LÀ-HAUT
MAURICE YVAIN
Opérette-bouffe en trois
actes et quatre tableaux
Livret d’Yves MIRANDE et Gustave QUINSON, lyrics d’Albert WILLEMETZ
SAMEDI 14 AVRIL
Marseille Théâtre de l’Odéon
Très
haut en effet, ce Là-Haut, et non
parce qu’il traite du Ciel, mais par le niveau artistique général et
particulier. Par la grâce de cet heureux Paradis nous sommes, littéralement, aux
anges. En effet, direction d’orchestre, décors, costumes, mise en scène et
interprétation, tout concourt à en faire un joyau joyeux de l’Odéon, à notre
connaissance le seul théâtre voué à l'opérette, un genre ailleurs largement abandonné.
L’œuvre
L’immédiate après-guerre
veut oublier les horreurs de 14/18, on panse les plaies et pense au plaisir. Le
compositeur Maurice Yvain participe de cette euphorie. Déjà auteur de chansons
à succès comme Mon homme (1920), et
d’une opérette remarquée, Pas sur la
Bouche (1922), il participe de cette euphorie, de ce goût de vivre :
est-on mort dans son Paradis de Là-haut,
sinon de rire ? Histoire céleste d’Évariste, viveur sans vie : après un bref passage au Purgatoire où il purge une vie dissolue, il gagne une
éternité paradisiaque, et sème le trouble parmi les troublantes élues ou anges.
Il perturbe Saint Pierre, qui n’est pas de roc (et ne sera pas de marbre face à
la tentation) au point que ce saint homme candide et poli (« Je vous en
prie, entrez », dit-il aimablement aux arrivants) lui accorde une
permission de minuit de revenir sur terre pour surveiller de près sa veuve
presque éplorée qui, sans être joyeuse, à en croire son ange gardien Frisotin,
ne vit pas trop mal son veuvage.
Concoctée
par des librettistes ingénieux, facétieux, jouant des progrès faisant rêver
toute une époque (lavabo, eau, gaz et électricité à tous les étages, même
là-haut…), sachant user de culture encore populaire alors avec des clins
d’œil bibliques, lyriques ou poétiques (« En vérité, je vous le
dis… », « Anges purs, anges radieux… », « Voici des fruits, des
fleurs, des feuilles… » , etc), s’amusant faire bondir et
rebondir la langue, les mots, avec une virtuosité digne des librettistes
d’Offenbach, (« mort mordu… », « Elues-u-u-u-ues… »),
jonglant avec les allitérations « Aime-moi, Emma … », « Ose
Anna= Hosanna » ), les
paronomases « Par(ad)is/ Paris), cette opérette opère un vrai plaisir du
texte, redoublé par l’allégresse de sa musique au rythme trépidant des Années
folles, fox-trot, charleston, one-step, shimmy, etc…, danses venues
d’Outre-Atlantique aussi bien acclimatées en France qu’Un Américain à Paris.
Réalisation
et interprétation
L’Opéra de Marseille, qui
régit l’Odéon, conjointement dirigés par Maurice
Xiberras, n’a pas lésiné sur les moyens. Emmanuelle Favre, qui travaille dans les plus grands théâtres, avec
son style dépouillé toujours expressif signait un décor d’une grande
pureté : Paradis, le ciel, l’éther, un rectangle d’un bleu délicat
forcément éthéré, piqué de quelques vaporeux flocons de nuages d’une ouate
lumineuse. Au second acte terrestre, juste un changement de lumière, table, fauteuil,
canapé en canne et c’est un léger salon jaune paille, éclairé de panneaux
suspendus transparents de fenêtres qui, assemblés, deviendront lumineuses baies
vitrées 1900 de demeure bourgeoise raffinée.
L’éternité du Paradis
n’ayant pas d’âge, les robes de Katia
Duflot, habituelle complice d’Emmanuelle Favre pour les plus grandes
productions, ne collant pas exactement aux garçonnes des Années folles, moulent
discrètement les formes féminines de soies, satins, des coupes élégantes des
années 30 de toute beauté et selon l'éventail des modes requises par les clins d'œil cinématographiques et historiques de la mise en scène, de la Jeanne d'Arc dont la cuirasse du Ciel devient une élégante cotte de maille prisée sur terre à la célèbre robe de Marilyn soulevée par un courant d'air fripon. Même les saluts auront de somptueux costumes
différents, soieries, lamés, pour toutes les dames, l’élégance masculine
n’était pas en reste, même plus sobre. Décors et costumes d’une rare harmonie.
Tout en vivacité
revigorante, actualisant par sa direction la vitalité musicale de cette œuvre
ancienne mais sans ride, à la tête de l’Orchestre
de l’Odéon, qui s’amuse, heureux Bruno
Conti, avec ce duo de dames, non trio, car il faut ajouter Caroline Clin, que l’on applaudit
souvent en chanteuse, qui signe ici la mise en scène. Et quand on dit mise en
scène, on ne rend pas exactement la qualité, l’alacrité électrique de son
travail minutieux, sans rupture de rythme. Il faudrait parler, pour être juste,
de chorégraphie, tant les mouvements des personnages, des ensembles chantants
sont d’une précision d’horlogerie, mais sans aucune raideur mécanique :
tout semble couler de source. Le duo entre Évariste et Frisotin est un véritable
pas de deux et trio avec Martel. On pourrait parler d’une vraie partition
gestuelle : non seulement Caroline Clin fait bouger les corps, les jambes,
naturellement, mais les bras, les mains, et même les doigts participent de ce
bal, ce ballet étourdissant de virtuosité. On imagine sans peine la peine, le
travail !
Mais il est vrai qu’elle a
une équipe rompue à ce travail, et l’on devine, aux bis terminaux prodigués à
un public enthousiaste ,sans regarder à la dépense d'énergie, leur enthousiasme personnel
dans cette production.
Les cohortes célestes angéliques ont des
hiérarchies, commençons par elles. On dit que les anges n’ont pas de sexe et le
mot, injustice machiste des religions, n’a pas de genre féminin : on n’en
discutera pas ici mais, à coup sûr à voir ces élues, ces anges, ces « angelles »,
par forcément des agnelles, la question est tranchée à voir leurs formes si
humainement féminines et on se damnerait (que Saint Pierre me pardonne !),
oui, même un saint se damnerait pour atteindre le septième Ciel avec elles,
dotées d’ailes et, tant pis, tant pire : on braverait même l’Enfer comme
le héros.
En effet, un quatuor de
charme accueille le fringant Évariste : auréole couronnant la tête et, telles
des houpettes, de coquettes paires d’ailes au dos, on découvre une blonde
Marilyn (Émilie Sestier) jouant du postérieur, une Dalida par l’accent ou Rita par
la rousse chevelure (Sofia Naït),
une adorable brune Betty Boop des premiers cartoons blanc et noir
contemporains, l’éternelle amoureuse aux accroche-cœurs, un cœur grand comme ça
plaqué, placardé d’ailleurs sur le sien (visez au cœur, c’est là qu’est le
génie !) avec un nez et air mutin de mutine Liza Minelli (Priscilla Beyrand), une aguicheuse
Betty censurée par le Code Hays, choqué par la fresque de ses frasques en
bandes dessinées et son coquin petit cri « poo-poo-pee-doo », repris
sensuellement par Marilyn.
Pour de saintes
amours plus cuirassées, phénix issue de ses cendres, on ne s’étonne pas de
trouver au Paradis une belle Jeanne
d’Arc (Lovénah Lhuillier) et, longue,
mince, raide, rude et rogue, deux longues tresses brunes sur son costume deux
pièces immaculé, jupette et corsage mini, long bas tels des cuissardes et
talons hauts, cravache à la main, tronche et trogne vindicative, regard
farouche et culpabilisant, une Mercredi de la Famille Adams, pas petite fille
modèle, mais modèle de perversion enfantine : avec elle, qui engage son
cœur engage sa tête avec cette collectionneuse sinon chasseuse de têtes :
c’est Julie Morgane, amoureuse et
vierge frustrée, ici moins servie en airs, mais air et allure dont elle sait
faire un vrai poème humoristique avec ses savants décrochages de tons. Le Ciel,
compatissant, pouvait-il se passer de l’ange pur et radieux de Marguerite (Katia Blas), dont le chant a rédimé
Faust ? C’est une plantureuse plante avec le double rôle céleste et
terrestre de bonne lyrique hilarante. Car ces anges au féminin en surplomb ont
leur pendant au monde en amies de la veuve.
Cette dernière, c’est la piquante brune Caroline Géa, séchant ses larmes et sablant le champagne avec ses
compatissantes amies en son salon de partie de bridge entre dames daubant sur
le défunt, vantant les avantages du veuvage et rappelant le danger des larmes pour
la beauté : « Être veuve, en vérité… ». On voit aussitôt la résurrection de la coquine
coquette sous la voilette et toilette noire, arborant un imperturbable sourire
rouge aux lèvres, débitant avec une fière impertinence ses couplets
« Parce que » à son amoureux transi.
