VIVE L’OPÉRETTE !
II
Quatre jours à Paris
Opérette en deux actes et six tableaux
Livret de Raymond Vincy et Albert Wullemetz
Musique de
Francis Lopez
29 octobre
Quatre
jours ? On en prendrait bien quarante, et même autant de fiévreuses nuits,
et ce ne serait pas une quarantaine pour fièvre quarte ou autre virale
infection, mais pour une vraie affection envers cette troupe qui s’est dépensée
sans compter pour nous contenter et si ces artistes
n’avaient paru s’amuser autant que nous, on aurait presque eu honte de rire à
leurs dépens, à leur dépense folle d’énergie à conter, chanter et danser cette
décoiffante histoire d’un joli coq, coqueluche épidémique, au sens épidermique
et érotique du mot, d’un Salon de Beauté dont les beautés assidues le
poursuivent de leurs assiduités.
L’œuvre
Pourtant,
musicalement, ce n’est pas du meilleur Francis Lopez dont tant de mélodies se
coulent si facilement dans l’oreille et la mémoire. « La samba
brésilienne » (au Brésil, c’est du masculin) jolie redondance comme si la
samba pouvait être d’ailleurs, est peut-être le refrain le mieux connu de
l’ensemble. Mais, en revanche, les chansons gagnent en qualité de texte ce
qu’elles perdent peut-être en charme musical. Ainsi, les couplets relativement
érudits comme du Offenbach entonnés par Hyacinthe sur son rêve d’un
« monde sans femmes » (paradoxe du patron du salon de beauté qui ne
vit que par elles), qui enfile la litanie plaisante des couples célèbres perdus
par la femme depuis Adam et Ève, Samson et Dalila, en passant par Abélard, châtré
(on le passe) à cause d’Héloïse, tirade qui relève d’une vraie culture
populaire dispensée alors à tous par l’école de la République.
Par ailleurs, contrairement à nombre d’opérettes, ou
mêmes quelques opéras, qui sont une enfilade de scènes, de tableaux juxtaposés,
mais sans guère d’action dramatique tenant en haleine, il y a ici une vraie
construction théâtrale, certes dans les conventions du genre, les surlignant
même théâtralement par des clins d’œil, avec ses deux parties contrastantes
entre le salon de beauté parisien et l’auberge provinciale où, comme en
tout bon vaudeville, tout le monde se
retrouve dans la plus invraisemblable mais hilarante conjonction de conjoints
et amants en folie, avec les quiproquos des fausses identités et des méprises à
la clé, clé de voûte de la comédie.
L’intrigue se passe à Paris mais, avec Francis
Lopez, Basque espagnol né par hasard en la France, la latinité musicale ne perd
jamais ses droits, même élargie comme ici au Brésil, un Brésil, plutôt
hispanisé en accents et noms, Amparita pour elle, Bolivar pour lui (comme le
héros de la décolonisation sud-américaine), acclimaté à un Paname qui a
acclimaté bien des Brésiliens, qui a toujours accueilli en son sein le monde
entier, ses rythmes les plus endiablés. Ah, le fameux, le pétulant Brésilien de
La Vie parisienne d’Offenbach qui
vient se faire voler à Paris par de jolies femmes tout l’or que là-bas il a
volé ! Ici, on inverse le genre : c’est la pétaradante, puissante et
possédante Brésilienne venue aussi faire la fête aux dépens de la bourse et de
l’honneur de son riche mari.
Réalisation et
interprétation
Nous sommes
donc à Paris, dans l’institut de
beauté « Hyacinthe de Paris », du nom de son patron. On imagine déjà,
avec une moue, ces dames plutôt mûres, des dondons dondonnantes venues pour
tenter de « réparer des ans l’irréparable outrage » comme
précieusement dit Racine, en clair : pour se faire rafistoler. Mais non,
les dames qui animent le plateau dans cette distribution n’ont rien à
réparer : elles sont toutes irrésistiblement séduisantes, de la première à
la dernière, même hirsutes, emperruquées, ébouriffées elles sont ébouriffantes
de charme, quant à la mal fagotée servante de Lapalisse (Julie
Morgane), ce serait une
lapalissade que de dire qu’on la sent vite maîtresse après son passage à
l’institut. D’autant que ces clientes, viennent non seulement pour leur propre
beauté mais attirées, toutes, par celle du beau Ferdinand (Grégory Benchénafi,
qui justifie bien le rôle !), chef du personnel, amant en titre de
Simone (Carole Clin), la manucure, qui n’a cure de ses rivales au pluriel
jusqu’à ce qu’une singulière passante la force finalement à passer la main.
