PRISON POSSESSION
de et par François Cervantès
Compagnie l’Entreprise
Fiche de la Belle-de-Mai
22 janvier
Simplement habillé de pénombre,
malgré le costume sombre que l’on devine et la chemise blanche, François
Cervantès avance nu dans son immobilité. Il se nomme, s’identifie, décline
naissance, enfance, famille, profession : théâtre, vie. Et pourtant, pas
d’autobiographie, pas de théâtre ici : d’une visite bouleversante,
déconcertante, à la prison du Pontet, d’une correspondance avec des détenus,
vite cristallisée en un seul, Érik, il vient, se présente devant nous imprégné
d’un contexte qui se méfie du texte, avec des mots qui se défient de la phrase,
de la phraséologie. Avec des paroles nues reprises de cet échange, à voix nue,
une voix neutre qui prend ses distances avec l’éloquence, la grandiloquence, il
pose, propose une scène qui se méfie de la scène, du théâtre : même la
spectaculaire évasion en hélicoptère, digne d’un film à suspense, n’est pas un
spectacle mais l’image de la trajectoire d’oiseau fou en cage d’Érik, brisé
contre les murs de la prison depuis l’adolescence, sans abdiquer jamais le rêve
de vol, d’envol, d’évasion.
C’est à la fois, s’il
faut définir cette indéfinissable parole, une confession, une confidence dans
la confiance entre Érik et lui, entre lui et nous. Érik confie à François, dans
une étrange correspondance aveugle, décorporalisée, du dedans vers le dehors,
sans contact autre que la lettre, le papier, les mots, une cruelle expérience
des limites de l’humain dans la déshumanisation carcérale, plus qu’habitée,
encombrée par « un tas de gens, en vrac », « une humanité
en trop » : « au rebut ». Isolement absolu de longue durée
qui fait perdre les repères, la mémoire des autres, et même de soi en venant à
douter de soi-même.
D’une réclusion
criminelle dans le noir, Jean de la Croix, le carme déchaux persécuté avant
d’être saint, se protégea de la folie en inventant oralement son sublime poème,
La Nuit obscure de l’âme, fondement ou illustration de sa mystique négative, et réussit à
s’évader et le réécrire. Érik, avec ses pauvres mots confiés à François, qui le
convie à prendre la parole à son tour, dans une sorte de soliloque à deux voix,
semble dire, dans cet isolement, l’effacement des formes de l’humain. Se dessine
malgré tout, dans cette ombre, l’ombre d’un Quartier de Haute Sécurité,
sécurité prétendue pour la société qui se protège des criminels mais dont ce
texte montre, et l’actualité nous démontre aujourd’hui, avec la criminelle
insécurité interne, vols, viols, violences, la violence radicale dans laquelle
se jettent des prisonniers qui croient trouver la foi dans la haine.
C’est dire l’actualité tragique de cette
expérience presque pieusement exposée, avec une humilité franciscaine, par
François Cervantès. Mais, « entre les corps et les mots », entre
concret et abstrait, il livre, délivre paradoxalement, un message de liberté
par la parole, par l’esprit qui abolit la frontière des murs et des corps.
Pas de prêche, pas de discours, pas de gesticulation mais de simples mouvements
des mains, à peine perceptibles dans le noir accompagnant cette voix
modeste : les réalités terribles le sont davantage d’être énoncées, dénoncées
finalement, sans déclamation : le cri, par le murmure, devient plus percutant.
Prison possession
De et par François Cervantès,
La Friche de la Belle-de-Mai,
Du 13 au 25 janvier.
Son et régie : Xavier Brousse ;
scénographie : Harel Luz ; Lumière : Nomade Village.
Production : Compagnie l’Entreprise :
coproduction Région PACA, Théâtre
de Cavaillon, en partenariat avec l a
Direction Interrégionale des Services Pénitentiaires.
Photo © Melania Avanzato : François Cervantès.
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