Celui-ci, s’accompagnant seul au piano jaune comme son rire pour lui
plaire, c’est Dominique Desmons, tel
qu’en lui-même, une essence du théâtre comique. Lunettes sur son crâne
abondamment garni d’une chevelure nuageuse, Saint Pierre, débonnaire vieillard
d’imagerie pieuse, clés au côté, regrettant de ne pas connaître Paris, c’est Philippe Fargues en rondeur, vêtu de lin et de blancheur
candide, candidat à la terre en découvrant l’affriolante veuve qui va donner un
ange au ciel. Un Bibi moins Fricotin que Frisotin farfelu, farfadet fada
frisant l’angélisme enfantin, touffe blonde de cheveux, ange gardien assurant
le gardiennage, disons la filature terrestre de Madame, costume blanc de la
fonction, longue-vue et corne de brume de la conscience embrumée, c’est Grégory Juppin : on le connaît
danseur acrobatique avec Julie Morgane,
on l’apprécie chanteur et que dire dans ce rôle qui réunit tant de ses facettes ?
Sans jamais être forcées, ses mimiques sont justes et font sens : malicieux,
naïf, touchant même. Il sait donner à sa voix droite bien conduite des
inflexions enfantines : un artiste complet. Et que dire de son partenaire car
tout repose sur leurs solides épaules : ils sont servis par la quantité
des airs et des « numéros » dansés en solo ou ensemble et une mise en
scène intelligente qui sait utiliser leurs grandes qualités. Le ténor Grégory Benchénafi semble représenter
en France le meilleur de l’école américaine, on ne dira pas de music-hall
puisqu’on ne colle pas des étiquettes aux USA, mais de la comédie musicale qui
allie les exigences du lyrique, du théâtre et de la danse. Ce grand et beau
garçon athlétique bouge avec une souplesse étonnante, joue de tout son corps,
expressif autant dans sa belle voix que son visage : le jeune premier au
meilleur sens du terme.
Le public, exalté, exulte et salue sans fin ce spectacle
brillant, tonique, qui devrait tourner.
Odéon Marseille,
14 et 15 avril
Là-haut
de
Maurice Yvain
Direction
musicale : Bruno CONTI
Chef
de chant : Anna PECHKOVA
Mise
en scène : Carole CLIN
Assistant
mise en scène : Sébastien OLIVEROS
Scénographie : Emmanuelle FAVRE ; Costumes : Katia DUFLOT
Décors
et costumes fabriqués par les ateliers de l’Opéra de Marseille
DISTRIBUTION
Emma : Caroline GÉA
Maud : Julie MORGANE
Marguerite : Kathia BLAS
Quatre élues : Priscilla BEYRAND, Lovénah LHUILLIER, Sofia NAÏT et Emilie SESTIER .
Maud : Julie MORGANE
Marguerite : Kathia BLAS
Quatre élues : Priscilla BEYRAND, Lovénah LHUILLIER, Sofia NAÏT et Emilie SESTIER .
Évariste Chanterelle :
Grégory
BENCHENAFI
Frisotin : Grégory JUPPIN 3
Frisotin : Grégory JUPPIN 3
Saint-Pierre : Philippe
FARGUES
Martel : Dominique DESMONS
Martel : Dominique DESMONS
Orchestre de l’Odéon
Cécile JEANNENEY, Anne-Céline PALOYAN, Isabelle
RIEU, Christine AUDIBERT, Cathy BENOIST, Elisabeth ANDREOULIS, Nicolas PATRIS
de BREUIL, Pierre NENTWIG, Sylvain PECOT, Soizic PATRIS DE BREUIL, Mireille
LOMBARD, Cédric LECELLIER, Benoît PHILIPPE, Marc BOYER, Luc VALCKENAERE,
Gérard OCCELLO, Yvelise GIRARD, Alexandre REGIS, Anne-Sophie DAUPHIN
Photos Christian Dresse :
1. Un Saint Pierre bien entouré (Fargues);
2. Une élue à la cravache (Morgane, Bénéchafi) ;
3. Évariste et deux élues (Beyrand, Bénéchafi, Estier) ;
4. Ange gardien et Évariste (Juppin, Bénéchafi) ;
5.Amoureux transi et veuve (Desmons, Géa) ;
6. Aviateurs tombés du ciel et Martel (Juppin, Desmons, Bénéchafi)
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