CONCERTS À MARSEILLE
Au cœur de l’hiver, la chaleur du chant…
Marseille, ville musicale et lyrique. À peine éteints les feux et Caprices
de Marianne pour
clore janvier, le mois de février s’égrène avec une enfilade de perles de
concerts.
Ainsi, rien que dans la première
semaine, on pouvait entendre, le 6, au Corbusier, l’ensemble Baroque graffiti, avec Sharman Plesner au violon
et Jean-Paul Serra au clavecin, dans un concert déjà présenté la veille à Aix, au Musée
des tapisseries, de sonates pour ces deux instruments du trop peu connu Chevalier de
Saint-Georges,
surnommé « Le nègre des lumières » qui fut le protégé de
Marie-Antoinette, arrogante mais originale reine qui illustrait de la sorte son
non conformisme en promouvant, au grand dam de la cour, un compositeur et chef
d’orchestre noir, par ailleurs célèbre duelliste.
Nous avons eu, les 6 et 7,
« La folle Criée » en association avec le festival de piano de la Roque
d’Anthéron, des concerts mémorables, avec, à l’affiche Claire-Marie Le
Guay, le Ricercar Consort et Philippe Pierlot, Café Zimmermann avec Céline
Frisch et Pablo Valetti, Rémi Geniet, le Trio Chausson, Marina Chiche et
Emmanuel Strosser, Anne Queffélec..
Mais cette folle semaine musicale était ouverte
par Marseille-Concerts le lundi 2, aussi à la Criée, avec son premier concert de jazz,
« Cross over fantaisies », croisant justement jazz et musique classique. Le second
eut lieu le 17, toujours à la Criée, avec l’ensemble Belmondo, « Family sextet », belle famille de musiciens avec Yvan
Belmondo au
saxophone baryton, Lionel Belmondo au saxophone ténor, soprano et flûte, Stéphane Belmondo,
trompette, mais
aussi, de la même tribu, pères et fils, Jean-Philippe Sempere, guitare, Sylvain Romano, contrebasse et Jean-Pierre Arnaud, batterie : unis dans une
culture commune pour une musique ensoleillée, fiévreuse mais festive.
Vaillante diva
Le vendredi 13 fut un jour de chance puisque
nous eûmes celle de courir à l’Opéra pour y entendre la merveilleuse Patrizia
Ciofi, presque
Marseillaise d’honneur tant elle nous honore et régale de sa présence, à
laquelle la mezzo Clémentine Margaine donna la réplique, sous la direction de Luciano
Acoccella qui ouvrit et rythma les parties vocales par l’ouvertures
du Barbier de Séville à laquelle on
prête toujours, a posteriori, l’esprit comique de l’opera buffa, alors que ce fut d’abord celle d’Elisabetta, regina
d’Inghilterra, opera seria, ce que nous rappela l’interprétation peu bouffe du
maestro. Celle de Roberto Devereux eut la volupté contenue de l’œuvre, de cet amant charnel ou platonique de
la Reine dite Vierge et celle Semiramide, une
grandeur antiquisante.
Patrizia Ciofi (© Borghese) |
Ayant la voix de Patrizia à l’oreille, disons
au cœur, dès son premier récit et air, tiré de la rivale malheureuse de la reine
d’Angleterre encore, Maria Stuarda, «O nube che lieve...Nella pace del mesto riposo», au-delà de
ce timbre à la couleur boisée, je sentis un voile gênant pour la cantatrice,
mais son métier est tel qu’avec l’échauffement, on ne sentit nulle difficulté et
l’on vibra de ses colorature vertigineuses autant qu’expressives. Sa lettre et
son adieu de Traviata, «Teneste la promessa...Addio del passato», furent
bouleversants de vérité et vocalement servis en émotion par cette même gêne de
la voix : il s’agissait bien d’une mourante qui chantait. Même émotion
dans la supplique au ciel de Luisa Miller
et, dans un répertoire mozartien inhabituel, l’air de fureur de
l’Électre, d’Idomeneo, on se demande comment une voix si douce peut exprimer un tel
déchaînement de haine.
Clémentine Margaine |
À côtés de la grande soprano qui la parraine,
avec seulement deux airs solistes pour quatre à Patrizia, Clémentine
Margaine mezzo
soprano, séduit par la sonorité saine d’un timbre chaleureux, voluptueux, d’une
voix puissamment et bellement cuivrée, très égale dans tous les registres, aux
aigus faciles. Elle est d’abord Neris, servante fidèle jusqu’au sacrifice de la
Medea de
Cherubini, avec un phrasé large qui convient à la noblesse de ce morceau
néo-classique, d’une grande beauté vocale. On s’étonne d’entendre en italien,
par une française, l’air de La Favorite de Donizetti «Oh, mio Fernando !», toujours un
déploiement vocal plus somptueux peut-être que passionné. Dans les duos, les
deux cantatrices rivalisent de virtuosité et, enfin, dans le dernier, entre
Norma et Adalgisa (que Patrizia chante partition à la main avec des mimiques
malicieuses envers son public qui l’adore), c’est la beauté alliée à l’émotion offerte par les deux et partagée par la salle et, juste au moment des bis réclamés par une salle
enthousiaste et insatiable, l’aveu de sa grippe par Patricia Ciofi. La
barcarolle des Contes
d'Hoffmann d’Offenbach achevée, à
peine entamé le duo des fleurs de la Lakmé de Delibes, la vaillante Patrizia dans son chant, vaillante dans son
stoïcisme, est vaincue par la toux mais triomphe par le courage d’avoir tenu
jusqu’au bout d’un concert périlleux par sa difficulté et par son état de santé
qu’elle avait tu jusque-là. Bravo l’artiste, merci.
Luciano Acocella |
Lyricopéra d'art et d'amour
Tomber amoureux d’une voix et célébrer l’amour
ou les amoureux, ce fut le lendemain, pour la Saint Valentin, le samedi 14.
Marthe Sebag, inlassable bonne dame est devenue, avec Lyricopéra, au sens le plus noble, la dame
patronnesse des jeunes chanteurs qu’elle patronne exactement, dans le Temple
Grignan, en leur offrant la possibilité de s’y produire. Corps et âme, elle se
dévoue pour y donner des concerts lyriques (et même une master class qui
commença le 16 pour finir le 21 par un récital des jeunes stagiaires). Elle
tâche d’y inviter de jeunes chanteurs prometteurs ou qui ont déjà tenu leurs
promesses. Accompagnés par la pianiste Marion Liotard, maître de chant dans le malheureux
CNIPAL perdu, mais très sollicitée, on y entendit, dans des airs et duos
d’amour de l’opéra la soprano Chrystelle di Marco, une découverte, une voix qu’on ne
peut entendre sans l’aimer et la quitter sans l’espoir de la réentendre bien
vite.
Chrystelle di Marco |
Le ténor géorgien Irakli Kahidzé, issu de ce CNIPAl dont on ne
déplorera jamais trop la fin, devait être son
partenaire mais les horribles événements du 7 janvier ayant resserré les
contrôles aux frontières, il ne pu obtenir son visa pour être à temps chez
nous. Au pied levé, c’est notre grand ténor marseillais, et international, Luca
Lombardo, qui
accepta aimablement de le remplacer. Une occasion pour nous de saluer encore
cet artiste à l’admirable carrière dans le monde entier, assez modeste et
généreux pour être des nôtres et patronner cette jeune partenaire.
Évidemment, en cette Saint Valentin, l’amour
était au programme avec ses airs et ses duos, d’harmonie entre les amants même
au destin malheureux comme Tosca et Mario, chantant la naissance (bien rapide)
de l’amour comme Mimi et Rodolfo ou l’amour à mort comme Santuzza et Turiddu de
Cavalleria rusticana. Dans ces trois rôles, soprano dramatique le premier, soprano lirico
spinto le second,
et le dernier, soprano dramatique aux limites du mezzo, puis, en bis, le
soprano néo-classique ou Falcon de Norma, Christelle di Marco déploya, avec un engagement
passionnel (qu’elle devra maîtriser pour protéger son magnifique organe), le
tissu somptueux d’une voix puissante, large sur toute sa tessiture, facile,
d’une couleur qu’elle sait varier du rouge sombre du médium au noir des graves
et à l’éclat lumineux des aigus éclatants. Bonheur d’une découverte. Et
inquiétude et incompréhension qu’une telle voix ne trouve pas d’emploi sur nos
scènes.
Luca Lombardo (© Gilles Swierc) |
Simple, souriant avec une tendresse de grand
frère protecteur, Luca Lombardo
donne la réplique à cette jeune pousse et pousse, sans jamais pousser, la
lumière d’une voix lumineuse, expressive tant dans la nuance musicale que du
texte (à faire pleurer dans le lamento de Mario de Tosca, si galvaudé, senti de
l’intérieur). Dans l’ingratitude d’un concert sans l’appareil de la scène, du
théâtre, il semble vivre non seulement ce qu’il dit et chante mais existe même
lorsqu’il est muet à l’écoute attentive de sa partenaire, réagissant finement,
sans jamais en faire trop, vibrant à chaque mot ou note qu’elle émet. Un
artiste.
Au piano, Marion Liotard, valeureuse partenaire, rompue au
chant et au récital, semble faire corps avec les deux chanteurs plus que les
accompagner. Elle arrive presque à nous faire oublier l’orchestre en nous
détaillant amoureusement l’intermezzo rêveur de Cavalleria rusticana. En bis, il électrise la salle avec
la passionnelle chanson napolitaine Dicitenccello vuie, aveu détourné, puis direct, d’amour.
Amoureuse Saint Valentin. Merci, amis. Merci Marthe.
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