MUSICATREIZE/CONCERTO SOAVE
La salle Musicatreize, 53, Rue Grignan, où niche désormais
également Concerto soave, est ce lieu privilégié pour le mélomane où, dans la
chaleur amicale, on peut goûter, dans des interprétations d’une rare exigence,
un bel éventail musical, de la musique ancienne à des créations contemporaines,
en passant par le Baroque.
In
van sospiro
C’est d’ailleurs
là que Mars en Baroque, émanation de Concerto soave, avait son point d’orgue, le
dernier concert de son mois, le 31 mars, In
van sospiro…, qui scellait l’harmonieuse collaboration de cet ensemble avec
Musicatreize, un symbolique double programme, d’abord des madrigaux du VIe
livre de Gesualdo et une mise en miroir moderne, leur double, dans une création
contemporaine de Luca Antignani, une
première mondiale, Il canto della tenebra. Le vénéneux Prince de Venosa Carlo Gesualdo (1566-1613), aux portes du Baroque apporte à la
musique de son temps, si inventive déjà, si expérimentale, une rare liberté :
semée de dissonances, de chromatismes expressifs, elle sonne comme une
lointaine anticipation de la nôtre. Comme le Baroque lui-même, ainsi que j’ai
tenté de le montrer dans un ouvrage, elle c'est une archéologie de notre modernité.
Sous la
direction précise, de Roland Hayrabédian,
liberté dans la rigueur, les chanteurs de Musicatreize, a cappella, en firent
une évidente et audible démonstration virtuose, nous promenant dans la
rhétorique amoureuse fleurie de ces madrigaux, hérissée d’épines, de pièges
harmoniques délicieusement cruels.
Musicatreize/Roland Hayrabédian
Kaoli Isshiki, soprano
Marie-George Monet, Sarah Breton, mezzo sopranos
Xavier
De Lignerolles, ténor
Patrice
Balter, Jean-Manuel Candenot, basses
Roland
Hayrabedian, direction
Il
canto della tenebra
La seconde
partie était la commande de Musicatreize au jeune compositeur italien Luca Antignani présent dans la salle,
qui éclaira son hommage au ténébreux Gesualdo, en quelques mots simples au
public. Il appartenait à Concerto soave, dirigé du clavecin par Jean Marc
Aymes, d’en assurer la création. Ce
reflet d’aujourd’hui des madrigaux d’hier reposait sur la mise en musique d’un
poème des Canti Orfici ‘Chants
Orphiques’ (1906-1912) de Dino Campana (1885-1932), poète maudit, marginal
original, sombrant dans la folie comme son illustre compatriote le Tasse, contemporain
de Gesualdo, tellement prisé par les compositeurs baroques. Choix significatif d’un
poète à cheval sur deux siècles, entre symbolisme et modernité, comme le sombre
neurasthénique Gesualdo entre les XVIe et XVIIe, entre
polyphonie renaissance et baroque nouveau, entre deux mondes, raison et folie,
deux créateurs singuliers, dans leur domaine respectif, deux génies malades.
Naturellement
attaché à la sonorité des mots, apparemment plus au signifiant qu’au signifié,
le jeune compositeur nous offrait pourtant un délicat paysage sonore, frémissant
de cordes sur le ruissellement du clavecin en fraîches vaguelettes, en doux
remous ombreux de cordes frottées, ondes, ondulations s’éloignant, un frisson d’eau
sur de la mousse, tapis feutré à la polyphonie raffinée des voix traitées dans
un ambitus naturel, en dégradés de forte de cascade (sorgente! 'source') auréolée de la vapeur, de la brume d'eau lumineuse, iridescente, au piano délicat de clair ruisselet. Une séduisante réussite.
Concerto
Soave/Jean-Marc Aymes
Alessandro
Ciccolini, Patrizio Focardi, violons
Sylvie
Moquet, Mathilde Vialle, Christine Plubeau, violes de gambe
Jean-Marc
Aymes, orgue, clavecin et direction
Coproduction
Musicatreize/Concerto Soave
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire