L’OMBRE DE VENCESLAO
OPÉRA EN DEUX ACTES DE
MARTÍN MATALÓN
D’APRÈS LA PIÈCE DE COPI
(1977)
Opéra de Marseille,
8 novembre
Tragédie si l’on considère
que toute mort d’homme est tragique, mais sans drame parce rien, dans cette
œuvre, ne l’amène par construction dramatique, théâtrale, sinon par un placage
extérieur à l’action, si action il y a dans cette succession de scènes
simplement liées par des personnages, plutôt des silhouettes, qui se séparent,
s’évitent, se fuient sans affrontement, sans enjeu ni conflit, bref, sans nœud,
péripétie ni dénouement.
Guère convaincu, sinon par
la mise en scène, et la musique m’ayant laissé sur ma faim en une première
écoute l’an dernier à Avignon, par scrupule de conscience critique, je suis
revenu voir et entendre cet opéra contemporain. Cette revisite a affirmé la
bonne impression immédiate de cette mise en scène de Lavelli, n’a pas infirmé
mais affiné ma perception de cette musique mais, hélas, confirmé dans le manque
d’intérêt du livret tiré de Copi dont les saillies, même au sens sexuel du
terme, les sanies et insanités, ne relèvent pas la platitude du texte. Il ne
s’agit pas de pudibonderie d’une autre saison mais enfiler
« chiasse », mêlée de sang, « merde », à répétition, « péter »,
« putain », « pute », « vieux pédé », « bite » ,
« baiser », bander, etc, etc, ne se justifie que si, du simple son,
on passe au sens et, du sens, à une signification. On n’en voit pas la
nécessité de l’excès, le trop étant toujours un moins, qui date terriblement le
texte dans les années post-68 de la transgression verbale bien dépassée depuis
longtemps. (Voir ci-dessous ce que je disais du texte lors de la représentation d'Avignon).
On cherche même à s’émouvoir
de cet exode des trois personnages, le père, la maîtresse et l’amant transi, vers les chutes
d’Iguazù, mais il ne s’agit pas de migrants poussés par la misère puisque
Venceslao laisse même à son fils son domaine, et la seule sympathie que l’on
ressent, c’est la sensibilité aux animaux, le perroquet, le cheval fourbu et le
singe, même si l’on ne perçoit pas trop la raison à moins que les animaux ne
soient humanisés (le perroquet dans le scabreux) comme les hommes sont
animalisés. Mais cela n’est pas traité. Quant au fils, Rogelio, il devient
avocat dans la capitale : ce n’est donc pas un marginal migrant. L’inceste
frère sœur, s’il est dit, ne laisse rien derrière le dire et n’est pas un
élément théâtral, ni dramatique apportant quelque chose.
Avec
une bonne volonté d’exégèse textuel plié à scruter les textes les plus abscons,
on tirerait un fil tortueux dans la virevoltante Chinita, seul témoin apparemment
de la mort de la mère invisible par la mort aux rats, puis de son bébé auquel
elle a donné de l’insecticide au lieu de lait en poudre, enfin passant à son
mari le somnifère fourni par son galant, qui l’a peut-être empoisonné, mais c’est
là une lecture encore très personnelle et, en tous les cas, ce n’est nullement
traité dans le spectacle.
Le
suicide de Venceslao, on n’en comprend pas la raison, même si l’on veut bien
encore, avec une bonne volonté freudienne laborieuse, penser que ce retour
peut-être aux chutes, aux sources, est un « retour à la mère, à la mort »,
car il évoque en une phrase son enfance : on l’imagine donc personnellement,
mais aucune image ne le donne à penser théâtralement, d’autant que, situées
entre l’Argentine et le Brésil, elles ne sont pas de l’Uruguay où le personnage
dit être né… Le retour de son spectre, son ombre, on s’en demande aussi le
sens.
Quant
au coup d’état militaire à Buenos Aires, rien ne l’annonce ni ne l’amène dans
la trame, on n’ose dire dans le drame, juste une phrase à la radio, une
manchette électorale de journal, réglé en trois minutes peut-être : un
placage à l’image de ces affiches de sortes de photos d’identité qu’on rapportera,
encore avec bonne volonté historique, aux desaparecidos,
aux disparus, mais des coups d’états ultérieurs.
La
musique de Matalón, ici pour la
partie acousmatique diffusée frontalement, si elle relève du bruitage, tonnerres
et éclairs de la tempête, à la différence de celle, musicalement inventive et
angoissante de l’ouverture de la Walkyrie
de Wagner, si elle souligne souvent, de manière pléonastique, les effets
farcesques, a parfois d’autres attraits : ondes délicates pour Chinita
écrivant, tel trombone doublant à la basse le baryton Venceslao. Le bandonéon,
dans l’orchestre émerge parfois poétiquement, comme un arc-en-ciel sur une nappe
aquatique sombre et, sur scène, l’effet brumeux, rouillé, nostalgique se
démultiplie par la grâce du déploiement de papillon des quatre instruments. La
longue scène du tango, avec le compadrito
gominé entraînant Chinita dans sa danse très élaborée, à plein l’orchestre
est très réussie et l’on pense au Tango
de Stravinski à une échelle sans doute plus argentine. Le chef Ernest Martínez-Izquierdo se tire avec les honneurs de
cette complexe partition hybride entre instruments et musique acousmatique enregistrée.
Le chant,
pratiquement toujours du parlando et
rarement cantabile, à part les
longues phrases bien centrales de Venceslao et de Mechita, voix médianes
corsées, voluptueuse et pulpeuse pour la mezzo, ondulées de mélismes, sont les seuls
ambitus naturels du chant. Chinita est toujours sur la quinte aiguë de son joli
timbre malmené, quant à Rogelio, et surtout Largui, la voix de tête est sollicitée
presque de façon constante avec des effets caricaturaux qui déshumanisent
encore plus les personnages, les réduisant, par force, à la farce. Mais tous s’en
tirent admirablement. On regrette cependant que la voix parlée de Desplantes, au ton et à l’accent sophistiqués,
réponde mal à la rudesse vocalement rogue du personnage.
On ne peut que redire la beauté des décors de Ricardo
Sánchez-Cuerda, la justesse des costumes de Francesco Zito et
l’admiration pour la mise en scène de Lavelli : des chanteurs pliés
remarquablement au jeu théâtral , fluidité, rapidité des enchaînements, expressivité
des lumières signées conjointement avec Jean Lapeyre. Les changements à
vue sont confiés à quatre personnages en noir, inquiétants, mais leur présence
en devient incongrue lors de la douche « réaliste » de Venceslao,
bassine et arrosoir, puisqu’ils semblent opérer un rite fastueux et luxueux, luxurieux,
chez un riche aristocrate. On retient des images superbes : le coït
bestial derrière les draps se poétise dans un enroulement des corps et du linge
par les servants ; le tube tombant du ciel et enveloppant les trois
personnages d’une cascade de tulle ; la brume, parfois trop dense. Bref,
du grand Lavelli pour un texte qui l’est beaucoup moins.
L’ensemble du travail est beau et, sans parler méchamment de COPI/nage, on peut être tout de même touché affectivement que trois Argentins talentueux, le composteur, le metteur en scène et le chef, rendent un hommage ému à leur compatriote et ami disparu.
L’ensemble du travail est beau et, sans parler méchamment de COPI/nage, on peut être tout de même touché affectivement que trois Argentins talentueux, le composteur, le metteur en scène et le chef, rendent un hommage ému à leur compatriote et ami disparu.
L’Ombre de
Venceslao,
Opéra de Martín Matalón,
Opéra de Marseille, 7 et 8
novembre 2017
L’Orchestre de l’Opéra de Marseille
Direction
musicale : Ernest Martinez-Izquierdo
Mise en scène et adaptation du livret :
Jorge Lavelli
Collaboration artistique :
Dominique Poulange
Décors : Ricardo Sanchez-Cuerda
Costumes : Francesco Zito
Lumières : Jean Lapeyre
Mise en scène et adaptation du livret :
Jorge Lavelli
Collaboration artistique :
Dominique Poulange
Décors : Ricardo Sanchez-Cuerda
Costumes : Francesco Zito
Lumières : Jean Lapeyre
Distribution :
China : Estelle Poscio
Mechita : Sarah Laulan
Venceslao : Thibaut Desplantes
Rogelio : Ziad Nehme
Largui : Mathieu Gardon
Coco Pellegrini : Jorge Rodríguez
Le Perroquet (voix enregistrée) : David Maisse
Le Singe : Ismaël Ruggiero
Gueule de Rat (le cheval) : Germain Nayl
Bandonéonistes : Anthony Millet, Max Bonnay
Guillaume Hodeau, Victor Villena
China : Estelle Poscio
Mechita : Sarah Laulan
Venceslao : Thibaut Desplantes
Rogelio : Ziad Nehme
Largui : Mathieu Gardon
Coco Pellegrini : Jorge Rodríguez
Le Perroquet (voix enregistrée) : David Maisse
Le Singe : Ismaël Ruggiero
Gueule de Rat (le cheval) : Germain Nayl
Bandonéonistes : Anthony Millet, Max Bonnay
Guillaume Hodeau, Victor Villena
Photos © Laurent Guizard :
1. Le départ des vieux (Gardon,
Desplantes, Nayl, Laulan)
