LES BRIGANDES DU
CHÂTEAU D’IF
Théâtre de l’Odéon,
Marseille 1 décembre 2016
Oui,
les deux font la paire, mais non, ce couple de singing sisters, ces deux brigandes ne sont pas des laronnes, mais
deux belles luronnes, et la référence au Château d’If, si elle tient à
l’histoire et au mythe de Marseille, ce n’est pas à cause de miteux brigandages
et autres corps de délit mais pour la
belle cause et corps de délices d’un trésor digne de Monte-Cristo, c’est-à-dire
littéralement romanesque et artistique, symbolique : un patrimoine culturel en déshérence, celui de la chanson, de
l’opérette marseillaise, dont le lieu de culte fut autrefois le légendaire
Alcazar, que leur deux voix, disjointes ou conjointes, en duo ou faux duel du
solo, nous restituent, sans nous voler, nous enlevant, nous envolant, nous
enveloppant tendrement, ironiquement, nostalgiquement, dans leur charme désuet,
leur populaire grâce, sans grasse complaisance d’un folklore
« marseillisant » racoleur, de mauvais goût.
Racines,
identité : danger
Et il est très
réconfortant que de jeunes ou relativement jeunes Marseillais, de fraîche date
ou de vieille souche, tous de parfaits musiciens, et de grandes voix lyriques,
découvrent ou fassent découvrir ou redécouvrir à un public ancien, peut-être
oublieux, ou à un public nouveau curieux, ce répertoire qu’ils servent avec
amour et humour. Ici même, j’ai parlé du spectacle Marseille mes amours, récital Sarvil / Scotto monté sur un voilier
par le ténor Jean-Christophe Born
avec, déjà au départ, Murielle Tomao
(voir 11 septembre 2015, http://benitopelegrin-chroniques.blogspot.fr/2015/09/operettes-marseillaises.html).
L’accueil enthousiaste des spectateurs
nombreux, le nombre et la qualité des tournées depuis plus d’un an dans le
cadre des Voix de l’Alcazar que
promeut avec obstination l’inlassable et inclassable Claude Freissinier et son équipe d’Arts et Musiques, justifient hautement cette sympathique mise en valeur de ce
patrimoine populaire si bien accueilli. Devant ce succès, qu’on ne vienne pas
nous parler la langue douteuse du populisme ambiant qui, hélas, court les rues,
nous expliquant ce succès par un besoin, un désir identitaire, un retour aux
racines : détestable expression qui renvoie à ce qui ne se voit pas, qui
est sous terre : enterré littéralement. Un arbre, puisque métaphore il y
a, se juge par ses feuilles, ses fleurs, ses fruits. S’il l’on en voit les
racines, c’est qu’il est mort. C’est ce résultat de longues germinations,
croissance et floraison, qui font les cultures, en particulier, la
marseillaise, résultat de riches et divers amalgames séculaires. Les
compositeurs comme Scotto, les musiciens, d’ici et maintenant mais dont les
noms fleurent l’ailleurs et autrefois, qui accompagnent si joliment nos divas
si peu Diva, la soprano bordelaise Brigitte Peyré, la mezzo Murielle Tomao, d’ascendance sûrement
napolitaine comme tant de Marseillais, même en jouant l’accent local, leur
souriant promoteur manosquin Freissinier, riraient bien de ces identités illusoires
et dangereuses, de ces dangereux retours au terroir, éteignoir s’il n’a pas
d’ouverture. Tous se sont mis au service de cet humble pan culturel
marseillais, dont la musique déborda bien les frontières régionales et
nationales. Et s’ils engagent le public heureux à chanter le vieux tube :
On la connaît au bout de la terre,
Notre Cane, Cane, Cane, Canebière…
même si ce fut vrai naguère, c’est avec la distance ironique
de toute chansonnette de clocher, cocardière comme les rengaines sur Paname,
Madrid des Madriles, etc, des airs qui font du bien sans faire de mal à
personne quand on n’en fait pas un hymne agressif dont on se drape comme dans
un drapeau frontière nous fermant à l’autre.
Héritage singulier et
pluriel
Ce mélange de forces plurielles et
d’origines diverses fondues dans ce désir
de faire revivre ce riche patrimoine singulier mais commun à tous, fut
donc l’un des charmes de ce spectacle mené tambour battant, sans un temps mort,
avec une confondante fluidité dans les gestes, les mouvements pratiquement
chorégraphiés des deux chanteuses, les danses humoristiques, l’intégration
parfois des musiciens au jeu, l’alternance du chant et du parlé sans solution
de continuité, une dramaturgie musicale mise en scène avec une efficace
ductilité par Olivier Pauls. Tout
semble naturel sans que l’on sente le travail acharné derrière tout cela, avec
une précision musicale au-dessus de tout éloge comme l’on peut attendre de
cette phalange de parfaits musiciens classiques, tel Ludovic Selmi, qui dirige du piano et signe arrangements, et son
équipe. En Angèle et Miette, inénarrables héroïnes de cette toute modeste
épopée amoureuse, aux dialogues peut-être un peu trop simples, respectivement Brigitte Peyré, soprano dense mais
transparent, dont le Pierrot lunaire
me semble le meilleur que j’aie jamais entendu, créatrice de tant d’œuvres
contemporaines, par ailleurs voluptueuse Poppée du Couronnement de Monteverdi, et la pulpeuse Murielle Tomao, voix fruitée et sensuelle, qui fut une Zerline
friponne et autres personnages plus dramatiques, comme Carmen, la Belle Hélène,
etc, s’amusent et nous ravissent, pliant leurs grandes et belles voix à la
chanson, la chansonnette, mais nous rappelant, d’un aigu, d’un forte, dans une
tradition qui se perd gardée par la
comédie musicale américaine, de mêler la chant intimiste et lyrique avec
bonheur.
Un
bonheur pour nous
Les Brigandes du Château d’If
Brigitte
PEYRÉ, soprano
Murielle
TOMAO, mezzo soprano
Accompagnées
par :
Rémy
CHAILLAN, Batterie
Eric
CHALAN, Contrebasse
Gérard
OCCELLO, Trompette
Jean-Christophe
SELMI, violon
Ludovic
SELMI, piano et arrangements
Dramaturgie
musicale et mise en scène, Olivier PAULS
Photos de la production
La
tournée 2017 des Voix de l’Alcazar :
>
11 février 2017 - Les Pennes Mirabeau - Les Brigandes du Château d’If
>
26 mars 2017 - St Maximin - Les Brigandes du Château d’If
>
19 mai 2017 - Digne les Bains - Les Brigandes du Château d’If : 21h
>
12 juillet 2017 - Le Puy Sainte Réparade - Les Brigandes du Château
d’If : 21h
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