Ces belles dames rêvent toutes de séduire le beau gosse. Entre autres,
la plus ardente, la richissime Brésilienne (Caroline Géa, volcanique à
souhait !), épouse du jaloux Bolivar, qui ne veut pas quitter Paris sans
faire la conquête, disons plutôt l’emplette, de Ferdinand et le mettre
d’urgence dans son lit : en somme, une souvenir de luxe touristique comme
un autre. Pour assouvir son désir, elle a soudoyé le faible Hyacinthe, lui
promettant de commanditer son commerce en danger s’il lui obtient les faveurs
du jeune premier. Le patron envoie donc en mission amoureuse son bel employé chez
l’impatiente sud-américaine. Mais celui-ci (imaginez, le luxe de l’enfant chéri
de ces dames !) sans doute blasé de la bringue avec tant de belles grandes
bringues, groupies dégingandées, godelureau en goguette, court le guilledou, tout
doux, romantique—qui l’eût cru— platonique (!) avec Gabrielle (Amélie Robins),
que nous ne verrons qu’au second acte, une bien jolie provinciale venue passer
quatre jours à Paris.
Fureur
tropicale d’Amparita frustrée et de Simone, la maîtresse larguée, affolement
des clientes privées de leur beau Ferdinand. Lui, pour échapper à son vraiment
fanatique fan club féminin, a filé, prétextant que sa grand-mère chérie est
gravement malade (confusion poilante avec la plus vieille poule du poulailler
de l’auberge du père de Gabrielle), fuyant celles qui le pourchassent et
pourchassant qui le fuit, courant après Gabrielle, repartie pour Lapalisse,
Allier (vous connaissez ?). Poursuivi poursuivant, il la retrouve enfin. Enfin,
pas qu’elle, tout le monde se retrouve, l’Institut Hyacinthe du premier au
dernier Ambroise rêvant aussi l’ambroisie de Ferdinand, fous à (Al)lier, dans
l’auberge de « Grand-mère », avec des quiproquos d’une grande
drôlerie, le brésilien mari qui débarque, « Je vous salue, mari ! »,
bien marri de marrantes découvertes, pour nous, vertes et pas mûres pour lui, des
scènes de ménage qui déménagent, armes en main, de dépit et délire amoureux : « Lady
Di, Lady Didi, Lady Gaga… » la gagatise de l’amour et refrain à chacun
selon sa situation : « Ah, quelle nuit de printemps ! »
Mais tout s’arrange dans le monde heureux de l’opérette : chacun retrouve
sa chacune. À Paris. Ouf !
Il faut oser
le dire : monter ce genre d’œuvre, avec tant de personnages, dans un tempo
qui n’a aucun temps mort, n’est pas une mince affaire et Jacques Duparc
semble bien à la sienne : on est littéralement emporté par le rythme de
cette opérette qui n’est pas particulièrement courte, et l’on ne voit pas le
temps passer. Paroles, jeux de mots, chansons, danses intégrées dans l’action
et non détachées (jolie chorégraphie et danseuses de Lætitia Antonin)
tout s’enchaîne dans un tourbillon étourdissant qui nous emporte, et avec une
telle aisance qu’il faut retrouver, entre deux rires, tout son sens froid
critique pour apprécier tout le travail intense et du metteur en scène, qui
incarne par ailleurs Montaron, et de tous les acteurs chanteurs derrière cette
apparence facilité, sûrement conquise par l’effort. Un dynamisme à couper le
souffle, le nôtre et pas le leur.
Dire que
tout le monde est à citer n’est pas une simple formule puisque,dans une troupe,
chacun existe par tous les autres. Ainsi, Jean Goltier est à la
fois Dieudonné
et
Ambroise, le jeune éphèbe efféminé gaiement bien
dans sa peau, heureux signe des temps. On voudrait tout le monde heureux comme
nous et l’on regrette que la charmante Clémentine de Priscilla Beyrand soit
injustement rebutée par Nicolas et la maîtresse femme, Simone, accorte Carole
Clin, par Ferdinand, mais l’on se réjouit que cette dernière devienne la
première dans le cœur de Nicolas, un Grégory Juppin dont on a dit et redira
les immenses qualités : un seul regard, mélancolique, et il fait exister
son personnage au-delà du bouffe de la situation de bavard incontinent, naïf.
Mais il chante remarquablement et, vrai athlète danseur, il suffit de quelques
pas, un pas de deux, un preste duo plein de prestesse acrobatique avec Julie
Morgane, digne alter ego féminin, et l’on retrouve le brio scénique de deux
artistes complets, chant, danse et comédie, déjà appréciés. Cette dernière, a
un vrai rôle de théâtre et, d’un personnage bouffe, elle fait une merveille d’émotion
et de drôlerie : elle est, pour les autres, la pauvre servante « simplette »
Zénaïde, une sorte de souillon, de Cendrillon, mais papillon sortant de
sa chrysalide à Paris, elle séduira enfin le patron ronchon : La Serva padrona enfin.
Guy Bonfiglio est un Bolivar fracassant, tonitruant, tuant (enfin, presque) des rivaux
imaginaires tant il est jaloux de sa femme. Et comme on le comprend ! En
Brésilienne délurée, avec de délirants dérapages langagiers en son exotique
accent tenu sans faille, Caroline Gea, Amparita désemparée des faux
bonds de l’élu de son cœur, non, de son corps, robes fringantes, capelines,
seyantes, est si capiteuse qu’elle justifie amplement le péché capital :
œil et voix de velours même dans le déchaînement passionnel, un gaspillage d’énergie
et de volupté prometteuse que laisse passer ce nigaud de Ferdinand. Il est vrai
qu’il est amoureux. Et comme on le comprend ! quand on la voit, quand on entend
sa voix, de Gabrielle, une Amélie Robins au mieux de sa forme (de ses
formes aussi), timbre raffiné, couleur d’un diamant sans arêtes, rond, qui
surmonte l’acoustique ingrate de la salle. C’est la jeune première digne du jeune premier
Grégory Benchénafi, beau, traînant tous les cœurs après soi, bien
disant, bien chantant, mais il faut souligner aussi pour saluer ces artistes,
que l’une des difficultés de l’opérette est ce passage constant, fatigant, de
la voix parlée à la voix chantée, qui peut être périlleux, et ce n’est pas un
mince mérite que de le surmonter. De remarquables et beaux comédiens dignes des
comédies musicales américaines de la belle époque d’Hollywood.
On ne sait —mais on devine— comment, en 1948,
au sortir de la guerre, la Libération n’étant pas forcément celle des mœurs,
comment le public pouvait appréhender le personnage scénique de l’homosexuel
Hyacinthe, le patron ultra maniéré, efféminé au-delà de la frontière du genre.
Mais Antoine Bonelli, emperlé, embagouzé, a un tel bagout que, tout en
jouant de tous les clichés, de toute la rhétorique gestique et vocale du
stéréotype scénique, lui donne un tel naturel dans l’artifice, un tel caractère
bonhomme et bon enfant, que cet homo, disons « gay » —mot à la mode
du politiquement correct qui cache encore hypocritement ce qu’on ne saurait
voir—n’est jamais ni grivois, ni graveleux, ni grossier, juste une gauloise
gaudriole inversée, comme le genre, bon enfant, et l’on rit franchement avec
lui sans aucune méchanceté, heureux signe des temps, parce qu’il est drôle et
non bizarre, sans arrière-pensée vulgaire.
À la tête de
l’Orchestre du Théâtre de l'Odéon, d’une vraie fosse (on ne le voit pas !)
Bruno Membrey dirige le plateau et son monde d’une baguette au rythme
étourdissant, euphorique.
Les décors d'Art musical Christophe Vallaux et Marcel Pierre Chassany sont plaisants et leurs costumes élégnants même dans la parodie.
Les décors d'Art musical Christophe Vallaux et Marcel Pierre Chassany sont plaisants et leurs costumes élégnants même dans la parodie.
On retrouvera avec bonheur dans ce même Odéon Grégory Benchénafi
avec Manon Taris le 30 novembre, 20 heures, dans Broadway symphonique, avec l’Orchestre
philharmonique de Marseille, Caroline Gea avec Marc Larcher dans 1
heure avec, Aux portes de
l’Espagne, le 6 décembre à 17h15, accompagnés au piano par Caroline
Oliveros et, le 3 janvier, ce sera le tour de Julie Morgane et Grégory
Jupin, avec la même pianiste, pour Fantaisie !
À ne pas rater
Quatre jours à ParisOdéon, Marseille
28 et 29 octobre
Direction musicale : Bruno MEMBREY
Mise en scène : Jacques DUPARC
Décors et Costumes : Art Musical, Christophe VALLAUX et Marcel Pierre CHASSANY
Chorégraphie : Lætitia ANTONIN
Mise en scène : Jacques DUPARC
Décors et Costumes : Art Musical, Christophe VALLAUX et Marcel Pierre CHASSANY
Chorégraphie : Lætitia ANTONIN
Distribution :
Gabrielle : Amélie ROBINS
Amparita : Caroline GEA
Zénaïde : Julie MORGANE
Simone : Carole CLIN
Clémentine : Priscilla BEYRAND
Amparita : Caroline GEA
Zénaïde : Julie MORGANE
Simone : Carole CLIN
Clémentine : Priscilla BEYRAND
Ferdinand : Grégory BENCHENAFI
Nicolas : Grégory JUPPIN
Hyacinthe : Antoine BONELLI
Bolivar : Guy BONFIGLIO
Montaron : Jacques DUPARC
Dieudonné et Ambroise : Jean GOLTIER
Nicolas : Grégory JUPPIN
Hyacinthe : Antoine BONELLI
Bolivar : Guy BONFIGLIO
Montaron : Jacques DUPARC
Dieudonné et Ambroise : Jean GOLTIER
Orchestre du Théâtre de l'Odéon
Photos : © Christian Dresse
1. Le beau et ses belles (Benchénafi and girls) ;
2. Brésilienne en folie (Géa) ;
3. Hyacinthe et Nicolas (Bonelli, Juppin) ;
4. La belle Gabrielle (Robins) ;
5. Brésilenne et Nicolas (Géa, Juppin) ;
6. Zénaïde et Nicolas imbriqués (Morgane, Juppin) ;
7. Dieudonné et Zénaïde ( Goltier, Morgane) ;
8. Jeunes premiers (Robins, Benchénafi) :
9. Chantons sous la pluie des larmes de rire.
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