2. Venceslao et Rogelio (Desplantes, Nehme) ;
3. Le coït derrière les draps ( Desplantes, Laulan) ;
4. Chinita (Poscio) ;
5. Le tango à l'extrême (Poscio, Rodríguez).
Je donne ci-dessous l’article plus détaillé que je fis lors
de la présentation de cette œuvre à l’Opéra
Grand Avignon, le 12 mars 2017.
L’OMBRE DE COPI ?
L'OMBRE DE VENCESLAO
OPÉRA EN DEUX ACTES DE
MARTÍN MATALÓN
D’APRÈS LA PIÈCE DE COPI
(1977)
livret de Jorge Lavelli.
Opéra Grand Avignon
12 MARS 2017
On ne se
réjouira jamais trop de l’action du CFPL, Centre
français de promotion lyrique, qui produit des opéras avec le concours de
diverses maisons qui les accueillent en vue de favoriser la
professionnalisation de jeunes chanteurs lyriques grâce à des tournées assez
longues pour leur permettre de se rôder sur diverses scènes. Il y eut d’abord Le Voyage à Reims de Rossini (2008-2010)
puis Les Caprices de Marianne de
Sauguet (2014-2016). Cette fois-ci, il faut saluer de plus que cette fructueuse
coopération prenne le risque nécessaire de la création d’un opéra contemporain, L’Ombre
de Venceslao de Martín Matalón d’après la pièce de
Copi (1977), réalisation scénique remarquable de Jorge Lavelli.
Après sa création à Rennes en octobre 2015, la tournée, bénéficiant de vingt et
une dates, se poursuivra et achèvera en janvier 2018 (à Montpellier) et aura
bénéficié en tout de huit lieux d’accueil coproducteurs (Rennes, Toulon, Reims,
Avignon, Clermont, Toulouse, Bordeaux et Montpellier).
L’ŒUVRE
Raúl Damonte
Botana, dit Copi (1939-1987)
est un romancier, dramaturge argentin qui eut son heure de gloire en France
dans les tumultueuses années 70 comme dessinateur satiriste dans divers
magazines, dont le Nouvel Observateur,
avec sa fameuse dame assise, rogue et roide sur sa chaise, pif énorme sous cheveux
raides, qui dialogue ou plutôt monologue avec un volatile informe. Il se lance dans le théâtre et Jérôme Savary,
autre Argentin, est le premier à monter ses pièces burlesques et aussi
provocantes que le personnage ostensiblement scandaleux qu’il campe volontiers
à la ville, suivi du compatriote Jorge Lavelli.
C’est avec ce
dernier que Martín Matalón,
compositeur argentin vivant aussi en France, se lance dans l’écriture musicale
de L’Ombre de Venceslao, pièce de 1977 de Copi, montée d’abord en 1978
par Jérôme Savary au Festival de La Rochelle, puis en 1999 au Théâtre de la
Tempête, par Lavelli dans une traduction française avec Dominique Poulange, dont le metteur en scène tire le livret de
l’opéra.
Le texte
Ne connaissant
pas le texte espagnol de la pièce originale, je n’en puis guère juger mais, à
jauger par la traduction et l’adaptation de Lavelli, on en conclut aisément
qu’il n’est pas d’une grande tenue littéraire, même dans un désir de style sans
style, de prosaïsme dont on peut pourtant faire de la belle prose : ce
texte semble aussi plat sinon que « Waterloo, morne plaine », sans
doute que la pampa infinie, sans relief, sans saillie (autre que le coït visuellement réussi non sur mais
derrière le drap), sans couleur, et ce
ne sont pas les termes orduriers gras et crus (« bite, couilles, chatte,
baiser, chier, chiasse, merde », etc) qui en feront une tonique langue
verte, comme ces « putain »,
juron aujourd’hui si lexicalisé, si banalisé et édulcoré que, même chez les
écolières du Couvent des Oiseaux, ce n’est plus qu’une simple et courante ponctuation
banale des phrases : ce qui, dans les années 70 post le choc heureux de
68, pouvait être transgression et agression contre la société bourgeoise est de
nos jours éculé (même dans la sonorité ambiguë du terme) : daté.
