POLYPHONIE, POLYFOLIE
L’Ensemble Calísto
chante l’amour à plusieurs voix
Temple Grignan
Temple Grignan
13 février
Plusieurs voix,
plusieurs voies de l’amour, mais pas de voie de fait sinon la douce violence
d’une parole amoureuse sans corset pour une musique apparemment corsetée par la
polyphonie, en réalité libre sinon libertine, d’une folle virtuosité vocale
pour dire les folies vertigineuses d’un érotisme comme elle aussi savant dans
son expression que trivial, commun, courant : populaire. La polyphonie
érudite par quelques uns pour quelques uns, rendue à tous par une exécution
impeccable du groupe Calísto a cappella
qui démontre, en se jouant des difficultés, les paradoxes d’un art raffiné non
confiné à l’élite mais délicieusement délité à la délectable jouissance de
tous.
Polyphonie
Issue du chant
d’église où le grégorien primordial s’étage d’abord en deux voix, puis
plusieurs, le motif premier, la teneur, immuable, du texte sacré musicalement
glosée, ornée, ourlée, chantournée mais religieusement respectée par les autres
voix, la reprenant peu à peu, pas à pas, en décalage, architecturée par la
science musicale inféodée aux mathématiques depuis Pythagore, supposée à
l’image d’un univers réglé par le Grand Architecte, ses croisements de lignes
sont à l’oreille ce que la croisée d’ogive est à la vue dans l’architecture
ogivale, avec sa clé de voûte soutenant un édifice symbolique total :
divin et humain.
Bref, la polyphonie,
effroi sacré, fait frissonner, effarouche, surtout en son acmé de la
Renaissance, son apogée foisonnant et flamboyant, au sens de ce gothique tardif
renaissant qui ne cesse de mêler, d’entremêler dans un rêve infini, les lacs et
entrelacs de ses lignes horizontales superposées en accords consonants ou
dissonants, mais conjoignant peu à peu par les nœuds verticaux du contrepoint.
Avec la Renaissance,
où la foi aveugle le cède à l’interrogation lucide, avide d’autres horizons que
le Ciel et ses béatitudes, la polyphonie s’émancipe du texte sacré pour
consacrer le bonheur terrestre : l’enjeu religieux cède le pas au jeu, au
grand dam de l’Église qui en fustige la frivolité.
Chanter la femme
Et nous avions, pour
fêter cette Saint-Valentin des amoureux, avec un décalage temporel digne de la
polyphonie, unis comme les doigts d’une main, les cinq joyeux lurons de
l’ensemble a cappella Calísto : Benoît Dumon (contre-ténor), Rémi Beer Demander (ténor), Daniel Marinelli (baryton et alto), Jean-Bernard Arbeit (baryton-basse) et Jean-Christophe Filiol (basse-baryton). Ils sont à tour de rôle récitants
et en jeux de rôles chantants, à trois, à quatre, à cinq, nous offrant, avec un
plaisir communicatif des textes festifs, lascifs, jouissifs, lestes et verts,
en gros du milieu du XVIe siècle avec une incursion au XVIIIe et
une inclusion de la Madeleine de Palestrina, comme un remords ou clin d’œil à l’origine pieuse
de la polyphonie : mais il est vrai que cette pécheresse a des lettres de
noblesse en volupté et que Jésus, son Maître adoré, préféra toujours récompenser
davantage les grands péchés que les petites vertus.
Ces joyeux lurons, à
travers ces morceaux choisis sur la femme, comme on dirait avec gourmandise ses
« bons morceaux », la chantaient en ses avouables « beaux yeux »,
mais aussi son « beau tétin » (Clément Janequin), mais en passant par son « conin »,
gentiment décliné en « con, con, con », sans oublier la métaphorique
sans doute non de face mais pile « cheminée », où l’on dirait en noble latin
irréligieux mais révérencieux que se glisse augusta per angosta viam.
Ils chantaient donc la
Femme. Non la cruelle Belle Dame sans Merci des platoniques troubadours,
idéalisée à l’image de la dame parfaite, la Vierge, qui, de Dante en Pétrarque, hante de son inaccessibilité l’imagerie érotique dépurée du mâle
culpabilisé en ses désirs, remise en vogue par Pietro Bembo et ses Asolani au début du XVIe siècle, mais la femme tangible, sensible
(sensuelle au sens du temps), bref, concrète, complète même en savoureux
morceaux détaillée, comblée (on l’espère) ou sinon, qui réclame fort librement un complément plus qu'un compliment
sous le voile transparent d’une métaphore noire : « Ramoney-moi ma
cheminée », (Nicole
de Cellier d’Hesdin), ou s’ébroue d’un
rabiot de volupté : « Secouez-moi, je suis toute plumeuse » (Dambert). Jeux de sons, jeux de sens, troubles et doubles sens où l’on
voit, et entend, que même l’époque libertine de Campra (L'autre jour, Isabelle) fait écho au libertinage
de la Renaissance, comme certains costumes des fêtes galantes de Watteau
reprennent les fraises, cols et coiffures du XVIe siècle.
L’ensemble Calísto non
seulement ravissait l’ouïe mais l’esprit par ces textes souvent à double
entente, avec la détente à l’évidence théâtrale aussi qu’entraîne la polyphonie
avec ses effets des diverses voix entrant en scène et sa mise en espace, en jeu,
des mots par les échos consonants ou dissonants également théâtralisés :
un art à entendre et à voir.
On comprend alors les
décrets condamnant la polyphonie du Concile de Trente (1545-1563) qui lance la contre-offensive contre le
protestantisme, la Contre-Réforme catholique et sera un vecteur essentiel du Baroque. Pour ce qui est de la musique, le Concile dénonce les excès de la
polyphonie de la musique religieuse qui, tout à la « délectation de
l’ouïe », en oublie le sens religieux de paroles devenues
incompréhensibles à force d’entrecroisements de lignes vocales savantes et
d’entrées décalées des voix sur le même texte de la sorte brouillé. Ce n’était
pas nouveau. Une bulle du pape Jean XXII la condamnait déjà en 1322 :
« Certains
disciples d’une nouvelle école, mettant toute leur attention à mesurer les temps, s’appliquent par des notes
nouvelles à exprimer des airs qui ne sont qu’à eux. Ils coupent les mélodies,
les efféminent par le déchant, les fourrent quelquefois de triples et de motets
vulgaires, en sorte qu’ils vont souvent jusqu’à dédaigner les principes
fondamentaux de l’Antiphonaire et du Graduel, ignorant le fonds même sur lequel
ils bâtissent, ne discernant pas les tons, les confondant même, faute de les
connaître. Ils courent et ne font jamais de repos, enivrent les oreilles, et ne
guérissent point les âmes. »
Mais il faudra attendre la fin du XVIe
siècle, face aux vives critiques des luthériens qui dénonçaient cette débauche sensuelle
de sons offusquant le sens religieux pour que la Contre-Réforme catholique,
réagisse et impose un retour à une musique plus simple, qui donne le primat au
texte religieux, au dogme. La musique religieuse, pour des raisons éthiques
exige donc un retour à la monodie accompagnée, au chant sur une seule voix avec
des paroles compréhensibles. La musique profane, pour des raisons esthétiques,
suivra aussi ce chemin avec l’avenir lyrique qu’on lui connaît. Mais sans
réussir jamais à éteindre, on le sait, la polyphonie.
Arbeit, Beer Demander, Filiol, Dumon, Marinelli |
Ensemble Calísto
Concert de la Saint-Valentin
Temple Grignan, 13 février
Campra, Dambert, de Celliers d’Hesdin, Gombert, Janequin,
Josquin, Lassus, Ninot le Petit, Palestrina, Richafort, Sermisy, Sweelinck,
Vázquez.
Photo B. P.
Photo B. P.
L'ENSEMBLE CALÍSTO LANCE UNE SOUSCRIPTION POUR SON PREMIER CD . VOIR ET ÉCOUTER :
www.ensemblecalisto.fr
https://www.provencebooster.fr/fr/Touteslesnuitz
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