne Chevalier de Saint-Georges (1739-1799),
violoniste, chef d’orchestre, compositeur, formé par Jean-Marie Leclair et Gossec, homme de
cour et célèbre duelliste. Mais noir.
Mozart a vingt-deux ans et Saint-Georges trente-neuf en
cette année de 1778 à Paris en ce Siècle des Lumières, plus ténébreux que ce
qu’on croit. Wolfgang, est accompagné de sa mère qui mourra sur place, et bien
émouvante est ses deux lettres à son père et à sa sœur par lesquelles il
annonce d’abord, pour les préparer, sa maladie (elle est morte), puis sa mort
une semaine après. Grande délicatesse envers sa famille, dont il n’y a pas
trace par rapport à Saint-Georges qui a pourtant programmé et dirigé une de ses
symphonies au prestigieux Concert des Amateurs
qu’il dirige : il n’en dit mot dans ses lettres, l’exécution n’ayant pas
grâce à ses yeux.
Mozart n’est plus le jeune prodige accueilli
autrefois par la frivole aristocratie française, comme un petit singe savant
exhibé en famille dans les salons parisiens et même à la cour. Conscient de son
génie, de la supériorité, indubitable aujourd’hui, de sa musique sur toute
celle de son temps, il s’impatiente, piaffe, vitupère en ses lettres contre la
médiocrité musicale ambiante, contre les manques du chant français (« il
urlo francese », ‘le hurlement français’, disaient les Italiens et
Rousseau) et, ici, son amour-propre est sûrement blessé des succès de ce Chevalier
Saint-Georges, compositeur à la mode, « le Voltaire de la musique »,
bretteur célèbre dans toute l’Europe (il eut un fameux combat d’escrime à
Londres avec le (ou la) Chevalier d’Éon), maniant l’épée aussi bien que le
violon, beau, séducteur, disputé par les femmes, mais « nègre »… Enfin,
mulâtre. Fils, en effet, d’une esclave raflée au Sénégal et d’un planteur
noble de la Guadeloupe qui l’épousera (grandeur du Siècle des Lumières) qui
donnera à son fils l’éducation la plus raffinée pour un aristocrate, dès dix
ans à Paris. Mais malgré tous ses succès de chef d’orchestre à la tête de
phalanges prestigieuses comme le Concert spirituel et de compositeur, même la
non-conformiste Marie-Antoinette, dont il est maître de musique, ne parviendra
pas à l’imposer à la tête de l’Académie royale de musique, justement à cause de
sa tête (face noire du même Siècle, qui abolira puis restaurera l’esclavage…),
évincé par une cabale de divas intéressées.
Donc, passant de jardin à
cour, d’un petit bureau à un autre, le pianoforte au milieu, de l’espace Mozart
à celui de Saint-Georges, Aubin va croiser les lettres véridiques de Wolfgang à
son père Léopold et celles qu’il imagine joliment (il nous le révèlera à la
fin) de Saint-Georges au sien, succès et chagrins aux diverses raisons des deux
musiciens, alternant avec des airs vocaux de l’un et l’autre des deux
compositeurs. C’est la même voix parlée qu’il prête aux deux compositeurs, avec
la chaleur de son accent d’ici alors que tant de gens d’ici prennent l’accent
d’ailleurs. Vocalement, entre lieder allemands de Mozart et romances de
Saint-Georges, Alain en use avec une désinvolte liberté, peu orthodoxe, mais
variant les couleurs avec les affects, transcendant, par un charisme bon
enfant, les difficultés techniques et stylistiques qu’il n’hésite pas à
bousculer.
On ne reviendra pas sur la beauté
des lieder bien connus de Mozart, la couleur préromantique de Abendempfindung
entre crépuscule fondant et douceur lunaire. La révélation, ce sont les
romances de Saint-Georges, dans le goût du temps, plus simples, des bergerettes
souvent, mais toutefois très belles et le musicien Aubin en a restitué parfois
des accompagnements hâtifs que Serra détaille avec une virtuosité toute
délicate. Après une touchante berceuse populaire antillaise, puis avec une
autre de Saint-Georges, modulante, sur des paroles qu’on croirait d’une mère
esclave, Dors mon enfant, tes cris me déchirent le cœur/ Ta pauvre mère a
bien assez de sa douleur… Aubin, ému, nous bouleverse. Un extrait de
l'opéra perdu, L’Ernestine, au livret de rien moins que de Choderlos de
Laclos, l’auteur des sulfureuses Liaisons dangereuses, déçoit par le
texte convenu mais ruisselle de ruisseaux harmoniques fort gracieux sous les
doigts de Serra qui nous régale, simple et magistral, en plus ce cet
attentif accompagnement complice et inventif, de deux sonates de Haydn, dont l’adagio
de celle en si majeur qui annonce Schubert, avec ce pianoforte aux franches
couleurs dorées dans les forte et mordorées dans les piani, toute
la délicatesse du pianoforte à genouillères. L’Amant discret, dont on
attend un « amour accompagné de mystère » est un air au thème
plaisant de cette époque libertine qui, en fait, préfère l’éclat et le scandale :
mais, alors qu’on parle aujourd’hui des insupportables harcèlement de puissants
sur des femmes, peut-on imaginer ceux que dut subir le très beau Saint-Georges,
de femmes se le disputant, mais dans le noir secret d’alcôves discrètes, amant
prisé la nuit, méprisé le jour jamais avoué : nègre, sans espoir jamais de
mariage avec ces mêmes audacieuses de l’ombre.
Dans
les lettres apocryphes à son père, si noblement au-dessus des préjugés au point
d’épouser une esclave, c’est justement qu’Aubin lui prête des plaintes dignes
mais amères. Côté Mozart, silence absolu sur le « nègre », bien que
maçon comme lui le sera, déjà un Monostatos inquiétant sans doute ?
On ne s’étonnera pas que Saint-Georges
passe avec enthousiasme aux idéaux révolutionnaires, créant même à ses frais,
en 1792, la Légion franche des Américains du Midi, des hommes de couleur, pour
défendre la jeune République. Il aura sous ses ordres Alexandre Dumas, futur général, père du romancier…
qui écrira un livre sur lui. Rappelons, à la suite de ces grands mulâtres, Pouchkine,
fondateur de la littérature russe.
Et rendons justice à Alain Guédé : chroniqueur au Canard Enchaîné et
musicologue, il s’est voué à rendre à Saint-Georges et à sa musique sa place.
Non seulement il en écrivit sa biographie, Monsieur de Saint-Georges, le
Nègre des Lumières (Actes Sud, 2000), mais le livret d’un opéra en deux
actes sur sa vie, avec ses musiques, au même titre, créé à Avignon en octobre
2005, dont j’avais rendu compte.
Photos Max Minniti
· Leda atomica
· 63 Rue Saint-Pierre
13005 Marseille
France
13005 Marseille
France
·
+33 4 96 12 09 80
Alain
Aubin I Contreténor & récitant
Pascal Delalée I Violon
Jean-Paul Serra I Pianoforte
Co-production avec l'Ensemble
Baroque Graffiti
Recherches musicales par
Jean-Paul Serra
Elaboration du texte I Alain
Aubin
Associé à la plupart des
créations du Théâtre NoNo depuis 2013, Alain Aubin compose,
interprète
et dirige, mais n'oublie jamais d'exprimer le fait que la musique lyrique en
particulier,
est un
récit qui se raconte, et pas seulement une brillante architecture sonore qui se
déploie.
Avec
Mozart et le Don Juan Noir, Alain Aubin nous propose de réveiller une figure
oubliée
de l'Art
Lyrique: le Chevalier de Saint-Georges.
Contemporain
de Mozart, fils métis d'une esclave sénégalaise et d'un père blanc, baron,
général
de
l'armée française qui le reconnaît, il se forme à la musique classique à Paris
et rapidement
il est
adopté comme un artiste de grand talent. Promu par Louis XVI au poste de
directeur
de
l'Opéra Royal, il devra y renoncer devant le refus de deux cantatrices d'être
dirigées par
un nègre.
Le Siècle
des Lumières est pétri de contradictions et malmène ses propres enfants.
Ce destin
morganatique et l'inévitable parallèle avec celui de Wolfgang Amadeus, lui
aussi abandonné par ses contemporains, inspire à Alain Aubin une réflexion
qu'il met en oeuvre et
interprète,
autour de la condition de l'artiste et du contrat social.
TARIF 18€ (tarif réduit 15€)
Le nouveau Resto NoNo vous accueille : réservation au 07 81 93 27 06
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