Situation et personnages : narration et non
action
On découvre,
au lever de rideau, Venceslao, patriarche despotique à l’ancienne, tyran
domestique dont la femme vient de mourir, régnant sur sa maîtresse Mechita
escortée de son soupirant, le vieux Largui, son fils Rogelio du premier lit qui
désire épouser China sa demi-sœur.
Animée d’aspirations diverses, scindée en deux groupes, la famille va se perdre aussitôt dans des voyages opposés, les parents et l’amant vers les chutes d’Iguazú, les enfants incestueux à Buenos Aires.
Animée d’aspirations diverses, scindée en deux groupes, la famille va se perdre aussitôt dans des voyages opposés, les parents et l’amant vers les chutes d’Iguazú, les enfants incestueux à Buenos Aires.
« L’Ombre de Venceslao est une histoire
d’errance et de famille », dit l’argument, « Dispersion et
voyage », insiste Lavelli et c’est là où le bât blesse dramatiquement
parlant : nous resterons dans l’histoire, la narration plus que dans
l’action nécessaire au théâtre. Nous avons bien, dans le premier tableau,
théâtralement parlant, une exposition riche en potentialité de
conflits entre les personnages (un amoureux rival du héros ; un couple incestueux
face au père autoritaire) mais justement la « dispersion » immédiate
du groupe ne laisse pas le temps pour créer un nœud de
l’action appelant péripéties et conduisant au dénouement
ou catastrophe et cet inceste, pouvant relever d’un œdipe tragique, évoqué
d’entrée, n’est plus convoqué du tout ensuite. Tout se résout donc en scènes
sans véritable enjeu théâtral dramatique car, même dans celle, dansante, où le compadrito danseur de tango souffle la femme
de Rogelio, tout se dissout dans la grotesque diarrhée dont est pris le mari
jaloux. Dès lors, non annoncé ni préparé (si on peut dire) le coup d’état et la
fusillade qui les extermine tous trois viennent comme un cheveu sur la soupe,
et, comme les affiches du mur, apparaissent comme un placage artificiel.
Par ailleurs, à
l’inverse d’un théâtre de Tchékov donnant du temps au Temps de ses anti-héros, les
trente-quatre scènes rapides, semées de répliques sèches qui hachent
l’histoire, trop courtes, rarement liées, ne laissent pas aux personnages le
temps de s’incarner en personnes auxquelles on pourrait s’identifier ou
s’opposer, s’attacher ; le seul ayant quelque densité, Venceslao, sitôt
planté, disparaît et ne revient, à la fin, que comme un fantôme, cette ombre du
titre, qui semble bien celle de Copi planant plus amicalement que théâtralement
sur cet hommage sentimental et amical argentin.
Si l’on est
sensible à la sensibilité manifestée aux animaux, perroquet, cheval, singe, les
seuls moments d’émotion sont encore extérieurs au texte et à la musique de
l’opéra : les voix gouailleuses et dramatiques de Tita Merello, Libertad
Lamarque et Carlos Gardel, comme une concession obligée à la couleur locale porteña. De même, sans nécessité
dramatique, les quatre joueurs de bandonéon montés sur scène en interlude, cependant
un moment de grâce musicale, ces éventails d’instruments s’ouvrant et se
fermant avec une finesse chromatique d’auréole lumineuse diaprée par le soleil
au-dessus d’une cascade.
RÉALISATION, MUSIQUE, INTERPRÉTATION
Éclairée
de lumière diverses dramatiques (Jean Lapeyre ) la scénographie de l’Espagnol Ricardo Sánchez-Cuerda est remarquable d’intelligence et donne une
grande unité à l’ensemble, permettant de rapides changement de lieux sans
solution de continuité. Lavelli l’utilise au mieux, faisant habilement se
succéder les scènes avec une grande fluidité et l’on voit descendre des cintres
cet immense lampadaire, à défaut de farolito,
réverbère urbain qui éclaire les tangos, qui est comme sa signature.
