BARBE-BLEUE
Opéra-bouffe (1866)
de Jacques Offenbach
Livret d’Henri Meilhac et Ludovic
Halévy
Marseille, Odéon, théâtre municipal
18 janvier
Il était une fois
l’opérette et ce diminutif par rapport à la grandeur ou grandiloquence de
l’opéra semble l’avoir reléguée à la balayette et remisée au rebut au rabais
des plaisirs un peu honteux où ne surnagent que quelques titres qu’on ose
arborer sans rougir. Et pourtant, il y a un public, bon enfant et grand enfant,
qui redécouvre, avec bonheur, le plaisir un peu désuet de jolis décors en
carton-pâte et toiles peintes (Nicolas Gélas), de beaux costumes d’époque (Maison
Grout), le charme
efficace d’une mise en scène espiègle, enjouée et bien réglée dans les danses (Jean-Jacques
Chazalet) :
bref, l’enchantement naïf et émerveillé des contes de notre enfance. Notre
Opéra a donc bien fait de rendre sa dignité parallèle à l’Odéon de l’opérette.
Et d’exhumer ce Barbe-Bleue tiré de Perrault mais tiré, sinon par les cheveux, par sa
pilosité abondante vers les sommets du burlesque qui décoiffe sans raser.
On n’y songe pas
forcément en se rasant tous les jours, ou plutôt en ne se rasant pas selon la
rasante mode actuelle qui transforme les jeunes gens en visages pâles ou sales
—ce qu’on ne dira pas de notre barbu à barbe aile de corbeau nette et
proprette, Marc Larcher, qui
incarne ici au poil, poilant, un désop(o)ilant Barbe-Bleue— mais écouter
Offenbach, c’est de la dope d’optimisme et, le voir, dans cette production,
c’est une dose de vitamines qui devrait être remboursée par la Sécu. Et par ces
sombres et tristes temps, personne ne dira que nous n’en avions pas
besoin : Offenbach et ses fameux complices Meilhac et Halévy, après Orphée aux Enfers (1858), La Belle Hélène (1864), et la même année que La
Vie parisienne
(1866) ce Barbe-Bleue, par leur caricature des idoles d’une société déjà hédoniste, égoïste,
de consommation et consumation bourgeoises, sont des dessinateurs verbaux et
musicaux : les Charlie hebdo de leur temps.
Marc Larcher, Barbe-Bleu |
Certes, nous avons
perdu des codes, des clés de leurs pamphlets, trop ancrés dans leur temps, mais
ce qui nous reste culturellement, parodies de l’opéra italien et ses cadences
interminables vocalisées, un quatrain détourné de Robert le Diable de Meyerbeer, les citations de «Il
pleut, il pleut bergère », (agrémenté ici d’une Carmen anticipée), de fables de La
Fontaine, font tout fait sens, et nonsense comme diraient les British. Sans
vendre la mèche, il n’est pas impossible de voir dans les scènes de ménage
entre le roi Bobèche emperruqué (ébouriffant, décoiffant, hilarant Jacques
Lemaire) et sa
guère clémente Clémentine de femme (truculente et succulente Christine
Bonnard), la
mésentente cachée du couple impérial, par plaisante inversion —sinon sexuelle,
de sexe— ici, elle infidèle, contrairement à Eugénie, puritaine et glaciale,
tandis que Napoléon III, à l’inverse, avait un appétit sexuel bien connu,
priape impérieux plus qu’impérial à la moindre vue d’un jupon, à la vue de
tous, de toute la cour, difficile à dissimuler sous l’étroite culotte (on ne
portait pas de pantalons plus discrets), ce qui lui valut nombre de sobriquets
sexuels.
Emmanuelle Zoldan, Boulotte |
Voracité et férocité
ici prêtée à Barbe-Bleue, dont on découvre, qu’en fait, il n’épouse et tue ses
femmes que pour trouver celle qui lui permettra enfin d’éveiller ou réveiller
une virilité défaillante. Et il est bien plaisant, par inversion aussi, de voir
et d’entendre le ténor Marc Larcher, au timbre mâle et aux aigus triomphants de jeune coq,
allure d’hidalgo donjuanesque, qui chante pratiquement sans arrêt, joue et
danse les angoisses de l’épouseur à toutes mains, auquel il manque la troisième
main, disons le membre essentiel de la séduction. On comprend aussi le sursaut
de virilité qui le secoue à la vue de la Boulotte délurée incarnée en belle et
bonne chair par la pulpeuse sinon palpable Emmanuelle Zoldan, beauté du diable sans ce
magnifique grand regard angélique de douceur, velours d’une voix de mezzo
chaude et facile, dont le charme souriant rappelle l’actrice hollywoodienne Yvonne
de Carlo plus que
le « Rubens » rebondi du texte : un couple de rêve. En inversion
(décidément encore !) de voix grave/aiguë, le couple parallèle
soprano/baryton de Caroline Géa, fraîche Fleurette et acide et perfide Hermia, avec Bertrand
di Bettino, vrai
prince charmant. Mention aussi pour Perrine Cabassud pour l’élément féminin de charme
avec ces beautés sorties du placard, du rancart, poulettes mises au chaud du
bordel ou du poulailler par l’inénarrable coq en pâte Popolani de Dominique
Desmons,
alchimiste, cabaliste, empoisonneur irrésistible de drôlerie, digne des films
muets. Antoine Bonelli est un Chambellan dépassé par cette cour tournant à la basse-cour de la
jacasserie de pétaudière.
Marc Larcher et Bertrand di Bettino |
Les jeux de mots
traditionnels dans ce type d’ouvrage sont bien venus (« je
m’aigris /maigris » ce classique pas « coupable » répondu
par le condamné à la décapitation auquel le bourreau rétorque
cyniquement : « On verra, ça à tête reposée. »
Les chœurs ont un enjouement contagieux, l'orchestre, dirigé par Jean-pierre Burtin, faute sans doute de répétitions suffisantes, échappe un peu à son contrôle notamment au début du III. Mais rien ne gâche notre
plaisir : par les temps qui courent, Offenbach fait cure.
Barbe-Bleue
Opéra-bouffe en trois actes et quatre tableaux
Musique :
Jacques Offenbach,
Livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy
Marseille, Odéon, théâtre municipal
17 et 18 janvier
Orchestre du Théâtre de l’Odéon, Chœur phocéen (chef Rémy
Littolff).
.Direction musicale : Jean-pierre Burtin
.
Mise en scène : Jean-Jacques Chazalet ; décors :
Nicolas Gélas ; costumes : Maison Grout.
Distribution :
Emmanuelle Zoldan, Caroline Géa, Christine Bonnard,
Perrine Cabassud, Marc Larcher, Jacques Lemaire, Dominique
Desmons, Jean-Marie Delpas, Bertrand Di Bettino, Antoine Bonelli.
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