L'habitude use le plaisir et à voir, tout voir et
revoir tant de spectacles repris, on risque de ne plus pouvoir les voir,
de les détester même, banale affliction de la critique devenue routine, blasée,
qui a perdu la nécessaire fraîcheur enfantine pour jauger, juger ce type de
production dont le pérenne succès devrait pourtant inciter à l'interrogation et
à en comprendre la nécessité encore aujourd'hui.
Certes, le seul
plaisir de réentendre l'infatigable Marc LARCHER d'une arrogante
santé vocale pour un rôle pas facile, la piquante et adorable Caroline GÉA qui sait faire
intime et confidentiel le vaste plateau pour roucouler son amour secret, les
inénarrables DESCHAMPS, DESMONS et autres
joyeux démons et diablesses de la bande, valait bien le retour. Affronter ces
toiles peintes pour décors, ces rideaux ondulants qu'on tire, retire, avec
force rides et rires, cela déride quand on a une âme d'enfant, quel que
soit notre âge. Mais, quand on a de l'âge sans malheureusement cette âme
enfantine ?
Eh bien, le bonheur
d'avoir pour voisin, à ma droite, un jeune garçon, fou de foot, assistant à son
premier spectacle musical et, à ma gauche, son père, qui garde quelque chose de
l'enfance dans l'œil et le sourire : le plaisir de leur découverte m'a fait
éprouver comme pratiquement neuve cette reprise sans ride, mais qui déride
toujours, et a doublé mon plaisir de celui du duo familial. Et il fallait voir ÉTHAN, à l'issue du
spectacle, timide d'abord, encouragé par mes soins, s'enhardir peu à peu pour
demander à tous ces artistes, aussi talentueux que simples, un autographe sous
leur photo du programme.
J'aurai revu ce
spectacle, renouvelé par les yeux d'un enfant et admiré encore plus ces
artistes, qui, généreusement, sans mesurer des bis harassants, offraient du
bonheur à une salle entière. Je reprends donc mon texte d'alors qui vaut pour
aujourd'hui.
Le Chanteur de
Mexico
opérette en 2 actes et
20 tableaux
musique de Francis
Lopez,
livret de Félix
Gandéra et Raymond Vincy, paroles de Raymond Vincy et Henri Wernert,
créée au théâtre du Châtelet, 1951
créée au théâtre du Châtelet, 1951
Théâtre de l’Odéon
22 février 2015
et 17 décembre 2017
et 17 décembre 2017
Patrimoine culturel populaire
Avec
ses soixante-quatre ans d’âge, cette opérette n’a pas pris une ride, même si
son public en a pris plus d’une, à juger par celui qui occupait la vaste salle
de l’Odéon, comble. Mais le comble, c’est l’air de jeunesse qu’insufflaient ces
airs à ce vibrant auditoire rajeuni par le souvenir. En termes philosophiques,
on pourrait, pour tel spectateur, savant mais simple, et critique non blasé,
parler d’anamnèse, ce phénomène défini par Platon de découverte (ou
redécouverte) au fond de soi de quelque chose qu’on croyait enfoui, oublié, ou
inconnu car, à écouter cet inépuisable collier de chansons, de perles
(préférons ce terme au mot « tubes » mal sonnant pour l’émission
sonore), avec surprise et émotion, je découvrais, que je connaissais non
seulement ces musiques mais pratiquement toutes leurs paroles, et pas seulement
le célébrissime « Mexico, Mexiiiiico… », auquel personne en France
n’a échappé, même si ce genre de rengaines n’était pas beaucoup de mon
répertoire. Alors, sans trop extrapoler d’un cas particulier au général, mais
tout de même accrédité par ce nombreux public enthousiaste, il n’est peut-être
pas abusif de conclure que cet ouvrage, ses jolies chansons qui restent dans
l’oreille dès la première fois et qu’on garde pour toujours même entendues par
mégarde, par imprégnation sonore extérieure, et que tant de gens se précipitent
pour réentendre, font partie d’un patrimoine culturel populaire très puissant
qu’on aurait tort de mépriser et qu’on a raison d’exhumer, car il est loin
d’être mort. Il est vrai que le charisme de Luis Mariano y est grandement pour
quelque chose, la culture a aussi ses cultes. Mais si, finalement, on s’y
retrouve, c’est que la mémoire (le cœur ) a ses raisons que la raison ne
connaît pas. Et c’est tant mieux.
Réalisation et interprétation
Pour
vanter la vertu tonique de ce tequila musical (le terme est masculin en
espagnol), je ne vais pas me répéter en disant que cela devrait être remboursé
par la Sécu, formule que j’avais employée pour la mise en scène du Médecin
malgré lui de Molière par Andonis Vouyoucas il y a des années, qui a
longtemps figuré même dans les affiches du Festival d’Avignon, que j’ai reprise
pour le Barbe-Bleue d’Offenbach, et qui refleurit maintenant un peu partout,
répercutée aussi par les réseaux dit sociaux…
Citer
tous les intervenants pour le livret, le texte, est plus long que d’en dire du
bien : ils on dû conjuguer bien des efforts pour un résultat bien faible. Une
fable sirupeuse et, dans cette version, une vague intrigue politique sur fond
de Révolution mexicaine où l’on a la surprise comique de voir Zapata en chef
aztèque au pied de la grande pyramide. Mais les paroles des chansons ont la
naïveté et la malice de leur facilité qui colle à l’oreille, d’autant que les musiques
qui les portent, transportent de plaisir. En effet, Francis(co) López, pour l’appeler par
son nom, a une véritable veine et verve mélodique : aux musiques
d’ambiance et danses hispaniques, fandango, jota, zapateado, boléro (Acapulco) et le fameux
« Mexico, Mexiiiico » avec fausset de mariachi, il sait mêler
d’autres moins typées mais tout aussi efficacement mémorisables (et finalement,
mémorables) telles les chansons « Quand on est deux amis… » et,
notamment, l’intemporel « Rossignol, rossignol de mes amours… »
L’orchestration
ne pèche pas par excès de présence, mais les dix-huit musiciens de l’Orchestre
du théâtre de l’Odéon, sous la direction attentive de Bruno Conti, jouent plaisamment
le jeu de la fonction d’accompagnement tandis que le Chœur phocéen de seize chanteurs,
dans la mise en scène trépidante de Jack Servais, entrent vraiment
dans le jeu et la danse, allègrement réglée par la chorégraphe Estelle
Lelièvre-Dansvers, ne cédant le pas qu’au
sympathique ballet de sept danseurs, très judicieusement déployé. Quant
aux décors, dans la tradition naïve mais prenante et gentiment surprenante du
genre, toiles et cartons généreusement peints (Laurent Martinel), dont ce magnifique
et hyperbolique sombrero mexicain du dernier tableau, ils servent de cadre à
une débauche ahurissante de costumes, certains comiques, mais tous très beaux,
très harmonieux dans leurs couleurs, d’un luxe inouï (Maison Grout).
Dans
ce cadre, cet écrin fantasque, fantastique à force d’excès, les protagonistes,
survoltés, s’en donnent à cœur joie, des figures de passage (Jean Goltier, Jean-Pascal
Mouthier)
à ce Grand sorcier inénarrable d’Antoine Bonelli, par ailleurs bonasse
Bidache. Mikhaël Piccone n’a qu’à paraître, sans même chanter, et nous avons une
irrésistible silhouette à la dégaine comique en Miguelito agent double et
trouble. Presque à la fin, en prêtre aztèque tout général Zapata qu’il soit,
Jean-Marie Delpas, est, par le tonnerre de sa voix, digne de Huascar, l’Inca
des Indes galantes de Rameau. Véritable tornade, la Tornada de Simone Burles campe, à faire
décamper les mâles, une chef guérillera vautour et vorace amoureuse. Le Bilou,
pauvre filou de Claude Deschamps, remarquable chanteur et acteur, en fera les
frais à son corps non défendant. Liens entre la France de départ et le Mexique
d’arrivée, l’impresario Cartoni de Dominique Desmons, est de la race de ce
qu’on appelait « fantaisistes », en fait ductile chanteur et acteur
qui sait tout faire, et il le prouve bien jusqu’à pousser un brin de Tosca. Sans grand effort, Kathia
Blas,
est une vraisemblable divette d’opérette, avec une jolie valse d’entrée qui est
un sacré programme de séduction digne de certaines héroïnes légères d’opéra.
Voix adaptée pour deux chansons confidentielles qu'elle ne grossit heureusement pas malgré la vaste salle à l’ingrate acoustique, joli timbre et
joli jeu, fruitée au milieu des fruits, Caroline Géa est une adorable Cricri, parigote rigolote, gouailleuse puis amoureuse pudique après.
Quant
au "Chanteur de Mexico", physique de latin lover, plus hispanique que nature, œil
sombre de feu sous sourcil et crin noir avec un sourire éclatant de blancheur,
séducteur et prédateur, c’est le ténor Marc Larcher. Il ne s’abaisse pas
à singer Mariano mais s’élève au contraire par le naturel de cette voix tour à
tour de velours dans le médium tellement sollicité par les chansons, éclairs
dans l’aigu échappant aux limites de la tessiture du genre. Acteur convaincant,
dansant, il est en scène chez lui et déchaîne l’enthousiasme en s’amusant aux
tenues de souffle du falsete mexicain qu’il ne se lasse pas de répéter en
bis alors même qu’il a enchaîné générale, première et seconde représentation
sans un jour de repos pour un rôle qui porte toute la pièce sur ses épaules, sa
voix. Un grand, grand bravo.
Bref,
sans sombrer dans le gâtisme, sans retomber en enfance, on retrouve un bonheur
d’enfant à voir et entendre, malgré l’enfantillage du livret, ces grands
enfants que sont les artistes, même au milieu d’un public qui ne l’est plus
guère mais retrouve ici un regain de jeunesse. Que nous partageons avec eux.
Théâtre de l'Odéon,
22 février 2015, 16 et 17 décembre 2017
22 février 2015, 16 et 17 décembre 2017
Le Chanteur de Mexico
Musique de Francis
LOPEZ
Direction Musicale :
Bruno CONTI.
Mise en scène : Jack
GERVAIS. Chorégraphie : Estelle LELIEVRE-DANVERS. Décors : Laurent Martinel. Costumes : Maison Grout.
Distribution
Caroline GÉA, Kathia
BLAS, Simone BURLES, Marc LARCHER, Claude DESCHAMPS, Dominique DESMONS,
Jean-Marie DELPAS, Mikhael PICCONE, Antoine BONELLI, Jean GOLTIER, Jean-Pascal
MOUTHIER.
Photos (© Christian Dresse) :
1 et 2 Pays basque : "Quand on est deux amis" ; "Maïtechu";
3 et 4 Paris : Moulin de la Galette ; Montmartre ;
4, 5 et 6 Mexique : danses (Acapulco) ; danseur de Mexico et pyramide aztèque ;
7 et 8 : tableaux de fin.
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