Mais
peut-être un décor moins abstrait eût-il permis de mettre en lumière, à mon
sens, une problématique qui hante la littérature et la culture
latino-américaines : la dialectique barbarie/civilisation, l’antithèse
nature/culture, dans un continent où l’homme ne s’est pas encore fait
totalement « maître et possesseur de la nature » selon le vœu de
Descartes. Cette problématique se résout, littérairement, en opposition entre
la nature, sauvage, inculte, et la ville, cultivée : on aurait alors pu
voir (du moins je le vois) que, loin d’être barbare, la nature des chutes
d’Iguazú nous révèlent le brutal Venceslao attendri humainement par un singe,
un cheval, sans oublier le perroquet ami, alors que la ville est le lieu de la
sauvagerie du coup d’état sous couvert d’urbanité mondaine de la danse.
Alors
que les autres sont habillés à la mode 50 (Francesco Zito), chapeau de
feutre et poncho sur l’épaule, Venceslao est une lointaine réplique du Martín
Fierro du
roman en vers fondateur de José Hernández (1872) et, quand il part avec sa
carriole de Père Courage finalement avec son attirail et sa poule, on
l’entendrait presque dire :
Cada gaucho con su china /
y te agarras Catalina
(‘Tout gaucho avec sa belle / toi, tu viens si
je t’appelle’)
Il serait sans doute hardi
et hasardeux de formuler un jugement péremptoire et définitif sur une musique
entendue une seule fois avec, de plus, une attention dispersée entre scène,
jeu, orchestre et prise de notes. Il reste que, avec une seule scène
complètement musicale sur trente-quatre, tant de passages parlés, la musique
semble pâtir de cette même dispersion du temps sans réussir à imposer son
propre tempo, d’autant que Matalón joue aux collages hétérogènes, même
hétéroclites, plus au moins fondus dans sa trame et l’on perçoit de vagues
rythmes de milongas, voire de zambas,
en dehors des inclusions de vrais tangos mythiques. Avec des moyens divers,
même une participation acousmatique, elle colle certes bien aux scènes
(tempête), sert les paroles mais s’asservit au texte qu’elle semble redoubler
souvent, non sans pléonasme, n’arrivant pas à s’ériger en discours de la fosse
autonome par rapport à la scène qu’elle se contente d’illustrer plus que de
commenter ou même contredire, contrechamp et contrechant peut-être nécessaires
à sa propre voix. Le compositeur a heureusement le talent d’exploiter le son du
bandonéon sans céder au pittoresque facile de la couleur locale : il donne
des lettres de noblesse à l’instrument intégré à l’orchestre.
Vocalement,
ce n’est pas facile pour les interprètes, qui s’en tirent en remarquables
musiciens et chanteurs, China ayant la part ardue d’aigus terribles sans
préparation, réussis avec grâce par la soprano Estelle Poscio. En
opposition de timbre et de voix, l’accorte Mechita est campée avec un charme
voluptueux par la mezzo Sarah Laulan qu’on aurait aimé plus entendre. Côté hommes, on ne démérite pas, le
Largui de Mathieu Gardon, le Rogelio lumineux de Ziad Nehme, opposés
au superbe baryton de Thibaut Desplantes, un Venceslao puissant. Le
remarquable danseur de tango, Jorge Rodríguez a la souplesse et pose
avantageuse prêtées au compadrito, mais
son élégant smoking relève plus du dancing mondain que de la milonga populaire, sans doute parure du
geai avec les plumes du paon faisant la roue devant la femme naïve. Tous sont
remarquablement dirigés par Lavelli et se tirent avec honneur d’une œuvre
ambitieuse dans sa difficulté. Ils sont dirigés de main de maître par Ernest
Martinez-Izquierdo en cette délicate affaire, où il fallait coudre le
patchwork musical délibéré du compositeur sans qu’on en vît trop les coutures
sinon les ficelles. L’Orchestre régional Avignon-Provence relève avec
panache ce défi et tient solidement la route de ce déroutant parcours musical.
Photos studio Cédric Delestrade :
1. Venceslao (Desplantes) ;
2. Le bonheur dans l'inceste (Poscio, Nehme ) ;
5. Le coucou coco danseur de tango (Jorge Rodríguez).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire